Le socialisme de Napoléon III

Auteur(s) : SPILLMANN Georges
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Il n'est pas d'homme qui ait été plus calomnié, vilipendé, honni, voire ridiculisé, que Napoléon III, dernier souverain de France. Et pourtant, il fut – on commence à le comprendre aujourd'hui – un des très rares grands chefs d'Etat du siècle dernier et, sans doute possible, celui d'entre eux aux vues les plus lointaines, les plus pertinentes, les plus riches en possibilités multiples, si bien que, de nos jours, les passions s'apaisant, il fait désormais figure de précurseur.
Au fil des conférences de l'Académie du Second Empire se dégage ainsi, peu à peu, et dans tous les domaines, la vraie figure d'un homme qui ne méritait vraiment pas d'être cloué au pilori de l'Histoire sous l'épithète méprisante de Napoléon le Petit.
Mon propos est de vous révéler aujourd'hui un aspect peu connu de ce Souverain, son goût sincère du social, qui le place, une fois de plus, sous le projecteur de l'actualité. Ne croyez surtout pas qu'il ait été inspiré par un souci inavoué de démagogie afin de gagner la sympathie d'une classe ouvrière ou artisanale dont les conditions d'existence étaient alors des plus précaires, en France comme dans d'autres pays d'Europe en pleine mutation industrielle.

Ceci conduit à poser la question suivante : Comment Napoléon III est-il devenu socialiste avant la lettre, c'est-à-dire un homme traduisant sa sympathie réelle à l'égard des déshérités par des actes positifs, hardis, qui lui valurent bien des inimitiés profondes du côté des industriels, grands ou petits, comme de la bourgeoisie en général, qui avait gardé des terribles journées de juin 1848 la haine et la peur du peuple de Paris.
Il faut se reporter à la jeunesse de Napoléon III, à sa formation, à ses lectures, à son inlassable curiosité qui l'inclinaient à rechercher le contact avec les intellectuels préoccupés du social, enfin à son goût des voyages au cours desquels, tout en usant largement des distractions de son âge, il faisait des comparaisons et s'ouvrait par la réflexion à des vues nouvelles.
Sans idées préconçues, il était curieux de toutes les expériences, quitte à les passer ensuite au crible de la critique, car il n'avait pas l'esprit fumeux comme on le croit trop souvent. Comme son oncle, le grand Empereur, il restait un réaliste.

Après la deuxième abdication de Napoléon, la Reine Hortense, duchesse de Saint-Leu, épouse séparée de Louis Bonaparte, ex-Roi de Hollande, est contrainte à l'exil comme tous les membres de la famille impériale. Son mari lui a fait enlever la garde de son deuxième fils, Napoléon-Louis (le fils aîné, Napoléon-Charles, est mort en 1807). Elle n'a plus avec elle que son troisième et dernier enfant, Charles, Louis-Napoléon, né le 20 avril 1808 et futur Empereur Napoléon III.
Indésirable en Suisse, un moment fixée à Constance, la Reine Hortense obtient, en 1817, grâce à son frère, le Prince Eugène, époux de la fille du roi de Bavière, et devenu duc de Leuchtenberg, l'autorisation de résider à Augsbourg où elle achète l'hôtel de Waldeck, dit aussi Babenhausen, rue Sainte-Croix.
L'éducation de son fils fait l'objet de tous ses soins. Le premier précepteur de l'enfant, l'abbé Bertrand, qui reçut le dernier soupir de l'impératrice Joséphine à la Malmaison, est un homme bon, faible et léger. Sous sa trop douce férule, Louis-Napoléon risquait fort de devenir un aimable cancre. Hortense s'en rend vite compte et réagit avec sa vivacité coutumière. « Elle était », écrit Ferdinand Bac, « royaliste de naissance, bonapartiste par le mariage de sa mère avec le Titan corse, opinion – ou plutôt acceptation – imposée par une autorité sans exemple. Enfin, pour couronner cette gageure, et avec un père mort sur l'échafaud, Hortense était aussi républicaine. Et non seulement elle montrait cette préférence par des paroles, mais aussi par des actes ».
En 1820, alors que Louis-Napoléon a douze ans, elle choisit en effet pour lui un nouveau précepteur en la personne de Philippe Le Bas, fils du conventionnel régicide qui se fit sauter la cervelle, le 9 thermidor an II (27 juillet 1794), plutôt que de tomber vivant, comme ses amis Robespierre, Couthon et Saint-Just, aux mains des « réactionnaires » de Barras.
Philippe Le Bas, homme austère, consciencieux et fort instruit, constate très vite que son élève ne sait pas grand'chose. Il va dès lors s'attacher à éveiller sa curiosité, l'intéresser à ses études et lui inculquer une éducation « démocratique », ce qui ne choquait nullement la Reine. Elle devait en effet écrire dans ses Mémoires : « Le peuple qui donne a le droit d'ôter. Les Bourbons qui se croient propriétaires, peuvent prétendre réclamer la France comme un bien. Les Bonaparte doivent se rappeler que toute puissance leur vient de la volonté populaire ».
Le Bas ne veut pas que son élève, dont les progrès le satisfont, soit élevé en vase clos. Il obtient qu'il suive les cours du gymnase d'Augsbourg. Dans les derniers de sa classe au début, le jeune Prince se situe bientôt, l'esprit d'émulation aidant, à la fin de la première moitié, résultat très honorable pour un garçon dont l'Allemand n'est pas la langue maternelle.

