Le Premier Consul, fondateur du notariat moderne

Auteur(s) : MOREAU Alain
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Introduction

Le notariat, non seulement français, mais international, commémore la date du 25 ventôse an XI (16 mars 1803), bicentenaire de la loi organique par laquelle était modernisé le notariat français. Texte important, s'il en est, et ce au plan mondial, il est dû à la volonté du Premier consul et de son entourage. Encore faut-il se remémorer les circonstances qui ont présidé à sa genèse comme à sa promulgation.

De 1789 au Consulat

Lorsque survint l'an 1789, le royaume de France, comme le notariat français, se trouvait dans un état de précarité et d'affaiblissement structurel et conjoncturel capital. Au-delà des événements politiques et militaires, la période allant de 1789 à 1814 allait voir, à travers, surtout en son début, difficultés, tâtonnements et erreurs, s'accomplir un ensemble de réformes et d'innovations touchant au premier lieu la France, puis, soit par la fortune des armes, soit, avant toutes autres données, par leurs qualités intrinsèques, ces mêmes innovations ou améliorations s'imposer tant dans l'Hexagone lui-même que, bien au-delà, sur l'ensemble du globe.

Ce n'est pas que l'ancienne monarchie ait omis de songer à remédier aux obstacles qui s'opposaient au progrès, y compris dans le domaine du Droit. Partielles et imparfaites, ces tentatives s'étaient parfois heurtées à des inerties diverses, de sorte que Voltaire, effaré par la coexistence conflictuelle de quelque soixante coutumes principales et trois cents coutumes secondaires, pouvait écrire : « En France, on change de lois en voyageant, aussi souvent que de chevaux ».

Quoi qu'il en soit, le notariat abordait l'an 1789 dans une situation de disparité touchant tant à l'institution qu'aux actes authentiques par elle générés. En effet, les notaires eux-mêmes étaient schématiquement divisés en deux catégories : ceux, royaux, créés par le Roi, dans les justices royales, surtout en milieu urbain, bien que la situation soit nuancée ; et ceux, seigneuriaux, souvent alors dénommés « tabellions » créés par ceux des seigneurs ayant droit de justice leur permettant de telles nominations. Le cas des notaires apostoliques avait été réglé par Louis XIV en 1691 et 1693.

La situation des actes authentiques notariés résultait de cet état. Si tous faisaient foi en justice jusqu'à inscription en faux et avaient date certaine (donc la force probante), la force exécutoire des actes authentifiés par les notaires royaux s'étendait à tout le royaume, mais non celle des contrats établis par les tabellions seigneuriaux (1).

Les cahiers de doléances, dont les notaires figurent parmi les principaux rédacteurs, ne s'étaient pas trompés quant à cette dissemblance. Aucun ne demandait la suppression de la fonction en soi. Si étaient reconnues sa nécessité et son importance, il était souhaité une réduction du nombre de notaires et une amélioration du niveau intellectuel de certains tabellions ruraux (2).

Survinrent les États généraux. Les notaires y étaient en trop petit nombre pour y constituer un groupe de pression (3). Certains d'entre eux y furent cependant très actifs, ainsi que dans les assemblées subséquentes, ne serait-ce que lors de l'élaboration de la Déclaration des droits de l'homme (4).

Quoi qu'il en soit, les législateurs se préoccupaient de manière continue mais sporadique, d'une réforme de la profession. Il est vrai que ce souci s'ajoutait à bien d'autres, soit structurels – rédaction de nouvelles constitutions et projets de Code civil – soit conjoncturelles, telle la situation de belligérance quasi permanente. Le premier résultat de ces réflexions fut un texte dont les imperfections ont souvent été, à juste raison, soulignées, mais dont il faut cependant indiquer qu'il n'était pas entièrement dénué de qualités : la loi des 1er, 20, 29 septembre et 6 octobre 1791.

L'évolution politique, la terreur, la désorganisation des structures étatiques et sociales, la mort des communautés de notaires royaux, allaient contribuer, conjugués à ses défauts intrinsèques, à faire échouer son application. C'est pourquoi la question de la réforme du statut du notariat hantera en permanence, fût-ce de manière diffuse et sporadique, les débats des diverses assemblées et structures exécutives qui gouverneront la France jusqu'au Consulat. Plusieurs parlementaires, au premier rang desquels Favard (de Langlade) en feront l'une des sources essentielles de leurs méditations.

La loi de ventôse an XI

Le 19 brumaire, réunis à grand peine, une partie des parlementaires éliront trois consuls « provisoires ». Puis sera élaborée la constitution de l'an VIII, créant un Conseil d'État, le Tribunat, le Corps législatif et le Sénat, dont les démarches conjuguées conduisent à la création de la loi. Dès que commencent à fonctionner ces institutions, nouvelles ou recréées, elles se penchent sur le sort du notariat, de manière ininterrompue jusqu'à ventôse an XI. Cambacérès, soucieux de la réorganisation des institutions comme de la promulgation d'un Code civil dont il aura été l'un des champions, en fera le sujet d'un « Rapport aux Consuls de la République ».

