La vie à la Cour des Tuileries sous Napoléon III

Auteur(s) : COSSÉ BRISSAC général
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Il y a trois ans, je lisais aux « Amis de la Malmaison » les souvenirs que conservait de Saint-Cloud une Dame du Palais de l'Impératrice. Encouragé par la bienveillante attention qu'ils ont bien voulu m'accorder, j'entreprends aujourd'hui de la laisser vous conter la vie tour à tour simple ou fastueuse, qu'elle et ses compagnes menaient aux Tuileries dans l'intimité du couple impérial. Peu de documents présentent autant d'authenticité que le petit manuscrit qui m'inspire cette causerie. Retrouvé par hasard dans les archives de ma famille maternelle, il est daté du début de 1870. Il est écrit de la main de la propre soeur de mon grand-père, la marquise de Latour Maubourg. Née en 1829, petitefille du maréchal Mortier, fille du deuxième duc de Trévise, pair de France du roi Louis-Philippe, sénateur de Napoléon III, maire et châtelain de Sceaux, elle avait épousé, en 1849, un brillant officier de cavalerie, César du Fay de Latour Maubourg qui fut ensuite député de la Haute-Loire et capitaine des chasses de la vénerie impériale. Le jeune ménage avait deux enfants âgés, en 1870, d'environ 20 ans. Ma tante Nancy devait ce prénom à sa grand-mère maternelle écossaise, Nancy Stuart. Un de ses contemporains, le baron d'Ambès, nous révèle dans ses Mémoires qu'elle était « grande, jolie, spirituelle, très attachée à son mari ». Le célèbre tableau de Winterhalter, représentant l'Impératrice et ses dames du Palais que conserve aujourd'hui le château de Compiègne, confirme l'hommage ainsi rendu à sa beauté. Elle y figure à l'extrême droite, dans une robe bleue nuit, tenant à la main un chapeau de paille d'Italie. D'innombrables petits carnets, semblables à celui-ci, écrits, au jour le jour, d'une plume alerte et sans prétentions, consignaient avec une précision minutieuse, presque photographique, ses observations sur les événements et les personnages de l'époque. La mort presque simultanée de mes arrière-grands-parents, en ce début de 1870, la mettant plusieurs mois en congé, lui assurait de tristes loisirs, favorisant la rédaction de ce manuscrit. Je ne puis malheureusement vous en donner la lecture intégrale, faute de temps – mais je tenterai de vous restituer, de mon mieux, son précieux témoignage sur la vie de la Cour aux Tuileries.
L'ensemble Louvre Tuileries, inachevé au début de la Révolution, peu à peu complété sous le premier Empire, la Restauration, la Monarchie de Juillet, déblayé sous Napoléon III du quartier parisien qui obstruait encore l'actuel square du Louvre, vivait alors son éphémère apogée. Les Tuileries proprement dites, incendiées sous la Commune, ont été ensuite méthodiquement démolies.
Ma tante s'efforce de répondre « à ces questions qui lui étaient constamment posées à elle et à ses collègues : « En quoi votre service consiste-t-il ? ce doit être bien fatigant » -. Elle nous présente la maison de l'Impératrice, ses attributions, le service dominical et hebdomadaire, les promenades au bois, les dîners petits et grands, les veillées qui les suivent, les spectacles, les grands bals, les lundis de l'Impératrice, les grands concerts, les dîners de famille, etc…
Napoléon III, lors de son mariage avec Eugénie de Montijo, en 1853, avait constitué la « maison » de la nouvelle Impératrice sur le modèle des anciennes Cours.
« La grande maîtresse est la princesse d'Essling. C'est à elle qu'on s'adresse pour être présentée ; c'est elle qui transmet aux Dames du Palais les ordres de l'Impératrice, qui fait les listes de service et les envoie aux Dames. Le plus clair de son service, après la confection des listes, est d'assister à la messe du dimanche aux Tuileries, aux bals, concerts, fêtes et d'être engagée aux séjours à Compiègne et ailleurs ; elle répond aussi aux demandes de présentations et d'audiences ; elle est bonne et indulgente et tout ce qu'il y a de plus spécifique, malgré son air un peu raide ».
Elle était assistée par une dame d'honneur qui fut jusqu'à sa mort, en 1868, la duchesse de Bassano, puis la comtesse de Walewska.
« La duchesse de Bassano était une charmante et aimable femme, véritable modèle de toutes vertus et de toutes les qualités ; elle groupait autour d'elle la société française et étrangère et ne se doutait pas du charme qu'elle exerçait sur tous ceux qui l'approchaient. C'est la comtesse Walewska qui l'a remplacée ; elle est excessivement aimable et reçoit à merveille. Le service de la dame d'honneur est très simplifié et diminué depuis que Pepa Narro, ancienne première femme de chambre de S. M. devenue Mme Pollet, est trésorière ; elle s'occupe des emplettes, des bonnes oeuvres, des fournisseurs et de la surveillance des atours, toutes choses dont il fallait que la dame d'honneur fut au courant ; elle n'a plus qu'à assister à la messe le dimanche- aux Tuileries, à présenter les dames et en être marraine, assister aux fêtes et faire, sauf les listes de service, presque les mêmes choses que la grande maîtresse».
Les Dames du Palais accompagnaient l'Impératrice dans ses promenades ou l'assistaient aux réceptions. Elles se succédaient, deux par deux, d'une semaine à l'autre, tour à tour de grand et de petit service.
Lors du mariage de l'Impératrice, elles étaient sept : la marquise de las Marismas, la baronne de Pierres, la baronne de Malaret, la comtesse de Montebello, la marquise de Latour Maubourg, la comtesse de Lezay Marnésia, la comtesse Feray, fille du maréchal Bugeaud, toutes jolies, cela va sans dire. De ces sept, il n'en restait que trois, en 1870 : la marquise de Latour Maubourg, la marquise de las Marismas, devenue la vicomtesse Aguado, après avoir épousé son beau-frère, la baronne de Pierres. De nouvelles désignations en avaient porté le nombre à 12 réduit à 10, par les morts de Mmes de Montebello et de Lourmel. Il y avait aussi une demoiselle d'honneur et une lectrice.
Le Grand maître de la maison masculine de l'Impératrice était le duc Tascher de la Pagerie, son fils Charles, le Premier chambellan – assisté de trois autres chambellans : le comte de Lezay Marnésia, le marquis de Piennes et le comte Artus de Cossé Brissac, mon arrière-grand-oncle paternel. J'ignore le nombre exact des écuyers, huissiers et autres officiers de la maison.
Ce manuscrit nous fixe sur les fonctions des dames du Palais, plus astreignantes que fatigantes. Leur Service commençait le dimanche, à midi, par la messe aux Tuileries et prenait fin le samedi soir. En semaine, il commençait à 2 h et se terminait tard dans la soirée. Ces dames étaient prises et reconduites chez elles par la berline de leur cocher attitré.
«Pinson nous conduit depuis la naissance du Prince Impérial : on nous a pris alors notre cocher Lorin pour le donner à l'amirale Bruat, gouvernante du Prince Impérial. Pinson qui était, en 1856, un jeune blond, mince et alerte, est devenu un gros cocher, remplissant la vaste plate-forme du siège à housse; il est peu endurant dans les rues et passe quand même, surtout si ses dames sont en retard ; il connaît les goûts, les habitudes et les sympathies des dames qui disent qu'à défaut de la princesse d'Essling. Pinson ferait très bien leur liste de service ».
