La santé aux armées. L’organisation du service et les hôpitaux. Grandes figures et dures réalités. (1ère partie)

Auteur(s) : SANDEAU Jacques
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Le Service de santé militaire sera toujours, au cours des guerres de la Révolution et de l'Empire, l'un des parents pauvres des armées.
Malgré des figures illustres comme Percy, Larrey, Desgenettes, Heurteloup, Sabatier, Yvan… ce service ne pourra pas répondre aux immenses besoins qui vont se poser pendant les années de guerre de 1805 à 1815.
Les guerres de cette période furent extrêmement meurtrières, du fait des blessures effroyables causées, notamment, par l'emploi massif de l'artillerie mais également par les épidémies de typhus dans les hôpitaux où les blessés s'entassaient, sans soins, par suite de l'incurie des commissaires des guerres, responsables de l'organisation des hôpitaux, qui ne jugeaient pas opportun de prendre des dispositions d'évacuation secondaire sur des hôpitaux judicieusement disposés à l'arrière.
 
La création du Service de santé militaire remonte au règne de Louis XIV où un édit du 17 janvier 1708 crée véritablement le Service de santé militaire en instituant un corps permanent d'officiers de santé, au nombre limité, 300 médecins et chirurgiens, pratiquant dans les hôpitaux militaires fixes des garnisons frontalières ou des ports de guerre.
Ces hôpitaux sont placés sous le contrôle administratif des ordonnateurs et commissaires des guerres qui ont tout pouvoir en matière d'équipement et de recrutement dans ces établissements.
Ce n'est que bien plus tard, en 1889, que le Service de santé militaire obtiendra son autonomie et, enfin, en 1917 que les médecins et chirurgiens militaires obtiendront un statut identique à celui des officiers des autres armes.

Réorganisation du Service de santé militaire sous la Révolution et le Consulat

À partir de 1792, la guerre de mouvement et d'offensive des armées de la République prend rapidement la place de la guerre de siège qui était le cas le plus habituel sous la Monarchie et le Service de santé militaire doit, très vite, s'adapter car les besoins des armées en campagne sont sans cesse grandissants.
L'Assemblée nationale décide, en urgence, et dans le plus grand désordre, de créer de nouveaux hôpitaux  » sédentaires et ambulants  » mais dans le même temps, supprime progressivement les hôpitaux d'instruction et les anciennes écoles royales de chirurgie qui étaient pourtant la base du recrutement des officiers de santé.
La situation se dégradant de plus en plus, les besoins en médecins et chirurgiens militaires deviennent énormes. Leur nombre va ainsi varier de 1 400, environ, en 1792 jusqu'à 9 000 ou 10 000 en 1794.

Pour obtenir ces effectifs, on fait appel à de nombreux officiers de santé licenciés en 1788 et, surtout, à de nombreux médecins et chirurgiens civils et, le plus souvent, à des étudiants, peu instruits, volontaires ou requis, heureux d'échapper à la conscription, qui viennent grossir les rangs des médecins militaires.
Cette élévation considérable des personnels a pour conséquence la médiocrité professionnelle de la plupart, à l'exception de quelques personnalités d'élite, très peu nombreuses, qui se trouvent à leur tête.
Les chirurgiens, en particulier, sont trop jeunes et mal instruits. Percy les nommera  » chirurgiens de pacotille « .

La loi du 3 ventôse an II (22 février 1794) fixe de façon aberrante les bases générales du Service de santé et des hôpitaux militaires.
Un Conseil central de santé est établi par le ministère de la Guerre et prend le nom de  » Commission de santé « . Celle-ci est formée de 9 à 12 officiers de santé des armées de terre et de mer et de représentants de ces armées à parts égales.
Les officiers de santé sont répartis en 3 classes égales : médecins, chirurgiens et pharmaciens. Ils sont théoriquement autonomes, mais dépendent des commissaires des guerres, réunis en Comité de surveillance et d'administration pour tout ce qui concerne le fonctionnement et la propreté des hôpitaux, le choix de leur emplacement, la formation des praticiens et leur affectation.

La loi du 3 ventôse an II est modifiée le 19 mai 1794 (règlement du 30 floréal an IV) : le Conseil de santé est supprimé purement et simplement et remplacé par des inspecteurs généraux, siégeant auprès du ministre.
Ceux-ci gardent les fonctions de direction et de surveillance détenues par la Commission de santé mais les commissaires des guerres et les ordonnateurs voient surtout leurs pouvoirs renforcés. Ils interviennent dans la nomination des officiers de santé, les suspendent ou les mutent, ont un rôle prépondérant dans l'organisation du Service de santé en campagne, décident du nombre d'hôpitaux à installer et de l'évacuation des blessés sur d'autres formations. Les renseignements glanés et l'expérience acquise, au cours des guerres de la Révolution et de la campagne d'Égypte, par des médecins talentueux tels que Larrey, Desgenettes ou Percy ne sont pas perçus et leurs avis pas davantage écoutés.

