L’Acte additionnel aux constitutions de l’Empire. Héritage et cadeau empoisonné de la Restauration

Auteur(s) : LENTZ Thierry
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Au moment de sa remontée vers Paris, en mars 1815, Napoléon savait que tout ne pourrait pas « recommencer comme avant » et, surtout, qu’il devrait convaincre qu’il avait changé. Une restauration impériale impliquait une modification de ses pratiques de gouvernement.

L’Acte additionnel aux constitutions de l’Empire. Héritage et cadeau empoisonné de la Restauration
Estampe « Acte additionnel aux constitutions de l'Empire »; Anonyme © Musée Carnavalet, Histoire de Paris

Comme Louis XVIII pour l’Ancien régime l’année précédente, il ne pouvait purement et simplement rétablir la constitution de l’an VIII, modifiée en 1’an X, en l’an XII et en 1807. Il n’entendait en effet sur son chemin que parler d’un régime « libéral » et des « libertés ». Il ne s’agissait pas simplement de slogans. La charte de 1814 avait franchi un pas important en direction de ces revendications, tant par la forme « pré-parlementaire » des institutions que par la libéralisation de la presse ou de la librairie. C’est sans doute en ce sens qu’il faut entendre sa fameuse plainte : « Les Bourbons ont gâché ma France ». Et c’est contre toute évidence, qu’il accusa les Bourbons d’avoir bafoué les libertés et se glorifia de les avoir toujours protégées. Il alla même très loin dans sa propagande, au moins jusqu’à Lyon, reprenant des accents révolutionnaires qu’on ne lui avait pas connu depuis l’époque du siège de Toulon. Il avoua encore un goût (tardif) pour un équilibre relatif des pouvoirs, solution constitutionnelle qui n’avait jamais eu sa préférence.

Une fois à Paris, il ne put faire comme s’il n’avait rien dit. Et quand bien même aurait-il renoncé à tout projet de rénovation libérale, son entourage et les circonstances lui en auraient rappelé la nécessité[1]. Napoléon dut donc forcer sa nature dans une France en voie de rénovation politique. Dans ses Mémoires, il allait convenir que « les événements survenus avaient donné une telle secousse à l’esprit public et produit de tels changements dans les choses et les personnes, que tout le système [d’avant 1814], édifié avec tant de peine, ne paraissait plus adapté à l’état de la France »[2].

Dans un pays politiquement morcelé, divisé entre royalistes, libéraux, bonapartistes et jacobins, la voie était étroite pour éviter l’explosion. Le coup d’État du 20 mars ne suffisait pas à asseoir le « nouveau » régime. C’est parce qu’il l’avait senti que, par ses décrets de Lyon, Napoléon avait prononcé la dissolution des chambres et convoqué les électeurs pour un « Champ de Mai ». Il lui fallait passer aux actes et fixer le nouveau mode de désignation et d’organisation de la représentation nationale, ses compétences et ses rapports avec l’exécutif. Et puisqu’au sommet de l’État, la Charte avait montré son efficacité pour conjurer l’éclatement des pouvoirs et assurer leur collaboration, il confirma l’alliance objective contractée avec les libéraux après l’épisode lyonnais.

Une conversion au libéralisme

Sur les instances de certains ministres ou ses frères Lucien et Joseph, le principe de la mise en chantier d’une nouvelle constitution fut arrêté. Les archives ayant disparu en 1871, dans l’incendie des Tuileries, on est mal informé sur la méthode qui fut employée pour arriver au texte final. On sait qu’une commission composée de Cambacérès, Maret, Carnot, Regnaud de Saint-Jean d’Angély, Boulay de la Meurthe, Merlin de Douai et Defermon devait préparer un projet discuté ensuite au Conseil d’État puis soumis au plébiscite[3]. Dans et en dehors de ce groupe officiel, chacun donnait son avis, de la « république impériale » de Carnot à la « dictature de salut public » de Lucien Bonaparte, en passant par les désirs d’hommes qui, tels Decrès ou Caulaincourt, souhaitaient que soient effacés les désormais « vieux » sénatus-consultes[4].

Pour accélérer et simplifier le travail de la commission autant que pour adresser un « signal » à l’opinion, Napoléon fit appel à… Benjamin Constant, dans ce que Stéphane Rials a appelé « un des plus stupéfiants retournements de l’histoire politique française »[5]. Opposant de toujours, Constant avait aggravé son cas, si l’on ose dire, en publiant, en 1814, De l’esprit de conquête et d’usurpation–  puis un violent article contre le retour de l’île d’Elbe dans le Journal des débats du 19 mars 1815. Après s’être réfugié en Vendée, il était rentré à Paris le 28 et avait fait savoir qu’il trouvait désormais du charme à un Empire dont le chef avait tant changé des projets de constitution qu’il avait reçus, notamment de Carnot[6]. Il lui proposa enfin de participer au débat constitutionnel en lui livrant ses propres vues et le nomma au Conseil d’État[7]. Conquis par son interlocuteur, Constant vint dès lors régulièrement conférer avec Napoléon[8].

Un premier projet de Constant fut repoussé par le souverain le 15 avril[9]. Une réunion eut lieu le lendemain et de nouvelles moutures furent présentées à la commission de constitution le 18 ou le 19, et encore le 20. La dernière séance de travail eut lieu le 21. Constant poussait au libéralisme, à l’autonomie des chambres face à l’exécutif, à l’énoncé de droits et libertés garantis… si bien que lorsque Chateaubriand allait commenter le nouveau texte pour Louis XVIII en exil, il allait parler non sans raison de « Charte améliorée ». Napoléon tentait de conserver ce qui avait fait l’efficacité du régime impérial, souvent au détriment des chambres et des libertés politiques. Constant refusait que soit rétabli le système des sénatus-consultes et contestait le principe du plébiscite. Il présenta même un texte qu’il prétendit fini et qui ne faisait aucune référence à l’Empire ou à ses anciennes constitutions. Napoléon le refusa fermement en accusant son interlocuteur de vouloir « le priver de son passé ».