C'est au Salon d'Apollon, au premier étage, que se rassemblent le dimanche, avant la messe, « les grands officiers de la couronne et les deux services prenant et quittant, à l'exception des deux dames du Palais qui ont pris congé le samedi soir ; on se dit bonjour, on cause jusqu'au moment où un huissier ouvre la porte de la salle du trône et leurs Majestés, qui viennent de déjeuner dans le salon Louis XIV, arrivent, suivis du Prince Impérial en bas rouge, culotte et veste de velours noir, ses cheveux châtains clair et bouclés un peu courts, ses grands yeux bleus bien ouverts et sa jolie figure bien fraîche. L'Impératrice est en toilette du matin comme nous et l'Empereur en général de division. L'Impératrice dit bonjour et donne la main à ses dames. L'Empereur salue et dit un mot aux messieurs et on se met en route pour la chapelle. Il y a parfois un temps d'arrêt au salon blanc, devant une table, un notaire en grand uniforme de gala (moitié huissier et moitié pompes funèbres) un beau père et un gendre. L.L.M.M. – signent un contrat, l'Empereur invite ces personnages à venir à la messe et on continue par la salle des maréchaux, la galerie de la Paix, le vestibule et la salle des travées jusqu'à la chapelle. C'est ordinairement pendant ce trajet que nous tirons au sort, à la belle lettre, dans nos livres de prière ouverts au hasard, pour savoir laquelle de nous deux sera de grand service. Celle à qui échoit cet honneur doit commencer par introduire, le dimanche, les dames qui ont des audiences de l'Impératrice, puis, le mardi, le jeudi et le samedi, le grand service revient ; il consiste encore à être auprès de l'Empereur ou du Prince Impérial à table. à être dans la loge de L.L.M.M. – au spectacle, à être avec l'Impératrice en voiture, si elle ne prend qu'une dame et à nommer ou présenter les dames invitées à dîner, si la grande maîtresse ou la dame d'honneur n'y sont pas. La dame de grand service écrit ou transmet les ordres de S.M. et fait le thé le soir».
« La messe est suivie de la tribune par le couple impérial et son entourage. « La fabrique de Saint-Germain l'Auxerrois fournit les enfants de choeur et tout ce qu'il faut pour le culte, excepté les ornements qui sont très beaux». « C'est Auber qui dirige la partie musicale avec beaucoup de soin et de bonheur ; c'est un véritable concert sacré qu'une grande Messe aux Tuileries».
« Après la messe, on passe devant les militaires ayant audience. On peut y venir de droit, depuis le grade de colonel ou lieutenant colonel ; le nombre, chaque dimanche, varie entre 30 et 80».
« C'est au centre de cette belle et longue galerie que se trouve un portrait équestre de l'Empereur, grandeur naturelle, qui, par un singulier effet d'optique, semble toujours avoir la tête du cheval et celle du cavalier tournées vers celui qui les regarde. A l'extrémité, contre la salle des maréchaux, est la statue de la Paix qui donne son nom à la galerie ; elle est en argent massif, presque grandeur naturelle, et a l'aspect d'une femme assise aux vêtements bien drapés. L'Empereur quitte le bras de l'impératrice, à la porte de la salle des maréchaux, passe devant vous en saluant et rentre, suivi de son service prenant, aux audiences ».
« De son côté, l'Impératrice reçoit les personnes qui en ont fait la demande, les hommes présentés par le Chambellan, les femmes par la dame de Palais – dans l'ordre des inscriptions dans le Memento ».
« Ce livre où sont inscrites les audiences est un grand registre ayant une page pour chaque jour de l'année ; on y marque aussi les services, les dîners, les sorties, les audiences de la semaine, les visites des souverains et des princes. Il serait bien curieux à publier ce mémento journal, monument plein de cachettes, tiroir plein d'ambitions ».
Entre 2 et 3 heures, s'établit un certain répit entre la fin des audiences et la promenade en voiture – utilisé pour la conversation, la correspondance sur le papier à en-tête, etc…
« On peut aussi aller se promener dans les salons et c'est vraiment un bel endroit que la salle des maréchaux vide, quand on s'y promène seule, dans tous les sens. Pauvre vieux Palais que de choses et de gens il a vus ! que de souvenirs il évoque ! ».
Ces plafonds sombres qu'on dirait noircis par les orages de la politique, tous ces ors, ces peintures, ces cristaux, ces laques, ces tapisseries dont le nombre vous rend indifférent, c'est superbe; un volet du salon d'Apollon, un gland du rideau du salon Louis XIV ferait votre admiration si vous les voyiez isolés et ailleurs. Tout cela est imposant et en suivant seule et à petits pas cette enfilade de belles pièces, chacun parle son langage à mon souvenir…
«Dans la salle des maréchaux, me plaçant sous le portrait en pied de mon grand-père et regardant la jolie galerie qui borde le dôme, il me semble entendre la voix douce et claire de l'Empereur prononçant un discours d'ouverture des chambres, avant que la salle des Etats fut finie et le brouhaha des voix, avant et après…».
« L'orchestre de Strauss qui joue l'air de la reine Hortense pour l'entrée de Leurs Majestés un soir de grand bal… Les clameurs régulières de « Vive l'Empereur » les jours de revue dans la Cour, deux musiques en désaccord, l'une partant et l'autre arrivant… et l'artillerie qui roule sur le pavé du Carrousel en s'éloignant… ».
« Les bouchers du boeuf gras et l'Amour grelottant auquel le petit Prince donne des bonbons. Voilà une partie de ce qui surgit dans la mémoire en se promenant sur le parquet ciré et reluisant de la salle des maréchaux ; on s'approche de la fenêtre du milieu, du côté du jardin ; on regarde la foule endimanchée qui s'y presse, les jets d'eau, les vieux arbres, l'obélisque sur lequel l'arc de triomphe a l'air d'être enfilé. L'esprit est plein de poésie…»
« Dans le salon blanc, ce sont les dames à présenter, un soir de bal, qui apparaissent rangées l'une près de l'autre ; la Princesse bien droite disant le nom ; la dame exécutant la révérence, si longtemps étudiée, et l'Impératrice demandant de sa voix câline «Est-ce la première fois que vous venez à Paris ? ».
« A la salle du Trône, c'est l'Impératrice, couverte de pierreries, l'Empereur, à côté d'elle, sur l'estrade – ils sont debout devant des fauteuils qui représentent le trône; on entend le glissement des manteaux de cour, des noms prononcés, des révérences, un défilé de toilettes… et encore, encore…
«Une réception d'ambassadeurs exotiques en plein jour, les hommes en uniforme, les femmes décolletées et un manteau de cour ; l'exotique se met à quatre pattes et se garagarise à sec, en se tapant la tête par terre, M. Feuillet de Conches traduit ses sentiments en français, et il ne faut par rire ! ».
«Le soir, tous les tabourets en X de la pièce rangés en travers, et le Prince Impérial et ses amis sautant par dessus à pieds joints, pendant que Leurs Majestés finissent de diner».
