Les auxiliaires de l’Armée d’Orient (1798-1801). Les Egyptiens et les Syriens dans la Grande Armée

Auteur(s) : SPILLMANN Georges
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Les auxiliaires de l’Armée d’Orient (1798-1801). Les Egyptiens et les Syriens dans la Grande Armée
Ali-pacha, vizir de Janina. Aquarelle de L. Dupré.

Bonaparte ne se désintéresse pas des auxiliaires de l'Armée d'Orient. Il sait comment les utiliser. Les cavaliers syriens et mameluks formeront une unité de cavalerie légère sous la dénomination de Mameluks. Les restes des Légions grecque et copte seront amalgamés en un seul bataillon commandé par le colonel Nicole Papas Oglou, chef de la Légion grecque, le colonel à la suite étant le colonel Gabriel Sidarious, neveu du général Jacob, et ancien chef de la Légion copte. Les familles seront regroupées en un Dépôt des réfugiés égyptiens, à Marseille.

A cet effet, Bonaparte charge, le 11 octobre 1801, le général Léopold Berthier, frère du futur maréchal, d'aller recevoir à Toulon les différents corps de l'Armée d'Orient, de les inspecter, d'éliminer les inaptes, de reformer les unités et de faire toutes autres propositions utiles au bien du service. Et il le fait accompagner de son aide de camp, Rapp, ancien d'Egypte. Berthier commence par choisir, dans les deux Légions, une soixantaine d'hommes pour les Mameluks et, sur son rapport, le Premier Consul prend, le 7 janvier 1802, l'arrêté ci-dessous:

« Article premier: Tous les individus grecs, coptes, égyptiens ou syriens, qui ont suivi l'armée française en Orient, formeront un bataillon divisé en autant de compagnies qu'il y aura de fois 80 hommes. Il sera organisé et soldé comme un bataillon d'infanterie légère.
Article 2: Tous les officiers et soldats devront être natifs de l'Orient, s'être battus avec l'armée française et l'avoir suivie dans sa retraite, ou avoir fait partie des Légions copte et grecque.
Article 3: Il y aura un quartier-maître français et par compagnie un caporal-fourrier interprète ».

Le général Cervoni, commandant de la 8e division militaire à Marseille, organise ce nouveau corps, qui prend l'appellation de Bataillon des Chasseurs d'Orient, et nomme provisoirement les officiers parmi ceux qui servaient en cette qualité dans les Légions copte et grecque.
Les inaptes – ils étaient nombreux – furent versés au Dépôt des réfugiés égyptiens et perçurent un secours journalier variant selon le grade et la situation sociale. Nicole Papas Oglou prend effectivement le commandement du bataillon, l'ancien chef de la Légion copte, Gabriel Sidarious (1765-1851), fidèle de Desaix, étant son second.

Un nouvel arrêté du Premier Consul porte l'effectif à 1.000 hommes (un état-major, dix compagnies) et accorde au bataillon la solde, les masses, l'uniforme de l'infanterie légère. Mais la discipline militaire est mal supportée par ces ex-supplétifs. D'autre part, le mal du pays natal ronge les Grecs et même les Coptes. Les premiers désertent, autant qu'ils le peuvent en se dissimulant parmi les équipages des bateaux grecs faisant le commerce entre Marseille et les Echelles du Levant, si bien que 400 hommes seulement sont encore sur les rangs au bout de quelques mois. Pour enrayer le mouvement, on expédie les Chasseurs d'Orient à Toulon où ils trouveront, pense-t-on, moins de facilités pour déserter. Rien n'y fait: l'effectif tombe à 288 hommes, officiers et sous-officiers compris.