L’empereur eut finalement le dernier mot sur de nombreux points. Il fut décidé que la nouvelle constitution complèterait officiellement les anciennes et prendrait donc le titre d’ « Acte additionnel aux Constitutions de l’Empire ». On remettait à plus tard la refonte des textes impériaux. A l’inverse, le souverain céda sur l’élection de la chambre basse au suffrage le plus large possible et sur le principe de la création d’une pairie héréditaire. D’avis en corrections et avec cependant une forte influence de Napoléon, ce fut Constant qui rédigea la plus grande partie du nouveau texte d’organisation des pouvoirs publics qui allait dès lors recevoir le surnom de « Benjamine », trouvaille que l’on doit, semble-t-il à l’historien et publiciste Montlosier.

Le 20 avril 1815, la commission de constitution s’assembla puis le texte fut transmis au Conseil d’État. Quelques modifications de rédaction furent encore apportées au document notamment par Joseph Bonaparte[10]. Une dernière tentative des libéraux de voir supprimer les confiscations échoua : à cette occasion, Napoléon gratifia ceux qui prônaient une sorte de « pardon » d’une de ses fameuses colères, leur lançant qu’il n’était pas « homme à se laisser attaquer impunément ». La rédaction fut achevée chez l’empereur, le 21 avril. L’Acte additionnel fut signé le lendemain et publié le 23.

La réforme

Même s’il ne venait officiellement que compléter la constitution du 22 frimaire an VIII (13 décembre 1799), le sénatus-consulte du 16 thermidor an X (4 août 1802) instaurant le Consulat à vie, le sénatus-consulte du 28 floréal an XII  (18 mai 1804) le transformant en Empire héréditaire, l’Acte additionnel était une profonde réforme de l’ordre constitutionnel. Mais, comme son nom l’indique, il n’abrogeait pas l’ensemble des dispositions antérieures, tout ce qui n’était pas modifié restait inchangé, ce que rappelait l’article premier. Tel était le cas pour les dispositions concernant l’hérédité, les règles de succession, la régence, les grandes dignités ou, plus important encore, l’étendue du pouvoir exécutif. Symboliquement, la formule « Napoléon, par la grâce de Dieu et les constitutions, empereur des Français » allait même être maintenue en ouverture des lois et décrets[11].

L’Acte additionnel proprement-dit prévoyait plusieurs changements fondamentaux : l’ancien Corps législatif et le Sénat étaient remplacés par deux chambres, celle des représentants et celle des pairs, la procédure législative était modifiée et le domaine de la loi précisé. Le texte s’achevait par une sorte de déclaration des droits des citoyens, ce qui n’avait jamais été le cas des textes napoléoniens antérieurs.

1°) Le législatif était désormais composé de la chambre des représentants et de la chambre des pairs.

La chambre des pairs siégeait au palais du Luxembourg. Elle comptait un nombre illimité de membres nommés par l’empereur. Les membres de la famille impériale y siégeaient de droit[12]. La dignité (sic) de pair était héréditaire et irrévocable. Elle se transmettait de mâle en mâle et d’aîné en aîné, naturel et légitime en ligne directe. Les pairs prenaient séance à l’âge de 21 ans (18 pour la famille impériale) mais n’avaient voix délibérative qu’à l’âge de 25 ans (21 pour la famille impériale). Leur dignité était compatible avec toute fonction publique, hors celle de comptable. Ainsi, un pair pouvait être nommé ministre ou un ministre nommé pair. La chambre était présidée par l’archichancelier ou par un de ses membres désigné par l’empereur.

Siégeant au Palais-Bourbon, la chambre des représentants se composait de 629 députés des départements « élus par le peuple » pour un mandat de cinq ans. Tout citoyen français âgé de 25 ans et plus était éligible, à l’exception des préfets et sous-préfets dans le ressort de leur administration. En gros, les élections devaient être organisées selon le système des collèges électoraux de l’an X (collèges d’arrondissements et départementaux). La qualité de représentant était compatible avec toute fonction publique, hors celle de comptable. La chambre vérifiait elle-même les pouvoirs de ses membres, nommait son président pour la durée de la législature, sous réserve de l’approbation de ce choix par l’empereur. Celui-ci pouvait proroger, ajourner et dissoudre cette assemblée.

Les séances des deux chambres étaient publiques mais elles pouvaient décider un comité secret à la demande d’au moins vingt-cinq de leurs membres où du gouvernement pour des communications particulières. Pairs et représentants jouissaient de certaines immunités. Ils ne pouvaient être ni arrêtés ni poursuivis, hors flagrant délit, pendant la durée des sessions, sauf autorisation de leur chambre. Ils ne pouvaient pas non plus être arrêtés, ni détenus pour dettes à partir de la convocation de leur assemblée ou dans les quarante jours suivant la fin des sessions. Si les représentants étaient justiciables des tribunaux ordinaires, les pairs ne pouvaient être jugés que par leur chambre, l’Acte additionnel renvoyant la définition de la procédure de jugement à une loi qui ne fut jamais votée. Par un décret du 27 mai, Napoléon tenta de restreindre l’indépendance des parlementaires en leur imposant un serment de fidélité. Ce fut le premier casus belli entre les députés et lui.

2°) Le domaine de la loi était précisé et la procédure législative réformée.

L’Acte additionnel définissait un véritable « domaine de la loi ». Et d’abord en matière fiscale (art. 34 à 37) : l’impôt direct n’était voté que pour un an ; l’impôt direct ou indirect, l’emprunt, l’inscription d’une créance au Grand Livre de la dette publique, l’aliénation d’un domaine relevaient désormais de la loi ; les projets d’impôts et d’emprunts devaient être d’abord présentés à la chambre des représentants ; celle-ci examinait la première le budget de l’État et le compte des recettes et dépenses des années précédentes. Relevaient encore du domaine de la loi : les levées de troupes (art. 35), la définition des infractions et des juridictions de jugement compétentes (art. 61), les restrictions au droit de publier (art. 64), la proclamation de l’état de siège (art. 66). Pour des raisons idéologiques autant que pour étayer la légitimité de la IVe dynastie, le texte limitait les matières législatives en prohibant toute proposition visant au rétablissement des Bourbons, de la noblesse féodale, des droits féodaux et seigneuriaux, des dîmes, d’un culte privilégié ou remettant en cause l’irrévocabilité des biens nationaux (art. 67)[13].

