La garde nationale mobile, au-delà de l’échec…

Auteur(s) : MELLINGER Clément
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La création de la garde nationale mobile est la réponse législative de la France à un contexte international lourd de menaces à la fin du Second Empire. Pourtant d’essence militaire, elle est conçue et évolue avec une dimension principalement politique contraignant toute son existence. Les limites et les contradictions imposées par les parlementaires sont importantes et décisives. Fruit d’un équilibre précaire, elle est dénigrée par ceux-là mêmes qui en ont empêché sa pleine concrétisation.

Au-delà de l’échec démontré par la victoire incontestable de l’Allemagne unifiée et malgré les nombreux obstacles rencontrés, cette institution nouvelle découle d’une pensée cohérente. Elle s’inscrit dans un mouvement de fond de massification de l’effort de guerre de la société civile. Un degré d’application géographiquement variable, mais réel permet d’observer une histoire plus riche que la postérité ne le souligne, particulièrement dans les régions de l’Est.

La garde nationale mobile, au-delà de l’échec…
Dessin représentant l’uniforme de la garde nationale mobile
© Fonds des archives municipales de Metz (AM Metz – 4Fi1771)

La Prusse à l’horizon

Le contexte géopolitique de la fin de la décennie 1860 est véritablement le détonateur de la volonté de perfectionnement de l’outil militaire français aboutissant à la création de la garde nationale mobile.

Un acte de naissance en Bohème

La victoire prussienne face à l’armée autrichienne à Sadowa le 3 juillet 1866 a un rôle doublement décisif dans la mise en place de la garde nationale mobile. Elle dévoile aux yeux de nombreux contemporains le danger représenté par une Prusse agressive qui se développe au point de devenir l’état hégémonique dans l’espace allemand. Conscient de l’inéluctabilité d’un conflit avec ce puissant voisin, Napoléon III entame dès la fin de l’été 1866 un travail de renforcement de l’armée française. L’importance numérique étant encore un facteur prépondérant, l’objectif est d’assurer la mise à disposition de 1 000 000 d’hommes en cas de conflit, contre environ 300 000 réellement à cet instant-là. Un autre élément se dégage des plaines situées dans l’actuelle Tchéquie. Une armée composée de conscrits effectuant un service militaire court a indiscutablement pris le dessus sur une armée très classique dans sa composition, où les conscrits expérimentés effectuent un service long. Cette brièveté du temps d’incorporation vise à élargir le contingent à un nombre plus important de jeunes gens aux profils sociaux plus variés. Cette option est jusqu’alors fortement dénigrée dans les milieux militaires européens, mais la preuve de sa pertinence est faite à l’été 1866. Elle est symbolisée par la landwehr, ces unités territoriales dans lesquelles sont reversés durant quelques années les conscrits une fois leur temps de service achevé et mobilisables en cas de conflit. Ils grossissent alors à moindres frais les rangs de l’armée d’active. C’est à la lumière de cette expérience que les efforts français se focalisent sur la mise en place d’une réserve rapidement désignée sous le nom de garde nationale mobile.

La genèse de ce projet est longue et difficile. L’empereur entame ses premières consultations dès août 1866, mais le résultat se concrétise seulement le 1er février 1868 avec la promulgation d’une nouvelle loi de recrutement, dite loi Niel, du nom du ministre de la Guerre porteur du projet. Hormis une légère modification de la durée de service, peu de changements sont amenés par la première partie du texte de loi. Elle s’inscrit dans la continuité de la loi Soult de 1832 et comprend simplement des modifications mineures de certains articles. Seul le titre II portant création de la garde nationale mobile amène une réelle innovation. Jusqu’alors, le tirage au sort déterminait chaque année dans une classe d’âge les jeunes gens effectuant un service long de 7 ans dans l’armée d’active, selon les besoins déterminés annuellement par le Corps législatif. Les bons numéros échappaient à toute contrainte militaire. Désormais, ces bons numéros doivent effectuer un service de cinq ans dans la garde nationale mobile. S’ils sont mobilisables en cas de conflit, la charge en temps de paix est très limitée. Elle repose tout au plus sur 15 jours d’exercices par an, chacun d’eux ne pouvant excéder 24 heures, déplacements compris. Cette institution doit fournir près de 550 000 hommes chaque année, ajoutés aux 450 000 hommes procurés par une armée d’active où la réserve, composée de certains conscrits laissés dans leur foyer après quelques années, est réellement constituées. Sur le papier, les comptes semblent bons.

