Le Jardin des Plantes et la Ménagerie au XIXe s. : histoire et témoignages

Auteur(s) : PRÉVOT Chantal
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Le Jardin des Plantes et la Ménagerie des bêtes sauvages comptaient parmi les promenades favorites des Parisiens sous le Consulat et l’Empire. Créé par Louis XIII par édit royal le 16 janvier 1626, le Jardin du Roi était destiné à l’origine à favoriser la culture de plantes étrangères, légumières ou ornementales.

Le Jardin des Plantes et la Ménagerie au XIXe s. : histoire et témoignages
Vue extérieure de la Galerie de Minéralogie en 1855 - Gravure tirée du Journal L'illustration

Il fut ouvert au public dès 1640. Rapidement, les allées ombragées et les jolis carrés de fleurs arrangés avec art furent adoptés, de même que la colline du Belvédère (appelée également le labyrinthe) qui se para en 1786 d’un kiosque, la première construction métallique de la capitale. Le cèdre du Liban était très connu, car on disait qu’il avait ramené par le botaniste Bernard de Jussieu dans son chapeau depuis Londres car le pot s’était cassé (il semblerait que le pot ne se cassât qu’à Paris ce qui réduit quelque peu le temps de transport en tricorne). Sous l’Empire, on racontait aussi qu’ « un boulet de boulet [l’avait] privé de sa cime au temps de la Révolution« [1].

Considérablement agrandi fin XVIIIe siècle par Buffon, le Jardin s’étendit jusqu’à la Seine, quai Saint-Bernard. Les Parisiens aimaient à se délasser sous les arbres,.autour des parterres de fleurs, comme le « carré des arbres toujours verts », le « carré des plantes bisannuelles » ou les deux bassins de fleurs aquatiques. Un carré de culture des plantes médicinales était réservé aux indigents qui venaient y chercher gratuitement des remèdes. Les serres étaient un sujet de curiosité et d’émerveillement, bien que plus petites que les serres actuelles. Café et latrines complétaient les « services publics ». Si on se réfère à l’un des rares témoignages directs de la vie quotidienne au Premier Empire, le journal de Mme Moitte, épouse d’un sculpteur en vue, on y lit à plusieurs reprises des promenades au Jardin des Plantes en alternance avec les jardins des Tuileries ou les Champs Elysées. Mme Moitte qui tenait une pension pour jeunes filles, allait « prendre l’air » accompagnée de ses petites élèves. [2]

Le plan était différent puisque les galeries de minéralogie, de zoologie et de paléontologie et la galerie de l’évolution ne seront construites qu’à partir des années 1830 jusqu’à la fin du siècle. En 1800, seul le long bâtiment du Cabinet d’histoire naturelle clôturait le jardin, flanqué de la maison de l’Intendance où logeait le gardien et qui disposait de « logements de fonction » (Buffon et Lamarck y moururent). Le Cabinet abritait dès l’origine les collections de plantes, d’insectes, de papillons, d’oiseaux, de mammifères et offrait des laboratoires aux plus grands savants de l’époque : les naturalistes Etienne Geoffroy Saint-Hilaire, Louis-Jean Marie Daubenton et Jean-Baptiste Lamarck, les zoologistes Bernard Germain de Lacepède et Georges Cuvier, le chimiste Antoine-François Fourcroy, faisant de ce lieu un des plus brillants foyers scientifiques d’Europe.