Quant à la procédure d’adoption de la loi, elle était simplifiée par rapport aux textes antérieurs. Aux termes de l’article 2, le pouvoir législatif était exercé « par l’empereur et les deux chambres ». L’initiative continuait à n’appartenir qu’au premier. Les chambres pouvaient cependant « inviter » l’exécutif à lui proposer un texte sur tel ou tel sujet. Elles ne disposaient que d’un droit d’amendement limité : si leurs amendements n’étaient pas acceptés par le gouvernement, elles n’avaient d’autre choix que de se prononcer sur le texte originel. Des ministres d’Etat et des conseillers d’Etat désignés par l’empereur prenaient part aux discussions et donnaient « les éclaircissements nécessaires » sur ses intentions. Ils n’avaient voix délibérative que dans le cas où ils étaient membres de la chambre où ils intervenaient. Les textes devaient être votés par les deux chambres pour être approuvés, après quoi ils devaient être transmis à l’empereur pour promulgation.

Un décret du 11 juin 1815 précisa ces dispositions constitutionnelles. Les propositions de lois devaient être discutées en conseil des ministres. Le nombre des ministres d’État spécialisés dans le « débat » parlementaire était fixé à quatre, celui des conseillers d’État à six. Les demandes d’amendement des chambres devaient être recueillies par les ministres d’État et portés devant le conseil des ministres. Si celui-ci les acceptait, ils devaient être approuvés dans les mêmes termes par les assemblées puis revenir devant le conseil pour une nouvelle validation. Cette procédure compliquée revenait à limiter encore davantage le droit d’amendement.

3°) Les ministres n’étaient pas politiquement responsables.

Les articles 38 et 39 de l’Acte additionnel disposaient que tous les actes du gouvernement devaient être contresignés par un ministre qui en devenait ainsi responsable, « ainsi que de l’exécution des lois ». Cette responsabilité était clairement définie comme exclusivement pénale par les articles suivants. L’instance de jugement était dans ce cas la chambre des pairs. Autant dire que rien n’était changé par rapport aux anciennes constitutions impériales ou la Charte : pour mettre en cause la responsabilité politique d’un ministre, les chambres devaient passer par une accusation pénale ou, par un bras de fer, obliger le ministre à démissionner.

4°) De nouveaux droits et garanties pour les citoyens.

Afin de contenir l’autoritarisme de l’empereur, Benjamin Constant avait obtenu que des dispositions pouvant former une petite déclaration des droits figurassent dans l’Acte additionnel.

Le titre VI – « droits des citoyens » (art. 59 à 67)- garantissait formellement : l’égalité devant la loi, l’impôt et l’accès aux emplois publics, la garantie d’être jugé par un magistrat désigné par la loi et dans les cas prévus et les formes prescrites par celle-ci, la liberté des cultes, l’inviolabilité de la propriété, la liberté d’imprimer et de publier, le droit de pétition, la limitation à des cas précis de la mise en état de siège. Quelques mesures visant à conforter la sûreté des citoyens entraient en vigueur : l’ancienne Haute Cour impériale était supprimée ; l’institution du jury dans les procès criminels était constitutionnalisée, de même que la publicité des procès ; seuls les délits militaires relèveraient désormais des tribunaux militaires, façon d’abolir les trop fameuses commissions militaires qui avaient jugé sans jurys et sans appel les « brigands », dans l’Ouest et ailleurs, pendant des années ;  la cour de cassation avait la possibilité de demander aux chambres leur interprétation de la loi. Pour conforter le statut des magistrats, l’article 51 affermissait leur inamovibilité, tout en ne reniant pas les solutions des débuts du régime napoléonien : « L’Empereur nomme tous les juges. Ils sont inamovibles et à vie dès l’instant de leur nomination [et non plus cinq ans après], sauf la nomination des juges de paix et des juges de commerce, qui aura lieu comme par le passé. Les juges actuels nommés par l’Empereur, aux termes du sénatus-consulte du 12 octobre 1807, et qu’il jugera convenable de conserver, recevront des provisions à vie avant le 1er janvier prochain ». En d’autres termes, Napoléon avait jusqu’au 1er janvier 1816 pour épurer la magistrature et nommer des juges qui, passée cette date, deviendraient inamovibles.

La déception

Il y avait un mois que l’Empire avait été rétabli. Napoléon et les institutions impériales ne cessaient d’en appeler à la « nation », au « peuple », à la « liberté ». Des mesures libérales avaient été prises. Nombreux étaient ceux qui croyaient qu’après des années d’autoritarisme, le souverain allait vraiment se poser en défenseur du rêve révolutionnaire.

Le nouveau texte parut au Moniteur en fin de l’après-midi du 23 avril 1815. Des ajustements de dernière minute avaient encore eu lieu.

C’est peu dire que les élites furent désappointées à la lecture de cet ouvrage. Arrivant à ce moment à Paris, l’auditeur Sers écrivit : « Paris était triste, préoccupé, l’effet de l’acte additionnel avait été désastreux pour l’Empereur »[14]. Sa publication ouvrit une véritable guerre des brochures entre les auteurs bonapartistes, libéraux, jacobins ou royalistes. Il y eut bien sûr des avis positifs. L’économiste Sismondi, pourtant réputé proche des légitimistes, publia quatre articles dans le Moniteur réunis ensuite dans un assez favorable Examen de la constitution[15]. Tout en s’interrogeant sur la légitimité des « constitutions de l’Empire », La Fayette approuva lui aussi l’Acte comme il avait d’ailleurs approuvé la Charte[16]. Carnot en rejeta le contenu mais annonça qu’il voterait pour car il plaçait l’intérêt national au-dessus de toute autre considération[17]. Ces enthousiasmes relatifs furent vite « douchés » par l’analyse du texte et ses premiers décrets d’application.