Excédé, Napoléon décide, au début de l'année 1806, d'affecter le bataillon au corps d'armée chargé d'occuper et d'organiser la province de Dalmatie, véritable porte des Balkans. Mais Nicole Papas Oglou a obtenu un congé afin d'essayer de se faire rembourser par le gouvernement turc la valeur de ses biens confisqués à Smyrne, dont il évalue modestement le montant à 1.200.000 francs-or! Il n'y parviendra jamais, malgré l'appui de notre ambassadeur à Constantinople, le général Horace Sebastiani.
On sait qu'à peine arrivé à Raguse, le général Lauriston fut rudement attaqué par les Russes de l'amiral Siniavine, venus des Bouches de Cattaro, et les Monténégrins de religion orthodoxe. Le général Molitor, marchant au canon, le sauve de justesse avec quelques bataillons, dont les Chasseurs d'Orient du colonel Gabriel Sidarious constituent la maigre avant-garde. Mais cette poignée d'hommes se comporte si bien que l'Empereur donne la croix de la Légion d'honneur à Sidarious, aux capitaines Harigli, Samathraki, Kiriaco. Compte tenu de sa belle conduite, on décide, non seulement de maintenir le bataillon, réduit, le 20 novembre 1806, à 17 officiers, 60 sous-officiers et soldats, mais de le recompléter par l'engagement de Grecs albanais ou épirotes. Sur ces entrefaites, Nicole Papas Oglou, revenu de Constantinople sans avoir obtenu la moindre indemnité, en reprend le commandement.

Marmont, général en chef et gouverneur de Dalmatie, le charge aussitôt de recruter à Scutari d'Albanie et en Epire, des Grecs, afin de reconstituer à son effectif normal le bataillon des Chasseurs d'Orient. Le capitaine Kiriaco, le lieutenant Georges Lugra l'assisteront. Ceci ne peut se faire qu'en bonne entente avec le pacha Ali de Tebelen, haut et puissant seigneur de Janina, maître de l'Epire.
Ce grand féodal se veut aussi indépendant que possible du sultan Selim III et cherche en conséquence à s'emparer d'une des îles Ioniennes, Parga ou Saint-Maurice, pour commercer librement et recevoir des armes de l'extérieur. La présence des marins russes de l'amiral Siniavine en Adriatique, leur bonne entente avec les Monténégrins, ses ennemis, l'irritent au plus haut point. Il est donc tout disposé à répondre favorablement aux avances de Marmont et à bien recevoir son envoyé, Nicole Papas Oglou. Il accueille à merveille ce dernier et les deux hommes se charment mutuellement, à la façon des héros de l'Iliade, au récit très romancé de leurs exploits passés. Bien entendu, Ali de Tebelen réclame « de la poudre et des balles » avec, au surplus, quelques officiers et canonniers français.
On les lui accorde avec le consentement de l'Empereur. Mais Napoléon, bon connaisseur de la mentalité méditerranéenne, refroidit quelque peu l'enthousiasme de Marmont en le mettant en garde contre un trop grand optimisme. « Cet homme, lui dit-il d'Ali de Tebelen, est faux ».

Le pacha autorise Nicole Papas Oglou à recruter, lui confie même le commandement de ses troupes. On joue donc à la petite guerre, on tire au canon sur des frégates russes, on fait même mine d'attaquer les retranchements adverses, on brûle la poudre. Et c'est tout. Le recrutement de Grecs albanais ou épirotes pour les Chasseurs d'Orient ne donne pas les résultats escomptés et les déserteurs ne sont pas rares parmi les nouvelles recrues…
De 1807 à 1809, le bataillon stationne à Budna, à Cattaro, à Persagno. En avril 1809, il arrive à Corfou, non sans avoir perdu au cours de la brève traversée une vingtaine d'hommes pris par les croisières anglaises.
L'étoile de Nicole Papas Oglou commence à décliner. Sa santé aussi. Les effectifs des Chasseurs d'Orient continuent à fondre comme neige au soleil: de 293 hommes en 1810, ils tombent à 170 en 1811, puis à 104 en 1812.