August Kotzebue, littérateur allemand à succès séjourna à Paris en 1804 et fit par la suite publier son journal. On peut  y lire le récit de sa visite au Jardin des Plantes, étape obligatoire pour tout étranger soucieux de se cultiver. Il se rendit tout d’abord à la galerie « unique au monde » et passa des heures à admirer les « trésors précieux » sur deux étages. Il nota, entre autres, les mâchoires d’un crocodile pétrifiées, l’oiseau-mouche à côté de l’étrange casoar d’Australie (appelé aussi émeu noir, une espèce disparue depuis), la souris de Sibérie minuscule placée aux pieds de la « giraffe », des centaines de tableaux ou des armoires vitrées contenant des papillons, des insectes, des reptiles, des tortues. Le règne végétal disposait également de collections constituées de pièces de bois et de fruits en partie secs ou conservés dans l’esprit de vin, quelques uns étaient imités en cire. Puis Kotzebue demanda à être reçu par le grand zoologue Cuvier dans son Cabinet d’Anatomie, un bâtiment indépendant dans l’enceinte de la Ménagerie, en face de la Vallée suisse (actuellement c’est un restaurant). Les collections seront ouvertes au public à partir de 1806. « J’ai vu là une collection très curieuse d’ossements pétrifiés, qui, quoique trouvés dans les environs de Paris, n’existent plus aujourd’hui, et ont évidemment appartenu à une création déjà détruite dans notre monde; Des animaux semblables ont été reproduits par la nouvelle création, mais ce ne sont plus les mêmes. Voilà une occasion de se perdre dans un labyrinthe d’idées embrouillées. » [3]Ces ossements pétrifiés prirent le nom en 1842 les fossiles de dinosaures.

Kotzebue fut également fasciné par une collection de crânes humains, de momies égyptiennes et de squelettes, parfois « célèbres » comme le squelette de Bébé, le nain préféré d’Auguste, roi de Pologne selon l’auteur allemand, mais plus vraisemblablement de Stanislas, roi de Pologne et duc de Lorraine au XVIIIe siècle.

Le Cabinet d’histoire naturelle, et la bibliothèque attenante étaient ouverts tous les jours aux étudiants ainsi que l’amphithéâtre construit en 1787. Ce bâtiment avait été doté à la Révolution de trois extensions en forme d’absides pour permettre les préparations et les manipulations nécessaires à certains cours. L’enseignement était divisés en douze cursus : minéralogie, chimie générale, arts chimiques, botanique dans le Muséum, botanique dans la campagne, culture, histoire naturelle des quadrupèdes, oiseaux reptiles et poissons, histoire naturelle des insectes, vers et animaux microscopiques, anatomie humaine, anatomie des animaux, géologie, iconographie naturelle. Cette dernière chaire d’enseignement était unique au monde. Elle fut créée en 1793 sous le titre complet d’Iconographie naturelle ou de l’art de dessiner ou peindre toute les productions de la nature. Son seul et unique titulaire fut le peintre hollandais Gérard Van Spaendonck, maître de Pierre-Joseph Redouté, auteur de magnifiques vélins de fleurs et professeur à son tour, tout spécialement des impératrices Joséphine, puis Marie-Louise. À la mort de Spaendonck, la chaire fut supprimée et Redouté n’obtint « seulement » que le titre de maître de dessin.

Le public et « les étrangers » pouvaient s’y rendre gratuitement les mardis et vendredis, de trois heures jusqu’à la nuit. Pour éviter tous gestes malencontreux contre les pièces exposées, dix hommes « employés au maintien de l’ordre », vétérans de l’armée patrouillaient dans les couloirs car un diamant avait été volé au temps de la Révolution, tandis que trois frotteurs astiquaient les parquets des galeries. Un premier jardinier, aidé de cinq jardiniers ordinaires s’occupaient des plantations, tandis que trois portiers veillaient sur les entrées et sorties du Muséum.[4]

Cette ouverture à tous et plus encore la totale gratuité étonnaient beaucoup les étrangers. Un voyageur allemand, Heinzmann, note dans son récit de voyage en 1800 : « L’entrée du jardin des plantes est libre pour tout le monde. Je vis des enfants et des journaliers parmi les spectateurs. Il n’y a pas besoin de carte, ou d’être vêtu d’un bel habit pour y entrer, comme en Allemagne. Il y a même une affiche imprimée, collée sur les murailles, qu’on ne doit rien payer aux concierges et aux gardes, afin d’en obtenir quelque préférence ». [5]