Après l’avoir encensé -parce que Constant en était l’auteur-, Mme de Staël allait estimer que le texte était une « niaiserie ». Le Lys, feuille royaliste distribuée clandestinement, le qualifia de « mystification de saltimbanques ». Le républicain Prisette y vit du « royalisme » qui ne disait pas son nom. Nombreux furent ceux qui, dans le même camp, critiquèrent le maintien du système des collèges électoraux avec son cens d’éligibilité et l’hérédité de la pairie. Des libéraux critiquèrent une constitution octroyée. Les partisans de la pratique impériale regrettèrent que le chef de l’État se laisse dépouiller de sa puissance[18]. Dans l’ensemble, les pamphlets s’équilibraient entre les pour et les contre, mais l’existence même d’un tel débat finit par contaminer le peuple appelé à plébisciter le texte. Thibaudeau n’eut pas tort d’estimer que « l’Acte additionnel déçut, glaça l’enthousiasme populaire »[19]. Mollien devait de son côté écrire : « Le gouvernement métis des cent-jours ne fut qu’un mélange indigeste de ce grand pouvoir qui s’était écroulé en 1814, et d’un nouveau régime qui n’était encore bien compris ni par la France, ni par la dynastie »[20]. Le malaise fut ressenti jusque dans la rue.

Le caractère « additionnel » du texte et la non abrogation des anciennes constitutions furent en effet considérés comme de mauvaise augure. A y regarder de plus près, l’Acte laissait le chef de l’État au centre du jeu institutionnel, chaque liberté octroyée au législatif étant limitée par une intervention ou un pouvoir d’empêcher de l’exécutif, impression que les décrets d’interprétation allaient confirmer. L’empereur gardait en effet intacte sa prépondérance dans l’ordonnancement institutionnel, position encore affermie par le droit de dissolution.

Partant de ce constat et de celui que les libertés reconnues n’étaient pas accompagnées de la constitutionnalisation des garanties nécessaires, rares étaient ceux qui soulignaient l’effort politique et personnel consenti par Napoléon pour se rapprocher d’un modèle libéral : « On savait peu de gré du maintien [des libertés], sans doute à force de les croire inattaquables, écrivit l’universitaire Villemain ; mais à côté de ces droits acquis, on blâmait avec amertume cet arriéré du premier Empire », écrivit un témoin[21]. La publication par Constant d’un long article explicatif dans le Journal des débats du 1er mai ne changea rien à l’affaire.

Napoléon lui-même ne semblait pas maîtriser la situation. Son ancienne opposition tenait le haut du pavé et ses soutiens traditionnels apparaissaient timorés. Du pays montaient aussi des tendances que l’on croyait disparues et que les proclamations du retour de l’île d’Elbe avaient réveillées. Un bonapartisme « jacobin », ennemi des prêtres et des nobles, partisan de la démocratie, se développait au sein de « fédérations » élevant Napoléon au rang d’ennemi de « l’Europe des rois », appelant à une épuration massive et à des mesures draconiennes visant à purger, une bonne fois pour toutes, la patrie de la contre-révolution. Pour contenir le libéralisme, revigorer ses partisans et canaliser les « jacobins », l’empereur n’avait pu offrir mieux que l’eau tiède du « bonapartisme officiel », au travers de l’Acte additionnel[22].

Les victoires électorales des oppositions

Cette ambiance délétère se traduisit dans les urnes. Et même trois fois. Avec cette « demi-constitution », le débat sur la légitimité du pouvoir napoléonien, jamais vraiment éteint, était relancé. Les circonstances de la restauration impériale la rendaient encore plus contingente et fragile que par le passé. Napoléon avait consenti des concessions à une réalité inédite, de l’expérience de la Charte aux manifestations populaires, en passant par la tiédeur des notables et des élites ou la place gagnée par le libéralisme politique. Sur l’origine comme sur la justification de son pouvoir, il devait inventer un nouveau « panachage » des théories en vogue et, surtout, en tirer des conséquences pratiques auxquelles, au fond, il n’était pas prêt. Devant le Conseil d’État, il tenta de réunir les morceaux de sa légitimité composite : « Les princes sont les premiers citoyens de l’État. Leur autorité est plus ou moins étendue selon l’intérêt des nations qu’ils gouvernent. La souveraineté elle-même n’est héréditaire que parce que l’intérêt des peuples l’exige »[23]. En conséquence, ajoutait-il, la souveraineté « populaire » était de facto remise en selle. Dans la logique de l’empereur, l’Acte additionnel en tirait les conséquences : il serait approuvé par un plébiscite et la représentation nationale procèderait elle aussi du suffrage.