« Au salon Louis XIV, le dîner de tous les jours… la petite tête blanche du général Rolin, en face de l'Empereur, la tête noire de Scander derrière l'Impératrice ; les deux boules sous les lustres, une en verre valant 30 F, une en cristal valant 30.000 F et on dirait des jumelles».
«Dans la galerie de Diane, nos séances pour apprendre le quadrille des lanciers par la méthode Cellarius, d'abord, et, ensuite selon les principes Laborde… le jeu du chat perché, les chants d'amateurs et leurs répétitions…».
« Les dîners de députés et de sénateurs, de maréchaux et de généraux, de souverains et de princes…».
« Pauvres vieux palais si vous pouviez raconter, toi et le Louvre, tout ce que vous avez vu!…
Vient enfin l'heure de la promenade en voiture… « Pendant qu'on attend dans le salon du chambellan de l'Empereur, on regarde le memento de la maison de l'Empereur et les audiences inscrites comme celles de l'Impératrice sur celui d'en haut… et si on publiait les noms qu'on y voit, cela pourrait contrarier bien des gens, empressés au matin qui renient à chaque chant du coq. Outre cet instructif memento, il y a une foule de brochures sur l'artillerie, la fabrication du pain sans farine, l'enseignement de la musique aux Arabes du centre de l'Afrique, la proclamation du candide Bertron, député de l'Humanité, le pavage des rues en ouate durcie, etc… car l'Empereur a la primeur de toutes les productions des cerveaux fêlés de ses sujets».
« Une légère odeur de cigarette arrivant par la porte ouverte vous avertit de la présence de l'Empereur qui vient avec l'Impératrice, salue et dit bonjour, tout en mettant son paletot et ses gants… Un huissier aux aguets ouvre la porte de l'antichambre. Le gros Suisse laisse retomber sa hallebarde en disant d'une voix de basse « L'Empereur… ».
« Tous les chevaux piétinent sous la voûte et L.L.M.M. montent en calèche découverte, ayant devant elles l'aide de camp et l'officier d'ordonnance de petit service; celui du grand service – et ils alternent tous les jours – est seul en uniforme et reste au palais.
« Quand l'Empereur sort, son écuyer de semaine escorte à cheval à la portière de droite près de l'Empereur.
« Dans la seconde voiture qui est une calèche découverte, pareille à la première, montent les deux dames du Palais, la demoiselle d'honneur et le chambellan de l'Impératrice. Si une des dames manque, l'Impératrice invite au dernier moment quelqu'un du service de l'Empereur ».
« On sort le dimanche pour se faire voir: on passe par le jardin réservé des Tuileries ; la foule tourne le dos aux bassins et aux cygnes pour voir passer et voici l'ordre qui est toujours observé quand on sort en Daumont, soit en semaine, soit le dimanche :
1°) en avant, un piqueur en livrée vert et or auquel on dit l'itinéraire et qui se retourne fréquemment pour consulter du regard l'écuyer sur les changements possibles ;
2°) la voiture de L.L. M.M. attelée de 4 beaux chevaux bais anglo normands conduits par 2 postillons de Daumont en veste verte boutonnée, culotte de peau blanche, toque en velours vert toute recouverte des torsades d'or d'un gros gland;
3°) l'écuyer près de la portière;
4°) 2 garçons d'attelage, immédiatement derrière le siège où sont les 2 valets de pied; ces chevaux des hommes d'attelage peuvent remplacer ceux des voitures en 2 minutes, en cas d'accident;
5°) la seconde voiture de 4 chevaux ;
6°) encore 2 garçons d'attelage comme les premiers
« Ces 14 chevaux font leur trouée au grand trot, tant qu'ils le peuvent, et serpentent souvent au pas dans le dédale des fiacres, voitures et piétons du dimanche ; aux Champs-Elysées surtout, la foule envahit la chaussée et fait la haie sur le passage de Leurs Majestés, tout contre les voitures ; les jours de course, on est quelquefois arrêté par le flot. « C'est amusant pour les personnes de la seconde voiture de voir les figures écarquillées des gens qui viennent de croiser l'Empereur et l'Impératrice et d'entendre ce qu'ils disent : « L'Empereur m'a salué »… « Il m'a regardé»… « Je te dis qu'il m'a vu… » « Comme elle est gentille : »… « Est-elle assez jolie : »… « L'as-tu bien vue ? »… « C'est l'Empereur »… « C'est l'Impératrice »… « Tiens ! il n'y a pas le petit Prince !»… « Voici le Prince Napoléon… » Cette dernière phrase s'applique au comte de Marnésia ou au comte de Tascher et, les premières années surtout, on se figurait volontiers le Prince Jérôme, le Prince Napoléon, la comtesse de Montijo, la Princesse Mathilde et la Princesse Murat suivant partout Leurs Majestés. Je n'avais pas 23 ans et j'étais seule femme dans la voiture de suite, fermée, il est vrai, lorsque dans l'allée des fortifications, qui était la belle allée du Bois de Boulogne, dans ce temps-là, on a dit, en me montrant. « Tiens, voilà la mère de l'Impératrice! ». Nous faisons 2 ou 3 fois le tour du premier lac, au pas, entre 3 ou 4 files de voitures tournant et s'embouteillant aux extrémités malgré les efforts des gardes, dont un a une certaine ressemblance avec l'Empereur et s'arrange les moustaches de manière à l'augmenter. A la nuit, on revient aux Tuileries, c'est-à-dire vers 4 h 15 en hiver».
« Il reste 2 ou 3 heures avant le dîner pour changer de toilette. « On est en robe décolletée, mais plus ou moins élégante selon l'emploi de la soirée, et, ici, se place une rectification bien due : on met les mêmes robes, non seulement plusieurs fois, mais plusieurs années aux Tuileries. L'Impératrice donne elle-même l'exemple d'une grande simplicité et, loin d'exciter ses dames à faire de la toilette, elle les prévient, quand on va au spectacle, pour qu'elles mettent des vieilles robes, à cause de la poussière, des loges, des escaliers et quelquefois des boulevards à traverser ; elle encourage l'économie en indiquant ou admirant des rangements. Rien n'est plus accrédité par les couturiers ou rières que cette calomnie d'un luxe exagéré de toilettes à la cour. Si quelques folles se font faire des robes à mille ou quinze cents francs chez Worth, par douzaines, si des étrangères se transforment en poupées à trousseau, les dames du Palais, avec deux robes neuves et celles des années d'avant, font Compiègne et tout leur hiver, si elles le veulent. Beaucoup de dames font faire leurs robes chez elles et je suis certaine que la position de dame du Palais n'entraîne pas à un surplus de dépenses de deux ou trois mille francs par an (et nous en avons douze !) pour une femme de la société allant dans le monde à Paris. Celles qui sont de bonne foi savent que j'ai raison et les lamentations de dépenses m'ont toujours paru destinées à induire les maris en erreur pour mettre un peu d'argent de côté… ».