L’année 1793 fut une date charnière dans l’histoire de ce jardin : par décret de la Convention du 10 juin, le Cabinet du Roi et le Jardin royal devinrent le Muséum d’Histoire naturelle et se dota d’un règlement général rédigé par les savants eux-mêmes. Ils avaient prévu un collège de douze professeurs, chacun dans l’une des disciplines de sciences de la nature. Ils étaient égaux en droits en en appointement. Toutefois afin de conserver le salaire élevé de Daubenton, il fut nommé directeur à vie et considéré comme fondateur du Museum au même titre que Buffon. Daubenton vit à peine le siècle nouveau puisqu’il mourut le 1er janvier 1800 et fut enterré au milieu des bosquets du labyrinthe.

Une bibliothèque fut ouverte au public, destinée à rassembler toutes les collections d’histoire naturelle. Elle fit l’admiration des savants étrangers, par la qualité et la quantité des ouvrages proposés et par l’ouverture gratuite à tous. Des peintures sur velin exécutés par les élèves du Muséum tapissaient les murs. Kotzebue nous a laisser une belle description : « On trouve dans la belle bibliothèque, ornée de la statue de Buffon, tous les ouvrages qui concernent l’histoire naturelle ; on peut s’asseoir commodément, feuilleter et extraire à son aise. Cette institution est unique, elle ravit, elle entraîne l’étranger à la reconnaissance la plus vive envers  un gouvernement qui, avec des intentions aussi libérales, communique, donne, ouvre, tout ce qui peut encourager les étrangers, comme les naturels du pays, à la perfection des sciences. » [6]

C’est également la Révolution qui créa la Ménagerie des bêtes sauvages. Initiée en 1793  par les savants du Muséum, en particulier Bernardin de Saint-Pierre, la loi du 11 décembre 1794 lui donna une existence officielle. Ce qui en fait le plus vieux zoo ouvert au public encore existant au monde. La Ménagerie du Muséum fut en quelque sorte la suite républicaine de la Ménagerie royale de Versailles. Les débuts furent difficiles car les problèmes financiers et alimentaires été nombreux. Au début cette ménagerie se composait des animaux de foire exhibés sur la voirie qui devaient être, sur ordre de la police de Paris en novembre 1793, amenés au Jardin des plantes, contre dédommagements. Les animaux affluèrent et furent parqués dans des remises car rien n’était prévu pour eux. Faute de personnel adéquat, les forains furent recrutés comme gardiens. Le Comité de Salut public décida alors d’allouer des crédits et de transférer les animaux des Ménageries royales de Versailles et du Raincy (appartenant au Duc d’Orléans) respectivement le 26 avril 1794 et le 27 mai 1794. La ménagerie de Louis XVI se composait seulement de cinq bêtes : un zèbre à moitié rayée de l’espèce Couagga (espèce aujourd’hui disparue), une petit bœuf appelé bubal, un pigeon auréolé d’une magnifique aigrette bleu originaire de l’archipel de Mayotte, un rhinocéros et un lion du Sénégal qui s’était pris d’affection pour un chien braque qui lui tenait compagnie (lorsque le braque mourut, le lion se laissa dépérir de chagrin). [7]

Il fallut donc trouver d’autres pensionnaires. Les cadeaux des Bey de Tunis et de Constantine, des envois d’explorateurs à Cayenne, aux Antilles, au Bengale, les envois du navigateur Baudin, des achats et les « conquêtes » prises lors des campagnes militaires permirent d’accroître le nombre d’animaux.