Le résultat de ces cogitations sera le vote du 25, après que, les semaines précédentes, la teneur du projet ait été présentée par Jaubert et Réal, conjointement avec Favard, aux corps constitués (Conseil d'État, Tribunat et Corps législatif). Il n'est pas inutile de souligner que ces  personnages faisaient tous partie, peu ou prou et à des degrés divers, du cercle des familiers de Cambacérès, et que le Premier consul avait sans doute du notariat une vision positive, via ses relations avec Raguideau, son notaire.

Véritable « Code du notariat » la loi du 25 ventôse an XI (16 mars 1803), adoptée à la quasi-unanimité des suffragants, constitue tout d'abord le rappel que le notaire exerce, qu'on le veuille ou non, une véritable « magistrature de prévention » (pour reprendre la définition figurant dans la réglementation du notariat allemand). Les présentateurs reprendront à cet égard dans leurs discours des notions d'ailleurs déjà en vigueur, fût-ce de manière confuse, avant 1789 (5). Le prouvent les expressions constamment employées par eux : « juge volontaire », « juridiction volontaire », « magistrature populaire », etc. Le texte lui-même est divisé en trois titres :
– le premier traitant de l'exercice de la fonction et de la rédaction des actes ;
– le second du régime disciplinaire du notariat : nombre de notaires, conditions de nomination, chambres de discipline, garde des minutes ;
– le troisième, enfin, contient des dispositions qu'on appellerait actuellement « transitoires », puisqu'il traite du maintien des notaires en activité au moment de la promulgation de la loi et des formalités à remplir par eux.

L'article premier, dont le libellé aura été source de réflexions jusque dans les semaines précédant la présentation du texte, contient une définition de la fonction d'une qualité telle qu'à deux mots près, dont le changement est le résultat de l'évolution sémantique, il a perduré, intact, jusqu'à nous.

Sans procéder à une analyse plus exhaustive, il doit être rappelé que figurent expressément dans le texte les trois notions essentielles de l'authenticité notariale : force probante et force exécutoire de l'acte et conservation de la minute, ainsi que d'autres données indispensables à l'exercice de la fonction, telle la nomination à vie, inamovibilité garante de l'indépendance de l'exercice de la fonction comme elle l'est pour les magistrats du siège (6).

Une qualité et une pérennité jamais démenties

La loi, dans son ensemble, a été une source d'inspiration de la réglementation de nombreux notariats étrangers – on les compte par dizaines – tant en Europe que bien au-delà, en des contrées où on ne peut invoquer comme cause de son succès une présence ou une influence française (7).

À l'instar du Code civil et non sans logique, puisqu'elle réglementait le destin de son premier agent d'application contractuelle qu'est le notariat, elle a fait le tour du monde.

Il y a là pour les notaires français motif de fierté, d'autant que les adaptations nécessaires ont été effectuées tout au long des XIXe et XXe siècles sans heurts, bien que, parfois, avec quelque retard par rapport aux besoins.

L'esprit de la loi, l'éthique que révèle son analyse, n'en ont pas été altérés, au contraire. On peut même se demander si, paradoxalement, les modalités d'application qui s'y réfèrent n'en ont pas été confortées.

Il n'y a là, au vrai, rien que de très normal, si l'on se remémore que, justice d'amont appliquant dans le domaine contractuel les dispositions de l'article 10 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, dont elle est en ce domaine le meilleur vecteur, la fonction notariale constitue la réponse la plus appropriée, selon l'expression de Jaubert, aux besoins des citoyens pour lesquels elle a été créée.
Cette pérennité de la loi de ventôse, texte majeur, conduit à souligner plus encore la qualité de ceux qui l'ont conçue et l'acuité de l'intelligence de leur inspirateur.

Notes

Notes:
(1) Cf. Alain Moreau, « La fonction notariale », n° 764, Socapress, 1991.
(2) Cf. Alain Moreau, Le Notaire dans la société française d'hier à demain, Economica, 1999, p. 58.
(3) Ibid.
(4) Cf. Alain Moreau, Les métamorphoses du scribe, histoire du notariat français, Socapress, 1989, chapitre 3.
(5) Cf. Alain Moreau, Le Notaire dans la société française d'hier à demain, op. cit., pp. 54 et suivantes.
(6) Cf. Alain Moreau, ouvrages cités.
(7) Cf. Ouvrage collectif, Destin d'une loi.
Titre de revue :
Revue du Souvenir Napoléonien
Numéro de la revue :
449
Numéro de page :
3-5m
Mois de publication :
novembre
Année de publication :
2003
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