Une opposition politique et dogmatique

Dix-huit mois sont nécessaires pour aboutir à ce résultat. Ce délai anormalement long s’explique par le contexte politique et par la politisation de la question. Si elle doit répondre à des besoins militaires, la méthode de recrutement dépend au XIXe siècle de considérations politiques. Un équilibre est défini, selon le régime en place, entre la répartition de la charge militaire à une majorité de citoyens ou sa concentration sur un nombre restreint. Le temps de service est la variable d’ajustement entre ces deux solutions pour aboutir à l’effectif souhaité. Derrière ces savants calculs se pose la question de la citoyenneté dont le service militaire est un aspect significatif et qui se manifeste par la conscription. Littéralement, ce terme signifie l’inscription de tous sur une même liste. Depuis la fin du Premier Empire, la tendance en France est à la concentration de l’effort sur une minorité des jeunes gens qui, par un temps de service long et un détachement dans la fleur de l’âge de la société civile, deviennent des quasi professionnels souvent obligés de se réengager à la suite de leur temps de service. Un système de remplacement permet à ceux qui le peuvent (les élites bourgeoises, mais également rurales) de payer un individu pour effectuer à leur place ce service. Apparue avec la loi Debrel-Jourdan en 1798, la conscription est bien implantée sous le Second Empire, au point d’être défendue par la société civile durant les débats entre 1866 et 1868. Plus que l’habitude, c’est le caractère égalitaire du tirage au sort qui est plébiscité tout comme le remplacement qui laisse une échappatoire possible. Les Français acceptent de sacrifier les mauvais numéros pour épargner les autres, tout le monde ayant sa chance au tirage. L’aspect politique est également un élément de décision pour l’Empereur. Celui-ci le déclare dès ses premiers écrits au fort de Ham. Il entend rétablir l’égalité dans le service militaire en augmentant le nombre de conscrits dans chaque classe d’âge et en interdisant le remplacement pour ne pas faire supporter ce fardeau uniquement sur les couches les plus populaires. Paradoxalement, cette volonté d’égalité et de justice sociale est un élément d’opposition de la majorité de la population, attachée au système en place.

L’autre paradoxe qui émaille de ces débats est la forte opposition politique des parlementaires de tous bords. La libéralisation du régime octroie aux députés les moyens légaux de contester les décisions gouvernementales, et ceux-ci ne s’en privent pas. L’Empereur a entamé une politique d’ouverture à partir de 1860. D’abord timide, elle s’accélère dans les dernières années de la décennie. Les parlementaires disposent de plus de pouvoirs, la presse est libéralisée et les candidatures officielles tendent à disparaitre. Ce contexte, qui fait entrer la France dans le jeu d’une démocratie moderne, oblige les députés à prendre très sérieusement en considération les aspirations de leurs électeurs et au gouvernement à convaincre les parlementaires à l’occasion de véritables débats. L’opposition, particulièrement républicaine, souhaite ardemment la chute du régime et entame une politique d’opposition systématique bloquant les débats parlementaires. Alliées de circonstances mais sans réel projet alternatif, toutes les oppositions s’unissent, fort de l’appui d’une population hostile à la nouvelle loi. Chaque point, chaque alinéa est l’occasion de débats et de contradictions qui empêchent l’adoption d’une solution cohérente. C’est à force de concession que le gouvernement arrive à un arrangement bien en deçà des ambitions initiales. L’empereur porte en lui une part de responsabilité dans cette difficulté à imposer une solution radicale. Pour ne pas inquiéter une population pourtant assez lucide, il minimise constamment le danger prussien durant cette période charnière quand bien même il a conscience de l’enjeu. Les Français sont réticents à une augmentation de la charge militaire en temps paix, mais se montrent depuis le milieu du XIXe siècle sensibles à la sécurité du pays et résolus à combattre en cas de nécessité. Cette corde patriotique qui se développe n’a pas été utilisée par Napoléon III, méfiant. Jusqu’en juillet 1870, la nécessité de cette réforme et le danger imminent ont été occultés aux Français qui n’ont dès lors pas l’état d’esprit d’accepter cet accroissement de la charge.

