Un modèle de pendule apparaît fréquemment dans les ventes aux enchères chez les antiquaires avec la mention « Pendule des Maréchaux ». La légende l’accompagnant nous informe généralement qu’elle a pour origine un cadeau de Napoléon à ses maréchaux. Fait intriguant, on ne connaît aucun nom de maréchal susceptible d’avoir reçu ce cadeau pour prouver l’authenticité de ce geste. Pourtant cette mention « des Maréchaux »est de notoriété commune, sans ambiguïté et au pluriel, ce qui suggère plusieurs bénéficiaires qui restent inconnus.
L’Empire a connu vingt-six maréchaux, de 1804 à 1815, dont 18 nommés en 1804 lors de l’institution du grade de maréchal.
Il n’existe – a priori – aucune trace écrite de ce genre de cadeau pour aucun d’entre eux. Ce modèle de pendule accompagnait-il systématiquement la nomination d’un maréchal ? Les maréchaux ont-ils pu acheter par eux-mêmes ces pendules ? Pourquoi autant de modèles différents sont-ils rattachés aux maréchaux, au-delà du modèle dit « des maréchaux » ? La réalité est complexe.
Cet article ne prétend pas à l’exhaustivité : d’autres pendules et leurs bénéficiaires restent à découvrir, mais il entend faire un état des lieux sur ces mystérieuses pendules. Ce n’est qu’au hasard des ventes, que l’on pourra reconstituer une partie de ces donations qui seront toujours incomplètes.
Préambule
Napoléon Ier n’a pas inauguré le cadeau horloger en 1804 : Bonaparte a commencé à faire ce type de présents à ses généraux lors de la campagne d’Italie, lorsqu’il était lui-même général en chef. Le modèle offert n’était alors pas uniquement celui du type dit « des maréchaux ». Il existait d’autres modèles, reproduisant des créations nées sous le règne de Louis XVI, mais aux structures novatrices. Ces donations ont donc concerné quelques maréchaux mais également des généraux et d’autres personnalités. Un modèle identique de pendule pouvait être commandé pour plusieurs récipiendaires, sans distinction de grade.
Ces offrandes n’accompagnaient pas la nomination à un grade mais récompensaient essentiellement des faits de guerre, ce qu’on appelle en terme militaire des « citations ».
Par la suite, au fil les successions, après le décès du bénéficiaire, la trace de ces objets n’a pas toujours été conservée, faute de documents écrits, ni de témoignages. Sans archives publiques relatant ces dons, par ailleurs, leur traçabilité est complexe.
Les récompenses de Napoléon Bonaparte n’étaient d’ailleurs pas exclusivement des pendules mais toute autre sorte d’objets d’art. Par exemple, il est très probable que le général Ney a reçu un sabre de luxe offert par le Premier Consul Bonaparte suite à la bataille de Hohenlinden, le 3 décembre 1800 (aujourd’hui dans les collections de la Fondation Napoléon). Les Archives nationales n’indiquent aucun écrit portant sur ce don, mais le sabre de luxe est bien réel. L’attribution de ce présent au général Ney est supposée par les Archives nationales.
Un deuxième sabre de type « briquet » a été offert par le Premier Consul au citoyen Plomion Louis Roch, sergent, le 1er vendémiaire an XII (24 septembre 1803). Le sabre est gravé : « Le premier Consul au Cen (pour citoyen) Plomion Louis Roch sergent de la 55ème 1/2 Brigade de ligne pour action d’éclat ». Nous pouvons en déduire que de nombreux sabres furent l’objet d’une récompense à des généraux, officiers et sous-officiers.
Il en va de même, sans doute, pour les pendules. Des femmes sont d’ailleurs également concernées par ces cadeaux horlogers de la part de Napoléon. Les thèmes choisis sont différents et moins martiaux.
Le Mobilier national possède, de son côté, des pendules mais ces dernières étaient destinées à l’Empereur, la famille impériale, les ministres, l’administration et hauts-fonctionnaires, ou encore aux plénipotentiaires en vue de cadeaux diplomatiques et non plus faits de guerre, hormis quelques exceptions (cf. infra).
La vie des « pendules-cadeaux » de Napoléon est donc sinueuse, d’emblée. Celle des pendules des maréchaux mérite invesgitation.