C’est ainsi que les fameux ours de Berne, emblèmes vivants de la cité suisse, défilèrent lors d’une des fêtes publiques qui marquaient l’entrée solennelle des « objets conquis », parmi les œuvres d’art ou de la nature. Mais leur nouveau séjour dans des cages ne semble pas leur avoir été profitable, puisqu’ils s’éteignirent entre 1800 et 1803. En 1805 une fosse à ours, comprenant trois espaces, fut construite et put ainsi accueillir « l’ours blanc de mer », à ne pas confondre avec « l’ours blanc des terres de Russie », plus un ours brun de Pologne et un autre d’Amérique. Cet aménagement ravit les visiteurs qui surplombaient en toute sécurité les féroces quadrupèdes. Charles de Clary-et-Aldringen, visiteur allemand (une nation décidemment très attirée par le Jardin des Plantes) rapporta cette anecdote en 1810 : « La fosse est toujours très entourée :  » Beaucoup de gens du peuple regardaient les ours dans leur fosse. L’un d’eux était du plus beau noir. Un homme disputait et prétendait que ce n’était pas là un ours :

-Je sais bien peut-être, disait-il, la couleur qu’a un ours.

-Ah pardi oui, cria un autre du bord opposé de la fosse, tu as bien raison toi : c’est un merle! »

Et deux cents personnes partent d’un grand éclat de rire. Cette excellente bêtise a fait mon bonheur, je crois que je ne verrai plus jamais un ours sans penser au merle du jardin des Plantes ».[8]

Quelques années après, à la Restauration, on raconte qu’un vétéran ayant aperçu un reflet doré dans le fossé cru qu’il s’agissait d’une pièce de cinq francs. Il y descendit nuitamment et mourut étouffé (ou déchiqueté ?) par les hôtes pour un bouton de métal. [9]

Les autres « conquêtes » fameuses étaient les deux éléphants d’Asie, originaires de Ceylan, qui firent le voyage en l’an VI (1798) de la ménagerie hollandaise du château royal de Loo jusqu’à Paris. Le voyage par mer, fut mouvementé car la tempête se leva. Lorsque les deux éléphants, séparés sur le bateau, se retrouvèrent sur la terre ferme, ils s’élancèrent l’un vers l’autre et se donnèrent des coups tendres de trompe, devant des témoins surpris et attendris. Il ne fallut pas moins de cent chevaux pour tirer les cages jusqu’à Paris. La femelle fut appelée Marguerite et le mâle Hanz ou Hans. Leur cornac anglais les accompagna et continua à les soigner. Les éléphants devinrent très vite une attraction. Wilhem von Humboldt, frère du célèbre naturaliste, se rendit en famille devant l’enclos, un beau dimanche de 1798 et voici qu’il rencontra une autre famille venue elle aussi admirer les pachydermes :

« Nous trouvâmes, devant les éléphants, Bonaparte, sa femme et son fils. Avec elle, nous nous entretînmes beaucoup, elle est fort polie. Elle est polie et d’une jolie stature délicate, son visage a dû être plaisant et révèle de l’entendement ainsi que de la finesse. Cependant, c’est un de ces visages de femmes du grand monde, assez usé. Le teint est jaune. Elle doit avoir plus de quarante ans. Elle eut plaisir à voir les enfants et crut, lorsque mon fils parla allemand, qu’il était anglais. Lui admira la blondeur de Li [la fille d’Humboldt], la caressa et, la main sur la hanche, la laissa passer sa tête sous son bras. (…) David conduisait les Bonaparte ».[10]

Mais la vue des éléphants dégoutait certains visiteurs. Ainsi ce jeune homme parisien, un rien snob, qui s’exclama : « Peut-on m’amener de la Chaussée d’Antin, pour me faire admirer cette grosse masse de chair ? Ils me font peur. Ici dépouillés de tous ornements, couverts de poussière et d’ordure, ils me font reculer de cent pas…. Des grandes oreilles et des petits yeux ». [11]

Mais Hans mourut le 7 nivôse an X (28 décembre 1801). On pensa « marier » une seconde fois l’éléphante avec le seul éléphant mâle vivant à Paris et qui se nommait Baba. Il faisait la joie des spectateurs du cirque Franconi et des badauds du jardin de Tivoli en débouchant avec adresse des bouteilles avec sa trompe. Mais les bans ne furent jamais publiés et Marguerite resta seule dans son enclos. En hiver, un abri spécialement conçu pour les éléphants dans l’enceinte de la rotonde, devenue « la rotonde des animaux paisibles », la protégeait du froid. Elle y restait en compagnie des grands herbivores qui y prenaient leurs quartiers d’hiver.