En 1825, Hortense et son fils quittent Augsbourg pour le petit château d'Arenenberg, dans le canton de de Thurgovie, sur la rive suisse du lac de Constance, que la Reine a fait acheter et aménager.
En 1827, Le Bas prend congé de son élève, devenu latiniste et helléniste comme on l'était à l'époque. Il parle parfaitement Allemand et Suisse-Allemand, possède bien le Français mais le parle avec un léger accent alémanique, a de bonnes notions d'Italien acquises au cours de plusieurs séjours dans la péninsule auprès de son père, le Roi Louis, et de son frère aîné, Napoléon-Louis.
Il lit beaucoup, a du goût pour les sciences exactes, l'histoire, l'archéologie : il s'intéresse vivement aux questions économiques. Bref, il a une formation de base plus complète, plus ouverte sur le monde, que la plupart des princes et des futurs hommes d'Etat de sa génération. En tout cas, il n'existe guère de lacunes sérieuses dans ses connaissances.
Il est inutile de revenir sur les premières manifestations politiques de Louis-Napoléon, à savoir sa participation, en 1831, à l'insurrection armée des Romagnes contre les Autrichiens, au cours de laquelle son frère aîné, Napoléon-Louis, meurt de maladie à Forli, le 17 mars, ou aux tentatives de Strasbourg (1836), de Boulogne (1840).
On a souvent tourné en dérision ces équipées romanesques dont les chances de réussite étaient nulles. C'est oublier qu'après la mort de son cousin germain, le Duc de Reichstadt, en 1832, il est désormais, à 25 ans. le Prétendant bonapartiste, ses oncles entendant vivre en petits bourgeois ou en paisibles hobereaux, tant leur paraît lourd à porter le nom de Bonaparte. Et lui. bien au contraire, tient à s'affirmer comme tel pour ne pas disparaître à jamais dans l'oubli. Le calcul s'avère juste.