Le général Donzelot, lui aussi ancien d'Egypte, gouverneur des Iles Ioniennes, propose alors de réunir, sous les ordres d'un bon chef de bataillon français, les restes des Chasseurs d'Orient, le bataillon septinsulaire, débris d'un ancien régiment vénitien, le régiment albanais, compté à 1.700 (?) hommes. Napoléon refuse tout net. « Il est inutile, écrit-il à Donzelot, le 8 février 1811, d'avoir à Corfou des troupes qui ne sont pas sûres. C'est dépenser beaucoup d'argent pour rien ». Donzelot licencie donc les Grecs albanais dont il ne garde que quelques hommes – les moins mauvais – pour les Chasseurs d'Orient. En février 1813, il reçoit l'ordre d'envoyer à Ancône le bataillon qui ne comptait plus que 96 hommes, dont 10 officiers, lesquels n'étaient pas tous sans valeur et se désespéraient du triste état de leur troupe. Comble de malheur, au cours de la traversée de Corfou à Brindisi, une trentaine d'officiers et d'hommes tombent encore aux mains des Anglais, si bien qu'à son arrivée à Ancône, au cours du mois d'août 1813, le colonel Sidarious n'a plus avec lui que 32 hommes.

Quant au colonel Nicole Papas Oglou, l'amitié de Donzelot fait de lui le commandant de cette place de Parga, si convoitiée par Ali de Tebelen, et il ne tarde pas à y être aux prises avec ce dernier. Sa faible garnison comprend une compagnie albanaise de 225 hommes, un détachement du 7e régiment italien, une médiocre milice locale de 100 hommes et 2 canons. Les Russes partis, nous sommes désormais le seul obstacle à la réalisation des visées expansionnistes du pacha.

En 1814, la situation s'aggravant, les Pargiotes se livrent aux Anglais pour ne pas tomber aux mains d'Ali de Tebelen. Nicolas Papas Oglou obtient une honorable capitulation aux termes de laquelle il est conduit à Corfou avec sa troupe. Le 23 juin 1814, Donzelot doit remettre les Iles Ioniennes aux commissaires des Puissances Alliées, et embarque avec tout son monde pour Toulon. Arrivé dans ce port, Nicole Papas Oglou apprend qu'il a été mis à la retraite alors qu'il défendait encore Parga.
Quant aux Chasseurs d'Orient, après avoir honorablement concouru à la résistance de la place d'Ancône, ils se retrouvent à Lyon où ils apprennent la dissolution de leur unité par un ordre du ministre de la Guerre de septembre 1814.
Celui-ci prescrit d'envoyer au Dépôt des réfugiés égyptiens les officiers et chasseurs qui ne sont pas d'origine française. A Marseille, Nicole Papas Oglou connaît une suprême humiliation: ses anciens officiers refusent de le reconnaître.

Ainsi finit sans gloire l'hétéroclite bataillon des Chasseurs d'Orient. Peut-être fût-ce une erreur que d'amalgamer Grecs d'Egypte et Coptes, les uns comme les autres peu habitués aux astreintes de la discipline militaire? Peut-être aussi, Nicole Papas Oglou était-il par trop un chef de supplétifs, insoucieux des détails et de la rigueur qui font la solidité d'une troupe ?
Il n'en est pas moins dommage que des officiers comme le colonel copte Gabriel Sidarious et quelques-uns de ses subalternes grecs, qui, semble-t-il, avaient de l'étoffe, n'aient point été à même de mieux affirmer leurs qualités militaires.
 

L'escadron des Mameluks.
– Si Bonaparte a détruit impitoyablement la puissance militaire des Mameluks, maîtres incontestés de l'Egypte avant son arrivée, il n'éprouve aucune haine à leur égard. Bien au contraire, il admire sans réserve la beauté de leurs chevaux, leur finesse de monte, leur coup d'oeil, leur terrible fougue au combat, leur parfait mépris de la mort. Ce sont des cavaliers-nés. Avec un peu de discipline, dit-il, ils seraient la meilleure cavalerie légère du monde. Aussi, dès son retour en France, est-il bien décidé à utiliser au plus tôt leurs services. L'arrivée à Toulon des restes de l'Armée d'Orient lui en fournit l'occasion.