Pendule dite « des maréchaux »
C’est évidemment le modèle le plus connu, si ce n’est le seul connu des profanes. Ce type de pendule a existé de 1784 – 1785 jusqu’à la fin du XIXe siècle, et selon des copies plus où moins fidèles. Son titre original, « pendule des maréchaux », est souvent accompagné d’une deuxième dénomination « L’Étude et la Philosophie » ou, moins souvent, « La Lecture et l’Écriture ».
Le thème de l’Étude n’est pas récent. On le trouve au milieu du XVIIIe siècle ; il se compose, alors, d’une figure de femme assise sur un tabouret bas, tenant un livre et accoudée avec nonchalance au cadran. Daguerre, qui est l’inventeur de ce modèle, s’est inspiré des figures de Simon Louis Boizot pour la manufacture de Sèvres. Le projet de Daguerre a été soumis au bronzier Rémond en 1784.
Sous l’Ancien Régime, Daguerre est un marchand-mercier qui fournit en meubles et bronzes toute l’aristocratie française et les cours européennes. Le marchand-mercier fait le négoce d’objets d’art (meubles, bronzes, faïences, porcelaine) en tant que décorateur d’intérieur. Rémond (1747 – 1812), reçu maître en 1774, a fourni quant à lui, entre 1784 et 1788, pas moins de trente-deux pendules, sur commande, à Daguerre. Quelques-unes sont entrées dans les collections muséales, cours européennes ou les ministères :
– le Musée du Louvre ;
– le Palais de l’Élysée, pour pendule sans nom d’horloger, plus tardive vers 1794 avec chiffres arabes verticaux (apparus sur les cadrans en 1790) et quantième à 30 jours (à partir de 1794, avec calendrier républicain) ;
– le ministère des Affaires étrangères ;
– le Château de Versailles ;
– le Quirinal à Rome ;
– le Muséum Victoria et Albert à Londres ;
– le Ermitage de Saint-Petersbourg ;
– le Palais Royal de Suède ;
– Buckingham Palace ;
– le Schlossmuseum Berlin ;
– le Laiemki Varsovie… pour ne citer que les plus connus propriétaires.
Une belle carrière que celle de ces pendules pré-révolutionnaires… et une grande source d’inspiration pour les années qui suivent immédiatement ! Notamment pour les pendules initiales de 1784 à 1788, qui ont servi de modèle aux pendules dites « des maréchaux ». Il existe deux tailles fournies par Rémond. L’une de 54 cm environ et l’autre de 69 cm approximativement. La cause en est la longueur du marbre qui varie de 1 à 3 cm maximum dans chaque dimension. Les proportions restent identiques. À partir de l’époque révolutionnaire, puis consulaire et impériale, ces dimensions évoluent en conservant plus où moins l’esthétique initiale.
Une rumeur avance que douze maréchaux se sont vus offert par Napoléon Bonaparte des pendules de ce modèle ; ce nombre ne correspond pas, en tout cas, aux 18 nommés de 1804. Un seul semble en avoir bénéficié : Louis Alexandre Berthier (1753 – 1815), nommé prince de Wagram en 1804. La date de la donation et le nom de l’horloger nous sont inconnues mais cette attribution au maréchal Berthier est sourcée par des origines différentes et fiables, notamment via l’inventaire familial du château de Grosbois. Fait intéressant, et en guise de complément, cet inventaire nous informe généralement sur les pendules de Berthier : acquis par le maréchal Berthier en 1805, le château de Grosbois abritait une pendule borne de « L’Amour maternel » de 1764. dont le cadran et surtout les aiguilles de type « Consulat »* peuvent être datés 1798 – 1804. Les maréchaux ne possédaient évidemment pas que des pendules de la période impériale…
*Aiguilles « Ancien Régime », « Révolution », « Directoire », « Consulat », « Bréguet »… Quelles sont les différentes évolutions des aiguilles de pendules ? Les aiguilles de type Consulat ont succédé à l’aiguille des heures étoilée dite Révolution (1792 à 1798). La datation des aiguilles n’est pas toujours fidèle à la chronologie historique, néanmoins, postérieurement à 1804 sont apparues sur les pendules, les aiguilles « Bréguet » qui étaient déjà en usage vers la fin du XVIIIe siècle sur les montres et pendulettes. Il est courant que le mouvement soit adapté sur une ossature plus récente, même si cette opération est difficile. Durant une période de transition, un chevauchement apparaît également. |
L’une des pendules dites « des maréchaux » a été livrée en 1809 pour le salon des grands officiers à Het Loo.
