L’art allemand à l’époque de Goethe, cet inconnu…
L'art allemand de la fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe demeure assez peu connu du grand public français. L'exposition Poussin, Watteau, Chardin, David… peintures françaises dans les collections allemandes, qui s'est tenue en 2005 à Paris, puis en 2006 à Munich et à Bonn (1), permettait déjà d'aborder la question des échanges artistiques franco-allemand. On ne peut que se réjouir de voir cet axe de recherche prolongé au travers de cette nouvelle rétrospective du Musée de la vie romantique à Paris, ouverte jusqu'au 15 juin.
50 ans de création germanique sont ainsi pris en compte. A partir de 1770, la génération d'artistes dite du « Sturm und Drang » (littéralement « Tempête et élan ») émerge outre-rhin. Cette tendance proprement allemande anticipe sur le romantisme français qui ne trouvera son plein épanouissement que dans les années 1830.
Un florilège de dessins, un délice pour les yeux
Les oeuvres présentées sont particulièrement bien choisies, permettant une vision assez complète de la production artistique de ces années 1770-1830. Un vrai travail en amont et un oeil averti étaient nécessaires pour réussir à rassembler tant de beaux dessins, de provenances si diverses. Cette sélection offre une occasion exceptionnelle de contempler les trésors de plusieurs musées allemands et un résultat surprenant en raison de la diversité des oeuvres. Le style déployé va du rendu le plus précis à des contours de formes inversement peu marqués ; les thèmes oscillent entre scènes historiques et portraits, mais aussi paysages. Demandant un matériel moins encombrant que pour la peinture, la pratique du dessin est propice à la spontanéité de paysages dessinés en plein air et semble aussi permettre de façon plus générale une plus grande liberté, probablement à l'origine de la légèreté et de la fantaisie de plusieurs oeuvres. Cette diversité est aussi sans doute due aux différents buts poursuivis par les auteurs, du jeune noble se distrayant en dessinant, à l'artiste dont c'est le métier, en passant par un poète comme Goethe (1749-1832) qui envisage le dessin comme un complément à l'écriture.
Le Premier Empire français et la littérature allemande
L'exposition est centrée sur « l'époque de Goethe », point de repère inévitable en raison de l'importance accordée au poète par ses contemporains. Personnage incontournable, Goethe contribue à modeler la production artistique de son temps, notamment par l'attribution du prix annuel de dessin décerné à Weimar entre 1799 et 1805. Il exerce aussi une grande influence au travers de ses écrits : il publie les Affinités électives en 1809, reflet de ses recherches de racines germaniques dans l'art médiéval et religieux, puis Les Années d'apprentissage de Wilhelm Meister en 1810.
La même année, les épreuves du livre De l'Allemagne de Germaine de Staël (1766-1817) sont détruites en France sur ordre de Napoléon. « Le mal du siècle, ce sentiment douloureux de l'incomplet de la destinée », comme le définit la romancière, suscite une mise en avant des sensations, des émotions et le désir d'un rapport plus étroit avec la nature. Le dessin apparaît aux artistes allemands comme le meilleur vecteur pour exprimer ces sentiments, d'où sa pratique intensive et généralisée.
L’art allemand à l’époque de Napoléon
Très révélateur de cette tendance et l'une des plus belles oeuvres présentées, le « Portrait du peintre Carl Wilhelm Wach« , par Wilhelm von Schadow (1788-1862), dessiné vers 1805-1810, a été choisi à juste titre pour figurer sur l'affiche de l'exposition. Schadow fut un peintre reconnu qui exerça une influence importante comme directeur de l'Académie des Beaux-Arts de Düsseldorf. « La Börger et la Fromm » de 1804 montre également tout son talent de dessinateur.
L'exposition offre au regard la production d'autres artistes actifs entre 1799 et 1814, Runge par exemple, mais surtout ceux associés au mouvement nazaréen qui se révèle, dès 1809, catholique et tourné vers l'Italie : notamment Overbeck (1789-1869), Cornelius (1824-1874) et Friedrich (1774-1840). Ce dernier dessine « Le Massif des Schneegruben vu de Hainbergshöh« vers 1810. Plusieurs membres de ce groupe d'artistes s'établissent à Rome dans un couvent désaffecté où, jusqu'en 1812, ils mènent une existence communautaire, s'efforçant de réaliser leur idéal de renouvellement de l'art grâce à la religion et par le biais de la peinture murale.
Un manque d’information qui n’enlève rien à la beauté de l’exposition
Tous ces éléments concernant les échanges artistiques entre l'Italie, l'Allemagne et la France, ne sont malheureusement jamais explicités durant la visite de l'exposition. Sans doute le contexte historique est-il trop peu mis en avant à une époque où le sort de ces pays est étroitement lié : sous la pression de la France est alors créée la Confédération du Rhin et Napoléon élève certains de ses membres au rang de royaumes.
La scénographie un peu restreinte, avec un court panneau introductif par salle, n'offre peut-être pas suffisamment d'éléments d'explication aux non-spécialistes qui, sans l'aide du catalogue (2), risquent d'avoir des difficultés à s'orienter correctement au milieu des oeuvres.
Le spectateur pourra se ressentir frustré devant ce manque d'information, mais les oeuvres rassemblées ne manqueront pas de le surprendre et de l'éblouir.