Deux faibles escadrons du 1er régiment des Mameluks à cheval, créé par Menou, embarqués avec Belliard, sont à Marseille depuis le 29 septembre 1801. Bonaparte charge son aide de camp Rapp, qui accompagne le général Léopold Berthier, de s'occuper tout particulièrement des Mameluks, de les réunir, de leur faire confectionner des effets à la turque, d'en prendre le commandement et de les conduire à Melun où ils s'organiseront définitivement. Berthier affecte aux Mameluks une soixantaine d'hommes des Légions grecque et copte paraissant aptes au service de la cavalerie légère.

L'effectif de l'escadron est fixé à 240 cavaliers, mais la sélection rigoureuse appliquée à cette troupe, qu'on veut d'élite, réduit ce chiffre initial à 150, le 7 janvier 1802. L'instruction et l'administration seront assurées par des Français. Les familles sont prises en charge par le Dépôt des réfugiés égyptiens de Marseille qui gère plusieurs milliers de personnes.

Dans l'état militaire de l'an X, il est fait mention, à la rubrique Mameluks, de trois chefs de brigade: Rapp, Yacoub Habaïby, Barthélémy Serra. Les Mameluks sont auprès de la personne de Bonaparte, sans toutefois faire partie de la Garde consulaire. Yacoub Habaïby commande l'escadron syrien, Barthélémy Serra celui à base de Mameluks égyptiens, Rapp coiffant l'ensemble. Bientôt il ne sera plus fait mention de Barthélémy Serra. Sans doute, sa détestable réputation de bas policier au Caire a-t-elle fini par lui nuire, Bonaparte étant de plus en plus soucieux de respectabilité. Quant au Syrien Youssef Hamaoui, son état de santé l'écartant du service actif, il est pris en charge par le Dépôt des réfugiés.
 
Dans l'Etat militaire de l'an XI, l'escadron de Mameluks figure dans la Garde consulaire et prend suite après le régiment de Chasseurs à cheval dont il est indépendant. Les officiers des deux compagnies de l'Escadron sont de diverses origines: palestinienne, géorgienne, arménienne, égyptienne (Mameluks). Chaque compagnie compte 4 officiers, 76 sous-officiers, brigadiers et cavaliers, soit 152 hommes de troupe au total. Le chef de brigade Yacoub Habaïby, marié à une Française, à Melun, a quitté le service actif. Bonaparte décide que les enfants mâles des Mameluks seront incorporés lorsqu'ils atteindront l'âge de 16 ans.
Le 22 mai 1803, le chef de brigade Dupas succède à Rapp à la tête de l'escadron. A la fin de cette même année, 44 Mameluks ou Syriens sont versés au Dépôt des réfugiés égyptiens de Marseille pour inaptitude ou mauvaise tenue. L'escadron devient alors une simple compagnie commandée par le capitaine Delaître qui relève uniquement du colonel des Chasseurs à cheval de la Garde consulaire.

Les Mameluks participent avec la Garde impériale à la campagne de 1805 contre l'Autriche et la Russie. Ils sont à Ulm, puis ils se distinguent tout particulièrement à Austerlitz, le 2 décembre.
Tourbillonnant comme un essaim de frelons en colère autour des gigantesques chevaliers-gardes de l'empereur Alexandre Ier, ils jettent le désordre dans leurs rangs où pénètrent profondément nos grands grenadiers à cheval qui en font une hécatombe. Jour de deuil de la jeunesse dorée de Saint-Petersbourg et de Moscou! Les lieutenants Chahin (Georgien) et Daoud Habaïby sauvent la vie de Rapp et sont blessés, ainsi que le lieutenant Renno, de Saint-Jean d'Acre, fils du médecin de Djezzar-pacha, massacré par ce boucher. Deux Mameluks, dont Bagdoune Mustapha, de Bagdad, s'emparent de trophées russes et les jettent aux pieds du cheval de Napoléon, impassible. Ces charges héroïques coûtent la vie au colonel Morland, chef des Chasseurs à cheval de notre garde. Dahlmann lui succède.