Une deuxième a trouvé sa place Salon de Gaulle de l’hôtel de Brienne, actuel ministère des Affaires étrangères. Elle est signée de « Denière et Matelin », atelier actif en 1812 jusqu’en 1840 (Une autre source indique la production de cet atelier dès la fin du XVIIIe siècle (1797 – 1820).).
Une troisième pendule aurait peut-être appartenu au maréchal Victor. Le maréchal Victor, de son vrai nom Claude Perrin (1764 – 1841) est nommé maréchal 1807, et duc de Bellune. Il s’est distingué pendant la campagne d’Italie, bataille d’Iéna, Friedland. Cette pendule s’est vendue en 2013, lors de la succession du Prince Victor Napoléon (1862 – 1926), lui-même descendant du maréchal. Le Prince est le petit-fils de Jérôme Bonaparte (1784–1860), roi de Wesphalie, lui-même maréchal de France, et surtout frère de Napoléon Ier. Sa nomination au titre de maréchal n’a été effectuée qu’en 1850. S’agit-il d’un cadeau de Napoléon fait à son frère ou récompense au général/maréchal Victor ? La pendule date 1798/1805 et elle possède bien des aiguilles Directoire. Une autre particularité : le cadran repose sur des livres et non sur un socle de marbre (fait rare). Compte-tenu de l’âge de Jérôme, frère de Napoléon, 14 à 20 ans, lors de la donation, on peut penser que cette pendule a appartenu au maréchal Victor. Mais s’agit-il d’une acquisition à titre privé ou réellement d’une donation par Napoléon Ier ? On ne peut remonter actuellement sa trace plus loin.
Pendule dite « de Télémaque »
Monsieur Gay, président de l’Ancaha, société d’horlogerie ancienne, déclare dans le bulletin de cette société que « douze maréchaux d’Empire en possédaient, dit-on, un exemplaire » (comme pour la pendule précédente, encore ce nombre « douze », décidément curieux, trop symboliquement similaire à celui des heures du cadran pour ne pas être suspect.). Certes, dans cette citation, M. Gay s’entoure de toutes les précautions à juste titre. Ce qui est avéré, c’est l’existence d’une série des douze pendules dites « de Télémaque ». Et rien ne prouve que les maréchaux aient eu l’exclusivité de leur cadeau.
Il est vraisemblable que cette série de douze est du bronzier Reiche, initiateur du modèle. Les sources sont fiables sur ce point : le dessin qui servit de modèle pour cette pendule, signé André Reiche (1752 – 1817), a été déposé en 1807 à la Bibliothèque impériale et est conservé à la Bibliothèque nationale française, au cabinet des Étampes (ref. 134-1807). En conséquence, ce modèle de pendule a été offert de 1807 à 1815 au plus tard. Ce modèle n’a donc pas été offert lors de la nomination des maréchaux de 1804 mais en remerciements pour services rendus ultérieurement.
L’épisode décrit ici est tiré des Aventures de Télémaque de Fénelon, qui lui-même s’inspire lointainement de L’Odyssée d’Homère. Fils d’Ulysse, Télémaque, protégé – comme son père – par Athéna, participe en Crête à des jeux visant à sélectionner le roi de l’île qu’il remporte tout en séduisant un nombre certain de jeunes crétoises. La symbolique représentée sur cette pendule fait référence à cette double victoire.
On en connaît trois possesseurs : deux maréchaux et un général, sans savoir à quelles dates ces cadeaux ont été remis. Le maréchal Jean-Baptiste Jourdan (1762-1833), nommé à ce grade en 1804, a possédé ce modèle mais on ne sait pas, à proprement parler, s’il a été offert par Napoléon. Volée, elle a été retrouvée vers 1992 dans un lot de recel par la Gendarmerie nationale. Le cadran est signé Lory à Paris. Claude Armand Lory, né le 20 mars 1777, décédé le 31 août 1850, a été l’élève de Robin, grande figure emblématique de l’horlogerie de la fin du XVIIIe siècle : horloger de Louis XVI, de Marie-Antoinette, de la République et du Directoire, Lory a exercé à Paris et a été admis à l’exposition des « produits de l’industrie » en 1806 où il a reçu la mention honorable.