Louis-Napoléon a peu de sympathie réelle pour la bourgeoisie dont les bataillons de Garde Nationale soutiennent fermement le régime de Louis-Philippe lors des fréquentes et sanglantes journées insurrectionnelles de Paris. Elles sont le fait du petit peuple parisien, de ses ouvriers, de ses artisans. Certes, leur sort est peu enviable. Mais ce sont des Français patriotes et le Prince n'oublie pas que, par deux fois, ils voulurent défendre Paris contre l'envahisseur étranger, avec lequel composaient trop de dignitaires de l'Empire et de bourgeois aisés, sans compter les aristocrates légitimistes.
Bref, il y a là pour Louis-Napoléon un problème social qu'il veut comprendre, approfondir. Aussi lit-il avec passion Saint-Simon, Proudhon, Fourier, le Père Enfantin, Victor Considérant, Jean-Baptiste Say, Louis Blanc, Blanqui, Caget et son Icarie, Pierre Leroux. Il est en relation avec Edgar Quinet, Michelet, Carnot, Georges Sand. Il apparaît si bien informé des théories de Saint-Simon que Louis Girard le surnommera plus tard le « César saint-simonien ». Ayant fait le tour des diverses doctrines socialistes, il s'en tient, en effet, à l'essentiel des théories de Saint-Simon qui le satisfont le mieux, parce que correspondant le plus à ses propres tendances, à sa sensibilité, à sa raison.
Saint-Simon entend, en effet, mettre fin à l'« exploitation de l'homme par l'homme », expression qu'il a le premier, employée. Comment ? En combattant le paupérisme par l'industrialisation qui implique libre-échange ainsi qu'équipement économique général. Toutefois, cette industrialisation ne saurait avoir pour seul but de créer des richesses nouvelles, d'accroître la prospérité nationale.
Il faut l'orienter en priorité « vers le grand but de l'amélioration la plus rapide possible du sort de la classe la plus pauvre », ce qui, note Pierre Ansart, a pour conséquence de « subordonner la création collective aux exigences du prolétariat ».
Dans son introduction à La Physiologie sociale de Saint-Simon, Georges Gurvitch souligne l'influence que celui-ci a fortement exercée sur Proudhon, et aussi sur Karl Marx, directement certes, mais encore, pour ce dernier. à travers Heinrich Heine, avec qui Marx devint intime lors d'un séjour qu'il fit à Paris. Il ne serait pas abusif d'ajouter à ces grands noms du socialisme celui de Louis-Napoléon, avec toutefois cette différence essentielle que le Prince croyait possible une association à tout le moins un entente – du capital et du prolétariat, thèse combattue avec acharnement par Karl Marx qui veut édifier un socialisme international et révolutionnaire, fondamentalement opposé au socialisme évolutif et national, parfois quelque peu anarchique, des premiers théoriciens français. Dès le début, Marx tient pour dangereuses et radicalement fausses les vues de Louis-Napoléon, qu'il qualifie d'enfantines, d'utopiques, de nuageuses. Ce Prince qui prétendait réconcilier les abeilles prolétariennes et les frelons capitalistes de la fameuse parabole saint-simonienne, ne lui disait rien qui vaille. De même, Louis-Napoléon n'éprouve aucune sympathie pour Marx. L'antisémitisme outrancier de ce juif converti, fils de rabbin, le choque profondément et il tient son pamphlet « Sur la Question Juive », écrit et publié à Paris en mars 1844, pour une mauvaise action. Bref, il y a entre les deux hommes antinomie complète. Marx reprochera par la suite à Napoléon III ses excellentes relations avec les grands capitalistes juifs, tels les Rothschild, les Pereire, les Fould.

