Les précédents
La régence féminine constitue une ancienne habitude en France (3), lorsque certains souverains étaient encore mineurs. Eugénie le savait bien qui, au moment d’épouser Napoléon III, confie à un ami : « Je suis soutenue par […] l’exemple des deux reines espagnoles, Blanche de Castille et Anne d’Autriche » — mais elle précisait, ne sachant pas ce qui l’attendait : « ma mission sur terre sera d’aider ceux qui souffrent et non pas de gouverner ». Il s’agit d’un rôle apparemment plus germanique que latin : au VIe siècle, Brunehaut exerce la fonction en Austrasie au nom de son fils puis de ses petits-fils, tout comme, une centaine d’années plus tard, sainte Bathilde (4) pendant la minorité de Clotaire III en Neustrie et Bourgogne ; de même, au XIIe siècle, Marie de Champagne et Clémence de Bourgogne gouvernent ces terres au nom de leurs maris et de leurs fils. Après les reines douairières Blanche de Castille (1226- 1236 et 1248-1252), Catherine de Médicis (1552, 1560-1563 et 1574), Marie de Médicis (1610-1617) et Anne d’Autriche (1643-1651) (5), c’est le premier Napoléon qui donne à la régence son aspect de remplacement temporaire. Comme souvent avec l’Empereur, la pratique a précédé le droit. Celui-ci a d’ailleurs été quelque peu bousculé, puisque la Constitution de l’an XII prévoyait que ce serait le fils aîné du souverain qui assumerait cette charge ou, à défaut, Joseph ou Louis, étant entendu que « les femmes sont exclues de la régence » (article 18). En tout cas, Marie-Louise a agi en tant que régente pendant l’absence de son mari, d’avril à décembre 1812 lors de la campagne russe puis d’avril 1813 à janvier 1814 lors de la campagne allemande. Un sénatus consulte du 5 février 1813 détermine, à la suite du projet présenté par Cambacérès trois jours plus tôt, la forme de la régence pendant la minorité de l’Empereur. Il prévoit, en 58 articles, une régence de « l’impératrice mère » sauf si l’empereur en a disposé autrement. Elle exerce « toute la plénitude de l’autorité impériale » (article 11) et préside le conseil de régence « composé du premier prince du sang, grands dignitaires de l’empire ». Le rapporteur, le comte de Pastoret (6), est allé chercher des exemples dans l’histoire royale jusqu’à Charlemagne. Le 30 mars 1813, par lettres patentes, Napoléon Ier décerne donc à Marie-Louise le titre de régente pour présider en son nom « le Sénat, le Conseil d’État, le conseil des ministres et le conseil privé » sans avoir le droit de promulguer un sénatus-consulte ou « aucune loi de l’État ». Les mêmes termes sont utilisés le 23 janvier 1814. Notons aussi que, le 1er juillet 1810, en abdiquant en faveur de ses deux fils, Louis de Hollande — le père de Napoléon III — avait nommé Hortense régente « jusqu’à leur majorité » ; la mesure resta théorique, à la fois parce que la souveraine avait déjà quitté le royaume batave et surtout parce que l’Empereur des Français l’annexait dès le 9. On serait entré là dans un cadre de figure plus classique, avec une mesure destinée à suppléer celui qui ne règne plus. De toute manière, le monde napoléonien du Premier Empire aura très souvent inclus la possibilité d’une régence, qu’il s’agisse d’une minorité ou que le souverain en titre soit momentanément empêché — ce qu’on n’avait plus connu depuis Louise de Savoie (7) gouvernant la France durant la captivité de son fils François Ier après la défaite de Pavie.