A Pultusk, en Pologne, les Mameluks sont fortement engagés, le 26 décembre 1806, contre la cavalerie russe. Ils ont 3 officiers, dont leur commandant, et 14 cavaliers blessés. Puis ils prennent part à la grande charge de cavalerie d'Eylau. Dahlmann est tué, 4 officiers de Mameluks sont blessés: Daoud Habaïby, Chahin, Rouyer, Abdallah. Le 25 juin, leur compagnie ne compte plus que 74 hommes à l'effectif. De nombreuses croix de la Légion d'honneur leur sont attribuées.
L'Empereur décide que la compagnie de Mameluks sera augmentée de 4 porte-queue, encadrant leur étendard, de 2 trompettes et de 24 cavaliers.

Puis les Mameluks, escortant Murat, prennent part à la Campagne d'Espagne. Le 2 mai 1808, ils luttent à mort contre les Madrilènes insurgés. Le lieutenant Chahin, toujours lui, sauve de justesse leur chef, Daumesnil, pris sous son cheval abattu. Tous leurs officiers sont blessés. Ils ne sont plus que 86. L'Empereur autorise alors le lieutenant Abdallah à se rendre à Marseille pour enrôler de jeunes Egyptiens et Syriens, tandis que des Européens commencent à être admis comme cavaliers aux Mameluks dont ils portent alors la tenue orientale. Sous Bessières, les Mameluks contribuent à défaire l'Armée espagnole de Galice, le 14 juillet 1808 puis à poursuivre les Anglais de Sir John Moore retraitant sur la Corogne. Au cours d'un vif engagement avec une forte arrière-garde, ils perdent le lieutenant Azaria, tué, et le capitaine Daoud Habaïby, très grièvement blessé.

En 1809, la compagnie, exsangue, va se recompléter en France. Yacoub Habaïby reprend alors du service pour remplacer son frère Daoud. Les 6 et 7 juillet, les Mameluks sont à Wagram, ayant fait 2.800 kilomètres à cheval en 68 jours. Daumesnil, leur chef, perd sa jambe sur ce champ de bataille où le maréchal Bessières, commandant la Garde, est lui-même blessé. Puis la compagnie retourne combattre en Espagne, aux ordres du chef d'escadron Kirmann qui a pour officiers Renno, Chahin, Elias, Abdallah, Georges.

Réduite à 55 cavaliers, elle en repart, le 1er mars 1813, pour rejoindre la Grande Armée en Pologne. Recomplétée à 109 cavaliers, elle fait la Campagne de Russie. Lors de la Retraite, elle contribue à dégager l'Empereur, entouré d'une nuée de cosaques à Gorodnia. Kirmann, son chef, est alors blessé.
Le 16 décembre 1812, les débris de la Grande Armée arrivent enfin à Interbourg, en Prusse Orientale. La cavalerie de la Garde est réduite à 800 hommes, dont 260 chasseurs et Mameluks! Napoléon rentrant à Paris confie au général Duroc, son homme de confiance, qu'il laisse à l'Armée, le soin de réorganiser sa Garde avec les « vieilles moustaches » et les renforts de jeunes conscrits. Duroc décide que les anciens Mameluks et les cavaliers choisis dans la Ligne sont premiers Mameluks (Vieille Garde), ceux provenant du recrutement, seconds Mameluks (Jeune Garde). Il en résulte dans cette unité une forte injection de sang français. Le régiment des Chasseurs à cheval est ainsi porté à 9 escadrons, les Mameluks constituant le 10e, ce qui représente 2.500 chasseurs et mameluks sur les 7.800 cavaliers de la Garde, artilleurs compris. Napoléon acquiesce. La Garde représente ainsi, avec son infanterie, l'élément décisif lors des batailles de la Campagne de Saxe. Son chef Bessières, est tué à Rippach, le 1er mai 1813. Duroc ne tardera pas à être fauché par un boulet.

A Dresde, avant l'armistice de Plesvitz, les Mameluks, à nouveau exsangues, reçoivent un renfort de 125 hommes et de trois cavaliers albanais. Le 30 octobre 1813, lors de la retraite sur le Rhin, la Vieille Garde passe sur le ventre de nos anciens alliés bavarois, qui prétendaient, les malheureux! interdire notre passage à Hanau. Le capitaine Abdallah est blessé ce jour-là. Arrivés sur le Rhin, les Mameluks se comptent. 59 des leurs ont péri.