« Le dîner est à 7 h 30 aux Tuileries ; il faut donc se mettre en route à 7 h et aller prendre sa collègue ou l'attendre, si c'est elle qui vient vous prendre. C'est un véritable supplice que d'être avec une dame inexacte, quand on ne l'est pas soi-même, et quoique, généralement, on ne se mette à table qu'à 18 h il suffit d'être en retard pour que L.L.M.M. ne le soient pas. Les dames qui ont leur voiture – et c'est le grand nombre – la prennent pour aller dîner et laissent Pinson à leur collègue. Il m'est arrivé d'être seule avec le général Rolin, à 7 h 30 précises, et de voir l'Empereur et l'Impératrice arriver pour dîner. On a envoyé chercher dans leurs chambres ceux qui demeurent au Palais et ma collègue est arrivée au rôti. Dans ces occasions, l'Empereur commence par attendre qu'il y ait un certain nombre de personnes pour se mettre à table, puis il s'excuse d'être exact et dit à chacun de ceux ou de celles qui rejoignent à table «Nous avons été d'une exactitude extraordinaire – Ne vous pressez pas, je vous en prie – dînez tranquillement». L'impératrice et lui mettent tant de bonne grâce qu'on finit par leur pardonner de nous avoir trouvées en faute ».
« On est douze à quinze à table. L'officier de garde au Palais dîne toujours et change tous les jours, quelquefois le Premier chambellan ou un ministre en plus. L'Empereur donne le bras à l'Impératrice pour aller dîner et à la dame du Palais de grand service, si l'Impératrice est souffrante et ne vient pas. Tout le monde cause sans élever beaucoup la voix, mais sans la moindre étiquette. Le Prince Impérial dîne souvent chez lui avec ses amis et monte ensuite jouer avec eux dans la salle du trône. On les entend faire du bruit pendant la fin du dîner et l'Empereur envoie un des huissiers surveiller les jeux jusqu'à son arrivée».
« Les jours de grand dîner, la dame de service attend Leurs Majestés dans le salon rose avec le chambellan. On a la liste des invités et souvent l'Empereur et l'Impératrice attendent les retardataires dans le petit salon, surtout si c'est une dame qui manque. Quand on la signale au bas de l'escalier, l'Impératrice dit qu'on la fasse passer au bout de la rangée des autres dames et entre pendant que S.M. dit un mot à chaque dame qu'on lui nomme, celle en retard se laisse guider toute essoufflée au bout du salon et dit à qui veut l'entendre : « une minute de plus et j'étais en retard». A quoi il s'en trouve toujours pour reprendre d'un ton aigre, pas doux, « l'Impératrice était elle-même en retard d'une demi-heure ; elle entrait lorsque vous arriviez» et personne ne se doute de la vérité ».
« Une des difficultés de ces dîners est le placement par ordre de dignité des maris, sans froisser ceux, ni leurs femmes. Pour augmenter les places d'honneur – L.L.M.M. – sont en face l'un de l'autre, l'Empereur tournant le dos au Carrousel. Deux darnes et deux messieurs ont ces 4 places près d'eux, fort enviés, parce qu'entre le sorbet et le pâté de foie gras, on confie à son souverain qu'on a un parent qui ne peut plus supporter le climat meurtrier de Tours ou de Florence et l'échangerait volontiers contre Lille ou Saint-Péterbourg, qu'on a un fils 2e secrétaire depuis près d'un an, ou un père dont le Sénat a besoin…».
« Ils sont très beaux, ces dîners dans la galerie de Diane : cent personnes, en grande toilette, largement espacées autour d'une table ornée de fleurs, de porcelaines de Sèvres et de fruits, le linge damassé avec ses grandes abeilles et ses couronnes impériales tissées dans l'étoffe, la vaisselle plate, les bronzes et les coupes de cristal alternant avec les plats, car, aux Tuileries, on sert encore un peu à la française ; la musique cachée par un paravent monumental de l'invention du duc de Tascher, tout cela forme un bel ensemble. Il y a un valet de pied pour deux personnes ; ils sont poudrés, en grande livrée vert et or, culottes courtes, tous bien alignés et de même taille ; chaque valet de pied a derrière lui sur une étagère volante, placée dans l'embrasure d'une fenêtre ou sur une console, pour le côté opposé, tout ce qu'il faut pour servir : couverts, carafes, linge en cas d'accident : il a du pain, du sucre, de la glace, de l'eau de Seltz, de la bière sous la main, ce qui évite tout va et vient pendant le dîner – Les écuyers tranchants, les officiers de la bouche en huissiers de la table passent les plats pour un quart de la table ce qui fait qu'aux dîners nombreux, il y a toujours 4 plats pareils et, quand le grand Chef-de-ville vous a dit à l'oreille gauche « Poulet financière ? » et que vous avez répondu « oui, un peu » le valet de pied, placé derrière vous, prend votre assiette vide de la main droite et presqu'en même temps place devant vous l'assiette où est le poulet : ces valets de pied sont très grands ; un petit domestique ne ferait pas facilement cette manoeuvre».
« Il est imposible de mieux servir que chez l'Empereur, qu'il y ait vingt couverts ou deux cents, c'est le même ordre et le même soin et la même élégance. Les assiettes sont de la vaisselle plate en argent massif, dans laquelle on voit comme dans une glace et, pour le dessert, des assiettes de Sèvres à bord gros bleu et or, ayant chacun une vue de château ou un paysage de France au milieu. Le service se fait vite, trop vite pour ceux qui aiment rester à table, bien pour ceux qui apprécient des dîners de 150 couverts qui ne durent qu'une heure».
« L'Empereur ne mange, ni peu, ni beaucoup, ne louant ou ne critiquant jamais ce qu'il mange, excepté pour trouver bon ce qu'on lui offre en cadeau. Il boit de l'eau pure ou de l'eau de Seltz dans un grand verre et du vin de Xérès dans un petit verre qu'il verse parfois dans le grand. L'Impératrice a meilleur appétit et formule quelquefois son opinion dans l'intimité ; sa boisson favorite est l'eau pure».
Chaque visite de prince étranger ajoute un plat aux menus : la Reine d'Angleterre a importé le « Yorkshire pudding », le Roi du Piémont les raviolis et les agnolettos, le Sultan des riz à la turque très estimables, les Russes ces affreuses gélinottes à la térébenthine. A tout cela, on peut ajouter des produits espagnols que l'Impératrice aime mais n'impose à personne et qui, d'ailleurs paraissent rarement à dîner : « olla podrida aux pois chiches », miel d'espagne, saucisson, olives farcies, citrons doux et autres produits de Carabancel.
«Aux Tuileries comme ailleurs, il est à remarquer que les plus difficiles sont ceux qui sont mal nourris chez eux et croient pouvoir prouver le contraire, en critiquant l'excellente table impériale. La musique d'un des régiments de la Garde joue sept ou huit morceaux pendant les grands dîners : ces musiques sont très bonnes, celles des guides et des gendarmes, surtout, et, souvent, ce sont des morceaux composés par leurs chefs de musique ».
Quand le dîner n'a pas été très nombreux, l'Impératrice se met sur sa petite chaise au bout de la longue table devant la cheminée, fait asseoir les dames près d'elle et, bien calée contre son cher rouleau, S.M. cause sur les événements et incidents du jour. Elle a, au dernier point, le don de la conversation et sait charmer, intéresser et faire parler autour d'elle : les dames timides et revêches font l'objet de soins spéciaux de sa part et quand l'Impératrice abandonne un ou une invité(e), quel terrain ingrat et rebelle cela prouve.