Le roi Jérôme mécontent
C’est dès février 1855, la guerre de Crimée n’avançant pas, que Napoléon III envisage de se rendre sur place et de confier la régence à son oncle, le roi Jérôme, lequel réclame le droit de démettre les ministres ; Fould rédige alors un décret s’inspirant du sénatus-consulte de 1813. Au printemps, lorsqu’il est question du déplacement au Royaume-Uni, la question se pose à nouveau, mais elle n’est pas résolue. L’année suivante, le sénatus-consulte du 17 juillet 1856 crée un conseil de régence qui serait confié à l’Impératrice ou, à défaut, au roi Jérôme en tant que plus ancien prince français. Mais les choses traînent et, finalement, rien n’est décidé. L’ancien roi de Westphalie, qui n’a pas oublié comment, à l’automne 1852, il n’est pas arrivé à se faire citer nommément comme hypothétique successeur le plus proche du nouvel empereur, ne renonce pas à se placer. En juin 1857, considérant avec une certaine crainte les élections — Paris vient de désigner cinq députés républicains —, il affirme la nécessité de renforcer le poids de la famille impériale, c’est-à-dire de lui-même : « Si l’empereur ne donne pas plus de force et de racine à la dynastie impériale, ce n’est bien certainement pas sa femme, quelques qualités qu’elle ait, qui maintiendrait son fils au milieu des factions et des partis contraires ». Mais on sait que Napoléon III, tout en le couvrant d’honneurs et en utilisant sa popularité, ne met pas en lui une confiance totale et qu’il tient encore moins à ce que son fils, Plon-Plon, puisse ensuite se comporter en héritier présomptif. Aussi, le 3 mai 1859, lorsqu’il part assurer le commandement en chef de l’armée d’Italie, l’Empereur confie la régence à Eugénie, son oncle devant être consulté et la suppléant éventuellement à la présidence du conseil des ministres et du conseil privé (8), voire d’une manière plus générale. Évidemment, Jérôme est chagriné de ne pas assumer la régence et exprime au moins à deux reprises son dépit à l’Empereur ; d’abord : « Je prévois de graves complications qui pourraient amener la chute de votre gouvernement qui tomberait sans honneur et par la trahison au premier revers » (lettre du 4 mai), puis : « la manière dont vous avez organisé le gouvernement de la France en votre absence est plus que défectueuse et ne résisterait pas au premier choc » (lettre du 17 juin).
Une fonction très codifiée
Les lettres patentes transférant le pouvoir à l’Impératrice encadrent son pouvoir. Ainsi, à la suite de la Constitution de l’an XII, elle ne peut promulguer de sénatus-consultes et de lois « autres que ceux qui sont actuellement pendants devant le Sénat, le Corps législatif et le Conseil d’État ». Le même jour, dans l’« ordre général du service », l’Empereur précise : « pour tous ces actes, l’impératrice prendra l’avis de notre oncle, le prince Jérôme » ; « pour tout ce qui n’est pas de forme ou de petit ordre, les affaires seront renvoyées à notre décision par le ministre d’État, à moins qu’il n’y ait urgence et utilité pour nos intérêts et ceux de l’État à prendre un parti immédiat » ; « le ministre d’État nous adressera tous les jours un bordereau de tous les actes qui auront été signés par l’impératrice-régente ». Lui sont reconnus les droits de grâce et de commutation et sursis des peines. Sont ensuite précisés les niveaux jusqu’auxquels elle peut procéder à des nominations ministère par ministère : conseiller à la cour de cassation, consul de première classe, préfet, colonel, professeur de faculté.