Au contraire, de nouveaux règlements vont voir le jour qui vont frapper le Service de santé militaire par des mesures d'économie excessives.
Un premier règlement du 24 thermidor an VIII (12 août 1800) réduit le nombre des hôpitaux militaires à 30 et limite à 3 le nombre des membres du Conseil de santé rétabli. Quatre hôpitaux d'instruction sont prévus (Val-de-Grâce, Lille, Metz, Strasbourg) mais avec un personnel réduit.
Les officiers de santé restent subordonnés, plus que jamais, à l'autorité des commissaires des guerres et des commissions administratives nouvellement créées.
Un deuxième règlement du 16 frimaire an IX (7 décembre 1801) va encore plus loin dans la rigueur. Seize hôpitaux militaires permanents demeurent seulement. Un grand nombre d'officiers de santé est licencié sans ménagements et avec un traitement de réforme insignifiant.
En particulier de nombreux officiers de santé, appelés en 1792 sont renvoyés, sans tenir compte de l'expérience qu'ils avaient acquise  » sur le terrain « , sur le Rhin, en Italie ou en Égypte.

Le Consulat décide de ces réductions de personnel car le pays n'est, pour le moment, pas en guerre en Europe, ce qui va durer jusqu'en 1804.
La réduction décidée par le Consulat est telle qu'un nombre important de patients ne pourra plus être traité dans les hôpitaux militaires et devra être dirigé sur les hôpitaux civils dits de  » charité « .

Situation du Service de santé militaire au début de l’Empire

Quand l'Empire commence, le 18 mai 1804, l'organisation du Service de santé militaire repose sur les dispositions prévues dans les règlements mentionnés précédemment : ceux du 3 ventôse an II, du 30 floréal an IV, du 24 thermidor an VIII et dans l'arrêté du 9 frimaire an XII (3 novembre 1803).
Le Conseil de santé a été, de nouveau, supprimé et remplacé par six inspecteurs généraux (deux médecins, trois chirurgiens et un pharmacien) sous la tutelle constante et exaspérante des ordonnateurs et commissaires des guerres qui siègent au quartier général des Armées et sont tout puissants en matière de fonctionnement des formations sanitaires et des évacuations.

Au moment où l'Empire français se lance à la conquête de l'Europe, le Service de santé militaire n'est pas préparé à faire face aux milliers de combattants qui mourront de leurs blessures ou de leur abandon forcé sur les champs de bataille. Ce service ne pourra pas répondre aux immenses besoins qui vont se poser pendant ces années de guerre.

Le dysfonctionnement du Service de santé est dû à plusieurs causes :
– Crises d'effectifs : insuffisance des chirurgiens, pour la plupart incompétents et mal formés car recrutés à la hâte. Insuffisance numérique et technique des infirmiers et brancardiers.
– Insuffisance du ravitaillement sanitaire.
– Insuffisance du nombre des hôpitaux sédentaires et ambulants, implantés en dépit du bon sens.
– Disparition des hôpitaux d'instruction.
– Dépendance absolue des officiers de santé vis-à-vis des commissaires des guerres qui ne connaissent rien au Service de santé et ne pensent qu'à s'enrichir aux dépens des malades et des blessés dans les hôpitaux.
– Absence d'un statut des officiers de santé qui sont mal perçus par les états-majors et les chefs de corps et officiers des régiments.