La deuxième pendule a appartenu au maréchal Mortier, duc de Trévise, promu maréchal en 1804. Elle appartient actuellement à la collection du baron Duesberg à Mons. Son bronzier est Jean André Reiche (information donnée par M. Gay), l’horloger est Blanc Fils qui exerce au Palais Royal en 1810 (qui y est domicilié de 1806 jusqu’en 1810 place du Tribunat). Cette datation est intéressante car elle resserre la fourchette des donations entre 1810 et 1812.
La troisième pendule dite « de Télémaque » a été – en revanche – offerte avec plus de certitude par Napoléon au général Jacquinot Charles Claude et a eu pour horloger Armingaud. Dans un premier temps, cet artisan signe « Armingaud à Paris » avant que n’apparaisse la signature « Armingaud le Jeune », quelques années avant 1813. Lorsque cette signature « Le Jeune » apparaît, il signe « Armingaud l’Aîné » pour se différencier vraisemblablement de son fils. Grand horloger sous l’Empire, Armingaud a produit de nombreuses pendules connues aux modèles très différents (pendule de l’Amérique, également intitulée chasseur amérindien ; pendule de l’Afrique ; reprise de la pendule à la bacchante appelée aussi Erigone – apparue en 1790 d’après un dessin de Jean-Baptiste Deshays ; pendule Uranie ; pendule de l’Astronomie ; etc.). Le général Claude participe a de nombreuses batailles et finit par être promu au grade de général de brigade en 1809, date de donation de la pendule. Il sera nommé général de division le 26 octobre 1813 et fait pair de France le 3 octobre 1837.
Les bronzes des trois pendules ne sont pas signés mais sont certainement tous de Reiche. Le modèle qui sert de référence pour cette pendule dite de « Télémaque » est celui du château de la Malmaison (inv 40-47-8304), signé par le bronzier Claude Gallé. Cet original est vraisemblablement un cadeau de Bonaparte à Joséphine, qui constitue la seule bénéficiaire civile connue de ce modèle.
Pendule dite de « Zéphyr et Flore »
Cette pendule au thème de « Zéphyr et Flore » est de l’horloger Manière. Elle est actuellement au garde-meuble du Mobilier national et donc absente de son lieu d’exposition d’origine : le Salon Murat du palais de l’Élysée où se tient actuellement le conseil des ministres du gouvernement français. Cette pendule, propriété de Joachim Murat (1767-1815), mari de Caroline Bonaparte, sœur de Napoléon Ier, était dans le quatrième salon de l’Élysée, propriété achetée par Murat le en 1805. Joachim Murat possède plusieurs pendules qu’il lègue en 1808, lors de son départ pour devenir roi de Naples, au profit de Napoléon, de même que le palais et l’intégralité de son mobilier. Nous ignorons actuellement si cette pendule a été offerte par Napoléon, initialement, même si les dates pourrait la faire correspondre à une « pendule de maréchal » : Murat devient général de Brigade en 1796, général de division en 1799 et maréchal en 1804, quatre ans après son mariage civil.
Le thème de ladite pendule peut indiquer néanmoins une autre piste.
Homère semble le plus ancien à avoir abordé le thème de Zéphyr et Flore. Flore, à l’origine, était Podarge, une harpie (Iliade XVI, 150). Ovide semble s’être inspiré d’Homère et a développé le mythe hellénistique (Fastes, livre V). « Ovide a supposé que Flore était en réalité une nymphe grecque, appelée Chloris. Un jour de printemps, qu’elle errait dans les champs, le dieu du vent Zéphyr, la vit, en devint amoureux et l’enleva. Mais il l’épousa en justes noces. Il lui accorda en récompense, et par amour pour elle, de régner sur les fleurs, non seulement des jardins, mais celles des champs cultivés ». (Dictionnaire de la Mythologie par P. Grimal).
Ce thème n’ayant rien de guerrier peut faire penser à un éventuel cadeau de l’Empereur à sa sœur ou d’un achat par celle ci, et non d’un cadeau à son beau-frère pour fait d’armes.
Pendule aux trophées de guerre
Il s’agit d’une pendule rare faisant partie d’une série limitée et dont on est sur de la propriété par trois maréchaux, Murat , Soult et Oudinot. Autre fait : sur les commentaires accompagnant la pendule, propriété du maréchal Soult, il est précisé « Série de quinze ». Son aspect est résolument guerrier avec accumulation d’armes : lances, haches, bouclier, glaives, faisceau à peine visible sur la droite, étendards pris à l’ennemi. Nous notons sur les cotés la présence de feuilles de laurier, symboles de victoire. Sur le socle, l’allégorie représente la « Victoire écrivant l’Histoire sur un bouclier » (définition rencontrée par l’auteur de cet article dans les textes accompagnants cette pendule par deux fois). Les colonnes sont constituées de faisceaux de licteurs, nouvel emblème de la France érigé par l’Assemblée Constituante en 1790. Il représente l’union et la force des citoyens pour défendre la Liberté.