une fois chaque semaine », mais sont tenus d’écrire tous les jours à l’Empereur les ministres d’État (9), des Affaires étrangères, de l’Intérieur, de la Guerre, de la Marine, le préfet de police et l’inspecteur permanent de la gendarmerie. Les deux régences suivantes n’apporteront que des modifications secondaires. Pour celle de 1865, Jérôme étant mort, son fils remplacera l’Impératrice en cas de besoin. Il sera prévu deux conseils des ministres par semaine et un conseil privé « une fois tous les quinze jours ». L’Impératrice pourra nommer les ecclésiastiques « jusqu’aux fonctions de vicaires généraux », mais « pourra recevoir le serment des archevêques et évêques récemment nommés ». Enfin, en 1870, l’Empereur précisera le moment du début de la régence : « Dès que nous aurons quitté la capitale » et il arrêtera un conseil des ministres deux fois par semaine. En fait, tant pour la deuxième que pour la troisième régence, ces conseils se tiendront plus fréquemment que prévu — sans que cela ait semblé poser un problème. Il faut s’interroger sur la perception que les contemporains ont eue de l’exercice de la régence. En fait, seule une minorité d’observateurs, tel le correspondant des Illustrated London News précité, semble y avoir réellement prêté attention. L’opinion publique, elle, ne se passionnait que pour ce qui se déroulait de l’autre côté des Alpes. Il est significatif qu’un ouvrage officiel comme la Campagne de l’empereur Napoléon III en Italie, 1850 (10), rédigé en 1860-1861 sous les ordres du maréchal Randon, ne mentionne absolument pas la souveraine, l’Empereur seul étant cité, que ce soit au départ, pendant les opérations ou au retour. En revanche, ceux qui ont l’occasion de l’approcher apprécient son rôle (11).
Relations avec la presse
Lors de la première régence, ce ne sont pas moins de vingt-sept conseils des ministres qui sont présidés par Eugénie, sur un peu plus de deux mois, entre le 12 mai et le 16 juillet (12). Autrement dit, cet organe de l’exécutif est réuni tous les deux ou trois jours (13). Dès le premier (14), « le prince [le roi Jérôme] dit qu’il aime l’Impératrice comme un père, qu’il n’a rien plus à cœur que la gloire et la prospérité de l’Empereur et de son fils et que l’Impératrice peut compter, dans l’accomplissement de la tâche que la confiance de l’empereur lui a confiée, sur le concours de son expérience et de son dévouement le plus absolu ». Lors de ce même conseil du 12 mai, elle fait remarquer au ministre de l’Intérieur (15), « très blessé d’un article publié dans le Times », que ce dernier ne compte que « peu de lecteurs dans notre pays » et partage l’avis de celui des Affaires étrangères (16) qui rappelle que « la pensée de l’Empereur a toujours été de ne pas s’opposer à la circulation du Times en France ». Il va en être à nouveau question le 21 après qu’a été suspendue sa distribution. Un mois plus tard, le 21 juin, elle « décide que le Moniteur publiera un article sur les affaires de Toscane et que les journaux semi-officiels seront chargés de répondre au Times et de traiter la question des Légations (17) ». Les affaires d’Italie tiennent naturellement une place importante, non seulement parce que l’Empereur y guerroie, mais parce que l’avenir de la péninsule se trouve en jeu et que, à l’étranger comme en France, on se demande ce qui va advenir des divers États qui la composent, notamment ceux du pape. Se pose plus particulièrement le cas de la ville de Rome : tout le monde sait que les Piémontais veulent en faire la capitale du pays réunifié. Ainsi est-il noté le 14 mai 1859 : « L’Impératrice a reçu des plaintes sur le livre de M. About (18) intitulé La question romaine. Sa Majesté ne le connaît pas, mais craint qu’il ne soit la cause d’un scandale regrettable ». Malheureusement, l’ouvrage, imprimé et publié à l’étranger, ne peut que faire l’objet d’une saisie et l’auteur de poursuite. Le même jour, on parle de la censure (19). Une longue discussion se tient sur la direction de la Presse et de l’Esprit public, qui devrait être confiée à La Guéronnière (20) selon la volonté de l’Empereur. Certains voudraient limiter ses attributions. Finalement, suite à une correspondance de l’Impératrice avec son mari, il ne sera pas « chargé de la direction générale de la Librairie, du Colportage et de la Presse » mais simplement « chargé temporairement des services de… ».