Un parcours semé d’embûches

La mise en place de la garde nationale mobile se heurte rapidement à des difficultés qui ne font que croître jusqu’au conflit. Surtout vilipendée, elle est par la suite tout simplement ignorée.

L’argent, le nerf de la guerre

La promulgation de la loi ne met pas fin aux entraves au développement de la garde nationale mobile. Les difficultés apparaissent principalement au Corps législatif via la question budgétaire. Laissé au soin des parlementaires, le vote du budget pour son fonctionnement ne sera jamais sanctuarisé jusqu’au conflit. Élaboré la première année pour un exercice tronqué, il est issu d’un crédit pris sur le budget ordinaire. Le caractère exceptionnel d’une telle mesure et la volonté de ménager l’opposition incitent l’acceptation par le ministre de la Guerre d’un montant insuffisant. La somme allouée, près de 5 000 000 de francs, n’est certes pas insignifiante, mais elle ne couvre pas les besoins estimés par le maréchal Niel à près du double sur un exercice ordinaire, uniquement pour une organisation dans trois des sept corps d’armée territoriaux recouvrant le pays. Ce chiffre stagne néanmoins sur les exercices suivants pour s’effondrer à 2 000 0000 de francs votés pour l’exercice 1871. À titre de comparaison, il est de près de 19 000 000 de francs pour le seul habillement de l’armée d’active prévu à l’exercice 1870 alors que celle-ci dispose de surplus vestimentaires. L’accroissement du contrôle parlementaire joue à plein régime. Dans un contexte d’économie budgétaire, dans une volonté d’opposition à l’application de cette loi, mais également pour complaire à un électorat récalcitrant, le vote des crédits est une arme redoutable. Les élections législatives de l’année 1869 accentuent cette précaution des députés moins enclins à défendre les directives du gouvernement et plus préoccupés par leur assise électorale. La libéralisation du régime est l’une des raisons principales de l’échec de la garde nationale mobile, car elle ôte à l’empereur la possibilité d’imposer ses idées. Le refus de ces moyens financiers entrave l’équipement, l’habillement et l’instruction de cette troupe nouvelle aux besoins conséquents. Elles limitent également le paiement d’un encadrement en partie permanent et difficile à trouver. La situation est inadaptée à la convocation des troupes et condamne les unités à une inactivité fort dommageable.

Une importante carence originelle

Ces freins ne sont pas pour déplaire à certains milieux militaires hostiles à cette nouvelle organisation. Le mépris envers ces nouvelles troupes, qui ne sont pas considérées autrement que comme des civils en arme, est palpable. La garde nationale mobile se voit reprocher son manque de formation, mais les crédits nécessaires à son instruction lui sont refusés. Toutefois, un grave problème de conception diminue fortement la valeur militaire initiale de ces unités. Pour aboutir à un compromis parlementaire, et en opposition avec la vision originelle et l’exemple prussien, le service dans la garde mobile ne complète pas le service actif, mais le remplace. Ainsi, au lieu de disposer d’effectifs entraînés durant une période d’incorporation courte, reversés ensuite dans la garde mobile après leur temps de service et réunis ponctuellement pour un maintien à niveau, ceux-ci sont tout à fait novices de la chose militaire. Pire encore, les militaires de l’active n’y sont pas renversés, empêchant tout apport d’expérience et d’amalgame avec ces débutants. Le système militaire prussien pris en exemple est complètement dévoyé. Conscient de ce problème, les autorités encouragent les engagements volontaires d’anciens militaires et essaient, autant que faire se peut, de nommer aux postes d’encadrements d’anciens officiers ou sous-officiers chevronnés. Devant l’échec de la démarche, l’accent est mis sur la qualité sociale des cadres, afin de fédérer une partie récalcitrante de l’élite à travers des postes honorifiques. Cette situation accentue l’aspect politique de l’institution et entame un peu plus la qualité militaire des unités.