Napoléon, lui-même, a une piètre opinion des officiers de santé qu'il ne veut pas voir sur le champ de bataille pendant l'action et les combats car ils gênent le déroulement des manoeuvres et les mouvements de troupes.
Seule, la Garde impériale émerge de toute cette grisaille et dispose d'un Service de santé bien organisé. Commandé par le chirurgien Larrey, admiré par Napoléon qui le qualifie  » d'homme le plus vertueux jamais rencontré « , le Service de santé de la Garde est largement pourvu d'ambulances mobiles, de caissons, de matériel sanitaire, de chirurgiens et d'infirmiers. À Paris, la Garde dispose d'un hôpital particulier, l'hôpital du Gros-Caillou, bien équipé, où sont envoyés ses malades et ses blessés.
L'Empereur, lui-même, ne se déplace jamais sans sa propre ambulance, placée sous les ordres de son chirurgien ordinaire, le baron Yvan, très apprécié et couvert d'honneurs.
Tout au long de l'Empire, des voix autorisées s'élèvent et interviennent auprès du grand état-major et de Napoléon lui-même pour demander l'amélioration du Service de santé militaire, sa constitution en un véritable corps de santé des Armées, un vrai statut d'officier pour les médecins militaires et des moyens matériels et financiers pour augmenter le nombre des hôpitaux et développer leur organisation et leur équipement.
Coste, médecin en chef de la Grande Armée, précurseur des grands épidémiologistes, suggérera d'introduire la variolisation systématique des soldats et défendra ses projets d'hôpitaux. Il indispose Napoléon par ses notes et ses rapports en fin 1806, à Varsovie, l'Empereur le limoge et le renvoie comme médecin-chef aux Invalides.
Heurteloup, chirurgien en chef de la Grande Armée, s'opposera toujours au pouvoir des intendants et se battra sans cesse pour que les médecins et chirurgiens militaires soient intégrés dans la hiérarchie militaire. Il aura une certaine influence sur Napoléon, après Wagram, pour l'organisation des hôpitaux de Vienne qu'il prendra en main avec un vrai talent d'administrateur.
Mais c'est surtout Percy, jaloux de Larrey, qui défendra constamment le Service de santé de la Grande Armée auprès de Napoléon qui l'écoutera mais ne donnera pas suite aux projets du grand chirurgien.
Créateur de  » la chirurgie de bataille « , Percy demandait qu'elle soit un corps indépendant comme le génie ou l'artillerie, qu'elle ait sa propre administration, qu'elle puisse disposer d'un corps d'infirmiers assez nombreux pour relever les blessés sur le champ de bataille, escorter les convois sanitaires et soigner les malades dans les hôpitaux de campagne. Il réclamait aussi qu'elle puisse bénéficier d'un plus grand nombre de chirurgiens au niveau des corps de troupe ainsi que de davantage de médecins pour les hôpitaux de campagne, tous hiérarchisés et assimilés à des officiers.

Les officiers de santé

Ils sont de trois sortes : médecins, chirurgiens et pharmaciens. Ce ne sont pas des militaires de carrière mais des personnels commissionnés temporairement, ce qui veut dire, qu'une fois la guerre terminée, ils sont remerciés sans pension ni retraite. Ce ne sont pas non plus des militaires assimilés à des officiers ; ils n'ont pas droit au port de l'épaulette et sont peu respectés dans les corps de troupe et auprès des états-majors. Enfin et surtout, ils sont totalement dépendants des commissaires des guerres et des intendants en matière d'organisation du Service de santé, d'effectif et d'administration des hôpitaux. Ils resteront pendant tout l'Empire entièrement subordonnés à leur autorité et à celle des commissions administratives.
Pourtant, les guerres de la Révolution, campagnes d'Italie et du Rhin en particulier, auraient dû avoir pour résultat la reconnaissance et l'appréciation des services rendus par les officiers de santé militaire.
Les enseignements tirés de ces campagnes, au cours desquelles le Service de santé militaire s'était rendu si utile, auraient dû conduire à l'organisation et à la régularisation définitive, par des règlements militaires, du corps des officiers de santé.
Il n'en fut rien, bien au contraire, et l'on verra que le Consulat, avide d'une paix durable et soucieux d'économies consacrera la déchéance des officiers de santé qui seront, en plus, en pleine crise d'effectifs, au moment ou l'Empire français se lancera à la conquête de l'Europe.
En fait, de la Convention au début de l'Empire, c'est-à-dire de 1794 à 1804, les différents règlements, vus plus haut, ne cesseront de désorganiser et de réduire le Service de santé militaire.

Les officiers de santé sont organisés sur un mode militaire ; ils sont hiérarchisés selon des grades principaux pour les chirurgiens et les pharmaciens :
– chirurgien major ou chirurgien de 1re classe ;
– chirurgien aide major ou chirurgien de 2e classe ;
– chirurgien sous aide major ou chirurgien de 3e classe ;
et
– pharmacien major (1re classe) ;
– pharmacien aide major (2e classe) ;
– pharmacien sous aide major (3e classe).
 
Deux grades seulement existent pour les médecins :
– médecin major ou médecin de 1re classe ;
– médecin aide major ou médecin de 2e classe.

Au-dessus, la hiérarchie comprend le grade de médecin ou chirurgien en chef (de corps d'armée ou d'armée) et celui de médecin ou chirurgien inspecteur général.
Ce dernier grade est au sommet de la hiérarchie puisque sous l'Empire, une inspection générale de 6 membres (deux médecins, trois chirurgiens et un pharmacien) constitue la Direction générale du Service de Santé. Elle est placée sous la tutelle constante des ordonnateurs et des commissaires des guerres et siège au grand quartier général des Armées pour régler le fonctionnement des formations sanitaires et des évacuations. Cette Inspection générale créée en mai 1796, sous le Directoire, avait fait suite à un Conseil de santé de trois membres (Coste, Heurteloup et Parmentier) qui avait les mêmes prérogatives sous la Convention. L'Inspection générale a pour titulaires six prestigieux personnages : deux médecins : Desgenettes et Coste, trois chirurgiens : Heurteloup, Larrey et Percy et un pharmacien : Parmentier.