Entre Plon-Plon et l’Église
Les questions italiennes reviennent de plusieurs manières le 19 mai. La régente s’inquiète en effet de l’éventualité d’un départ de Plon-Plon en Toscane (21) : « On ne manquera pas de dire que l’Empereur veut conquérir des trônes pour sa famille ». Cette remarque ne traduit pas seulement sa crainte de le voir tenter de se mettre en avant une fois de plus, mais correspond aussi à des craintes exprimées à l’étranger, notamment dans la presse britannique (22). Bien entendu, le roi Jérôme intervient à la fois en père noble défendant son fils et en éternel prétendant au sein de la dynastie : « Ce n’est pas lorsque l’on a des droits au trône de France que l’on peut être soupçonné de convoiter de petits trônes à l’étranger ». Eugénie le mouche en rétorquant qu’il a « sans doute voulu parler de droits éventuels » (23). Lors du même conseil, appliquant sans le savoir le principe de subsidiarité qui consiste à régler les problèmes au plus près des intéressés, l’Impératrice affirme vouloir privilégier « l’autorité ecclésiastique » pour réprimander les attaques proférées en chaire contre la politique du gouvernement, sous-entendu sur la question italienne. Cela signifie qu’une opposition catholique commence à se manifester (24) et que l’unanimité n’est donc pas absolue au sujet de l’intervention française aux côtés des Piémontais. La précision selon laquelle ces remarques concerneront aussi les membres d’ordres religieux non reconnus est intéressante à un double titre : elle montre que le pouvoir civil se donne une liberté d’action allant au-delà de ce que prévoyaient le Concordat et les Articles organiques, pour lesquels les congrégations n’existaient pas, mais aussi que ces dernières, y compris celles qui ne disposent pas d’un statut légal (25), restent en pleine expansion. Il faut également tenir compte du fait que les rapports sont généralement bons, pour ne pas dire très bons, entre l’État de Napoléon III et l’Église catholique et que divers problèmes peuvent être réglés à l’amiable. Cet état d’esprit et la pratique qui en découle sont confirmés au conseil du 28 mai 1859 : Eugénie approuve le ministre de l’Instruction publique et des Cultes qui a décidé de contribuer au paiement des dettes laissées par le cardinal Dupont (26), archevêque de Bourges, en raison de l’« usage […] charitable de sa fortune » et « recommande au ministre de veiller à ce que les obsèques du cardinal soient faites d’une manière convenable à sa dignité et conforme aux précédentes ». À la fin de ce mois de mai, le 31, commence une affaire assez pittoresque. Ce jour-là, il est décidé, à la demande du maréchal Randon, d’envoyer une dépêche télégraphique à l’Empereur pour le convaincre de réduire de 3 000 à 300 le nombre de chevaux de trait destinés à l’allié piémontais. Selon le ministre, outre le fait que l’armée française en manque, on peut craindre qu’ils ne « fussent achetés par des marchands suisses pour aller remonter l’artillerie autrichienne » ! En définitive, deux semaines plus tard, le 16 juin, 1 000 seront accordés, car Napoléon III a fait observer : « Si le Piémont manquait du nombre de chevaux dont il a besoin, nous serions obligés de nous charger de ses transports. » (27)
Bon sens
Le 2 juin, est arrêtée la grâce immédiate d’un certain Villers, que le garde des Sceaux proposait de faire libérer au 1er janvier 1860. Deux jours plus tard, à propos d’un projet de « communiqué » rectificatif dans Le Siècle, la régente demande avec sagacité de s’en tenir au système des avertissements aux journaux et de ne « pas faire de polémique avec eux ». Pendant plusieurs conseils qui suivent (28), on constate l’absence du roi Jérôme. Le 16 juin, lorsque celui-ci, en bon adversaire du pape, demande la publication au Moniteur d’une déclaration sur les promesses faites par la France au Saint-Siège (29) elle lui « répond qu’il est impossible de rien faire avant d’avoir reçu les ordres de l’Empereur ». Le 30 juin, elle jette une nouvelle pierre