« On passe de temps en temps des glaces, des verres de sirop. du café glacé à la crème, et j'ai remarqué qu'on en prend d'autant plus volontiers qu'on est plus éloigné de L.L.M.M.
« Si la soirée se prolonge un peu, il se trouve souvent une bonne dame pour vous demander si on ne pourrait pas voir le salon habituel de l'Impératrice : au besoin, on peut provoquer chez les dames le désir de voir le cabinet de travail et la bibliothèque et alors, on va en grande pompe demander à l'oreille de S.M. si elle permet que Mmes (jamais plus de 4 à la fois, à cause de la surveillance) visitent ses appartements particuliers -. Ce n'est jamais refusé et c'est vraiment amusant, même pour nous, à cause de la satisfaction et de la curiosité de ces dames.
« En sortant du salon rose dans l'ancien cabinet de travail, on a une sensation d'obscurité reposante, après l'éclat des lustres ; il n'y a que 2 lampes, ayant leur abat-jour, une sur la petite table, près du fauteuil de S.M. éclairant les papiers et les journaux du soir, avec leurs bandes, et une seule sur la grande table à écrire.
Les dames regardent tout avec une curiosité avide, mêlée de vénération ; leur attention est attirée sur le chapeau que portait l'Empereur, lors de l'attentat du 14 janvier ; il est dans une vitrine, face aux fenêtres, avec du papier blanc passé dans les trous des projectiles. Sur la grande table les portraits de la duchesse d'Albe et de ses enfants et, bien d'autres, parmi lesquels ceux des miens; puis sur un petit bureau entouré de grillage doré et de lierre naturel, l'établissement de dessin et d'aquarelle de l'Impératrice.
« Cette pièce tendue de reps vert uni et dont tous les meubles sont en satin rouge uni et tendu est charmante, très riche en souvenirs et objets d'art, mais sobre de dorures ; il faudrait des heures, et non des minutes, pour voir tout ce qu'il y a de joli ; elle est jointe à une autre pièce beaucoup plus petite par une grande baie dont les portières restent ouvertes ; un tam tam chinois est pendu à droite contre l'épaisseur du mur; chacun lui donne un coup d'ongle en passant ; il y a des livres, une jardinière pleine de fleurs, et, près de la cheminée, une étagère à journaux, un canapé et un paravent de glace sans tain – entre cette petite pièce et la suivante qui était le cabinet de toilette, il y a un palier ou aboutit l'escalier intérieur allant chez l'Empereur – Personne n'y passe que L.L.M.M. et le Prince Impérial.
« Depuis bien des années, l'Impératrice a transformé son cabinet de toilette et ses dépendances, une bibliothèque salon où elle se tient souvent. C'est une grande pièce à deux fenêtres donnant sur le jardin : il y a une bibliothèque à hauteur d'appui, tout autour, le portrait de la princesse Charles Bonaparte, née Christine Ruspoli, par Hébert, sur un chevalet, un magnifique ours noir empaillé couché, pouvant servir de siège, cadeau du comte de Fersen, Grand veneur de Russie, des petites tables couvertes d'albums, des miniatures, des fleurs et des plantes vertes dans tous les coins; les meubles sont en satin rouge tendu. Cette pièce, quoique modérément éclairée aussi, fait l'admiration des dames par son confortable ; elles comprennent bien que S.M. la préfère ainsi. Je leur montre la rosace du plafond que l'architecte avait agencée, au moment du mariage de manière à ce qu'elle descende des atours avec une robe prête à mettre. Je ne crois pas qu'elle ait servi à autre chose qu'à créer une légende et maintenant à rien du tout.
« L'Impératrice s'habille dans son ancienne chambre à coucher entre les colonnes au milieu de l'espace entre le pavillon de l'Horloge et le pavillon de Flore. C'est plutôt ce que les Anglaises appellent « dressing room » qu'un cabinet de toilette, surtout par ses dimensions, tout le mobilier de toilette s'y trouvant. C'est là que sont préparés les vêtements de nuit, la robe de chambre et les petites pantoufles, mais je n'y fais jamais entrer les dames, pas plus que dans la chambre à coucher qui suit, et je les ramène enchantées dans le salon pour recommencer avec d'autres ».
« A 10 heures, on sert le thé ; ce sont les dames du Palais qui le font et l'offrent. Après le thé, Leurs Majestés prennent congé de la société par un grand salut et chacun rentre chez soi.
«Il y a 4 grands dîners par semaine au coeur de l'hiver, les grands bals avant le carême, puis les réceptions et les concerts et après Pâques, les lundis de l'Impératrice, sans compter les fêtes extraordinaires pour les souverains et les princes de passage ».
« Tout ce qui précède concerne plutôt le dimanche ; en semaine il y a cette différence qu'on ne va aux Tuileries qu'à 2 heures.
« On entre dans le salon des dames et des chambellans de l'Impératrice. Ce salon a 4 fenêtres ; la première a un beau balcon sur le jardin dont on ne peut jouir : dès qu'on s'y met, il se forme des groupes contre la grille du jardin public, parce qu'on se figure voir l'Impératrice et les princesses. Entre les fenêtres, se trouve un grand meuble buffet armoire sur lequel sont de beaux vases en porcelaine et bronze qui nous servent de porte chapeaux ; à l'intérieur, on met son ouvrage et des objets, tels que voiles, livres, gants de rechange, cravates, enfin les choses qu'on aime avoir sous la main. Il y a là dedans un vieux tricot noir, un éventail cassé et un voile troué que tout le monde renie et qui restent là, d'année en année, à confire dans une vague odeur de patchouli et de renfermé »…
« Quand l'impératrice sort en Daumont sans l'Empereur, c'est son écuyer qui escorte; elle ne prend que la dame de grand service qui est à côté d'elle dans le fond et personne sur le devant de la calèche. C'est alors que l'on peut causer à son aise avec S.M. toujours très aimable, mais infiniment plus dans le tête à tête, parce qu'elle ne craint pas d'être mieux pour l'une que pour l'autre. L'Impératrice salue presque tout le temps, à droite et à gauche : elle en a mal au cou après avoir traversé ainsi les Champs-Elysées, l'avenue de l'impératrice et une partie du bois. On se met au pas en arrivant au premier lac et, après avoir été ainsi jusqu'au bout du second, on tourne dans les petites allées solitaires, pour être plus tranquille. Nous allions souvent retrouver le Prince Impérial, quand il était petit, chez lord Hertford, à Bagatelle; il y jouait, presque tous les jours, sous la surveillance de Miss Shaw et de M. Buchon. Quand l'Empereur rejoint à cheval ou en Phaëton, il descend et on se promène à pied »…