Vient la Campagne de France. Le 27 janvier 1814, ils chargent les cosaques à Saint-Dizier, puis s'illustrent à Montmirail contre les Russes, le 11 février, le lendemain à Château-Thierry, contre les Prussiens, à Brienne, le 13 mars, à Saint-Dizier encore, le 26 mars, en prenant 18 canons aux Russes. Ils combattent enfin sous les murs de Paris.

Lors de la première Restauration, les capitaines Renno et Abdallah, le lieutenant en second Mirza passent au corps royal des Chasseurs avec 41 de leurs cavaliers. Le lieutenant Séraphin Bagdoune, 2 sous-officiers, 5 cavaliers suivent Napoléon à l'Ile d'Elbe. Yacoub Habaïby, les lieutenants Elias Messaâd et Soliman quittent le service.
Le 24 avril 1815, Napoléon, revenu à Paris, décrète que le régiment des Chasseurs de la Garde sera augmenté d'un escadron de Mameluks à deux compagnies, composées des 41 cavaliers du corps royal des Chasseurs et de 94 hommes ayant repris du service. C'est ainsi que, pour la dernière fois, les Mameluks participent, sous Ney, le 18 juin 1815, aux charges furieuses mais infructueuses des cavaliers de la Garde à Waterloo.
 

Les origines des Mameluks.
_ Le registre matricule des Mameluks de la Garde, conservé au Service Historique de l'Armée, comprend 583 noms. Jusqu'au n° 267, les Orientaux ou les Africains dominent nettement: « On en relève 215, dont 113 nés en Georgie, Circassie, Crimée, Arabie, Syrie, la grande majorité venant de ce dernier pays. 57 viennent d'Egypte et 17 d'Abyssinie et du Darfour; ces derniers sont des noirs. Enfin, 28 sont originaires des Balkans, de Hongrie, d'Albanie, de Malte, de Tunis et un seul d'Alger » (Jean et Raoul Brunon).

« C'est seulement après 1809 que les 374 Mameluks d'origine non orientale commencent à faire partie du Corps; 50 d'entre eux seulement sont incorporés avant 1813. En 1813 et 1814, au contraire, 130 Français ou Européens entrent au Corps comme premiers Mameluks (Vieille Garde) et 194 comme seconds Mameluks (Jeune Garde). Ainsi, de 1809 à la Campagne de Russie incluse, les trois quarts des Mameluks sont d'origine orientale; mais à partir de 1813, cet élément ne forme plus qu'un tiers du Corps » (Jean et Raoul Brunon).

«Les hommes incorporés comme « seconds Mameluks » commencent avec le n° 277; à partir de là, ils deviennent de plus en plus fréquents et représentent la grande majorité à partir du n° 284, soit après janvier 1813. Cette majorité est représentée par des conscrits en provenance de presque tous les départements de l'ancienne France comme de ceux qui s'ajoutent à l'Empire français jusqu'en 1812″ (Jean et Raoul Brunon).
 
 
Honneurs et récompenses.
_ L'étendard tricolore des Mameluks était escorté de quatre cavaliers porteurs de Toug, d'où pendait une queue de cheval (2 noires, 1 rouge, 1 blanche). Napoléon leur accorde un Aigle après Austerlitz, le 15 avril 1806. En 1813, il leur donne un nouvel étendard aux trois couleurs disposées verticalement.
à l'avers: Garde Impériale, l'Empereur Napoléon à l'Escadron des Mameluks;
au revers: Ulm, Austerlitz, Iena, Eylau, Friedland, Eckmühl, Essling, Wagram, Smolensk, La Moskowa, Vienne, Berlin, Madrid, Moscou.