Les animaux disposaient d’un espace relativement vaste réservé à chaque espèce, en plein air et disposant de verdure ce qui était novateur. Les herbivores, races paisibles, étaient regroupés essentiellement dans la Vallée suisse, un terrain inégal, sillonné de sentiers au détour des quels le visiteur observait de typiques cabanes agrémentées de torchis ou de troncs d’arbres entrelacés. Ces « fabriques » s’inscrivaient dans la tradition des parcs d’agrément du XVIIIe siècle et concouraient à donner une vision naturaliste et romantique. Les enclos étaient tenus propres et étaient entourés de treillages de châtaignier mêlés aux plantations.

La rotonde, dont le plan est celui de la médaille de la Légion d’honneur, fut construite de 1804 à 1812. Initialement et pour quelques années seulement, elle accueillit les fauves, la « rotonde des animaux féroces ». Un couple de tigre, une panthère, un léopard et une hyène voisinaient avec plusieurs lionnes et deux lions. Selon un guide publié en 1803 par Jean-Baptiste Pujoulx (1762-1821), auteur prolifique de pièces de théâtres et d’ouvrage sur Paris, un des couples fut donné par le Bey de Constantine. C’est pourquoi la lionne s’appela « Constantine »[12]. Trois lionceaux mâles naquirent en novembre 1800, événement rare, ce qui leur valut les honneurs de la presse, puis le Moniteur universel daté du 24 brumaire an IX, publia le faire-part de naissance. Ils reçurent des noms martiaux et de circonstance : Fleurus, Jemmapes et Marengo. Mais hélas ils ne vécurent pas au-delà de « l’époque où leurs dents ont commencé à pousser », c’est-à-dire pas plus d’une année. [13]

Le Bey de Tunis avait envoyé un couple d’autruche, mais le mâle mourut rapidement. Les soins vétérinaires aux animaux sauvages ou exotiques étaient balbutiants. La femelle resta seule et ne pondit plus aucuns œufs, au grand dam des gastronomes curieux qui en avaient goûtés et qui avaient jugé « leur goût préférable à ceux des poules ». [14] Les plumes de cette pauvre autruche étaient « fort râpées« , parait-il à cause de l’humidité du sol et de l’atmosphère.

Les moutons de Barbarie, les chèvres angoras, les trois bouquetins (amenés du Mont Saint-Bernard par des paysans alpins de leur propre mouvement en 1803 [15]et disposant d’une chaumière de style russe et de rochers pour grimper) et un zébu complétaient la collection d’animaux vivants. Dans leurs petites loges, une civette et une genette, sa cousine, étaient bien inoffensives, loin de leur férocité naturelle.

L’ichneumon mâle (autrement dit une mangouste d’Égypte), rapporté de ce pays par Geoffroy Saint-Hilaire, trouva une compagne grâce à Joseph Bonaparte qui fit don au Muséum d’un ichneumon femelle en 1803. Le rapport annuel du Muséum décrit un ménage difficile, où la femelle eut tôt fait de faire reculer le mâle dans un coin de la loge à coups de dents. Celui-ci prit une revanche sanglante lors de l’accouplement.

En 1803 et 1804, les envois des expéditions du capitaine Nicolas Baudin, partit en exploration dans les mers du Sud, de l’Australie à la Nouvelle-Zélande, apportèrent en France de nombreux animaux, dont une partie étaient destinés à la ménagerie personnelle de l’impératrice Joséphine à Malmaison : une hyène, un zèbre, des panthères, des mangoustes, un porc-épic, des casoars, une autruche, des poules sultanes, des perroquets, des tortues d’eau douce et de terre, et un kangourou géant qui rejoignit deux « kangurros » troqués en Angleterre en 1802 contre une lionne [16].