« C'est l'Empereur qui a eu l'idée de transformer le Bois de Boulogne et d'en faire un parc dans le genre de ceux de Londres, et celà, malgré l'avis général qui tenait pour la routine et les opposants qui blâmaient de confiance ; on regardait aussi comme absolument impossible d'y amener et d'y faire tenir de l'eau. L'Empereur a persisté et nous l'avons vu tracer avec des hommes de l'art, puis faire exécuter tous les travaux du nouveau Bois de Boulogne. Il faisait quelquefois entrer son Phaëton dans le fourré du bois, pour ne pas être reconnu, pendant qu'il plantait des piquets avec les ouvriers. L.L. M.M. ont passé les futurs lacs sur les planches des brouettes de déblaiement ; elles ont décidé l'endroit où l'eau séparerait les deux îles et la hauteur du pont qui les relie; ceci était une grande affaire ; il fallait, étant sur une des routes autour du lac, que les voitures de la route en face aient l'air de passer sur le pont. L.L. M.M. s'attardaient; l'appétit venait et on allait manger un morceau de pain et de fromage et boire un verre de bière au chalet du futur Pré Catelan»…
« Le patinage joue un grand rôle quand il gèle, ainsi que les traîneaux par la neige. J'ai vu l'Empereur patiner, d'abord, sur le grand lac avec le public ; il se réjouissait de ce qu'aucun agent de police ne savait patiner, puis au lac prês du café de Madrid. L'Impératrice se contentait d'aller en traîneau poussée par l'Empereur ou par un de ces Messieurs. Mais l'Impératrice a appris à patiner, le Prince Impérial s'y est mis et on a été successivement aux lacs et prairies inondées du côté de Longchamp et le long de la Seine, puis, la foule étant toujours de plus en plus curieuse et mélangée, le patinage ayant d'autre part gagné le « High Life», le cercle des Pigeons au Bois de Boulogne s'est érigé en cercle des patineurs pour l'hiver et, là, on est vraiment bien. La rivière est large et facilement inondée ; elle entoure tout l'emplacement du tir aux pigeons ; on a une bonne clôture qui vous met à l'abri des indiscrets et on n'entre qu'avec des cartes délivrées et signées par des membres du cercle et sous leur responsabilité. Il y a un salon et un buffet pour les paresseux et l'Impératrice nous laisse complètement libres, même étant de grand service, d'aller ou de ne pas aller au patinage, et S.M. envoie prendre en voiture celles de ces dames qui savent patiner et que celà amuse, quand elles ne sont pas de service. En hiver, on rentre vers 4 h 30, à la nuit »…
Suit une longue description des soirées plus intimes qui suivent, en semaine, les dîners dans le salon Louis XIV…
«Les soirs de spectacle, on dine plus exactement. M. Bacciochi, Premier chambellan et, après lui, M. de Laferrière, dîne, ce jour-là, avec L.L. M.M. et quitte au dessert pour aller en avant au théâtre choisi. De suite, après le café, on part, laissant au palais l'officier de garde et l'officier d'ordonnance de service. Les deux dames du Palais montaient dans la même berline que L.L. M.M. jusqu'au soir d'un attentat contre la voiture qu'on croyait la leur, un coup de pistolet tiré au moment de l'arrivée au théâtre italien.
« Maintenant, l'Empereur et l'Impératrice ne prennent que l'aide de camp et vont tout seuls quand on prévoit des dangers à courir, comme le soir du complot, dit de l'Opéra comique.
« Ils n'ont du reste aucune crainte et l'Empereur dit avec raison que c'est en allant à l'Opéra avec une escorte, toute la police sur pied et, toutes les précautions prises, qu'ils ont failli être tués par les bombes d'Orsini. Ils prennent rarement une escorte, à moins que ce ne soit pour faire honneur à un prince étranger ou pour aller en gala. On monte dans la voiture désignée par l'écuyer de service et si on arrive avant L.L. M.M. on les attend en bas de l'escalier, à côté du directeur ému, frisé, ganté et armé de ses candélabres. La dame de grand service reste avec l'Impératrice et l'autre dans sa loge de service ; aux Italiens et à l'Opéra, elle est à côté de la loge impériale. Dans tous les autres théâtres, on est très mal. Il faut descendre dans la rue ou en plein boulevard, traverser entre deux haies de curieux et faire une ascension pénible pour arriver à deux cellules d'avant scène, privées de leur cloison, pour les rendre plus impériales; les loges de service sont des compartiments de torture».
«On reste en bas, chez l'Empereur, en revenant – on trouve dans son salon du Conseil, du thé, du bouillon, du vin de Bordeaux. L'Empereur regarde les dépêches arrivées pendant la soirée. On parle quelquefois. L'Impératrice prend son thé, chacun dit son mot sur la pièce, les acteurs et la salle ; étant fatigués, l'après soirée se prolonge rarement plus d'un quart d'heure ».

Détails d’étiquette

« Quand vous parlez à l'impératrice, lui dites-vous « Votre Majesté, Madame ou Vous» ? Voilà une question qui vient souvent. Oui, on dit « Votre Majesté » à l'Impératrice et on lui parle plutôt à la 3e personne, mais on lui dit « Madame » dans la conversation comme à toute autre souveraine grâcieuse et aimable avec laquelle on se trouve vite à l'aise et l'étiquette observée à la cour devient chose si naturelle qu'on n'y pense plus. L'Impératrice dit toujours « Vous » à l'Empereur et l'appelle Louis. L'Empereur tutoie habituellement l'Impératrice et l'appelle Eugénie. Le Prince Impérial qu'on a longtemps appelé Loulou, puis Louis, dit « Papa » et « Maman » en leur parlant, mais toujours « l'Empereur » et « l'Impératrice » en parlant d'eux. Il leur dit « vous » et ils le tutoient. Ils l'élèvent très bien et plutôt sévèrement ».
« Les invitations aux Tuileries sont faites par le duc de Bassano, Grand chambellan, mais pour les dîners, les invitations sont signées par le chambellan de service de l'Empereur qui reçoit les réponses et les excuses. Il va lui-même, dans une voiture de la cour, inviter, au nom de l'Empereur, les princes étrangers. Les invitations dont on se préoccupe le plus à Paris sont celles des grands bals. Il suffit, pour être invité, d'être fonctionnaire ou femme de fonctionnaire, inscrit sur le registre de L.L. M.M. ou d'être recommandé par quelqu'un d'influent. Les ambassadeurs et ministres des puissances étrangères demandent pour leurs compatriotes. Bref, il y a 3 à 4 000 invitations. Il vient 2 à 3000 personnes.
« Il y a un grand bal par semaine, trois ou quatre, selon la longueur du carnaval, et jamais le jeudi, pour que le souper ne se trouve pas le vendredi.
« Un grand bal est très beau à voir et fait beaucoup d'impression, la première fois, malgré la chaleur et l'étouffement des salons mal disposés aux Tuileries pour ces fêtes, parce que toutes les pièces, galeries et salons se commandent. La circulation est impossible.
« La salle des Maréchaux est le centre de la fête. On n'en ouvre les portes qu'à 9 heures et, avant ce moment, les personnes de la maison qui vont se promener par là, voient allumer les lampes et les bougies des lustres pendant que Strauss et son excellent orchestre s'installent et accordent leurs violons. Ils sont dans la galerie circulaire du dôme au-dessus de l'estrade et des fauteuils impériaux, tournant le dos au jardin et dominant toute la salle. Il y a des banquettes de velours rouge à franges et galons d'or étagés sur des gradins jusque très haut dans les fenêtres ; pour donner de l'air sans danger de refroidissement, l'impératrice a fait remplacer les vitres des fenêtres de la galerie du haut par de la flanelle tendue».