L’uniforme

Les officiers de santé, quelle que soit leur fonction – médecin, chirurgien ou pharmacien, qu'ils exercent aux armées ou dans les hôpitaux militaires – ont un uniforme propre, inspiré de celui des officiers d'état-major. C'est à partir de l'an VI, sous le Directoire, que cet uniforme est porté par tous les officiers de santé. Il sera très peu modifié sous l'Empire.
L'habit est de drap bleu national piqué de blanc ; les collets, revers et parements sont de velours : noir pour les médecins, cramoisi pour les chirurgiens et vert bouteille pour les pharmaciens. La veste et la culotte sont du même drap que l'habit pour les médecins. La veste est rouge chez les chirurgiens et verte chez les pharmaciens. La culotte étant bleue comme l'habit.

Les diverses classes d'officiers de santé sont différenciées par les boutonnières du collet, des revers et des parements et par des broderies fixées sur le pourtour de l'habit. Le chapeau est uni avec plumet rouge. Ils portent des bottes à retournés rabattus et ont une épée d'officier d'infanterie.

Les effectifs

Le nombre des officiers de santé est au plus bas sous le Consulat et surtout à la fin de celui-ci (règlement du 18 vendémiaire an X et arrêté du 9 frimaire an XII).
On n'ose plus parler d'un corps de santé tant les effectifs sont faibles en regard de l'effectif de l'armée française. On compte, à cette époque, au total, un peu plus de 800 officiers de santé qui se répartissent, en gros, de la façon suivante :
– Dans les corps : 490 chirurgiens ;
– Dans les hôpitaux : 90 chirurgiens, 30 médecins, 90 pharmaciens ;
– Dans la Garde : 11 chirurgiens et 4 pharmaciens.
À ces chiffres, s'ajoutent 6 inspecteurs généraux dont nous avons parlé, 25 professeurs et des officiers de santé dits  » disponibles  » mais pour le moment sans affectation (59 chirurgiens, 9 médecins et 30 pharmaciens).
La France consulaire et bientôt impériale dédaigne le corps de santé et laisse celui-ci complètement désorganisé. Pourtant les armées impériales vont bientôt courir de bataille en bataille et malgré d'éclatantes victoires, au début, Austerlitz, Iéna, Eylau, Friedland et tant d'autres, il faudra lever, sans cesse, de plus en plus de nouvelles troupes car de nombreux soldats tombent sur les champs de bataille.
 
Le corps de santé militaire ne retrouvera ses effectifs de 2 500 officiers de santé du début du Consulat, qu'en 1807 et 1808 alors que les effectifs de l'armée française ont presque triplé.
Ensuite, au fil des campagnes suivantes, sauf en 1811, le nombre des officiers de santé ne fera qu'augmenter, créant d'insurmontables problèmes de recrutement : en 1809, il y a 3 800 officiers de santé, en 1810, 4 500, en 1811, 3 800, et à partir de 1812 plus de 5 000.
Parmi eux, les chirurgiens sont toujours les plus nombreux car les plus utiles durant les guerres où ils sont en première ligne pour relever, panser et opérer les blessés. Viennent ensuite les pharmaciens qui ont à l'époque un rôle plus important que les médecins car ils font des préparations magistrales de médicaments et dispensent les remèdes aux malades.
Les médecins sont les moins nombreux et aussi les moins estimés par les chef militaires car ils agissent peu, ont très peu de moyens thérapeutiques et font encore des diagnostics très imprécis, la médecine clinique n'existant pas encore. Néanmoins, leur rôle est important quand les épidémies sévissent et déciment les troupes en campagne : typhus, dysenterie, variole, typhoïde, maladies vénériennes, scorbut, fièvres putrides… les mettent au premier rang et leur font pressentir la nécessité de mesures épidémiologiques et d'hygiène qui commencent à être prises à cette époque.

C'est au cours de campagnes outre-mer – Égypte et Saint-Domingue – sous le Directoire et le Consulat, que les médecins militaires auront une conduite héroïque face aux épidémies dévastatrices de peste et de fièvre jaune. Ils n'abandonneront jamais leurs malades et sacrifieront leur vie pour tenter de les sauver.
Deux grands médecins dominent sous l'Empire : Coste et Desgenettes. Le premier s'impose comme hygiéniste et épidémiologiste, notamment auprès du corps expéditionnaire français durant la guerre d'indépendance d'Amérique, puis comme organisateur des hôpitaux militaires en France. Napoléon, comme on l'a vu, le limoge en 1806 et le remplace par Desgenettes, très apprécié de l'Empereur, qui devient responsable médical de la Grande Armée.