Des animaux jusque là inconnus faisaient parties de ces envois, comme ces trois drôles de marsupiaux, qui tenaient à la fois de la grosse marmotte et du kangourou nain. L’espèce fut baptisée « phascolome », c’est-à-dire rat à poche en grec ancien. On le connaît plutôt de nos jours sous son nom anglais de wombat. Les phascolomes vécurent peu de temps, l’un mourut le jour même de son arrivée à la Ménagerie car « il avait beaucoup souffert pendant la route »[17]. Ils étaient infectés « de gale et de petites mites » [18]

Dans un grand enclos paradait un groupe de pintades d’Afrique ou de « peintades » car leur nom viendrait de la régularité avec laquelle leur plumage est peint. Si cette volaille était connue dans les basses-cours des départements méridionaux français et appréciée pour sa chair, elle était encore une attraction pour le nord du pays.

Les singes n’étaient dans les premières années du XIXe siècle qu’au nombre de deux. Pourvus d’une longue queue, l’un était désigné comme de l’espèce « papion »(de la famille des babouins), l’autre de l’espèce du « bonnet chinois » (de la famille des macaques, un nom donné par Buffon parce qu’il portait sur la tête de longs poils qui ressemblaient au bonnet en usage en Chine). Ils étaient placés dans l’ombre, et  notre guide, J.B. Pujoulx nous explique pourquoi : « Je préviens donc que l’on doit éviter de les montrer de près aux dames et aux enfants, surtout dans certaines saisons, car alors le papion semble se faire une jeu d’étaler sa lubricité, d’autant plus dégoûtante qu’il joint aux sales expressions d’une passion désordonnée des grincements de dents que l’on prendrait plutôt pour des signes de rage que pour des marques d’amour ». [19]

Des bêtes moins exotiques étaient exposées, comme un couple de loup, jugé par Pujoulx comme des « animaux bien connus et trop communs dans certaines régions de France », ou comme des marmottes, des daims, des cerfs.

Le bassin central accueillait des cygnes et des canards. De somptueux paons se promenaient autour de l’eau, un animal devenu rare en France car ils causaient trop de dégâts aux toits sur lesquels ils aimaient se percher, et son chant triste et lugubre avait la réputation de prédire la mort d’un voisin, ce qui n’améliorait pas forcément les relations de voisinage.

La vie dans les volières (l’actuelle volière fut construite en 1888) où vautours, corbeaux, aigles et chouettes étaient enfermés, alimentaient les journaux. Ainsi le Journal de l’Empire publia le 1er juin 1807 ces deux nouvelles sur la tendresse et la férocité animales, et en filigrane l’atroce solitude de ces animaux qui se mourraient d’ennui. L’aigle solitaire avait perdu l’appétit et s’ennuyait : « On imagina de lui livrer un jeune et tendre volatile qui, en lui offrant un simulacre de chasse, lui procurât un moment de plaisir, et surtout un repas agréable. Un joli petit coq anglais fut la victime dévouée à son appétit de glouton ; il lui fut livré. On s’attendait à voir l’aigle fondre sur cette faible proie et la dévorer, mais, au grand étonnement de tout le monde, le roi des oiseaux s’approcha du petit coq, le regarda attentivement, entrouvrit son aile comme pour le caresser, se promena avec lui dans sa cage spacieuse, et parut le conserver pour en faire sa compagnie. Depuis ce temps, l’aigle recouvra l’appétit. »