«Le grand lustre du milieu de la salle des Maréchaux tient à la coupole par une véritable machine qu'il faut réviser et entretenir avec soin, on la descend, comme les autres, à la hauteur de 2 m au-dessus du parquet par des poulies et on dit que si, par suite d'un accident, il tombait, son poids écraserait le plancher et la voûte, et il se formerait un entonnoir de feu où tout le monde serait entraîné ».
« Un très joli endroit pour voir arriver est le palier du grand escalier du côté de la salle des Maréchaux. On voit monter sans cesse et, dès 8 h 30, un flot de toilettes et d'uniformes, entre deux haies de Cent-Gardes, en grande tenue, immobiles, chacun sur une des marches, depuis le bas jusqu'en haut. On voit toutes ces personnes remettre leurs cartes à un huissier et tourner à droite vers la galerie de la Paix, où un aimable chambellan honoraire offre le bras aux dames et les conduit aux portes de la salle des Maréchaux, attendre qu'on ouvre, puis, elles se précipitent et montent aux places les plus élevées et en face de L.L. M.M. pour mieux voir; les simples mortelles ont raison de se presser, car il reste peu de place pour elles ; les fauteuils des Majestés, les sièges des Princes et Princesses, le corps diplomatique occupent l'espace entre les cariatides et auprès. La meilleure banquette à gauche des Majestés est pour les dames du Palais, non de service, ensuite les banquettes les plus rapprochées sont pour les dames un peu d'après leur rang : maréchales, duchesses, femmes d'amiraux, de sénateurs, de chambellans ont de la peine à faire observer les règles de la hiérarchie ; toutes ayant des droits et des titres les trouvent meilleurs que ceux de la voisine ».
« On danse dans la salle des Maréchaux et dans la galerie de la Paix, au bout de laquelle, il y a un second orchestre. Une musique militaire joue dans le vestibule en bas, et du haut de l'escalier, à cette place si bonne pour voir arriver, on entend les deux orchestres à la fois. Il y a un buffet permanent dans la galerie des travées contre la chapelle. A minuit, on sert comme à la galerie de Diane, un souper de viandes froides, potages, pâtés de foie gras et il y a des tables de whist pour les moins jeunes dans le salon d'Apollon et le salon blanc.
« Toutes les présentations ont lieu avant les grands bals et quand on se plaint à la salle des Maréchaux de ce que L.L. M.M. sont en retard, on ne sait pas qu'ils sont en train de recevoir un bon nombre de Françaises, beaucoup d'Anglaises, sans compter les interminables Américaines. Vers 10 heures pourtant, c'est généralement fini. Présentés et présentants se précipitent du côté de la salle des Maréchaux et L.L. M.M. affrontent pour y parvenir eux-mêmes, un étroit corridor humain. Tout cela saluant, se poussant, s'écarquillant, les têtes emplumées des petites femmes surgissant aux coudes des grands généraux et les grosses femmes servant de digues aux flots ondulants qui s'ouvrent devant Leurs Majestés mais se ferment sur la suite ; on arrive enfin du seuil de la salle de bal ; le silence succède au bruit de paroles de la foule et un huissier dit très distinctement, niais pas très haut, « l'Empereur ». Au même moment Strauss attaque solennellement « Partant pour la Série » et les conversations reprennent comme une marée qui monte, pendant que l'Empereur et l'impératrice se placent et que les chambellans en rouge voient se rétrécir, de minute en minute, malgré leurs efforts, le carré réservé aux danseurs. Leurs Majestés ne dansent pas et c'est ordinairement par une valse que continue le bal commencé sur l'air de la Reine Hortense. Petit à petit, l'espace se resserre devant les Souverains; les femmes de ministres et les princesses ont leurs robes froissées ; les curieux se marchent sur les pieds. Il y a 30° de chaleur. Les 3 orchestres mugissent; le bal est à son apogée… Nous voyons du haut de notre banc les couples trop nombreux qui tournent dans 5 mètres carrés : de temps en temps, les danseurs, regardent trop exclusivement l'Impératrice, heurtant la marche de l'estrade et se jettent par terre ; ils se relèvent et continuent à danser en riant ; un éperon ou une garde d'épée accroche une robe et la victime tourne en déroulant 8 à 10 mètres de dentelles ; on voit des robes trop longues, des dames qui ont l'air d'être en robe de dessous, d'autres qui semblent avoir mis plusieurs robes, l'une sur l'autre. Il y a une jolie personne sur 200 laides. On voit le nègre à cheveux blanc, qui représente une république américaine, la grande Russe qui ressemble à une grosse chenille perchée sur un énorme bouquet, la dame coiffée à la Titus et la demoiselle tout à fait décoiffée, la jolie petite porcelaine de Saxe qui représente ce pays et danse dans le même quadrille que sa mère. Tout cela tourne, saute et glapit, remue, miroite devant les yeux jusqu'au moment où les douze coups de la grande horloge, dominant le bruit de l'orchestre et des invités, donnent le signal de la délivrance»… Les Souverains se retirent… la foule soupe et peu à peu s'écoule…
« Après les grands bals, il y a les petits bals que l'on appelle les «lundis de l'impératrice ». On y engage environ 1 000 personnes ; ce sont de très jolies fêtes que ces lundis où l'Impératrice fait valoir ses talents de maîtresse de maison, en se faisant présenter débutants et débutantes par la Princesse d'Essling…
« Il y a aussi les grands concerts, dans la salle des Maréchaux qui peut contenir 800 auditeurs, à raison d'un par semaine, pendant les 4 premières semaines du carême. L'estrade des artistes est adossée au Carrousel. En face, derrière les Majestés, le Corps diplomatique, les Ministres, toute la salle est garnie de dames assises ; les hommes sont debout dans les embrasures des portes, aux angles et dans la galerie du haut qu'ils garnissent d'une frange de crânes, de bras noirs et de gants blancs. C'est un spectacle moins animé que les grands bals mais très beau dans son genre. Les femmes sûres de ne pas être pressées mettent des robes fraîches et jolies ; les diamants et les bijoux brillent dans la salle très éclairée et cette multitude de dames assises et en grande toilette fait un vaste parterre gai de couleurs. A 9 heures exactement, arrivent Leurs Majestés et ces étoiles qu'on appelle Alboni, Nillson, Patti se lèvent, chantent leurs plus beaux airs, soit seules, soit avec leurs partenaires masculins des mêmes rôles. Elles sont en toilettes de bal et les trois que je viens de nommer sont évidemment les premières comme talent, Madame Gueymard Lauers chante bien aussi – quant aux nébuleuses, c'est leur rendre service que d'oublier leurs noms… L'accompagnement obligé des concerts, le fond du tableau est invariablement la masse des élèves du conservatoire. On ne les choisit pas à la figure. Elles sont toutes en blanc, coiffées en cheveux, simplement mises, se tenant parfaitement, chantant juste et bien, mais, si toutes ont été jeunes et fraîches, il y en a beaucoup qui ont changé d'avis avec les années. On revoit la grosse figure réjouie et sérieuse tout à la fois de M. Bacciochi et celle maigre et bistrée d'Auber, quand on pense aux concerts»…
« Les dîners de la famille impériale ont lieu le dimanche ou le lundi et sont assez curieux à observer. Le groupe le plus nombreux de la famille de l'Empereur est celui des fils des enfants du Prince de Canino (Lucien frère de Napoléon 1er). Trois de ses filles et deux de ses fils sont fixés à Paris. Ce sont les princesses Julie, marquise Roccagiovine, Charlotte, comtesse Primoli, Augusta, princesse Gabrielli. Les princes Charles, marié à la jolie Christine Ruspoli, et Lucien, abbé puis cardinal Bonapaite. qui vient rarement et a toujours l'air profondément recueilli et affligé. L'Empereur, seul, quand il s'y met sérieusement, parvient à le faire causer, puis, tout à coup, le saint cardinal entend le son de sa propre voix, s'arrête et rentre dans le silence comme une tortue dans sa carapace. L'Empereur satisfait de son petit succès finit la phrase et le laisse tranquille»…
Ma tante termine ce long récit par une « préface à l'envers ». Elle y souhaite à l'éventuel et futur découvreur » de ce petit livre « dans un coin poudreux », de l'une de ses demeures (dispersées ou démolies depuis longtemps) « d'être bien persuadé de la bonté et de l'extrême amabilité de Napoléon III et de l'impératrice Eugénie que nous servons et aimons depuis 18 ans ». Elle était sûrement sincère et sa fidélité ne se démentit jamais jusqu'à sa mort en 1900. Son abondante correspondance avec l'Impératrice, poursuivie trente ans durant, en administre la preuve, souvent émouvante.
