La réforme judiciaire de l’an VIII

Auteur(s) : Marie-Édith de
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Un mois jour pour jour après la promulgation de la loi sur l’organisation administrative de la France, la loi du 27 ventôse an VIII (18 mars 1800) réorganise les institutions judiciaires. Cette loi entend rationnaliser l’organisation des tribunaux et mettre fin au désordre engendré par la Révolution (juridictions mal définies, élection des juges, …).  

La réforme judiciaire de l’an VIII
© Fondation Napoléon - Patrice Maurin-Berthier

Les origines de la réforme

La première source de la réforme : la Constitution de l’an VIII

La Loi du 27 nivôse an VIII reprend, ou du moins s’inspire d’idées, principes et concepts déjà développés auparavant. Mais la Constitution de l’an VIII (22 frimaire an VIII, 13 décembre 1799) en est la principale source d’inspiration. Elle consacre en effet neuf articles à l’organisation judiciaire autour de l’idée de créer une organisation pyramidale des tribunaux. La Constitution dispose donc qu’il y aura en matière civile des juges de paix élus, des tribunaux d’instance, puis des tribunaux d’appel. Au sommet de la hiérarchie, on conserve le tribunal de cassation qui statue, non sur le fond des affaires, mais sur le respect des normes de droit dans les jugements. Deux articles de la constitution sont consacrés aux juges. L’article 68 précise que « Les juges composant les tribunaux de première instance, et les commissaires du gouvernement établis près ces tribunaux, sont pris dans la liste communale ou dans la liste départementale. Les juges formant les tribunaux d’appel, et les commissaires placés près d’eux, sont pris dans la liste départementale. Les juges composant le Tribunal de cassation, et les commissaires établis près ce Tribunal, sont pris dans la liste nationale ».  Ainsi, la hiérarchie judiciaire s’apparente à la hiérarchie territoriale (commune- département- nation). L’article 69 dispose que  « Les juges, autre que les juges de paix, conservent leurs fonctions toute leur vie, à moins qu’ils ne soient condamnés pour forfaiture ou qu’ils ne soient maintenus sur les listes d’éligibles ». Les magistrats du nouveau système sont nommés par l’exécutif et obtiennent une sorte d’inamovibilité en guise de compensation.

La volonté première du législateur

Étant donné la complexité de la matière traitée, la constitution et une seule loi ne suffiront pas. Dès l’origine, le conseiller d’État Emmery le rappelle d’emblée mais se console en affirmant qu’il faut « se contenter du bien qu’on [peut] faire en raison de la position et des circonstances »(Le Moniteur, 7 germinal an VIII, 28 mars 1800). On commence donc par creuser les fondations du nouveau système judiciaire.

La loi est composée de sept titres : Titre I (art.1 à 5) : dispositions générales. Titre II (art.6 à 20) : les tribunaux de première instance. Titre III (art. 21 à 31) : les tribunaux d’appel. Titre IV (art. 32 à 39) : les tribunaux criminels. Titre V (art. 40 à 57) : les tribunaux du département de la Seine. Titre VI (art. 58 à 91) : le tribunal de cassation. Titre VII (art. 92 à 97) : les greffiers et les officiers ministériels.

Le texte met fin à l’élection des magistrats qui, à l’exception des juges de cassation (élus par le Sénat sur la liste nationale et après l’an X sur présentation du Premier Consul) et des juges de paix (élus au suffrage universel, puis après l’an X, nommés par l’exécutif), sont désormais nommés par le Premier Consul. Bonaparte se fera aider dans ses choix par Cambacérès, notamment après son départ pour la campagne d’Italie. Au juge-citoyen succède le juge-officier, légitimé par le vote public. Malgré l’inamovibilité, le gouvernement garde la haute main sur les promotions et les carrières, ce qui peut sembler être un paradoxe. Cependant l’exécutif cherche une réelle efficacité pour le système judiciaire et non des garanties pour les magistrats, ce que le Premier Consul rappelle fermement aux magistrats. Il refuse en effet que le jugement soit conduit par les idées politiques de l’homme qui demande justice ou de celui qui est accusé. « Vous n’êtes responsables de vos jugements qu’à vos consciences ». Il rappelle l’importance de l’impartialité du jugement, pour conquérir la confiance publique, et respecter les citoyens.

La loi est finalement adoptée par 232 voix contre 18 par le Corps législatif et 59 contre 23 devant le Tribunat. Deux articles complémentaires sont ajoutés quelque temps après, à l’unanimité moins 2 voix.

Un nouveau système de justice civile : une hiérarchie pyramidale

 Les tribunaux de première et seconde instances

 La justice est désormais rendue par quatre cents tribunaux d’instance (un par arrondissement, sauf pour le département de la Seine qui n’a qu’un seul tribunal). La loi supprime les tribunaux civils et criminels des départements ainsi que les tribunaux correctionnels pour utiliser l’arrondissement nouvellement créé comme cadre de la reconstruction de l’organisation judiciaire. La composition du tribunal de (première) instance est déterminée par la taille de l’arrondissement communal : il peut compter trois juges et deux suppléants, quatre juges et trois suppléants, sept juges et quatre suppléants ou dix juges et cinq suppléants. Dans ces deux derniers cas, le tribunal est organisé en sections. Par rapport à l’époque du Directoire, le nombre des tribunaux civil est multiplié par quatre.