Le dessin du trophée est d’Alexandre Théodore Brongniart (1739-1813) pour la manufacture de Sèvres. Ce dessin n’est pas une reproduction exacte de celui des pendules car destiné à de la porcelaine (Les emprunts à des sculptures sont fréquents pour des réalisations en bronze, notamment au XVIIIe siècle.). Luigi Valadier (17261785) a quant à lui dessiné des colonnes avec des enroulements comme les faisceaux de licteurs.
Trois maréchaux ont en effet possédé ce modèle de pendule : Murat , Soult – nommés maréchaux en 1804 – et Oudinot, fait maréchal en 1809. Murat était maréchal de cavalerie, Soult commandait le 4e corps de l’armée d’Allemagne, Oudinot était général de grenadiers. Tous les trois ont participé à la bataille d’Austerlitz si bien que cette pendule est parfois dite « d’Austerlitz ».
La pendule de Murat est à l’Élysée, où elle a résidé du 6 août 1805 au 8 août 1808, au premier étage puis a déménagé dans la chambre de l’Empereur au rez-de-chaussée. Elle migre dans les petits appartements du rez-de-chaussée du temps du général de Gaulle et quitte l’Élysée en 1972 pour le Mobilier national, où elle se trouve actuellement.
La pendule de Soult est au musée du Grand Curtius à Liège, collection Duesberg, membre de la Société ancienne d’Horlogerie.
La pendule d’Oudinot a été vendue aux enchères le 13 juin 1917 (Lot 206 vendu par Artcurial).
Les trois pendules sont du bronzier Ravrio, fait tout aussi que l’absence d’écrit à leur sujet et la qualité de leur marbre vert. Sur la pendule d’Oudinot, plusieurs inscriptions : Gallé (1761 – 1844), graveur qui exerce rue Vivienne (Le Dictionnaire horloger de Tardy nous donne un Gallé rhabilleur en 1787 sans prénom). Sur le cadran de la pendule se trouve la mention « Thomas H E ». Il pourrait s’agir de Thomas, sans connaissance du prénom, pendulier 1806 (Dictionnaire horloger de Tardy). Barraud pour les pendules de Murat et de Soult. Le Dictionnaire de Tardy nous informe que ce dénommé Barraud, qui exerce rue des Arcis en 1806, a travaillé en 1812 un mouvement pour un bronze de Ravrio commandé par Napoléon, preuve que l’artisan travaille bien pour l’Empereur. Pour ce modèle, Ravrio semble avoir sous traité auprès d’horlogers la fourniture des mouvements.
Pendule dite « à obélisque »
Cette pendule a appartenu au maréchal Lannes, duc de Montebello, et se trouve toujours dans sa succession. Un article de la revue Connaissance des Arts en juillet 1965, signé Evelyne Schlumberger, permet de renseigner l’objet. La pièce horlogère sur la photographie ci-dessus n’est pas la pendule du maréchal – cette dernière est interdite à la photographie – mais une copie fidèle.
Ce modèle de pendule est hybride : issu de la pendule dite « à obélisque », née vers 1790, et de la pendule dite « à portique », née vers 1785 (cf. images ci-dessous).
La pendule du maréchal Lannes incorpore l’obélisque – amovible par ailleurs – de la première et les colonnes de la seconde, le mouvement et son obélisque sommital sont assis quant à eux sur deux piliers noirs (peu visibles).
Ce modèle est rarissime dans sa composition. L’horloger est Thébault, orthographié Thébau, pendulier rue du Ponceau en 1806, d’après le Dictionnaire de Tardy. Cet horloger est pratiquement inconnu à l’instar du « Thomas », pendulier en 1806, précédemment cité.
À l’origine, sous Louis XVI, ces pendules étant destinées à des ambassadeurs autrichiens et leurs aiguilles sont fleurdelisées puis remplacées par des aiguilles révolutionnaires en 1792.