Nous avons à coeur aujourd'hui de rendre justice à Napoléon III, longtemps accablé d'une disgrâce excessive. Le désastre de 1870 a marqué le tragique aboutissement de sa politique étrangère inspirée par une idéologie contestable. Il n'est pas moins révélateur de l'inadaptation à la guerre moderne d'une armée valeureuse que les lauriers de Sébastopol, Magenta, Solférino paraient d'une gloire illusoire, brusquement évanouie sous les coups d'un ennemi mieux pénétré des leçons du premier Napoléon.
Ce douloureux passif ne doit pas nous faire oublier l'aspect positif des réalisation économiques et sociales du règne. Dans ces domaines, l'ancien détenu de Ham qui rédigeait l'essai sur « l'extinction du paupérisme », se révélait, aussitôt investi du pouvoir suprême, un véritable précurseur. Il sut percevoir et satisfaire les justes revendications de la classe ouvrière, multiplier, sur l'ensemble du territoire, les grands travaux d'équipement ferroviaires et autres, remodeler Paris avec l'aide du baron Haussmann, moderniser et développer nos industries, assurer au pays une prospérité sans précédent.
J'avoue, toutefois, que, même dans cette perspective, on éprouve quelque gêne à mesurer le poids anachronique de la Cour des Tuileries dans le budget national – Que de dépenses somptuaires ! – que de salaires domestiques ! que d'onéreuses faveurs dispensées aux services d'honneur de la Maison impériale. Notre génération, familière de la vie des bureaux et des usines, des manifestations populaires et des vacances à bon marché, a peine à s'imaginer cette vie de cour, vouée à une sorte de « rituel » dont la finalité nous échappe. Peut-être, après tout, prenant la suite de traditions séculaires, faisait-elle vivre tout un peuple de serviteurs que l'industrie naissante n'aurait pu absorber, récompensait ou encourageait-elle bien des fidélités, désarmait elle bien des oppositions. Elle servait d'éblouissant support d'image de marque et de moteur efficace à l'exercice de tous les métiers d'une capitale dont le luxe constituait une des plus prestigieuses ressources. Elle s'insérait ainsi dans une poursuite de « plein emploi » et de rayonnement international. Elle attirait, brassait, fusionnait, mettait en valeur les élites sociales, intellectuelles et financières de l'époque.
Sans doute aussi, apparaissait-il tentant à la quatrième dynastie de concilier sa volonté de modernisme avec l'élégante opulence d'une Cour plus fastueuse que celles qui l'avaient précédée : la Cour sans Reine, fleurant encore l'émigration, de la Restauration, la Cour bourgeoise du Roi citoyen, soucieuses, toutes deux, de faire oublier, par leur parcimonie, les prodigalités de l'Ancien Régime, sans que, d'ailleurs, on leur ait su gré.
La Cour du Second Empire a projeté sur la France et l'Europe, les derniers feux des régimes monarchiques en voie de disparition, d'une société hiérarchisée en cours de transformations radicales.
Se doutait-elle, ma pauvre tante, en rédigeant ces notes naïvement enthousiastes, qu'elle vivait les dernières heures d'une certaine douceur de vivre dont allait bientôt sonner le glas!
Est-il besoin de rappeler la lamentable suite de ces années de rêve insouciant dont nous nous étonnons qu'elles aient été réellement vécues.
L'Empereur, triomphalement plébiscité au début de 1870, se laisse imprudemment entraîner dans une guerre inexpiable. En septembre, à Sedan, nouveau Waterloo, s'effondre son pouvoir. Vaincu, déchu, il n'est plus qu'un prisonnier de guerre du roi de Prusse dans ce qui fut le palais westphalien de son oncle Jérôme.
L'Impératrice, furtivement enfuie des Tuileries, menacée par l'émeute, se réfugie sur le sol britannique, désormais accueillant aux descendants du captif légendaire de Sainte-Hélène. Son époux libéré ne l'y rejoint que pour y mourir, peu après, en 1873, miné par la souffrance et le chagrin.
Le jeune Prince, porteur de tant d'espoirs, succombe bientôt à son tour, de la mort des soldats, mais au fond de la lointaine Afrique, sous l'uniforme rouge du « plus implacable et du plus constant adversaire « du fondateur de sa dynastie » – comme le roi de Rome s'était éteint jadis, à Schönbrunn, sous l'uniforme blanc d'un archiduc autrichien…
L'année terrible » ne fut pas moins impitoyable à la marquise de Latour Maubourg. Son fils, jeune officier des mobiles de la Haute-Loire, est tué à son premier combat. Bien peu d'années s'écoulent avant que son père et sa soeur ne le rejoignent dans la tombe…
Dès lors, un destin symétrique associe plus que jamais les deux amies, l'Impératrice et sa dame du Palais, dans leur veuvage solitaire, que, seules, illuminent leur Foi profonde et leur chrétienne acceptation de l'épreuve.
Aux dernières flambées de la Commune, l'année qui suivit la rédaction des Carnets, se sont embrasées, victimes de la fureur populaire, les Tuileries, si longtemps témoin, tour à tour, de tant de fêtes et de drames. Leurs ruines calcinées ont été plus tard, démontées, pierre à pierre…
De ce palais maudit, fatal à trop de souverains assassinés ou proscrits, assombri de tant de destins avortés ou brisés, il ne reste plus qu'un vide immense… Dans la grande perspective des Champs-Elysées, à jamais désaxée…

Titre de revue :
Revue du Souvenir Napoléonien
Numéro de la revue :
298
Numéro de page :
33-40
Mois de publication :
mars
Année de publication :
1978
Année début :
1848
Année fin :
1870
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