Les officiers mameluks brillèrent en toutes occasions par leur extrême bravoure. Citons parmi eux:
les deux frères Habaïby, Syriens, Yacoub, ancien cheik de Chef-Amar, légionnaire en 1814, puis colonel commandant la place de Melun, chevalier de Saint-Louis, et Daoud, capitaine blessé à Austerlitz, Eylau, Madrid, Benavente, officier de la Légion d'honneur;
Renno, de Saint-Jean d'Acre, officier de la Légion d'honneur en 1806, capitaine après Eylau, trois fois blessé;
Chahin, Georgien, qui sauva la vie de Rapp à Austerlitz, puis de Daumesnil à Madrid, officier de la Légion d'honneur;
Mirza, Arménien;
Elias Messaâd;
Soliman, de Bethléem; {ayant tous de 15 à 20 campagnes.
Abdallah, de Bethléem, couvert de blessures sous l'Empire, reprend du service comme interprète de l'Armée d'Afrique, en 1830, se fait alors appeler Abdallah Hasboune, chef d'escadrons en retraite.
 

Après Waterloo, vint la Terreur blanche.
Les vaillants royalistes marseillais, jaloux des lauriers de leurs frères provencaux, meurtriers du maréchal Brune à Avignon, assassinèrent à Marseille bon nombre de Mameluks ou de chasseurs d'Orient désarmés, ainsi que des civils, hommes, femmes, enfants du Dépôt des réfugiés égyptiens, qui tombèrent en criant « Vive l'Empereur! ». Une négresse éthiopienne, jetée à l'eau, blessée, continua à pousser l'acclamation séditieuse jusqu'à ce qu'une balle charitable vint la lui étouffer dans la gorge. Les héros périssent souvent de la sorte, car, dans leur simplicité, ils ne savent pas à quel moment il convient de trahir…
Et en 1830 les vieux Mameluks reprennent du service dans l'Armée d'Afrique. En mars 1830, le ministre de la Guerre du Roi désigne, en effet, comme interprètes de notre corps expéditionnaire chargé de prendre Alger, toujours repaire de pirates, les anciens Mameluks de la Garde Impériale ci-dessous:
Interprète de 1re classe: M. Jacob Habaïby, ancien colonel des Mameluks,
Interprète de 3e classe: M. Abdallah d'Hasboune, ancien chef d'escadrons des Mameluks,
Guides-interprètes: M. Mouty-Nathan, Algérien, ancien Mameluk,
M. Joseph Habaïby, fils aîné du colonel déjà employé en Morée,
M. Daoud Habaïby, neveu du colonel,
M. Soliman, ancien officier des Mameluks,
M. Azaria, d°
M. de Soutzos, d°
M. Abd et Malek, d°
« Tous fidèles à la France pour la vie », telle fut leur devise. A ces hommes d'un dévouement total, chevaleresque, parce qu'ils vénéraient en lui le «Sultan de la Guerre », le dieu des batailles, Napoléon offrit la suprême récompense à ses yeux et aux leurs: les longues chevauchées, l'aventure, le combat, la gloire, la mort.
Et cet incomparable metteur en scène, le premier, le plus grand des temps modernes, les entoura de tous les prestiges du Levant : les chevaux piaffants, les riches harnachements, le brillant, le pittoresque costume oriental aux vives couleurs, les armes de l'Arabie, les Tougs porte-queues à l'aspect barbare, tous éléments propres à fasciner les foules, à jeter la terreur dans les rangs ennemis.
D'autres grands chefs, plus près de nous, qui avaient eux aussi le sens de la grandeur, de l'Empire: Lyautey, de Lattre de Tassigny, que nous avons connus, n'ont pas négligé de pareils atouts, à la grande indignation des « réalistes », soucieux de tout rapetisser à leur courte taille.
 

Contre vents et marées, et comme par instinct, ce goût du panache, de l'étrange, s'est longtemps maintenu dans notre Armée d'Afrique avec les spahis, les tirailleurs, les goumiers, et, au Levant, où les escadrons Tcherkesses, c'est-à-dire Circassiens, et les escadrons Druzes de Syrie, ont maintenu jusqu'à la dernière guerre les glorieuses traditions des Mameluks, leurs lointains ancêtres par le sang.

