Le temps des Étrennes sous le Premier Empire

Auteur(s) : PRÉVOT Chantal
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Les Noël d’alors restaient une célébration purement religieuse, marquée par la messe rituelle à minuit, suivie d’une collation. La mode parisienne avait désigné Saint-Roch comme paroisse où il était de bon de se faire voir cette nuit-là, l’église étant judicieusement placée au centre des rues du luxe et des plaisirs.

Les festivités prenaient leur revanche au Nouvel An, formant une suite de trois journées de grande sociabilité tout d’abord au sein des familles, comme dans le cercle plus élargi des amis et pour finir, auprès de ses connaissances et ses supérieurs. La parenthèse révolutionnaire, qui avait chamboulé le calendrier et transféré le début de l’année en septembre étant refermée, les rites traditionnels retrouvèrent tous leurs éclats à partir de 1806.

Le temps des Étrennes sous le Premier Empire
« Le Bon Genre : Réimpression du Recueil de 1827 comprenant les "Observations..."
et les 115 gravures : Observations sur les modes et les usages
de Paris pour servir d'explication aux 115 caricatures publiées sous le titre de bon genre,
depuis le commencement du dix-neuvième siècle » (Réimpression du Recueil de 1827) © Gallica/BnF

Avant tout, le 1er janvier avait un goût de sucre. Dès la veille, confiseurs, pâtissiers, magasins de luxe se mettaient en frais, et étalaient dans leurs vitrines les richesses à croquer : bonbons, confitures et marmelades. Les amateurs qui possédaient des goussets suffisamment bien remplis entraient et faisaient provision de douceurs, les autres aux poches vides n’avaient que leurs yeux pour admirer les tableaux exécutés en friandise. Les chalands piétinaient devant le magasin Au fidèle berger, rue des Lombards, ou devant À la renommée, sise au Palais-Royal, comme on le fait de nos jours devant les devantures des grands magasins. Les confiseurs, artistes du pastillage (un glaçage ornemental et malléable ), créaient de véritables scènes figurées, tel le passage du Mont-Saint-Bernard pour la nouvelle année 1804. Un général Bonaparte en sucre, à la tête de ses soldats à croquer, montait à l’assaut de la délicieuse montagne.

Ce jour-là, villes et campagnes étaient sillonnées de passants, chaudement emmitouflés pour affronter les frimas et le vent d’hiver glacial. Jamais on ne voyait autant de monde par les rues et les chemins, qui rendait visite à leurs aînés et à leurs connaissances. En ville, un degré assez élevé d’intimité permettait de monter les étages et de présenter ses vœux de santé et de fortune, d’offrir des oranges, une boîte de gelées, de fruits confits, de confitures, de chocolats ou de pastilles nommées berceau galant, amour endormi, ou encore à la Bonaparte, selon le message souhaité. Une relation plus distendue ou hiérarchique autorisait à faire déposer par un laquais sa carte personnelle agrémentée de quelques mots. La jeunesse savait utiliser cette règle du savoir-vivre. Entassés à six ou huit dans un fiacre, les jeunes gens se rendaient devant les maisons dont ils souhaitaient honorer les propriétaires, envoyaient un domestique se présenter avec leurs cartes, tout en restant dans la voiture, mangeant et buvant. Le croisement d’un autre fiacre tout aussi chargé donnait lieu à de vives et bruyantes exclamations.

L’An neuf rassemblait les familles (les réveillons festifs et amicaux de la Saint-Sylvestre naîtront plus tard, sous la Troisième République). C’était le grand jour des enfants, celui des cadeaux, l’équivalent de notre Noël actuel. Il était de coutume que les petits campagnards aillent de maison en maison, quémander quelques sous. Les enfants les plus chanceux, les plus gâtés recevaient leurs étrennes dans le salon : monnaies, poupées, polichinelles, quilles, toupies, livres spécialement édités pour l’occasion et surtout, une part des sucreries. Les enfants en guise de remerciements, récitaient des compliments appris par cœur : Je viens, cher papa, te renouveler, au commencent de l’année, mes sentiments de tendresse te de reconnaissance ; Puisses-tu vivre encore de longues années pour m’aimer comme je t’aime, et pour te le répéter chaque jour ! Mes souhaits pour toi sont amitié, santé et prospérité. Les souhaits pour la mère préféraient la tendresse à la prospérité : Les années, en se renouvelant, ne font qu’accroître ma tendresse pour toi. Je fais chaque jour des vœux au ciel pour ta santé, pour ton bonheur ; et le mien sera toujours d’aimer maman, et de me rendre toujours digne de son amitié.

On échangeait aussi des cadeaux entre adultes. Les ouvrages d’étrennes, ancêtres de nos modernes agendas à thème, constituaient un présent traditionnel facile à trouver. Ils mêlaient le côté pratique (calendrier, liste des départements, dates des fêtes …) à des extraits de lectures de loisir (poésies, chansons, charades …) ou à de véritables leçons de morale. Ils se déclinaient selon les goûts, les âges et les sexe : Étrennes aux jeunes femmes qui veulent être heureuses dans leur ménage, et donner à l’État des enfants sains et robustes,  Étrennes d’une mère à ses enfants, Étrennes aux guerriers, aux marins et aux savants, Étrennes mignonnes parisiennes, instructives et amusantes, Étrennes spirituelles, contenant les exercices ordinaires du Chrétien, Étrennes des jardiniers, praticiens et amateurs de jardinage, Étrennes aux jolies femmes : chansonnier pour l’an … la liste est longue. Mais en matière de cadeaux, la société se divisait en deux : ceux qui donnaient et ceux qui recevaient. Les maris offraient bijoux et châles à leurs femmes (la réciproque conjugale du cadeau ne semble pas avoir existé), les maîtres octroyaient pièces d’argent ou d’or à leurs domestiques selon leur grade et leur considération. On racontait que le portier de la porte principale des Tuileries gagnait une fortune ce jour-là.

Les vœux de bonne année donnaient lieu à de multiples scènes de courtoisie et de courtisanerie. Dans les ministères, de longs défilés d’obligés ou de subalternes patientaient devant les antichambres. Les chefs de division s’adressaient à leurs directeurs-généraux, qui eux-mêmes se courbaient devant leur ministre. Conseillers d’État, préfets, généraux, évêques, membres des cours de justice, tous ceux qui détenaient un peu de pouvoir, croulaient sous les compliments d’usage.

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