Une cassure chronologique

Ces éléments contraires sont renforcés par un moment charnière de l’histoire de la garde nationale mobile. Une succession d’évènements malheureux en août 1869 annihilent les efforts entrepris par endroits et sonnent rétrospectivement le glas de cette organisation, achevée lors de la défaite de 1870-1871. Dans le Nord-Est du pays et à Paris, un début de constitution est engagé en 1868 et 1869. Les unités de la garde mobile de la Seine sont même réunies pour une série d’exercices à partir du printemps 1869. Après des débuts difficiles, les résultats sont jugés encourageants. Cela offre la possibilité aux autorités de mettre en avant ces troupes et de marquer à travers une grande fête la création de la garde nationale mobile. Le 15 août 1869, jour de fête nationale sous l’Empire, est choisi pour un grand défilé des unités de la Seine. Cette nouvelle bénéficie d’un intérêt certain de la part des Parisiens rarement insensibles à un tel honneur. Lorsque l’on connait l’importance des évènements dans la capitale et le rôle de locomotive de sa population dans la réception des évènements dans le pays, de telles festivités peuvent apparaître comme une consécration et une acceptation de la nouvelle institution. Toutefois, les nuages s’assombrissent rapidement. Le ministre de la Guerre, principal soutien de la garde nationale mobile, décède subitement le 13 août 1869. Un malheur n’arrivant jamais seul, l’Empereur connait en cette période l’une des plus intenses crises de sa maladie l’empêchant d’exercer ses fonctions durant plus d’un mois. Les festivités doivent être annulées, au grand dam des Parisiens qui voient également les derniers exercices être suspendus. Le début d’optimisme retombe comme un soufflet. La garde nationale mobile a laissé passer son moment. Ses deux principaux protecteurs neutralisés, la nomination du maréchal Leboeuf en remplacement du maréchal Niel la condamne. Celui-ci est un fervent opposant de la nouvelle institution qu’il entend au mieux modifier, au pire voire disparaitre. Il ne souhaite pas défendre un budget conséquent et en l’état n’envisage pas de nouvelles réunions des unités. Dès lors, la garde nationale mobile est en suspens, plus aucune action n’est entreprise pour son développement. C’est dans cette situation figée qu’elle aborde le conflit. Les différents coups qui lui sont portés à partir de l’été 1869 résultent de l’absence de soutiens hauts placés.

À l’Est, du nouveau

L’expérience inaboutie ne signifie pas l’absence de concrétisation. À défaut d’une mise en place à grande échelle, l’expérience de la garde nationale mobile est poussée plus loin dans certaines régions.

Le département de la Seine et le 3e corps d’armée

Les opérations du conseil de révision, premières étapes nécessaires pour la désignation des jeunes gens intégrant la garde nationale mobile, sont entreprises de 1868 à 1870 partout dans le pays, procurant des listes complètes du contingent. Les premières opérations effectuées dès mars 1868 ne donnent pas lieu à des débordements, hormis à Toulouse et Bordeaux. Cela semble indiquer une certaine résignation ou tout du moins un attentisme des Français. Les difficultés à obtenir les crédits nécessaires, et peut-être une certaine méfiance envers les populations, incitent les autorités à concentrer leurs efforts sur un espace limité plutôt que de diluer les moyens sur l’ensemble du pays. Ce choix permet de créer un espace d’expérimentation où l’application des premières mesures offre un aperçu des difficultés à venir et des corrections à apporter. Cette décision prise durant l’année 1868 n’est plus contestée par la suite, eu égard aux problèmes budgétaires persistants. Nonobstant son instabilité politique chronique et certainement par la commodité offerte par sa proximité géographique avec les lieux de pouvoir, le département de la Seine est retenu pour cette application. Moins surprenante est la désignation du 3e corps d’armée, entité territoriale regroupant les départements alsaciens, lorrains, francs-comtois, de la Côte d’Or et de la Haute-Marne. Cette unité est implantée sur tous les territoires frontaliers avec l’espace allemand. Ce choix permet de profiter d’une population plus concernée et plus favorable à ces questions de défense, mais également d’avoir en cas de nécessité des troupes à disposition sur le point potentiellement le plus délicat en cas de conflit. Dans ces départements, les autorités militaires et civiles mettent en place des mesures de concrétisation de la garde nationale mobile que l’absence de convocation ou de réunion rend imperceptible pour la population et les non-initiés. Pourtant, le travail est loin d’être négligeable.