Dans sa version actuelle, les aiguilles ont de nouveau leur aspect d’Ancien Régime (cf. encadré ci-dessus), tout comme se trouve, à la renommée de la pendule, un aigle bicéphale alors qu’un phœnix, création de Boizot, l’ornait probablement à l’époque où elle a été offerte.
« Huit pendules avec un obélisque entouré de deux colonnes ont été commandées, pour la plupart offertes par Bonaparte à des plénipotentiaires Autrichiens à Paris, après la réouverture de l’ambassade, suivant les accords de la Paix de Campo Formio le 18 octobre 1797 » (Citation de Mme Schlumberger). Cette pendule a toutes les caractéristiques en usage pour ces pièces d’horlogerie notamment son cadran avec les chiffres arabes verticaux dont la naissance date de 1790 et utilisé jusqu’en 1799. La donation des pendules de ce modèle est intervenue entre la paix de Loeben, signée le 7 avril 1797, et le printemps 1798, où Bonaparte et Lannes participent à la campagne d’Égypte et sont absents de Paris. C’est, à ce jour, la donation la plus ancienne et Bonaparte n’était « que » commandant en chef de l‘Armée d’Italie. Pourquoi Lannes a-t-il eu pour récompense une de ces pendules ? Sans aucun doute en récompense de sa bravoure pendant la première campagne d’Italie pendant laquelle il a été nommé général de brigade après la bataille de Bassano, le 7 septembre 1796. Il s’est particulièrement illustré à la bataille du pont d’Arcole et Bonaparte, en reconnaissance, lui aurait remis le fameux drapeau, aujourd’hui perdu…
Pendule dite « aux trophées »
Le maréchal Ney possédait une deuxième pendule. Cette pendule comportait un faisceau de licteur, un bouclier et casque de Menel par le bronzier Moinet mais le bronzier Thomire est également cité comme créateur de ces bronzes. De plus, des tores de laurier – symboles de victoire – inscrits dans une borne. Cette pendule était accompagnée de deux candélabres à attributs militaires, aujourd’hui disparu. Le mouvement de la pendule est de Moinet l’aîné. Nulle trace du motif du cadeau prestigieux qui aurait pu – sans certitude mais à la vue de sa préciosité – être de la main de Napoléon… S’agirait-il d’une donation consécutive à la bataille d’Eylau où celle de la Bérézina ?
Son style se rapproche de la pendule aux trophées. Elle possède par ailleurs les aiguilles Breguet (peu visibles). À l’époque, cette pendule se trouve dans la bibliothèque de l’Hôtel Saysserat que le maréchal a acquis en 1805.
En 1820, la Maréchale loue le rez-de-chaussée au comte Rostopchine et la pendule n’est plus mentionnée dans les collections Ney lors de la vente de l’hôtel la même année. La maréchale semble avoir substitué certains objets précieux ou sentimentaux lors des opérations d’inventaire pour les préserver de saisies éventuelles effectuées à la demande de ses créanciers.
Aparté : pendules possédées par des maréchaux d’Empire
Ces pendules ne semblent pas avoir été offertes par Napoléon mais méritent toute notre attention.
Pendule dite « au char de la fidélité »
Cette pendule a appartenu au Maréchal Oudinot déjà cité. Elle est attribué au bronzier Ravrio, spécialiste pour les pendules dites « au char ». Le cadran est de Dubuc J. Nous connaissons deux Dubuc. Le « J » peut être une initiale du prénom ou signifier « le jeune » puisqu’ils sont deux à exercer dans les mêmes années : 1804-1817 pour l’aîné, dont on sait avec certitude qu’il est pendulier, et pour le jeune 1800-1817. Dubuisson, dont la signature apparaît sur la roue du char faisant office de cadran, est un émailleur de cadran et boîtes de montres bien connu de 1795 à 1820. Ses ouvrages sont réputés.
Une plaque indique « l’Amour conduit la fidélité », représentée par le chien. Le marbre est vert, identique à celui de la pendule aux trophées.
► La Fondation Napoléon possède dans ses collections une pendule du même modèle.
Pendule dite « de L’Énéide »
Elle a appartenu au Maréchal Murat et a été cédée en 1808 à Napoléon en même temps que le palais de l’Élysée. Elle quitte l’Élysée en 1872 pour entrer au Garde-Meuble du Mobilier national. Pendule importante – 71 cm de hauteur -, elle représente un buste d’Homère entouré de deux personnages, Auguste et Livie, représentés également dans le bas-relief. Les bronzes ciselés sont de Ravrio et Porchez. Le cadran indique le quantième. C’est une rare pendule de maréchal à posséder une telle complication.