Recrutement et distinctions

Le recrutement des officiers de santé s'opère de trois façons : commissionnement, réquisition et conscription, mais laisse beaucoup à désirer. On se rappelle que le Consulat avait licencié un très grand nombre d'officiers de santé commissionnés et expérimentés, sans la moindre pension. Ils s'en souviendront et lorsque l'Empire refera appel à eux, de la même façon, très peu accepteront de revenir à l'armée avec le statut de commissionné.
La réquisition recrutera toute sorte de médecins et de chirurgiens : des bons mais surtout des mauvais, certains provenant de la pratique civile où ils n'excellaient pas.
C'est surtout la conscription qui apportera, notamment, le plus grand nombre de chirurgiens. Beaucoup sont totalement incompétents, échappant à la conscription active, ils se prétendent qualifiés pour intégrer le Service de santé alors qu'ils ne sont qu'étudiants en médecine débutants, élèves apothicaires ou séminaristes.
À côté d'eux, toutefois, d'excellents praticiens sont là, très dévoués, débordés de travail mais malheureusement en nombre insuffisants aussi bien dans les corps de troupe que dans les hôpitaux.

Les officiers de santé ne constitueront jamais, durant les guerres de l'Empire un corps d'officiers bien défini. Ils seront toujours sans situation militaire précise et constamment révocables. Leur courage et leur dévouement ne seront que rarement reconnus.
Très peu accéderont aux récompenses et aux honneurs. Les nominations dans l'ordre de la Légion d'honneur sont parcimonieusement ménagées aux officiers de santé militaire. Il en fut de même pour les ennoblissements. Seuls ou presque, les officiers de santé de la Garde furent récompensés.
Larrey fut fait baron et commandeur de la Légion d'honneur mais Napoléon l'aimait beaucoup. Yvan, chirurgien de l'ambulance de l'Empereur, reçut les mêmes honneurs.
Dans la Grande Armée, Percy, en raison de sa très forte personnalité, impressionna Napoléon qui le fit aussi baron de l'Empire et commandeur de la Légion d'honneur. Il en fut de même de Desgenettes et de Heurteloup qui devinrent baron et officier de la Légion d'honneur. Coste, peu apprécié et en disgrâce, ne fut élevé qu'au rang de chevalier et ne devint commandeur de la Légion d'honneur que sous la Restauration.

Les hôpitaux militaires

L'Ancien Régime avait doté les armées du roi d'un ensemble d'hôpitaux militaires qui jalonnaient les frontières de la France royale. Cette ceinture hospitalière d'une cinquantaine d'hôpitaux doublait celle des forteresses dont Vauban avait entouré la France. Citons les noms de quelques-uns : Dunkerque, Lille, Metz, Strasbourg, Besançon, Perpignan, Verdun, Belfort, Bayonne… et aussi d'autres situés dans des ports de guerre : Toulon, Marseille, Bordeaux, Brest et Rochefort.
Les hôpitaux de cette époque convenaient suffisamment à la guerre telle qu'on la pratiquait du temps de Louis XIV et Louis XV, c'est-à-dire près des frontières, car ils étaient proches des champs de bataille et pouvaient secourir les armées aussi bien en temps de guerre qu'en temps de paix.
Déjà, à cette époque, les officiers de santé étaient aux ordres des commissaires des guerres qui avaient tout pouvoir en matière d'administration, de police dans les hôpitaux et de gestion des personnels.

Sous la Révolution, à partir de 1792, les guerres vont être des guerres de mouvement et les hôpitaux vont devoir suivre au plus près les troupes en campagne. C'est ainsi qu'aux hôpitaux fixes métropolitains vont s'ajouter les ambulances et les hôpitaux temporaires que nous verrons un peu plus loin et ou va se pratiquer la chirurgie de bataille.
Les commissaires des guerres ont un rôle prépondérant dans l'organisation et le fonctionnement du Service de santé en campagne. Ils décident seuls du nombre d'hôpitaux sédentaires ou ambulants à implanter, de leurs approvisionnements et, plus grave encore, de l'opportunité ou non d'évacuer les blessés vers d'autres formations.
Toutes ces dispositions, particulièrement vexatoires, pour les officiers de santé, aboutiront à d'inévitables carences malgré l'expérience et les riches enseignements tirés des guerres de la Révolution et de la campagne d'Égypte. Sous le Directoire et le Consulat, des mesures d'économie excessives frappent durement le Service de santé de l'armée de terre.