Parallèlement, il avait fait ses gammes libérales en retirant son caractère « officiel » au Moniteur, en supprimant la direction générale de la librairie et ses censeurs (24 mars) ou en abolissant la traite négrière pour prendre de vitesse le congrès de Vienne (29 mars). Il avait encore laissé Fouché autoriser la parution de nouveaux journaux dont l’Indépendant, adversaire déclaré de tout pouvoir autoritaire, et le Patriote de 1789, aux accents plus proches de ceux de 1792 et de la Patrie en danger que des premiers temps de la Révolution. Comme l’écrivit un royaliste : « Les libéraux étaient écoutés, consultés ; la liberté de la presse régnait ; enfin on commençait le règne d’Astrée. Mais ce Numa Pompilius avait régné treize ans et sa conversion n’avait qu’un mois de date »[24]. Et en effet, cet homme qui, même entouré de conseils et de procédures, avait régné presque sans partage depuis 1802, ne portait pas naturellement les habits d’empereur libéral que les circonstances l’obligeait à revêtir : « Il ne donnait pas, il concédait, et avec l’idée que la concession serait provisoire, et peut-être illusoire »[25]. A cette époque, Lavalette confia d’ailleurs à Pasquier : « Ne vous fiez pas à cette constitution libérale [que l’empereur] a l’air de vouloir donner ; une fois à la tête d’une armée victorieuse, il aura bientôt brisé les faibles liens dont il consent aujourd’hui à se laisser enlacer »[26]. Napoléon aurait alors dit à Cambacérès : « Avant six semaines, vous me verrez étouffer ce vain bavardage »[27]. Il allait plus tard confirmer à Gourgaud qu’il caressait le projet de reprendre fermement le pouvoir une fois la guerre gagnée : « Cette canaille de libéraux m’a fait perdre bien du temps en me parlant de constitution »[28]. S’apercevant que le chef de l’État essayer de jouer les libéraux en perdant du temps, Benjamin Constant semblait revenu de ses premiers enthousiasmes. Son ami Montlosier l’avait vu sortir admiratif de ses séances de travail avec l’empereur à qui il trouvait « une vue d’aigle en tout et sur tout ». Quelques semaines plus tard, Barante le retrouva « sans conviction aucune, sans foi au succès, sans confiance dans les dispositions soi-disant libérales de l’empereur »[29]. Et Villemain de déceler dans le « blâme » que l’on avait adressé à la nouvelle constitution la crainte de voir les « arriérés » du premier Empire « s’étendre et dévorer tout le reste »[30].

Ceci étant posé, même élargie par rapport à la Charte, la souveraineté du peuple restait pour le moins contenue. Le refus de faire préparer la réforme par une assemblée constituante avait été un premier accroc. Les élections législatives restaient organisées autour de la pyramide des assemblées électorales, disposition qui conservait le pouvoir de désignation aux seuls notables, avec notamment le cens d’éligibilité. L’exercice plébiscitaire obligeait enfin le corps électoral à accepter ou refuser en bloc et à se prononcer en définitive pour ou contre l’empereur lui-même. « C’était le plus commode de tous les procédés pour éviter une discussion sérieuse », estima Pasquier[31].

Alors que les registres du plébiscite commençaient seulement à être ouverts, un décret du 30 avril ordonna la réunion des collèges électoraux pour procéder aux élections à la chambre des représentants. Ils comptaient environ 70 000 électeurs dont 20 000 pour les formations départementales.

Le même 30 avril, un second décret convoqua les assemblées primaires pour désigner les élus municipaux des communes de moins de 5 000 habitants. Le suffrage universel masculin était ici la règle et la loi du 14 décembre 1789 servait de cadre au vote. Les assemblées éliraient un maire au scrutin uninominal à trois tours, seuls les deux candidats les mieux placés pouvant participer au troisième. Le reste du conseil municipal devait être élu au scrutin de liste à deux tours avec vote préférentiel : les candidats ayant obtenu le plus de voix étaient élus, à la majorité absolue au premier tour, à la majorité simple au second tour[32]. Avec des législatives et des municipales simultanées, la France n’avait pas voté dans de telles proportions depuis le début le Directoire.

1°) La victoire des « libéraux » aux législatives.

Les élections à la chambre des représentants furent un cruel échec pour l’Empire restauré. Entre 33 000 et 40 000 électeurs (soit environ 45 % du corps électoral disponible) participèrent au scrutin[33]. Seuls dix-sept départements votèrent à plus de 50 %. Il n’y eut finalement que 599 députés élus, plus 22 représentants de l’industrie et du commerce. Les opérations électorales ne purent être organisées en Corse (6 députés) et dans l’arrondissement de Beaupréau (Maine-et-Loire), ville aux mains des insurgés. « Ce sont, il faut en convenir, de plaisantes élections […], ironisait un royaliste. Le nombre des votants a été partout si petit qu’on peut assurer que ces messieurs se sont nommés entre eux ; et voilà pourtant les hommes qui s’appelleront les représentants de la nation »[34]. On nota partout l’absence des électeurs réputés royalistes, tandis que les candidatures se réclamant ouvertement de ce courant furent rarissimes : seuls Besse de La Romiguière et Laborde furent élus sans avoir mis totalement leur drapeau dans leur poche. Les députés élus étaient très nettement liés à l’État : des magistrats (38 %), des fonctionnaires (19 %), des militaires ou anciens militaires (13 %). Les mondes économique et judiciaire complétaient les effectifs, avec 13 % de propriétaires, 8 % de banquiers et 13 % de professions juridiques privées (avocats, notaires, etc.). La noblesse d’Ancien Régime était bien représentée (15 %), de même que les titrés d’Empire (20 %)[35].

On a coutume de dire par commodité que ces élections furent remportées par les « libéraux » qui obtinrent 500 sièges environ. Ce chiffre est obtenu par déduction puisqu’on identifia, sur la centaine de sièges restant une trentaine de « jacobins » et un peu moins de quatre-vingts « bonapartistes ». Une chose est sûre cependant : qu’on les qualifie de « libéraux » ou de « jacobins », les anciens révolutionnaires étaient de retour, comme La Fayette, Lanjuinais, Cambon, Dupont de l’Eure, Garat, Lepelletier de Saint-Fargeau, Drouet (l’ancien maître de postes de Varennes), etc. Les partisans en apparence inconditionnels de l’Empire étaient à rechercher dans un groupe notamment formé de Foureau de Beauregard, Regnaud de Saint-Jean d’Angély, Bignon, Boulay de la Meurthe, les généraux Grenier, Rapp, Sebastiani, Mouton-Duvernet et Lucien Bonaparte. Même si les « libéraux » ne constituaient pas un parti homogène, l’écrasante majorité des représentants était prête à jouer un véritable rôle politique, loin de celui d’une chambre d’enregistrement. Napoléon le paya cher après Waterloo.