Pendule dite « d’Anaxagore et Périclès »
Ce modèle, destiné à figurer dans la bibliothèque du général Louis-Gabriel Suchet (1770 – 1826), est cité pour la première fois dans une proposition adressée, le 27 mai 1807, par le marchand Lucien-François Feuchère au général Suchet, futur maréchal et duc d’Albuféra nommé en 1811. Le sixième item de ce devis est en effet « Anaxagore et Périclès prix 2 900 francs ». On ignore quelle suite le général Suchet donna à cette proposition qui lui était faite. Trois autres pendules sur ce modèle existent, à notre connaissance : une pendule fait partie des collections du Mobilier national, acquise en août 1835, une autre a été vendue par Artemisia Auction le 16 juin 2014. Les experts l’on présentée comme modello de la précédente et de la troisième connue sur ce thème et qui est au musée de l’Hermitage de Saint-Pétersbourg, acquise par le tsar Alexandre 1er. Leur quantième possède trente jours et les aiguilles Directoire permettent de la dater vers 1800/1805 (Le calendrier républicain, aboli le 31 décembre 1805, cette modification implique un changement de cadran et un rouage à 31 jours. Pour les mois à 28, 29, 30 jours le réglage se fait manuellement en forçant l’aiguille du quantième. Les cadrans et les rouages de quantième étaient fabriqués en série et d’un prix plus abordable. Pour preuve le cadran de cette pendule indique seulement à Paris. On retrouve cette anomalie sur des cadrans de pendule dans la période 1790 – 1805.). Le nom de l’horloger était ajouté mais non émaillé et de ce fait a disparu, comme bien souvent, lors de nettoyages successifs. La datation de ces cadrans peut être évaluée 1790 – 1804.
Les experts précisent « La mention de son modello se trouve, d’ailleurs, dans l’inventaire dressé après la faillite du fondeur- fondant Étienne Louis Forestier, à partir du 2 décembre 1809 : Suivent les modèles […] appartenant aux cy-aprés nommés […]. au Sr Damerat, un modèle de pendule dit Périclès & Anaxagore. Cet artiste doit être identifié avec le sculpteur François Aimé Damerat (actif de 1781 à 1820). »
Par « modèle » s’agit-il d’une sculpture servant à réaliser les fontes, d’une fonte brute destinée a être ciselée ? Ou d’un dessin ? Ce modèle n’a-t-il servi que deux fois ? Damerata fait ses premières livraisons au renommé marchand Dominique Daguerre en 1784. Il ne figure pas dans la capitation de 1786 des bronziers. C’est un touce-à-tout, selon les historiens et experts : dessinateur, fondeur, doreur, ciseleur et répertorié comme bronzier. Dans la capitation des bronziers de 1786, il figure deux Forestier sans prénom, l’un en deuxième classe, taxé 70 livres, l’autre en onzième classe avec l’initiale L., taxé 15 livres. Le Dictionnaire des horlogers de Tardy nomme également deux Forestier en 1812 mais sans prénom : l’aîné, bronzier rue du plâtre à Paris ; le jeune, bronzier rue Sainte-Croix-la-Bretonnerie, toujours à Paris. Les Forestier sont une dynastie de fondeurs-ciseleurs, fournisseurs des bâtiments du roi depuis 1755, actifs jusqu’à la fin du XIXe siècle. Thomire leur confie régulièrement la sous-traitance de certaines de ses fontes.
Selon toute vraisemblance Damerat s’est inspiré du tableau d’Augustin Louis Belle (1757-841) du musée du Louvre. Ce tableau de très grandes dimensions (266 cm x 343 cm) a été exposé au Salon des Artistes de 1796 (an V), antérieurement aux créations de pendules.
Il existe un deuxième tableau sur ce thème qui appartient au musée de Princeton University Art, avec une date d’exécution fin XVIIIe siècle. Deux attributions sont proposées pour ce tableau : Nicolas Guy Brenet (1728-1792) reçu à l’Académie royale de Peinture en 1769, et Jacques Louis David (1748-1825) agréé et reçu à l’Académie royale de Peinture en 1783.