On sait qu'après l'équipée de Boulogne, Louis-Napoléon fut détenu de 1840 à 1846 dans la rébarbative forteresse de Ham, d'où il s'évada en plein jour, avec une singulière hardiesse, pour gagner la Belgique, puis l'Angleterre où il fut fort bien accueilli et perfectionna sa connaissance déjà très bonne de la langue anglaise.
Que faire dans une prison, sinon lire ? Il lut donc énormément, si bien qu'il parla plaisamment par la suite de son fructueux séjour à l'Université de Ham. Là, tout en engrossant par deux fois la fille d'un geôlier il faut bien se distraire quand on a dans les veines le sang chaud des Bonaparte, des Beauharnais, des Tascher de la Pagerie -, il rédige de nombreux articles pour des journaux républicains, reçoit des visites, notamment celle de Louis Blanc, et met au point sa brochure sur L'Extinction du Paupérisme.
Dans cet ouvrage qui fit frémir d'espoir tous les républicains socialisants, il écrit :
« La classe ouvrière n'est rien, il faut la rendre propriétaire. Elle n'a de richesses que ses bras, il faut donner à ces bras un emploi utile pour tous. Elle est comme un peuple d'ilotes au milieu d'un peuple de sybarites. Il faut lui donner une place dans la société et attacher ses intérêts à ceux du sol. Enfin, elle est sans organisation et sans liens, sans droits et sans avenir : il faut lui donner des droits et un avenir, et la relever à ses propres yeux par l'association, l'éducation, la discipline », c'est-à-dire, mais le mot n'est pas prononcé, par le syndicalisme.
Il envisage en effet l'élection de prud'hommes, à raison d'un prud'homme par dix ouvriers, sans que le patron puisse se soustraire à cette obligation. Il affirme encore : « Aujourd'hui, le règne des castes est fini, on ne peut gouverner qu'avec les masses : il faut les organiser pour qu'elles puissent être dirigées et éclairées sur leurs propres intérêts ». Comme on comprend dès lors que Karl Marx ait tenu Louis-Napoléon pour un dangereux concurrent !
Louis-Napoléon échafaude dans sa prison bien d'autres projets visant au rajeunissement des modes de vie de la population, à la création d'une économie moderne, à un enrichissement général du Pays, profitant à toutes les classes sociales, car il ne sacrifie jamais l'homme à la réalisation de ses plans.

Ayant vécu hors de France, il voit sa Patrie avec les yeux de l'étranger et en discerne mieux les faiblesses ou les lacunes. Il constate avec tristesse que depuis 1815 la France n'est plus la Grande Nation, non du fait de Waterloo, mais bien parce que, profondément terrienne, elle est restée par trop agricole et protectionniste, alors que la Grande-Bretagne et les Allemagnes, riches en houille, s'industrialisaient rapidement. En conséquence, elle est descendue insensiblement en Europe au rang de nation de deuxième ordre. Cela, beaucoup de Français le sentent de façon confuse, en rendent responsable le gouvernement de Louis-Philippe, sans pour autant en comprendre les raisons.
Louis-Napoléon n'estime pas la partie perdue. Il faut de toute évidence, pense-t-il, doter la France d'une puissante industrie moderne bien outillée, développer le commerce, organiser le crédit, construire un vaste réseau de voies ferrées, de canaux, de bonnes routes, agrandir et équiper les ports, créer une bonne flotte marchande dotée de bateaux à vapeur, bref sortir le pays de la léthargie et de la délectation morose d'un grand passé glorieux.
Il veut enfin faire des villes françaises, trop souvent mal tracées, malsaines, sans eau potable, sans égouts (d'où de brusques et terribles réveils de choléra, de fièvre typhoïde), des cités salubres, largement aérées par de vastes avenues, de belles rues, et ainsi libérées des calamiteux embouteillages inextricables du passé. On y plantera de nombreux arbres, on les dotera de squares, de parcs urbains et suburbains où les poumons des citadins se gorgeront d'oxygène vivifiant. Il en découle une philosophie nouvelle de la vie urbaine. Dans une conférence récente, notre ami Jean Serruys a magistralement évoqué ici-même l'oeuvre de Napoléon III et du Baron Haussmann, à Paris. Maintes autres grandes villes bénéficièrent aussi de ce gigantesque effort.