Le règlement du 24 thermidor an VIII (12 août 1800) réduit le nombre des hôpitaux militaires à trente. Quatre hôpitaux d'instruction, seulement, sont prévus (Val-de-Grâce, Metz, Lille et Strasbourg) avec un personnel enseignant très réduit pour satisfaire à un enseignement de qualité et former un nombre suffisant d'élèves.
Un deuxième règlement du 16 frimaire an IX (7 décembre 1801) va encore diminuer le nombre des hôpitaux permanents qui tombe à seize et dont l'emplacement sur le territoire national ou ailleurs est souvent mal choisi (Rennes, Toulouse, Bayonne, Bruxelles, Aix-la-Chapelle…).
Ce nombre insuffisant d'hôpitaux fixes, quand viendront les guerres de l'Empire, constituera un mal irréparable. Il aurait fallu organiser, comme jadis, une centaine d'hôpitaux aux nouvelles frontières de la France, mais cela ne sera pas fait.

Pendant toute la durée de l'Empire, les hôpitaux permanents en France vont souffrir des règlements absurdes et injustes édictés sous le Directoire et le Consulat et qui vont rester en vigueur.
Le service de ces hôpitaux fonctionnera mal en raison de sa complication et de sa mauvaise gestion. En vain, des officiers de santé prestigieux, comme Coste et surtout Percy, tenteront d'améliorer la situation et chercheront à se faire entendre de Napoléon.
La réduction considérable du nombre des officiers de santé sous le Consulat entraîna celui des officiers de santé des hôpitaux à tel point que l'on dut faire appel à des officiers de santé des corps de troupe pour le service des hôpitaux et envoyer les malades dans les hôpitaux civils dits de charité.
Le personnel de santé tomba si bas, au début de l'Empire, dans les hôpitaux militaires, qu'il ne se composa plus que d'un médecin, d'un chirurgien major et d'un pharmacien chef. Les chirurgiens des corps durent seconder le personnel de l'hôpital pour assurer tout le service chirurgical.
Que dire du personnel infirmier des hôpitaux militaires ? Ce sont, jusqu'en 1809 où seront créés les premiers infirmiers militaires, des employés civils fournis par des régies, sans formation, inefficaces, à la moralité souvent douteuse et qui ne s'occupent guère des blessés et des malades. Restant le plus loin possible des combats, ils sont plus préoccupés de les dépouiller et de les voler que de leur porter secours.
 
L'administration des hôpitaux est lourde : on sait que, pendant tout l'Empire, le personnel médical est absolument subordonné au personnel administratif, non pas seulement aux commissaires des guerres mais aussi aux membres des conseils d'administration des hôpitaux, ces derniers rapportant à un Directoire central des hôpitaux, à Paris, composé de 5 membres (un officier général et 4 commissaires ordonnateurs).
Ces mêmes commissaires des guerres, responsable de la carrière des officiers de santé sont aussi en charge des achats de matériel médico-chirurgical et des équipements sanitaires. Malheureusement, nombre d'entre eux n'ont aucune conscience professionnelle et ne pensent qu'à leur enrichissement personnel, en faisant fortune sur le dos des malheureux malades. Les fournitures hospitalières, la nourriture sont le plus souvent données en adjudication et au rabais à des entreprises civiles.
Il en résulte que les hôpitaux militaires, sauf exceptions, sont très mal équipés, les règles d'hygiène y sont mal observées, la promiscuité règne, les malades ou les blessés sont 2 ou parfois 3 par lit, les contagieux ne sont pas séparés des autres, sauf les galeux et les vénériens.
Il manque de tout : insuffisance de pansements et de charpie, manque de médicaments, nourriture insuffisante surtout en viande. Les locaux sont sales et mal chauffés en hiver.
Les malades mal suivis, mal soignés, traînent dans les hôpitaux : ils ne seront pas guéris et deviennent des chroniques qui finiront par mourir lentement et douloureusement. Des épidémies apparaissent souvent : dysenterie, fièvres putrides, gangrène, du fait du manque d'hygiène, et augmentent encore la mortalité.
Ces hôpitaux militaires, déjà surchargés de blessés et de malades en temps normal, vont être totalement débordés quand arriveront en France des convois de blessés, en provenance d'Espagne en 1808 et d'Allemagne fin 1813.
En octobre 1808, les hôpitaux militaires de Bayonne et de Toulouse débordent ; les malheureux blessés sont envoyés aux quatre coins du Sud-Ouest : Bordeaux, La Réole, Blaye, Carcassonne, Auch…
Les soldats ne reçoivent pas de soins et ne recouvrent pas la santé. Les hôpitaux ne sont que des asiles pour les fièvres, les maladies et les épidémies de toute nature. Ces malheureux sont fauchés plus sournoisement que sur le champ de bataille où le sabre, la balle et le boulet ne les ont pas tués sur le coup.
 