2°) La victoire des royalistes aux municipales

Si les libéraux avaient remporté les législatives, les royalistes remportèrent les municipales. Les assemblées primaires (au niveau de la commune) avaient été convoquées par un décret du 30 avril[36]. Elles infligèrent une véritable gifle au pouvoir impérial en reconduisant environ 80 % des maires et adjoints mis en place par le gouvernement royal. Les candidats « bonapartistes » se présentant contre les sortants furent souvent battus. Mme de Chastenay laissa éclater sa joie : « Le seul acte de popularité que fit Bonaparte à son retour, fut de casser les maires et de charger les communes de s’en choisir de nouveaux. Il est remarquable que la plupart des choix que le peuple fit alors l’ont emporté à tous égards sur ceux [de] l’empereur »[37]. Même si à peine la moitié des citoyens s’était déplacée, la France rurale que l’on disait tout entière dévouée à l’empereur exprima –et ce ne fut pas la dernière fois dans l’histoire électorale française- « ses tendances conservatrices et même réactionnaires »[38].

3°) La victoire de l’abstention au plébiscite

Les élections de la mi-mai 1815 furent donc deux échecs pour une restauration impériale qui prétendait avoir été appelée de ses vœux et soutenue par le peuple. Celui-ci était toujours avide d’ordre, mais il paraissait le croire désormais mieux défendu par le royalisme que le napoléonisme. Si Napoléon fut désappointé par ces élections-là, que dire de ceux du plébiscite d’acceptation de l’Acte additionnel ?

Le plébiscite fut organisé selon les règles en vigueur sous le Consulat. Pour le vote des civils, des registres furent ouverts pendant dix jours aux greffes des tribunaux, chez les juges de paix et les notaires. Chaque citoyen devait y inscrire son vote, éventuellement accompagné d’un commentaire. A la clôture du scrutin, les registres et les résultats étaient centralisés par la municipalité qui les transmettait au sous-préfet qui lui-même les faisait remonter au préfet. Les fonctionnaires votaient quant à eux sur des registres ouverts dans leurs bureaux. Le ministre de l’Intérieur devait synthétiser ces résultats. Aux armées, on votait par corps, les registres étant transmis directement aux ministères de la Guerre et de la Marine. Les trois synthèses formaient ensuite les résultats nationaux qui devaient être proclamés lors de l’assemblée du Champ de Mai.

Les opérations commencèrent dès les jours suivant le décret de convocation, daté du 22 avril[39]. L’organisation fut cahotique, ce qui n’explique pas à soi seul les résultats.

Si, avec 1 550 000 voix, le oui l’emporta nettement, ce succès comptable était en réalité un échec politique pour l’empereur. Celui-ci le vécut comme tel. On chercherait en vain les résultats officiels dans le Moniteur ou tout autre journal : ils furent cachés au public, comme un aveu de défaite. Le nombre de non (environ 5 700) n’était pas en cause[40], mais bien plus la très faible participation : elle peut être estimée à environ 20 %, contre 45 % en 1802, 40 % en 1804 et 20 % en 1800[41]. C’était bien peu et, de ce point de vue, le régime napoléonien se trouvait ramené quinze ans en arrière. Et encore, les résultats de 1815 étaient largement manipulés. Alors qu’un rapport faisait état de 120 300 oui pour l’armée de terre et 16 200 pour la marine, le tableau officiel des résultats fit état de 450 000 votes positifs pour les deux armées, effectifs qu’elles n’atteignaient probablement pas à cette époque. On a pu aussi constater de nombreuses fraudes  sur les registres[42]. Citons le témoignage du futur-maréchal de Castellane sur la façon dont on procéda dans certaines administrations : « Dans une division du ministère du Trésor public, où il y avait trente employés, vingt-huit ont mis non. On a porté ce registre au ministre Mollien ; il a fait signifier aux employés sa résolution de renvoyer ceux qui n’acceptent pas la constitution. On leur a apporté un nouveau registre ; pour conserver leurs places nécessaires à leurs subsistances, il leur a fallu signer : oui »[43]. On imagine aussi qu’il y eut le même type de pratiques aux armées. Dans son style « grognard », Putigny note dans ses carnets : « Nous donnons notre adhésion à l’Acte additionnel, signant joyeusement sur des registres envoyés à cet effet. Un seul soldat refuse, et dans ma compagnie encore ! Mais ses voisins ont vite fait de le persuader… à grand coup de pied au derrière »[44].

Ces tricheries n’empêchèrent pas pourtant le mauvais résultat d’ensemble. Plus grave, la désaffection de l’électorat toucha jusqu’aux départements considérés comme les plus bonapartistes : la Côte d’Or perdait 25 % de oui par rapport à 1804, la Moselle 30 %, le Haut-Rhin 24 %, la Seine-Inférieure 35 %, les Basses-Alpes 43 %, etc. Dans certains autres, la participation n’atteignait pas 10 %, comme dans le Morbihan, le Finistère, le Pas-de-Calais, l’Eure, le Var, la Manche, la Gironde ou le Nord. L’effondrement touchait particulièrement les villes : si 23 % des électeurs messins, 20 % des Amiénois, 19 % des Clermontois ou des Nancéens, 15 % des Lyonnais ou des Clermontois –ce qui était bien inférieur à la participation de 1804- s’étaient déplacés, on atteignait à peine 5 % à Rouen et Toulouse, 4 % à Lille, 3 % à Bordeaux, 2 % à Reims et Nantes, 1 % à Marseille. Quant à Paris, la participation y fut d’environ 12 % : 20 000 oui, soit trois fois moins qu’en 1802 et cinq fois moins qu’en 1804[45].

Des milliers d’électeurs ajoutèrent des justifications de vote à leur signature. Parcourir ces remarques donne une idée de ce qu’ils reprochaient à l’Acte additionnel avec, en tête, l’hérédité de la pairie.