Une émouvante historiette qui ne se répéta pas avec le hibou grand-duc : « Il y a quelques mois qu’une des femelles du grand-duc ayant pondu deux œufs non fécondés, on imagina de leur substituer deux œufs de poule. La femelle du grand-duc les a couvés avec beaucoup d’assiduité, et l’un des œufs ayant produit un poulet, elle lui a prodigué tous les soins maternels. Pendant six semaines, le petit poulet n’a pas eu de protectrice plus empressée. Elle le défendait avec ardeur contre tous ceux qui tentaient de s’en approcher. Enfin, il y a quelques jours que la tendresse maternelle a cédé à la force du naturel. Dans un moment d’appétit, l’oiseau de proie a saisi son élève, l’a tué et dévoré. »

Tout au long du XIXe siècle la Ménagerie s’enrichit d’autres espèces animales : hippopotames, girafes, phoques, bisons d’Amérique et beaucoup de singes. L’évolution de mentalités et des normes internationales des zoo relatives au confort des bêtes ayant évolué, les grands animaux ne sont plus hébergés au Jardin des Plantes, mais le plaisir de la découverte et de la promenade sont restés toujours aussi vifs chez les Parisiens et les « étrangers ».

Chantal Prévot, responsable des bibliothèques de la Fondation Napoléon
Février 2009

Notes

[1] Kotzebue, Auguste von, Souvenirs de Paris en 1804 trad. de l’allemand sur la deuxième éd., avec des notes [par Guilbert de Pixérécourt]. Paris Barba, 1805, Tome 2, p. 146-157
[2] Journal de Mme Moitte, femme de Jean-Guillaume Moitte : statuaire, membre de l’Académie des beaux-arts, 1805-1807, publié par Paul Cottin. Paris, Plon, 1932
[3] Kotzebue, idem, (p. 156)
[4] Projet de règlements pour le jardin des plantes et le cabinet d’histoire naturelle. [Paris] : impr. de la veuve d’Oury, 1790, p. 80
[5] Heinzmann, Voyage d’un Allemand à Paris, et retour par la Suisse. Lausanne : Hignou, Paris : Marchand de novueautés, 1800, p. 156
[6] Kotzebue, idem, p. 152-153
[7] Boitard, Pierre, Janin, Jules, Le Jardin des plantes: description et mœurs des mammifères de la Ménagerie et du Muséum d’Histoire Naturelle, Paris, J.J. Dubochet, 1842, p. XII
[8] Clary-et-Aldringen, Charles de, Trois mois à Paris lors du mariage de l’Empereur Napoléon Ier et de l’archiduchesse Marie-Louise. Paris : Plon, 1914, p. 120-121
[9] Boitard, Pierre, Janin, Jules, Le Jardin des plantes: description et mœurs des mammifères de la Ménagerie et du Muséum d’Histoire Naturelle, Paris, J.J. Dubochet, 1842, p. LII
[10] Humbold, Wilhem von, Journal parisien (1797-1799). Paris : Solin / Actes Sud, 2001, p. 83
[11] Egron, Adrien-César, Voyage aux faubourgs S. Marcel et S. Jacques par deux habitants de la Chaussée d’Antin (les longs voyages me font peur), A Paris : chez Capelle et Renand, libraires, rue J.-J. Rousseau, 1806, p. 114
[12] Raynal-Roques, Aline, Jolinon, Jean-Claude, Les peintres de fleurs, les vélins du Muséum, Paris, Muséum national d’histoire naturelle, 1998, p. 13
[13] Pujoulx, J.B., Promenades au Jardin des Plantes, à la Ménagerie et dans les galeries du Muséum d’histoire naturelle. Paris : Librairie économique, 1803, p. 90
[14] Pujoulx, J.B., idem, p. 140
[15] Annales du Muséum d’histoire naturelle, 1803, p. 244-246
[16] Annales du Muséum d’histoire naturelle, 1802, p. 179
[17] Annales du Muséum d’Histoire naturelle, 1803, p. 364
[18] Nouveau dictionnaire d’histoire naturelle appliquée aux arts. Tome XXV, Paris, Déterville, 1817, p. 501
[19] Pujoulx, J.B., idem, p. 140

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