Tout ceci nécessitait l'emploi d'une abondante main-d'oeuvre, l'outillage mécanique faisant alors défaut ou n'étant que très embryonnaire. D'où l'afflux prévisible d'une foule de ruraux vite dépaysés et désaxés. Il paraissait malsain, intolérable au Prince qu'ils fussent à jamais déracinés. Il veut en conséquence qu'ils ne restent pas coupés de leur milieu d'origine, qu'ils puissent même y revenir après un certain nombre d'années de travail urbain.
A cet effet, il propose « l'établissement (pour les ouvriers, les déracinés) de colonies dans les parties les plus incultes de la France au moyen de capitaux fournis par l'Etat ». Il évalue à plus du quart de l'étendue du domaine agricole de la France, soit à près de 9.190.000 hectares, la superficie des terres incultes, ou presque, appartenant à l'Etat, aux communes ou aux particuliers, qui pourraient être mises à la disposition des nouvelles colonies agricoles. De cette conception au Kholkoz soviétique ou au Kibboutz israélien, il n'y a évidemment que peu de différence. Pour réaliser ce programme, il faut non seulement des terres mais aussi de l'argent. Où le prendre ? « C'est, écrit-il, dans le budget qu'il faut trouver le premier point d'appui de tout système qui a pour but le soulagement de la classe ouvrière. Le chercher ailleurs est une chimère ». Pour améliorer la condition ouvrière, sont nécessaires en définitive : une loi d'abord : une première mise de fonds sur le budget ensuite ; une organisation enfin, toutes conceptions évidemment très « avancées » pour l'époque et qui ne pouvaient qu'effrayer le prudent bourgeois Louis-Philippard.

Mais, s'il veut favoriser l'essor industriel, embellir les villes, Louis-Napoléon n'en juge pas moins nécessaire d'améliorer l'agriculture, l'élevage, afin de limiter l'exode rural, de rendre la vie plus acceptable dans les campagnes, d'accroître les ressources des paysans, des éleveurs.
Il prévoit donc le développement des chemins vicinaux, le dessèchement des marais ou leur drainage, l'aménagement de sources et points d'eau, l'extension des concours agricoles et d'élevage, l'introduction de procédés culturaux nouveaux et de races animales bien adaptées au climat comme aux goûts des consommateurs, etc.
C'est un véritable plan d'aménagement du territoire, fort réaliste, que ce « rêveur » – nous préférons dire : ce « visionnaire », ce futurologue conçoit seul, sans bureau d'étude, dans son Université de Ham. Ce plan, il est bien décidé à le mettre en application le jour où – il en est certain – il arrivera au pouvoir.
Le séjour qu'il effectue en Angleterre, de 1846 à 1848, confirme Louis-Napoléon dans son opinion : il faut améliorer au plus vite la condition ouvrière. L'industrialisation rapide de ce pays s'effectue au détriment du prolétariat, astreint à dix et même douze heures de travail quotidien épuisant, sans repos, sans hygiène, sans garanties d'aucune sorte, et cela pour un salaire convenable certes, mais cependant nullement en rapport avec l'usure de l'homme. La situation des femmes, des enfants, est révoltante. De jeunes garçons sont véritablement aux travaux forcés, couchant dans la mine même et ne voyant le jour que rarement.
Devant l'indifférence du Gouvernement, du Parlement, du Patronat, les Trade-Unions ou syndicats, se créent, s'organisent, élèvent la voix, revendiquent, brandissent la menace de la grève. On s'achemine ainsi vers la lutte des classes, à la grande joie du prophète Karl Marx.
Il faut à tout prix éviter ce processus fatal en France, pense le Prince. Oui ! Mais comment ? Exilé, il n'a aucun parti derrière lui, aucune prise sur l'opinion publique.

La Révolution de 1848 lui donne l'occasion de rentrer enfin dans son pays. Elu simultanément député dans plusieurs départements, il est au cours de la même année porté à la Présidence de la République à une écrasante majorité (5.500.000 voix, soit 4.000.000 de plus que le général Cavaignac, candidat républicain).
Et néanmoins on continue à le discuter. La malveillance à son égard est presque générale dans les classes dirigeantes où il est de bon ton de le tenir pour nul ou ridicule. Tenace, obstiné, ayant comme l'Oncle, une foi absolue en son étoile, il poursuit obstinément, imperturbablement, sa marche au pouvoir absolu car il a confiance dans les masses populaires.
Jouant habilement des dissensions des républicains, des orléanistes, des légitimistes, il effectue, le 2 décembre 1851, un coup d'Etat qu'il fait approuver par un plébiscite, le 21 et le 22 décembre suivants (7.339.216 oui ontre 646.737 non), conformément à la tradition bonapartiste que lui inculqua si soigneusement sa mère bien-aimée, la Reine Hortense, dont la tête « frivole » contenait plus de sagesse et de bon sens que celle de bien des politiciens chevronnés. Puis un senatus-consulte du 7 novembre 1852 rétablit l'Empire et, le 2 décembre, Louis-Napoléon prend le titre d'Empereur des Français.
L'analyse des résultats du scrutin est intéressante. Elle montre que les ouvriers, dégoûtés pour un temps des républicains, ont dans l'ensemble voté pour lui, ainsi que les départements tenus pour les plus « rouges ».
Aussitôt Karl Marx, tenace dans sa haine, publie une série d'articles féroces qui seront réunis en brochure sous ce titre : Le XVIII Brumaire de Louis-Napoléon.