Après les élections législatives et municipales perdues par le parti impérialiste, le plébiscite fut un troisième échec pour Napoléon : « La bourgeoisie et le peuple repoussèrent en réalité l’Acte additionnel, l’une parce qu’elle ne le trouvait pas assez libérale, l’autre parce qu’il le jugeait trop aristocratique. On peut dire que l’hérédité de la pairie blâmée par tous, par les classes moyennes comme par les classes inférieures, porta un coup fatal à la Constitution du 22 avril 1815 »[46]. Le résultat du plébiscite ne pouvait pas, en tout cas, fortifier la légitimité de l’empereur face à des chambres qui ne lui étaient pas favorables. Il confirmait, comme l’a écrit Thiers, que la France « attestait sa consternation par l’absence » et qu’elle « ne savait plus à quelles mains confier ses destinées »[47].

Thierry Lentz
Juillet 2015

Notes

[1] Voir ses déclarations à Molé dans marquis de Noailles, Le comte Molé. 1781-1855. Sa vie. Ses mémoires, 1922, t. I, p. 209.
[2] « L’île d’Elbe et les Cent-Jours », Correspondance de napoléon Ier, publiée sur ordre de l’Empereur Napoléon III [désormais simplement : Correspondance], t. XXXI, p. 128. Les Mémoires de Napoléon sur l’île d’Elbe et les Cent-Jours ont été réédités chez Tallandier, en 2010, avec une introduction de Th. Lentz.
[3] Les journaux annoncèrent le 6 avril que l’ex-abbé Grégoire avait été nommé à la commission de constitution. Daunou et Roederer y furent aussi annoncés. Le Journal de l’Empire démentit ces informations erronées dans les jours suivants. Les travaux de la commission ont été racontés dans le rarissime ouvrage attribué à Boulay de la Meurthe, Mémoires publiés par sa famille, 1868, p. 250-260.
[4] Fleury de Chaboulon, Mémoires pour servir à l’histoire de la vie privée, du retour et du règne de l’Empereur Napoléon en 1815, éd. 1822, t. II, p. 50-51.
[5] S. Rials, « La question constitutionnelle en 1814-1815 : dispersion des légitimités et convergence des techniques », Révolution et contre-Révolution au XIXè siècle, 1987, p. 133.
[6] L. Radiguet, L’Acte additionnel aux constitutions de l’Empire, 1911, p. 139 et suivantes.
[7] Décret de nomination daté du 20 avril 1815, Dictionnaire biographique des membres du Conseil d’État. 1799-2002, 2004, p. 46.
[8] Voir B. Constant, Journaux intimes, 1952, p. 438.
[9] Ibid. Sur les différents projets (il y en eu quatre) : L. Radiguet, L’Acte additionnel aux constitutions de l’Empire, p. 433-467.
[10] Napoléon à Joseph, 22 avril 1815, Correspondance, n° 21838.
[11] Le texte de 1815 était précédé d’un exposé des motifs voulu et rédigé par Napoléon : « Depuis que nous avons été appelé, il y a quinze années, par le vœu de la France, au gouvernement de l’Etat, nous avons cherché à perfectionner, à diverses époques, les formes constitutionnelles, suivant les besoins et les désirs de la nation, et en profitant des leçons de l’expérience. Les constitutions de l’Empire se sont ainsi formées d’une série d’actes qui ont été revêtus de l’acceptation du peuple. Nous avions alors pour but d’organiser un grand système fédératif européen, que nous avions, adopté comme conforme à l’esprit du siècle, et favorable aux progrès de la civilisation. Pour parvenir à le compléter et à lui donner toute l’étendue et toute la stabilité dont il était susceptible, nous avions ajourné l’établissement de plusieurs institutions intérieures, plus spécialement destinées à protéger la liberté des citoyens. Notre but n’est plus désormais que d’accroître la prospérité de la France par l’affermissement de la liberté publique. De là résulte la nécessité de plusieurs modifications importantes dans les constitutions, sénatus-consultes et autres actes qui régissent cet empire. A ces causes, voulant, d’un côté, conserver du passé ce qu’il y a de bon et de salutaire, et, de l’autre, rendre les constitutions de notre Empire conformes en tout aux vœux et aux besoins nationaux, ainsi qu’à l’état de paix que nous désirons maintenir avec l’Europe, nous avons résolu de proposer au peuple une suite de dispositions tendant à modifier et perfectionner ses actes constitutionnels, à entourer les droits des citoyens de toutes leurs garanties, à donner au système représentatif toute son extension, à investir les corps intermédiaires de la considération et du pouvoir désirables ; en un mot, a combiner le plus haut point de liberté politique et de sûreté individuelle avec la force et la centralisation nécessaires pour faire respecter par l’étranger l’indépendance du peuple français et la dignité de notre couronne. En conséquence les articles suivants, formant un acte supplémentaire aux constitutions de l’Empire, seront soumis à l’acceptation libre et solennelle de tous les citoyens, dans toute l’étendue de la France.
[12] Rappelons pour mémoire que la famille impériale se composait exclusivement des dynastes : le roi de Rome (il vivait à Vienne et était trop jeune pour siéger), Joseph Bonaparte et ses descendants mâles (il n’avait que des filles), Louis et ses descendants mâles (Louis vivait hors de France et ses deux fils étaient trop jeunes pour siéger). Les sœurs de l’empereur et leurs descendants ne faisaient pas partie de la famille impériale. Lucien, seulement « prince français », était dans le même cas et allait être formellement nommé à la chambre des pairs dont il ne pouvait être considéré comme membre de droit.