dans son jardin en répétant qu’« elle pense que la mobilisation de la Garde nationale produirait un mauvais effet au dedans comme au dehors et que les circonstances n’exigent pas qu’on y ait recours ». Au cours de la même réunion, elle « appelle l’attention du conseil sur la situation précaire des femmes des officiers » et « pense qu’il y aurait lieu de changer les règlements qui concernent la dot exigée pour autoriser les mariages ». Le 2 juillet, elle arrête que « les députés jouiront dans toute l’étendue du territoire des privilèges qui leur appartiennent » — et pas seulement dans leurs départements. Trois jours plus tard, constatant que la veuve du général Pellet (30) ne peut « réclamer le bénéfice de la loi qui a été faite pour les veuves des grands fonctionnaires », elle « décide qu’une pension lui sera faite sur les fonds de la liste civile ». Enfin, le 7, elle fait à nouveau preuve de retenue et de bon sens en réagissant au bruit selon lequel le comte de Chambord (31) se cacherait à Castelsarrasin chez la marquise de Pérignon (32) : « L’impératrice s’oppose à toute espèce de visite domiciliaire. Il ne faut pas donner aux mécontents un prétexte de plainte par une apparence de persécution. Il est bon de surveiller ses adversaires, mais sans leur donner de l’importance en montrant qu’on s’occupe d’eux ». Le 9 juillet, après la suspension d’armes de Villafranca (33), on apprend que l’Empereur lui demande de venir la retrouver à Milan. Mais « plusieurs membres du conseil émettent le doute que Sa Majesté puisse régulièrement, étant seule placée à la tête du gouvernement, quitter le territoire de la France ». De toute manière, le 14 (34), c’est l’annonce, par la régente, du retour de son mari (35). Cela entraîne au conseil des remerciements réciproques, notamment, en ce qui la concerne, sur sa « grandeur de caractère qui lui a toujours fait adopter le parti le plus noble et le plus élevé ».
Impôt sur la richesse
La deuxième régence s’exerce pendant un peu plus d’un mois, du 3 mai au 9 juin 1865, alors que l’Empereur effectue une visite officielle en Algérie. Durant ces cinq semaines, il y aura eu pas moins de treize conseils des ministres, ce qui constitue une cadence semblable à celle précédemment observée, quoique légèrement inférieure, avec un intervalle moyen de trois jours. Le roi Jérôme étant mort en 1860, c’est son fils qui le remplace au conseil. Si les quatre réunions des 22, 27 et 31 mai et du 7 juin ne présentent pas de quoi retenir l’attention, on peut dire quelques mots sur les neuf autres. À la première, le 3 mai, l’impératrice annonce que, « après une étude attentive et malgré les inconvénients que cette mesure aura incontestablement pour l’instruction du soldat, l’empereur a décidé que le palais pour l’Exposition universelle de 1867 serait édifié sur le Champ de Mars ». Toutefois, il serait exagéré d’en déduire que les militaires cantonnés à Paris auraient ainsi disposé de moins d’atouts pour leur préparation technique à d’éventuels futurs combats — on se trouve à cinq ans de la guerre de 1870 et Napoléon III n’a pas encore préparé la réforme qu’il confiera au maréchal Niel et qui sera sabordée par les parlementaires. Trois jours plus tard, alors que Persigny (36) est absent, Eugénie se prononce dans le même sens que Plon-Plon (37) qui s’est affirmé partisan de l’impôt sur les chevaux et les voitures (38), qualifié de « taxe qui frappe incontestablement un signe manifeste de la richesse » ; elle manifeste même, à ce sujet, sa préférence pour un « débat public ». Par ailleurs, elle demande au maréchal Magnan (39) de « révoquer les ordres précédemment donnés » pour mettre à la disposition de compagnies privées des maréchaux-ferrants de l’armée ; ce serait en effet favoriser les employeurs, « paraître prendre parti » contre leurs ouvriers et donc « violer la loi (40) rendue l’année dernière et de plus faire un acte profondément impolitique car on excite ainsi les hostilités entre l’armée et les classes ouvrières ».