Lithographie représentant un conseil de révision © BnF Gallica
Lithographie représentant un conseil de révision © BnF Gallica

La structuration de la garde nationale mobile passe dans un premier temps par un travail intellectuel de conception. Un homme, le colonel Berthaut, remplit à ce moment-là un rôle considérable. Véritable missi dominici envoyé dans les départements concernés, il s’entretient avec les différentes autorités, rencontre des candidats aux postes d’officier, tranche les questions en suspens. Il donne une impulsion bienvenue et uniforme permettant des résultats correspondant le mieux possible aux attentes. Commandant en second des mobiles de la Seine puis commandant des mobiles du camp de Châlons au début du conflit et futur ministre de la Guerre, il est le véritable homme de l’ombre orchestrant sur le terrain la mise en place de cette institution. L’une des premières étapes essentielles est de définir les circonscriptions de recrutement et de concentration. À l’opposé de l’armée d’active, la garde nationale mobile est une entité à l’organisation territoriale. Cela se retrouve dans ses missions, destinées à suppléer les troupes d’actives dans les places fortes et à défendre leurs foyers, tout comme leur recrutement ou leurs possibilités de réunion limitées à une journée. C’est là une première tentative de territorialisation du recrutement, option tant redoutée des autorités civiles et militaires. La division en bataillon, correspondant aux arrondissements civils, et en compagnie, reprenant les délimitations des cantons, prend en compte ces considérations. Une fois le maillage défini, et avant même une éventuelle réunion, il convient de nommer les cadres. Des prospections et de véritables campagnes de recrutement sont menées pour aboutir à l’été 1869 sur les postes permanents. Certaines fonctions, lieutenant et sous-lieutenant, ne sont pas complètement pourvues. Après l’été 1869, ce travail de prospection cesse et les postes manquants sont pourvus à la déclaration de guerre. Néanmoins, les cadres essentiels sont nommés et certains sont soldés de manière permanente (les chefs de corps et certains sous-officiers spécialistes).

Des aspects matériels tout aussi concrets sont mis en place, profitant pour cela des structures et des moyens de l’armée dans ces circonscriptions. L’intendance militaire pourvoit ainsi à l’habillement et à l’équipement de ces unités à l’aide de ses surplus et en commandant les effets manquants. C’est par ailleurs le principal poste de dépense du maigre budget alloué. Les gardes mobiles des départements lorrains et alsaciens sont correctement équipés et habillés à la mobilisation en 1870, c’est moins le cas pour les autres départements du corps d’armée. Il en est de même pour l’armement, dont la dotation issue des magasins de l’artillerie est conséquente dans les places fortes de l’Est de la France. Avec la désignation des différentes circonscriptions, des dépôts d’armes sont choisis dans chacune des compagnies en accord avec les autorités civiles et militaires. À cette occasion, beaucoup de municipalités font preuve de bonne volonté et toutes, après incitation, proposent à titre gratuit ces dépôts. Ils ne sont toutefois pas utilisés, les armes restent stockées dans les magasins de l’armée et distribuées en temps et en heure au déclenchement du conflit. À leur grand regret, les mobiles ne disposent pas du tout dernier modèle de fusil Chassepot, mais leurs armes sont modernes avec chargement par la culasse, la grande nouveauté de la période. Les troupes de ce corps d’armée sont assez bien pourvues matériellement pour engager le conflit, ne manque que l’instruction rendue impossible par l’absence de convocation préalable. La situation est bien plus dégradée dans les autres corps d’armée où aucun travail préparatoire n’est entamé.