[13] Cet article fut ajouté au texte à la demande de Napoléon lors de l’ultime lecture devant le Conseil d’État. Constant y était opposé.
[14] Mémoires du baron Sers, p. 129.
[15] J. C. L. de Sismondi. Fragments de son journal et correspondance, 1857, p. 30 et suivantes.
[16] Sur les Cent-Jours de La Fayette : Paul Chanson, Lafayette contre Napoléon, de Saint-Cloud à Sainte-Hélène, 1958, IIe partie : le défi. Explication de vote dans les Mémoires, correspondance et manuscrits du général Lafayette, 1838, t. V, p. 425-426.
[17] Mémoires de Carnot, t. II, p. 434.
[18] D. de Villepin, Les Cent-Jours ou l’esprit de sacrifice, 2001, p. 296-308 ; L. Radiguet, L’Acte additionnel aux constitutions de l’Empire, p. 297-298 et 40 et suivantes ; F. Bluche, « Les pamphlets royalistes des Cent-Jours », Revue de l’Institut Napoléon, 1975, n° 131, p. 145-156.
[19] Mémoires de A.-C. Thibaudeau, 1913, p. 476.
[20] Mémoires d’un ministre du Trésor public, 1898, t. III, p. 426.
[21] A.-F. Villemain, Souvenirs contemporains d’histoire et de littérature, 1855, t. II, p. 180.
[22] F. Bluche, Le bonapartisme. Aux origines de la droite autoritaire (1800-1850), 1980, p. 95-107.
[23] L. Radiguet, L’Acte additionnel aux constitutions de l’Empire, p. 91.
[24] Souvenirs du baron de Frénilly, 1908, p. 377. Frénilly fait ici référence à L’Astrée, roman d’Honoré d’Urfé continué par Balthazar Baro et publié entre 1607 et 1628, histoire pastorale peuplée de bons sentiments et de toutes les manifestations de l’amour. Numa Pompilius est le second roi de Rome, réputé avoir régné pieusement et pacifiquement.
[25] L. Madelin, Histoire du Consulat et de l’Empire, éd. 2003, t. IV, p. 889.
[26] Mémoires du chancelier Pasquier, t. III, p. 218.
[27] Mémoires de Madame de Chastenay. 1771-1815, 1896, t. III, p. 497.
[28] Général Gourgaud, Journal de Sainte-Hélène. 1815-1818, 1944, t. II, p. 241.
[29] Montlosier à Barante, 22 avril 1815, et Barante à sa femme, 15 mai 1815, Souvenirs du baron de Barante, 1890, t. II, p. 136 et 146.
[30] A.-F. Villemain, Souvenirs contemporains d’histoire et de littérature, t. II, p. 180.
[31] Mémoires du chancelier Pasquier, t. III, p. 215.
[32] Décrets des 22 et 30 avril 1815, loi du 14 décembre 1789 et instructions de la Constituante, Bulletin des lois, VIème série, n° 19 et 24.
[33] Quelques chiffres locaux permettent de mieux se rendre compte de ce que représentent ces pourcentages : 74 votants pour 267 électeurs dans le Loiret, 71 sur 285 dans le Calvados, 78 sur 198 dans le Doubs, 116 sur 234 dans la Seine, 91 sur 257 dans l’Eure, 128 sur 273 en Moselle, 34 sur 222 dans le Var, 25 sur 267 dans les Basses-Alpes, 79 sur 250 dans la Seine-et-Marne (collèges départementaux).
[34] E. Géraud, Un témoin des deux Restaurations. Fragments d’un journal intime, s. d., p. 224.
[35] Sur ces élections : É. Le Gallo, Les Cent-Jours, p. 427-433 ; L. Madelin, Fouché, t. II, p. 365-367, et  Histoire du Consulat et de l’Empire, éd. 2003, t. IV, p. 929- 936 ; H. Houssaye, 1815, t. I, p. 557-564 ; I. Collins, Napoleon and his parliaments, Londres, 1979, p. 161 et suivantes ; J.-Y. Coppolani, Les élections en France à l’époque napoléonienne, 1980, p. 393-397.
[36] Décret du 20 avril 1815. Lettre de Napoléon à Carnot le même jour, Correspondance, n° 21827.
[37] Mémoires de Madame de Chastenay, t. II, p. 514.
[38] J.-Y. Coppolani, Les élections en France à l’époque napoléonienne, p. 377.
[39] Décret impérial ordonnant la présentation de l’Acte additionnel aux Constitutions à l’acceptation du Peuple français, 22 avril 1815, Bulletin des lois, VIe série, n° 19. Sauf indication particulière, nous utilisons F. Bluche, Le plébiscite des Cent-Jours (avril-mai 1815), Genève, 1974.
[40] D’autres chiffres existent, dont celui qui fut annoncé avant l’assemblée du Champ de Mai : 1 302 000 oui et 4 200 non ; il doit s’agir des votes hors armée. Champollion-Figeac dit dans ses écrits qu’ayant assisté au comptage général des suffrages en présence de l’archichancelier, il aurait eu accès à un document faisant état de 1 076 410 oui et 3 904 non pour les civils, plus 205 168 oui et 302 non pour l’armée (Fourier et Napoléon, p. 282). De nombreux registres n’étaient pas arrivés à Paris au moment de ces décomptes, ce qui explique en partie la faiblesse des chiffres.
[41] Voir le tableau des résultats et nos commentaires sur les plébiscites précédents dans Nouvelle histoire du Premier Empire. III. La France et l’Europe de Napoléon, p. 95-98.
[42] Bluche en cite de nombreux exemples et nous l’avons relevé pour le département de la Moselle (T. Lentz et F. Pinon, « La Moselle bonapartiste : le plébiscite des Cent-Jours », Revue Lorraine Populaire, 1984, pp. 241-243).
[43] Journal du maréchal de Castellane (1804-1862), 1895, t. I, p. 287.
[44] Miot-Putigny, Putigny, grognard d’Empire, 1950, p. 238.
[45] Il y eut 560 votes négatifs dans la capitale en 1815. Voir : F. Bluche, « Un aspect de la vie politique à Paris : le plébiscite des Cent-Jours », Bulletin de la société de l’histoire de Paris et de l’Île-de-France, 1971, p. 1-13.
[46] L. Radiguet, « L’Acte additionnel de 1815 », Revue des études napoléoniennes, janvier-juin 1912, p. 234. Du même : « Le vote des Conventionnels en 1793 et en 1815 », Revue des études napoléoniennes, janvier-juin 1912, p. 412-428.
[47] A. Thiers, Histoire du Consulat et de l’Empire, t. XIX, p. 574.

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