Bibliographie

(Coll. R. et J. Brunon).D'abord, les six ouvrages essentiels :
BOPPE (A.) _ Le colonel Nicole Papas Oglou et le Bataillon des Chasseurs d'Orient (Carnets de la Sabretache, nov. 1899-janv. 1900).
BRUNON (Jean et Raoul) _ Les Mameluks d'Egypte _ Les Mameluks de la Garde Impériale (Collections Raoul et Jean Brunon, Marseille).
CHARLES-ROUX (François) _ Les origines de l'expédition.
GUEMARD (Gabriel) _ Les Auxiliaires de l'Armée de Bonaparte en Egypte (1798-1801), in Bulletin de l'Institut d'Egypte, T. IX, session 1926-1927.
HOMSY (G.) _ Le Général Jacob et l'Expédition de Bonaparte en Egypte (1798-1801); Marseille, 1921.
LA JONQUIERE (C. de) _ L'Expédition d'Egypte (1798-1801), 5 tomes.

Ensuite :
ABDERRAHMAN GABARTI (Moallem) _ Journal d'Abderrahman Gabarti pendant l'occupation française en Egypte, suivi d'un Précis de la même campagne par Moallem Nicolas el Turki, secrétaire du prince des Druses, traduction A. Cardin, 1 vol., 1838.
ADER (M.) _ Histoire de l'expédition d'Egypte et de Syrie par le général Beauvais, 1826.
BAYENS (Bon Jacques) _ Les Français à Corfou; 1975.
BELLIARD (général) _ Journal (3 volumes).
BENOIST-MECHIN _ Bonaparte en Egypte, ou le rêve inassouvi; 1966.
BERNOYER (François)_ Avec Bonaparte en Egypte et en Syrie; 1976.
BERTRAND (général) _ Relation des Campagnes du général Bonaparte d'Egypte et de Syrie (1798-1799). Mémoires pour servir à l'histoire de Napoléon, dictés par lui-même à Sainte-Hélène et publiés par le général Bertrand; 1847, 2 volumes.
BOULAY de la MEURTHE (Cte) _ Le Directoire et l'expédition d'Egypte.
CHARLES-ROUX (François) _ Bonaparte, gouverneur d'Egypte; 1910.
CHERFILS (Christian) _ Bonaparte et l'Islam; 1914.
DESVERNOIS (général, baron) _ Mémoires; 1898.
GODLEWSKI (Guy) _ Napoléon et le Mirage Oriental, Revue des Deux Mondes (sept. 1974).
GUITRY (Cdt) _ L'Armée de Bonaparte en Egypte 1798-1799, 1897.
MARTIN (P.) _ Membre de la Commission des Arts et Sciences d'Egypte, Histoire de l'Expédition française en Egypte.
MOURAVIEFF (B.) _ L'Alliance Russo-Turque au milieu des Guerres Napoléoniennes.
REYNIER (général) _ De l'Egypte après la bataille d'Héliopolis; 1802.
SAVANT (Jean) _ Les Mameluks de Napoléon; 1949.
SPILLMANN (Général G.) _ Napoléon et l'Islam; 1969.
THIBEAUDEAU (A.C.) _ Histoire de la Campagne d'Egypte sous le règne de Napoléon le Grand; 1839.
TOTT (Baron de) _ Mémoires; 1785, 2 volumes.
VIVANT-DENON _ Voyages dans la Basse et la Haute-Egypte pendant les campagnes du général Bonaparte, 3 vol. plus 1 vol. de planches, Paris an XI.
VOLNEY (C.F.) _ Voyage en Syrie et en Egypte pendant les années 1783, 1784, 1785; 2 vol. Paris, 1787.

Mameluks à la bataille d'Austerlitz.

Titre de revue :
Revue du Souvenir Napoléonien
Numéro de la revue :
304
Numéro de page :
16-21
Mois de publication :
Mars
Année de publication :
1979
Année début :
1801
Année fin :
1815
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