Indifférent aux critiques, passant outre aux résistances parfois vives, le nouvel Empereur appliquera les idées de sa jeunesse.
« Comme eux (les Saint-Simoniens), Napoléon III, écrit M. Adrien Dansette, croit que le progrès scientifique, le progrès industriel, le progrès social s'entraînent l'un l'autre. Comme eux, il croit qu'il faut organiser l'exploitation des richesses et faciliter leurs échanges pour améliorer la condition humaine. Comme eux, il croit que l'Etat doit donner l'impulsion à la production, mais laisser les produits circuler librement. Toute la politique industrielle et commerciale du Second Empire procède de ces idées ».
Fidèle à ses promesses de Prétendant, Napoléon III a fait beaucoup pour la classe ouvrière durant son règne. Sans énumérer dans le détail les diverses mesures qu'il imposa dans ce but, rappelons le repos hebdomadaire, des accords paritaires sur les rénumérations, la multiplication des caisses d'épargne, des caisses de retraite et surtout la loi du 25 mars 1864, reconnaissant pour la première fois en France le droit de grève aux ouvriers et aux employés.
En contre-partie, la violence constituant une atteinte à la liberté du travail, devient un délit justiciable des Tribunaux.
Des grèves et des affrontements sanglants entre les ouvriers et la troupe eurent lieu dans les dernières années de son règne, alors que sa santé déclinait. Il en fut affecté, mais n'en estima pas moins que ces incidents déplorables n'étaient pas de nature à le détourner de la voie de la conciliation, de la concertation. « Mes amis sont dans les ateliers », répétait-il volontiers. On connaît de lui cette boutade amusante : « Je suis socialiste, l'Impératrice est légitimiste, Morny est orléaniste, le Prince Napoléon est républicain… Il n'y a que Persigny qui soit bonapartiste et il est fou ».
Quoique l'opposition se fît de plus en plus violente, la popularité de l'Empereur n'en fut pas diminuée. On le vit bien lors du plébiscite du 8 mai 1870 qui approuva son projet d'Empire parlementaire par 7.358.000 oui contre 1.572.000 non, de quoi faire rêver les gouvernements d'aujourd'hui…
Il ne nous appartient pas de juger le règne de Napoléon III. Laissant ce soin à d'autres, nous nous contenterons, en guise de conclusion, de rappeler quelques opinions de poids.
D'abord, en ce qui concerne le coup d'Etat de 1851, celles :
De Taine : « L'Assemblée haïssait la République plus que lui (Bonaparte) et, si elle avait pu, elle aurait violé son serment pour mettre au trône Henri V, ou les Orléans… ».
D'André Maurois: « La 2e République fût morte de toute manière. Ce que le coup d'Etat avait probablement étouffé, c'était une monarchie renaissante… ».
Ensuite, sur l'Empereur en général D'Anatole France : « Il fut combattu et injurié par des gens qui voulaient prendre sa place et qui n'avaient pas comme lui, au fond de l'àme, l'amour du « peuple ».
De Pasteur : « Son règne restera un des plus glorieux de la France ».
D'Ernest Renan : « Il fera époque et devra servir, à bien des égards, de leçon aux politiciens de l'avenir ».




Titre de revue :
Revue du Souvenir Napoléonien
Numéro de la revue :
301
Numéro de page :
36-40
Mois de publication :
09
Année de publication :
1978
Année début :
1808
Année fin :
1873
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