Ce tableau de 65 cm par 81,5cm a du inspirer Belle. Les tableaux représentant Anaxagore et Périclès sont en vogue de 1770 à 1830, avec des thèmes différents nous trouvons l’Amitié d’Anaxagore et Périclès de Charles Nicaise Perrin (1754-1831) ainsi qu’Anaxagore et Périclés discutant d’Alexandre Penjaud présenté au Salon de 1819. Les copies entre artistes sont fréquentes.
Pendule d’Anacréon
Quatre pendules de ce type ont été livrées par l’horloger (Henri ?) Lepaute et référencées dans un mémoire de 1806. Un maréchal en a-t-il possédé un exemplaire ? Une d’entre elles en tout cas a été livrée par Lepaute le 30 août 1806 et placée dans le salon d’Élisa Bonaparte, princesse de Lucques et de Piombino, au château de Fontainebleau, en 1807. Cette pendule est en marbre et est conservée au Mobilier national (GML-6760-000).
Aparté bis : Pendule dite « aux deux vestales », un cadeau avéré de Napoléon… mais pas pour un maréchal
Cette prestigieuse pendule a été offerte en 1810 par Napoléon Ier au baron Anselme de Peellaert (1764 – 1817), échevin, commandant alors la garde d’honneur à l’entrée de Napoléon et Marie-Louise à Bruges, puis devenu comte d’Empire. Cette pendule appartient au Musée Duesberg de Mons, collection du baron François Duesberg, parmi les 60 pièces horlogères présentées par le musée. Elle est de Thomire Pierre Philippe (1751-1748) fondeur et ciseleur parisien. Le mouvement est horizontal à sonnerie logée dans le socle, commandant un double cadran tournant en argent posé sur l’autel du feu sacré entretenu par une vestale en bronze de platine verte.
Thomire a créé à la fin du XVIIIe siècle un modèle aux deux vestales portant le feu sacré dont il existe plusieurs variantes. Marie-Antoinette a possédé l’une de ces pendules, produite par Thomire pour les bronzes et Robin pour l’horlogerie. Elle est actuellement conservée au musée des Arts Décoratif de Paris. Le modèle qui nous intéresse est une variante exécutée plus tardivement, avec deux brûle-parfum en cassolettes, surmontés d’une chimère. C’est la première – et actuellement la seule – pendule à complication parmi les cadeaux de Napoléon. Son bénéficiaire n’appartenait pas à l’armée impériale.
Conclusion
Commandées à des horlogers (En urgence pour un seul modèle à plusieurs horlogers parfois.) et bronziers (Plus rarement mais certains ont pu répartir le travail à plusieurs horlogers, pour la pendule aux trophées notamment. Il est également possible que son bronzier, Ravrio, ait possédé les droits sur ce modèle.) par l’administration impériale, les pendules offertes par Napoléon existaient en série. Par trois fois, nous avons connaissance d’une série avec certitude : 8 pendules pour le modèle « à l’obélisque » ; 12 pour le modèle « La Lecture et la Philosophie » ; 15 pour la pendule « aux trophées ».
Nous sommes donc en présence de surmoulages du modèle initial, avec une retreinte de quelques millimètres dû à celui-ci. Pour étayer cette proposition, nous avons un doublon d’un même modèle pour des officiers différents qui serait le reliquat d’une série plus importante : la pendule « de Télémaque », pour le maréchal Jourdan et l’autre pour le général Jacquinot, qui possède une fourchette de datation de 1807-1812.
Ce modèle de pendule n’est pas rare. Il n’y avait donc pas commandes individuelles effectuées par Bonaparte puis Napoléon : le Trésor finançait ces séries sur sur son ordre. À la réception des pendules, Bonaparte puis Napoléon décidait des différents lauréats seul, raison pour laquelle les noms des destinataires sont restés anonymes. Les pendules isolées d’une série, en l’absence d’information, peuvent avoir été achétées et/ou léguées mais l’élu restera inconnu sauf pour le maréchal Ney. Nominativement, nous n’avons connaissance que de militaires sauf pour la pendule du maréchal Lannes dont nous savons que ce modèle a également été offert à des diplomates autrichiens. La prestigieuse pendule de Thomire offerte au baron Anselme de Peellaert est un autre exemple de cadeau horloger fait à un civil. Ces deux cas permettent d’entrevoir un nombre de bénéficiaires bien supérieur aux seuls maréchaux, et dont nous n’avons pas connaissance, dont la famille impériale et la maison de l’Empereur faisaient sans doute partie.
Claude Robert
Été 2022 – Révision, Marie de Bruchard : février 2023