Le Second Empire et la guerre de Sécession : quelques jalons

Auteur(s) : WHITLUM-COOPER Francesca
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La guerre de Sécession, qui fit rage du 12 avril 1861 au 9 mai 1865 au prix de quelques 620 000 de morts, fut le conflit le plus sanglant de l'histoire américaine. Ce conflit opposa l'Union, dans le Nord, et la Confédération, formée de sept puis onze états séparatistes et opposés à l'abolition de l'esclavage, dans le Sud. Bien que le conflit se limitât au territoire américain, ses effets eurent d'une grande portée, et ont posé des problèmes majeurs pour le Second Empire en France.
 
Un des résultats les plus immédiats en Europe de cette guerre civile fut la « faim de coton » (1) : le blocus de l'Union sur les ports du Sud signifiait en effet l'explosion du prix du coton brut. Le nord de la France, l'Alsace et la Normandie en particulier, souffrit  le plus de cette pénurie, qui menaçait de décimer l'industrie textile française. Rien qu'en 1862, le prix du coton doubla en France. L'industrie britannique fut  également affecté par cette disette, mais la Grande-Bretagne s'était officiellement et fortement opposée à l'esclavage : ses intérêts économiques ne pouvaient prendre le pas sur cette position. Ne pouvant décemment pas négocier en faveur de la réouverture du commerce avec le Sud, le royaume britannique avait plaidé plutôt à plusieurs reprises en faveur une entente sur un armistice entre les deux parties belligérantes.
 
Publiquement, France maintint une stricte neutralité vis-à-vis du conflit américain mais, dans les coulisses, Napoléon III devait pondérer la possible reconnaissance officielle des états confédérés du Sud comme nation distincte. Le 16 juillet 1862 à Vichy, il rencontra John Slidell, un Confédéré envoyé en Europe pour parvenir à cette légitimation  diplomatique du Sud, à la demande de plusieurs ministres du gouvernement britannique (2). Beaucoup de membres du gouvernement de Lord Palmerston estimaient en effet que la reconnaissance du Sud était le seul moyen de mettre fin à la guerre et que l'approbation de la France, avec quelques victoires-clés du Sud, ouvrirait la voie vers la paix. Napoléon III, à son tour, sembla abonder dans ce sens lors de son entretien avec Slidell, mais conclut qu'il agirait seulement avec la coopération britannique. L'Empereur rencontra Slidell une deuxième fois le 28 octobre 1862 mais souffla le chaud et le froid cette fois-là. Au final, ni lui ni les Britanniques n'apportèrent leur soutien public à l'indépendance du Sud. Alors que Slidell avait fait valoir que le soutien français renforcerait la cause du Sud, Napoléon et ses ministres avaient rétorqué qu'une telle action pourrait également provoquer le Nord, et que celui-ci serait en position d'attaquer aussi bien le Sud que ceux qu'il prendrait pour ses nouveaux ennemis internationaux.
 
Le 15 novembre 1862, une proposition de Napoléon III fut publiée officiellement : l'Empereur suggérait dans cette lettre que la France, la Grande-Bretagne et la Russie se constituent médiateurs communs dans le conflit américain. L'Empereur justifiait par trois raisons une telle offre : la souffrance du peuple américain, l'impact économique néfaste de la guerre en Europe (notamment à cause de la crise du coton) et l'impossibilité apparente des deux côtés à parvenir à une solution rapidement et de façon indépendante. Sa proposition fut rejetée : si la guerre civile faisait rage en Amérique du Nord, les propres troupes de Napoléon III étaient engagées sur le sol mexicain. Son intérêt manifeste dans l'expansion impériale en Amérique centrale fut l'une des principales raisons pour laquelle le Nord rejeta cette médiation. Cette campagne mexicaine était perçue par beaucoup d'Américains comme une manoeuvre pour mettre la main sur les terres riches en coton dans le golfe du Mexique. La guerre devait se poursuivre pendant encore deux ans et demi.
 
Si les opinions personnelles de Napoléon III semblent avoir oscillé durant la guerre de Sécession, son gouvernement – en particulier ses ministres des Affaires étrangères Édouard Thouvenel (en fonction de 1860 à 1862) et Édouard Drouyn de Lhuys (en fonction de 1862 à 1870) –  maintinrent fermement le cap d'une politique de neutralité. Finalement, la politique du Second Empire vis-à-vis de la guerre civile américaine et de la question de l'indépendance du sud des États-Unis fut avant tout dictée par l'économie et desseins impériaux, contrairement à celle de la Grande-Bretagne qui vit sa position morale sur la question de l'esclavage en ressortir amoindrie.

 
Traduction : M. de Bruchard, octobre 2014

Courte bibliographie :
 
– Pierre Milza, Napoléon III, Paris, Perrin, 2004

– Stève Sainlaude, Le gouvernement impérial et la guerre de sécession (1861–1865): L'action diplomatique, Paris, L'Harmattan, 2011

– George M. Blackburn, French newspaper opinion on the American Civil War, Westport, Conn., 1997
 
– Lynn Marshall Case, French opinion on the United States and Mexico, 1860-1867; extracts from the reports of the procureurs généraux, Hamden, Conn., 1969
 
– Thomas Schoonover, “Mexican Cotton and the American Civil War”, The Americas, Vol. 30, No. 4, Apr., 1974, pp. 429-447
 
The Anglo-French Treaty of Commerce of 1860 and the Progress of the Industrial Revolution in France, 1931, par A.-L. Dunham, Revu par E. Coornaert

 

Notes

(1) Pierre Milza, Napoléon III (Paris: Perrin, 2004), p. 532.
(2) Pour en savoir plus : Stève Sainlaude, Le gouvernement impérial et la guerre de sécession (1861–1865): L'action diplomatique (Paris: L'Harmattan, 2011), pp. 94–101.
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