Dessin d’artilleurs de la garde mobile en action © BnF Gallica
Dessin d’artilleurs de la garde mobile en action © BnF Gallica

Le conflit

Avant même la déclaration de guerre officielle le 19 juillet 1870 et malgré le peu d’attention apportée à son développement, les premières mesures pour la mobilisation de la garde nationale mobile sont prises le 8 juillet. Compte-tenue de la réalité du moment, seuls les corps d’armée territoriaux les plus proches de la frontière sont dans un premier temps concernés. Les gardes mobiles de la Seine sont réunis et concentrés au camp de Châlons où s’installe une certaine indiscipline. À la suite des défaites du mois d’août en Alsace et autour de Metz, ils sont rapatriés à Paris pour participer à la défense de la capitale. La situation en Alsace et en Lorraine est plus confuse du fait de l’invasion rapide de ces départements, alors que les opérations de mobilisation ne sont pas achevées. Néanmoins, la présence de places fortes permet de réunir dans des endroits abrités ces unités correctement équipées avec un encadrement pratiquement complet grâce au travail préparatoire effectué durant deux ans. La République n’a pas le monopole de la mobilisation des gardes mobiles. Les autres corps d’armée sont mobilisés dès la mi-août, mais ne présentent pas une organisation satisfaisante. Peu d’équipements, retard dans la constitution des unités et de l’encadrement, contexte militaire défavorable sont autant d’entraves à la mise en place d‘une force armée cohérente et efficace. Ce sont pourtant ces unités qui suppléent l’armée d’active lorsque celle-ci voit la plupart de ces unités prisonnières ou anéanties après les capitulations de Metz et de Sedan. Le changement de régime, avec l’avènement de la République à partir du 3 septembre, libéralise le recrutement. Une tentative de renouer avec les levées en masse de la période révolutionnaire ne connait pas plus de succès et n’aboutit à aucune organisation efficace susceptible de modifier le cours de la guerre. Celle-ci s’achève avec le cessez-le-feu de à la fin du mois de janvier 1871 et voit un gros tiers du pays envahi.

Document concernant la mobilisation de la première partie de la garde nationale mobile en 1870 (SHD GR Xm56) © Service Historique de la Défense
Document concernant la mobilisation de la première partie de la garde nationale mobile en 1870 (SHD GR Xm56) © Service Historique de la Défense

Désignée comme auxiliaire de l’armée, la garde nationale mobile doit pouvoir évoluer en rase campagne bien que son rôle initial demeure le service au sein des places fortes afin de dégager de cette tâche les unités d’actives. Les deux phases de sa mobilisation durant le conflit couvrent ces deux aspects d’une manière bien distincte et dans un enchainement principalement dicté par les évènements et non par une stratégie délibérée. Les unités mobilisables dès l’entame de la guerre sont rapidement concentrées autour de places fortes. Après leur retour dans la capitale et dans les places fortes de l’Est, les unités permettent de combler par le nombre les garnisons souvent largement abandonnées pas des unités d’actives engagées dans une retraite générale. À l’inverse, ces protections plus ou moins puissantes offrent un répit permettant un aguerrissement de ces unités qui engrangent de l’expérience et peuvent mener des opérations de petites ou moyennes envergures. C’est le cas à Paris, mais également à Thionville par exemple. L’amalgame avec les maigres unités d’actives encore présentes accélère cette formation et donne des résultats intéressants. Souvent, la capitulation n’intervient qu’à la suite de l’intervention de la puissante artillerie allemande. Les autres unités, situées dans l’intérieur du pays, mobilisées plus tardivement et rapidement, servent de réservoir d’hommes pour l’armée d’active. Elles sont engagées principalement sur le champ de bataille où leur tenue au feu est très variable, mais dans l’ensemble peu résistante. L’absence de formation et surtout d’encadrement ne peut être si promptement compensée en rase campagne. Elles ne peuvent renverser la situation.