Les juges sont nommés par le chef de l’État qui les choisit sur les listes communales, tout comme les commissaires de gouvernement nommés auprès de ces tribunaux. Le tribunal est présidé par un magistrat également choisi par le chef de l’État pour une durée de trois ans reconductibles. Pour les tribunaux organisés en section, il est assisté d’autant de vice-présidents qu’il y a de sections, toujours nommés par le chef de l’État. Ils sont juges en premier ressort en matière civile et parfois en dernier ressort dans les cas déterminés par la loi. Ils connaissent aussi l’appel des décisions des juges de paix.

Au-dessus des tribunaux d’instance, 29 tribunaux d’appel sont créés, couvrant chacun plusieurs départements. Ils sont souvent installés dans des villes ayant accueilli jadis des parlements. Ils sont chargés du jugement en second ressort des jugements civils des tribunaux d’arrondissement ou de première instance, ainsi que l’appel en premier ressort des tribunaux de commerce. Le nombre de magistrat qui y siège est proportionnel à la taille du ressort, soit 12 à 31 juges, sauf à Paris où ils sont 33. Les formations de jugement ne peuvent statuer qu’avec au moins 7 juges. Les tribunaux d’appel composés de plus de 20 juges sont divisés en deux ou trois sections et dirigés par un président désigné par le chef de l’État, ainsi que le commissaire du gouvernement et le greffier. Le premier est assisté de substitut dans le cas des tribunaux d’appel organisés en sections.

En matière criminelle, l’héritage de la Révolution est conservé jusqu’en 1811 : les juges de paix punissent les petits délits, les tribunaux de première instance interviennent en matière correctionnelle, les tribunaux d’appel peuvent réformer leurs jugements, un tribunal criminel par département juge les crimes en dernier ressort avec intervention d’un jury populaire.

Le troisième niveau de la pyramide : le Tribunal de cassation

Le principe de cassation des décisions de justice, et donc de contrôle d’application des lois par les tribunaux, n’est pas une création révolutionnaire. Le Conseil des parties connaissait ce contentieux à la fin de l’Ancien Régime. C’est néanmoins une loi du 12 août 1790 qui crée un véritable Tribunal de cassation, compétent pour les recours extraordinaires formés contre les décisions de justice pour violations de forme ou mauvaise application de la loi, mais sans jugement de fond sur la décision.

La Constitution du 22 frimaire an VIII (13 décembre 1799) confirme l’existence du Tribunal de cassation ainsi que ses fonctions. Le principe de cassation reste cependant écarté pour les jugements en dernier ressort des juges de paix ou ceux des tribunaux militaires, sauf en cas d’incompétence ou d’excès de pouvoir. La Constitution modifie cependant les conditions de désignation des juges de cassation qui ne sont plus élus mais désignés par le Sénat au sein des listes nationales. Le titre VI de la loi du 27 ventôse an VIII complète l’œuvre constitutionnelle en précisant le mode d’organisation du tribunal en sections. Ce sont elles qui se prononcent sur les affaires. Cependant, si après une cassation le second jugement au fond est attaqué avec les mêmes moyens que le premier, la question est portée devant les sections réunies. Bien que le texte des débuts du Consulat ne l’évoque pas explicitement, les juridictions de renvoi doivent alors s’incliner devant la décision des chambres réunies. Le principe de suprématie du tribunal semble ainsi admis.

Le Tribunal (Cour en 1804) de cassation se compose de 48 juges (deux de moins que sous le Directoire). Le procureur général est assisté d’une demi-douzaine d’avocats généraux, et 50 avocats sont accrédités près de la Cour. Le Sénat y nomme toujours des juristes de premier plan. Les juges élisent leur président pour trois ans. Le premier président est François Denis Tronchet (1726-1806), à qui Honoré Muraire (1750-1837) succède. L’exécutif nomme l’ensemble des magistrats du parquet composé d’un commissaire du gouvernement et de six substituts. Le commissaire est André Joseph Abrial (1750-1828) puis Félix Lucien Jean Bigot de Préameneu (1747-1825).

Avec la réforme consulaire, le Tribunal de cassation peut désormais interpréter les lois, ce qui déroge à la présomption révolutionnaire de perfection de cet acte de la volonté générale. Mais le Tribunal ne fait qu’un usage modéré de cette faculté nouvelle.

Marie-Edith de Freslon de La Freslonnière, ICES, mars 2017

Bibliographie

LENTZ Thierry, BRANDA Pierre, PINAUD, Pierre-François, ZACHARIE, Clémence, Quand Napoléon inventait la France – Dictionnaire des institutions politiques et administratives et de cour du Consulat et de l’Empire, Bibliothèque Napoléonienne, Paris, 2008.

LENTZ, Thierry, Le grand Consulat : 1799-1804, Fayard, Paris, 1999.

BLUCHE, Frédéric, Manuel d’histoire politique de la France contemporaine, éditions PUF, Paris, 3ème édition, 2014.

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