Quelques hôpitaux militaires font exception et sont dignes de ce nom. C'est, tout d'abord, l'hôpital de la Garde à Paris, l'hôpital du Gros-Caillou, rue Saint-Dominique, qui est bien équipé et où les soldats de ce corps d'élite sont très bien soignés. Les officiers de santé de la Garde qui sont parmi les meilleurs du Service de santé y exercent. Larrey en est le chirurgien en chef, Sue, le médecin chef et Sureau, le pharmacien en chef. Les adjoints sont qualifiés et nombreux ; en 1813, on compte 3 médecins mais 5 chirurgiens de 1re classe, 12 chirurgiens de 2e classe, une trentaine de chirurgiens de 3e classe et une quinzaine de pharmaciens.
Un corps d'infirmiers militaires tiré des bataillons d'administration et des équipages du train de la Garde complète le personnel de santé de cet hôpital.
L'hôpital du Val-de-Grâce, qui va devenir hôpital d'instruction en 1814 et l'hôtel des Invalides, créé par Louis XIV pour y soigner les militaires invalides, bénéficient des soins éclairés donnés par de grands praticiens de l'époque : les chirurgiens Sabatier, Yvan et Coste le médecin aux Invalides, Desgenettes, Broussais et Larrey au Val-de-Grâce.
En province, les hôpitaux d'instruction de Lille et de Strasbourg auront une bonne réputation ; dans ce dernier, le célèbre pharmacien Fée, père de la botanique, y exercera très longtemps, jusqu'en 1870.

Le Service de santé militaire en campagne

Pendant dix ans, de 1805 à 1815, les guerres de l'Empire vont se succéder, pratiquement sans discontinuer. Les armées seront toujours en campagne et très mobiles.
Dans son élan, la Grande Armée ne s'occupe jamais de ceux qu'elle laisse derrière : les blessés ou les malades encombrent et embarrassent sa marche car il faut toujours aller de l'avant pour la victoire décisive. Ne sont dignes d'intérêt que ceux qui peuvent toujours avancer et se battre ; ceux qui tombent dans la lutte ne méritent que l'oubli.
À cela s'ajoute une administration cupide et maladroite qui s'adapte à la hâte à la tourmente de l'épopée napoléonienne et est incapable d'en maîtriser les écarts et d'en corriger les erreurs. Mais les coupables ne sont pas les officiers de santé, même ceux de pacotille, qui vont tout au long des campagnes napoléoniennes montrer leur dévouement et leur bravoure.
Voici tout d'abord les médecins. Leur position est difficile et ingrate car il y a très peu de place pour eux dans le Service de santé en campagne. Leur rôle devrait pourtant être important dans l'application, notamment, des règles d'hygiène militaire : celles-ci sont connues mais très difficiles à mettre en pratique car les médecins n'ont pas d'influence auprès des chefs de corps ou des généraux d'armée.
 
Il va en résulter l'inorganisation des hôpitaux de campagne où la malpropreté règne en maître : malades et blessés vont mourir du manque de soins, de la promiscuité et des épidémies qui tuent sans rémission : typhus, surtout, dysenterie, gangrène gazeuse, choléra…
Il en sera de même des bivouacs et des camps militaires où les soldats restent très peu car Napoléon les entraîne toujours plus loin vers de nouvelles batailles.
Tous ces lieux sont sales, bâtis à la hâte, particulièrement froids en hiver ; tout gît par terre : les vêtements, la nourriture, notamment les débris de viande de mouton ou de vache que l'on vient d'égorger, la vaisselle sale ; les feuillées sont mal creusées et trop près des cantonnements, les cavaliers campent avec leurs chevaux tout près d'eux. Les épidémies et les maladies vont également faire des ravages dans ces cantonnements insalubres.
Les chirurgiens, par contre, vont constituer l'essentiel du corps de santé militaire pendant les campagnes et les batailles de l'Empire. Ils sont indispensables aux unités combattantes qui vont avoir beaucoup de blessés à soigner à l'issue des batailles. Celles-ci vont être de plus en plus meurtrières et mettre en présence de plus en plus de combattants (surtout à partir de 1809 : Essling, Wagram, Moskowa, campagne d'Allemagne de 1813).
L'insuffisance des effectifs de santé et une logistique totalement inadaptée vont rendre vains les efforts d'hommes remarquables tels que Larrey, Percy, Heurteloup… et le dévouement constant de leurs collaborateurs (aides majors et sous aides majors).
Ce sont des milliers de combattants qui mourront de leurs blessures non soignées ou de leur abandon forcé sur les champs de bataille.
 
Pourtant, il existe une organisation du Service de santé en campagne. À l'échelle des régiments, les premiers soins sont assurés par les chirurgiens régimentaires. Un régiment de quatre bataillons possède, en règle, un chirurgien major assisté par huit chirurgiens, à raison de 2 par bataillon, équipés chacun d'une trousse individuelle de chirurgie. À l'échelle de la division, se trouve  » la division d'ambulance  » qui équipe  » les hôpitaux ambulants de premiers secours  » destinés à recevoir les blessés nécessitant des soins chirurgicaux.
 