Peu formée, mais grandement utilisée lors du conflit, la garde nationale mobile voit celui-ci révéler ces carences et accélérer sa fin. Les premières unités au contact de l’ennemi, dans l’Est du pays, connaissent une sortie précoce du conflit. Prisonniers ou libérés sur parole lors de la capitulation des différentes places fortes, leurs combats cessent dans les derniers mois de 1870. Les prisonniers de guerre sont toutefois transférés en Allemagne et doivent attendre la signature du traité de francfort en mai 1871 pour entamer leur retour. Il s’étire jusqu’au cœur de l’été, allongeant d’autant plus la situation militaire de ces individus. Pour les autres unités, il faut attendre l’armistice à la fin du mois de janvier 1871 pour connaitre la fin des combats. En Alsace et en Moselle (dont les contours ont été modifiés), le rattachement au Reich allemand amène de fait la dissolution des bataillons de gardes mobiles dès la fin de 1870 et la mise en place rapide du système de recrutement prussien. Dans le reste de la France, tout l’équilibre du recrutement est remis en cause à la suite de l’échec militaire. Une nouvelle loi est votée le 27 juillet 1872. La majorité conservatrice et monarchiste de l’Assemblée nationale, au sein d’institutions républicaines, élargit grandement le recrutement. Si elle ne met pas encore fin au tirage au sort, celui-ci contribue uniquement à définir la durée de service du conscrit. L’universalité du passage sous les drapeaux est affirmée, il est suivi d’un temps dans la réserve, reprenant l’idée-phare du projet impérial auquel les courants monarchiste et surtout républicain s’étaient tant opposés. Cette nouvelle loi acte la disparition de la garde nationale mobile dont les unités sont dissoutes au 1er janvier 1873. Il reste alors quelques officiers pour régulariser les dernières formalités administratives durant le cours de l’année. Le chapitre de la garde nationale mobile est ainsi définitivement clos.

À l’instar du Second Empire, la garde nationale mobile jouit encore d’une trop mauvaise réputation. Si elle est loin d’être exempte de défaut, elle est avant tout le symbole de l’échec de l’ouverture politique orchestrée par Napoléon III à la fin de son règne. Loin de gagner le ralliement des bonnes volontés, cette libéralisation du régime a nourri une opposition systématique. Malgré la présence d’un danger imminent, la réforme du recrutement n’échappe pas à la règle. Des oppositions de principe se dressent et amènent ce résultat inabouti. Néanmoins, il serait erroné de prétendre que rien n’a été fait. Avec des moyens limités, un début de structuration est entamé à Paris et dans l’Est de la France permettant une mise en place relativement rapide aux frontières lors du déclenchement du conflit. Surtout, l’histoire de la garde nationale mobile ne se résume pas à l’absence de réunion ou d’exercices. La période 1868-1870 est marquée par une série d’ajustement dans certains territoires qui deviennent ainsi un véritable laboratoire pour cette nouvelle institution. La dynamique qui se brise en août 1869 se révèle rétrospectivement être le coup de grâce annihilant toute possibilité pour la garde nationale mobile d’être un outil militaire efficace au déclenchement du conflit. Cette dernière marque néanmoins, par les débats qu’elle suscite et par son existence même, un premier pas concret vers un service véritablement universel en France. Elle est le premier avatar d’un service obligatoire pour toute une classe d’âge et marque un renforcement de l’égalité au sein de la société.

Clément Mellinger (octobre 2024) est Docteur en histoire, ses recherches portent sur l’histoire militaire au XIXe siècle. Sa thèse a pour sujet « La mise en place de la garde nationale mobile : l’exemple de la Moselle » dont il rédige actuellement une version pour publication. Clément Mellinger est également archiviste pour la région Grand-Est. Il fait également partie du CRULH (Centre de Recherche Universitaire Lorrain d’Histoire).

Bibliographie

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