Les grands magasins sous le Second Empire

Auteur(s) : DE BRUCHARD Marie
Partager

Sous le Second Empire, de nouveaux lieux de vente vont s’épanouir pour devenir les temples de la consommation de la bourgeoisie citadine. Parmi les plus emblématiques, Le Bon Marché, premier de ces « grands magasins », voit le jour en 1852 ; en 1865, c’est au tour du Printemps d’ouvrir ses portes ; La Samaritaine, quant à elle, est inaugurée en 1870.

Les grands magasins sous le Second Empire
Portrait d'Aristide Boucicaut (1810-1877), An., Fonds Boucicaut

Des fondateurs éclairés

Tous les grands magasins ont un point commun : un homme du cru se trouve à leur tête. Boucicaut, Cognacq, Chauchard… tous ont débuté comme vendeurs dans de petites structures qu’ils ont vu péricliter. Ces entrepreneurs ont fait fortune grâce à leurs grands magasins : le chiffre d’affaire du Bon Marché est multiplié par 44 en l’espace de douze ans : Boucicaut est alors à la tête de 20 millions de francs. Ces hommes respirent l’air du temps et sont influencés à la fois par les principes du libéralisme et ceux du catholicisme social : bien nourrir et loger ses employés est une des leçons qu’ils ont retenues pour avoir travaillé au bas de l’échelle, comme le montre ce Résumé du réglement général ; Institutions philanthropiques en faveur du personnel du Bon Marché de 1894.

Une nouvelle architecture : le magasin à l’heure de la révolution industrielle

Paris, les grands magasins du Printemps. Gravure d'après Karl Fichot (1883) © Roger-ViolletLa révolution industrielle a un impact évident sur l’acheminement des matières premières textiles avec le déploiement du chemin de fer, et sur le développement des machines de couture. Désormais, la production de tissu est plus abondante et son transport plus facile et moins onéreux : son commerce demande de nouvelles structures pour bénéficier de ces avancées. Au milieu du XIXe s., la démolition des anciennes échoppes médiévales permet la création de grands espaces de commerce à Paris, qui ne se priveront pas d’utiliser les nouvelles techniques de construction de l’ère industrielle. Le précurseur et inventeur du grand magasin est, à bien des égards, Aristide Boucicaut, créateur du Bon Marché en 1852. Il fait ainsi appel, entre autres, à Gustave Eiffel pour piloter l’agrandissement du magasin en 1869. Grandes baies vitrées, coupoles colorées en guide de puits de lumière et utilisation du fer rendent ces nouveaux magasins lumineux et avenants. Le principe du rayonnage rationalise l’espace intérieur : la marchandise y est plus accessible car plus visible. Boucicaut, toujours aussi visionnaire, fera intégrer dans ses magasins une autre invention présentée en 1867 à l’Exposition universelle par Léon Édoux : l’ascenseur (le tout premier sera intégré chez un concurrent, au magasin La Ville de Saint-Denis, en 1869). Son sens de l’efficacité lui fait prévoir des dortoirs pour ses employées féminines non mariées au dernier étage de son magasin.

Une nouvelle politique commerciale : la naissance de la stratégie marketing

Au Bon Marché, galerie des soieries © BNF, EstampesLe lieu de vente est donc revu entièrement mais encore faut-il toucher une clientèle… Le décloisonnement des corporations va permettre l’émergence de nouvelles pratiques influencées par le libéralisme : c’est la naissance du marketing. Boucicaut, fort de son expérience dans la vente, maîtrise mieux que personne ces nouvelles techniques qui s’éloignent du colportage traditionnel : il multiplie les encarts publicitaires dans la presse, il utilise le principe du catalogue envoyé par la poste. La marchandise du Bon Marché est vendue à prix fixe (et non à la tête du client) : le Printemps en fait sa devise, E probitate decus, « Mon honneur, c’est ma probité ». Les produits peuvent être touchés, essayés et ils sont soldés en fin de série. Les vendeurs sont formés pour conseiller les client(e)s selon leurs goûts afin de mieux les satisfaire ; ils se spécialisent par rayon. Dans la même optique de vente, le patron du Bon Marché est le premier à imaginer son magasin comme un lieu de loisirs annexes : une garderie pour enfants permet aux mères de famille de déambuler plus librement entre les présentoirs ; une salle de lecture pour les hommes, un salon de thé pour se reposer entre deux achats viennent intégrer le paysage du Bon Marché pour rendre le parcours d’achat plus agréable.

Une nouvelle cible : la clientèle bourgeoise

"Où courent-ils ? [Au Grand Bon Marché]", affiche de Jules Chéret 1875 © BNFCes innovations architecturales, visuelles ou de confort, visent une population ciblée. Cette nouvelle clientèle a vu le jour grâce à la prospérité économique du Second Empire et une démocratisation relative des produits de luxe, par opposition à la première moitié du XIXe s. où la mode est affaire d’une clientèle privilégiée et ne sort pas de cette sphère. Les couturières du Bon Marché commencent par contrefaire ces maisons de renom traditionnelles. Puis le grand magasin intègre, dans le dernier quart du XIXe s., ses propres grands couturiers, si bien qu’un livre de mode paraît désormais sous le nom de l’enseigne (cf. exemplaire de 1910). La clientèle féminine est une clientèle historique mais elle n’est pas la seule visée. De nombreuses réclames servent à attirer les clients masculins sur les mêmes critères, et les enfants ne sont pas oubliés dans cette politique de vente comme le montre ce catalogue de jouets du Printemps de 1884.

Conclusion

Ainsi, les grands magasins parisiens se présentent comme un modèle d’innovation intégrale dans leurs structures spatiales, dans leur gestion des personnels et dans leur approche de la clientèle. Ils ne manquent pas d’influencer les pratiques commerciales de nombreuses autres maisons de par le monde : en 1851, San Francisco voit l’ouverture du magasin The City of Paris Dry Goods Company (fondé par les Français Émile et Félix Verdier) ; à Bruxelles, Au bon marché ouvre en 1860 ; La Rinascente, à Milan, en 1865 ; à Londres, le magasin Harrods se rénove sur le modèle du grand magasin français en 1892… Les grands magasins ne cessent de se développer des décennies après la chute du Second Empire, restant sans doute une des plus grandes innovations commerciales de cette époque qui perdure aujourd’hui encore.

Marie de Bruchard, juin 2016

Pour aller plus loin… en ligne

– Article sur le site Archives de France du ministère de la Culture : Naissance des grands magasins : le Bon Marché, Jacques Marseille (2002)

Podcasts
–  Émission de France Inter « La marche du siècle » consacrée aux grands magasins  (24/05/2015)
– Émission d’Europe 1 « Au coeur de l’Histoire » consacrée aux grands magasins (15/06/2012)
–  Émission d’Europe 1 « Au coeur de l’Histoire » consacrée au couple Cognacq-Jay  (02/07/2015)   

Partager