L'hôpital ambulant ou dépôt d'ambulance, installé le plus souvent dans un bâtiment (château, abbaye, église…) est organisé de façon à pouvoir, le cas échéant, éclater en  » sections d'ambulance  » pour les besoins d'éléments détachés de la division.
Il se trouve placé en arrière du gros des troupes, le jour de la bataille, alors que les sections d'ambulance, régimentaire ou de brigade, se portent à l'avant ou sur les ailes.
Toutes ces formations sanitaires de campagne sont très mal équipées et très mal ravitaillées (pénurie de matériel et de médicaments) ; elles ne possèdent ni tente, ni matériel de couchage, la paille constituant le seul moyen d'allonger les blessés couchés.
Les abris improvisés tels que maisons réquisitionnées ou abandonnées, granges, écuries…, sont ouverts, sales et totalement insalubres. Le personnel subalterne infirmier est très insuffisant, sans qualification, constitué de quelques soldats détachés du régiment, de blessés légers voire même de prisonniers. On verra, qu'après 1809, à la demande insistante de Percy, sera créé un corps d'infirmiers militaires et de brancardiers.

L'ambulance divisionnaire comprend, en principe, un médecin, six chirurgiens dont un major, quatre pharmaciens et du personnel administratif (économe et employés).
Au corps d'armée, il n'y a plus rien si l'on excepte les officiers de santé attachés aux états-majors. Quant à l'armée, on trouve à l'état-major général un médecin chef, un chirurgien en chef et un pharmacien en chef qui dirigent, respectivement, chacune des classes d'officiers de santé. Ils disposent d'une réserve en personnel et en matériel, dite de quartier général, qui est souvent inexistante et en tout cas très vite épuisée.
 
Venons en, maintenant, au matériel et à l'équipement sanitaire en campagne. Chaque régiment dispose de 4 caissons d'ambulance (1 par bataillon) appelés aussi  » fourgon d'ambulance « . Il s'agit de caissons de transport de munitions qui ont été transformés pour y mettre à la place des instruments de chirurgie, une caisse de pharmacie, de la charpie et du linge de pansement. À la veille de la campagne d'Austerlitz, par décret du 14 fructidor an XIII, la dotation diminue curieusement et un seul fourgon d'ambulance est affecté à chaque régiment d'infanterie ou de cavalerie.
Chaque caisson régimentaire doit contenir deux matelas, six brancards de sangle, une caisse d'instruments de chirurgie, 50 kg de charpie, 100 kg de linge de pansement et une caisse de pharmacie composée de médicaments tels que cire blanche, laudanum liquide, liqueur d'Hoffmann, colophane pulvérisé… et des bocaux et flacons.
Chaque fourgon d'ambulance est une voiture, attelée de quatre chevaux de trait.
Les conducteurs de ce parc de véhicules sont, au début, des charretiers requis ou des ouvriers haut le pied qui vont être militarisés par le port d'un uniforme brun marron avec chapeau de feutre et par une obéissance à une hiérarchie militaire. Cette militarisation des conducteurs est l'ébauche de la création du train des équipages à l'image du train d'artillerie déjà bien organisé, surtout dans la Garde.
 
Durant la campagne d'Austerlitz et celles qui suivront jusqu'en 1810,
le manque de caissons d'ambulance, l'incertitude des transports et le désordre administratif feront qu'il n'y aura pas vraiment de chirurgie de bataille organisée, exception faite de la Garde qui dispose d'un excellent Service de santé en campagne.
Au moment des batailles, dans le fatras et la confusion, les caissons qui contiennent les instruments de chirurgie et le linge pour pansements ne sont pas au rendez-vous. Les chirurgiens se font mutuellement des cadeaux où l'utile prédomine : parfois rien d'autre qu'un grand couteau et une scie de menuisier, effrayants instruments qui vont permettre de pratiquer des amputations.
 
Comment vivent et exercent ces chirurgiens en campagne, notamment ceux affectés aux unités combattantes ? Leurs conditions de vie et de travail sont souvent effroyables. Ils suivent la troupe, pour la plupart à pied, dans les longues marches et par tous les temps. Seuls les chirurgiens majors sont montés ainsi que quelques aides majors favorisés ; certains sous aides majors suivent les fourgons d'ambulance et se font ainsi transporter.
Leur hébergement est celui de la troupe, parfois en plein air sous une toile de tente autour d'un bivouac, parfois dans une maison abandonnée, couché sur un lit de paille.
Incertitude quant à la nourriture, les chirurgiens se servent chez l'habitant mais payent. En règle, ils ne pillent pas, ayant pour cette pratique traditionnelle du soldat une profonde aversion que professent leurs grands chefs : Percy et Larrey.


Titre de revue :
Revue du Souvenir Napoléonien
Numéro de la revue :
450
Numéro de page :
19-27
Mois de publication :
janvier
Année de publication :
2004
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