Encore les légitimistes
Le 10 mai, elle se trouve confrontée aux hésitations du ministre de l’Intérieur (41) qui ne sait s’il peut accepter un legs pour l’hospice de Tours sous condition que l’une des salles porte le nom de Marie-Thérèse (42), « en mémoire de l’infortunée fille de Louis XVI ». Elle fait alors observer « qu’on ne saurait priver les pauvres d’une ressource assez importante par une considération politique d’ailleurs assez peu sérieuse » puisqu’elle ne fait que rappeler « des faits réprouvés par tous les honnêtes gens » (43). À la date du 13 mai, la régente doit faire face aux récriminations de la diplomatie étasunienne à propos des Confédérés. Elle demande de « défendre avec fermeté et dignité notre conduite antérieure » et de bien s’entendre avec le Royaume-Uni tout en admettant que, le conflit étant terminé, il n’y a plus lieu de reconnaître le statut de belligérants aux Confédérés. Sachant très bien que les Yankees avaient mal pris l’intervention française au Mexique et reprochaient à la France de se montrer favorable aux Sudistes, elle exprime ainsi sa triple volonté de ne pas renier l’action gouvernementale passée, d’en profiter pour maintenir de bonnes relations avec Londres (44) et de prendre acte de la victoire nordiste. Elle pousse ensuite, quatre jours plus tard, à l’adoption d’une convention avec la société immobilière montée par Frémy (45) et Talabot (46) pour des travaux publics en Algérie, là où se trouve précisément l’Empereur. Elle développe un raisonnement où le bon sens semble accompagner le souci d’efficacité : « Est-il possible de ne pas prendre une résolution nette et précise à l’égard de notre colonie ? Après de si longs et si stériles tâtonnements, comment ne pas se décider à faire un effort résolu ? La combinaison proposée, qui fait un appel simultané aux efforts de l’État, de l’industrie privée, de l’agriculture et du crédit, n’est-elle pas le seul et efficace moyen d’atteindre le but ? »
Plon-Plon et la presse
Le 19 mai, lors d’une réunion conjointe avec le conseil privé, en l’absence de Persigny indisposé, elle est amenée à intervenir une fois de plus à propos du comportement de l’imprévisible cousin de l’Empereur. Une discussion s’engage au sujet du discours que Plon-Plon vient de tenir à Ajaccio (47), d’autant plus que son texte a été communiqué subrepticement aux journaux la veille après le refus du ministre de l’Intérieur de l’insérer dans le Moniteur (48). Tous les assistants condamnent la manière d’agir du prince, notamment Victor Duruy (49), qui parle d’« abus du mandat », et Drouyn de Lhuys, qui réprouve cette « confiscation de l’autorité de Napoléon Ier pour la diriger contre la politique suivie par l’empereur Napoléon III ». L’impératrice, elle, lui reproche sa « véritable dissimulation » et arrête la non-insertion de ses propos dans le Moniteur ; elle demande également que le journal officiel lui applique la loi du silence — et qu’il en soit de même, si possible, dans les autres organes de presse. Au conseil du 24 mai est abordé le cas de L’Indépendance belge (50), « de plus en plus hostile » selon le ministre de l’Intérieur. Eugénie décide que son propriétaire sera invité « à se montrer plus modéré » et que, si rien ne change, son entrée en France « sera suspendue » (51). On se trouve en effet dans une période où les critiques extérieures, alimentées ou non par Bismarck, commencent à fuser. Le 3 juin, se pose une question qui apparaît comme ne relevant pas du seul protocole. Le compte rendu officiel énumère les problèmes possibles : « M. le garde des Sceaux expose que le 28 juin prochain doivent avoir lieu à Paray-le-Monial (Saône-et-Loire) des solennités religieuses, qui dureront plusieurs jours et qui auront pour objet la canonisation (52) récente de sainte Marie Alacoque (53). À ces cérémonies assisteront deux cardinaux, Mgr de Bonald (54) et Mgr Mathieu (55), ainsi qu’une quarantaine d’évêques. MM. de Montalembert et de Falloux (56) y sont invités. M. le préfet de Saône-et-Loire (57), qui a aussi reçu une invitation, devra-t-il y assister ? S’il y assiste, ne sera-t-il pas exposé à voir contester son rang officiel et à entendre prononcer des discours qui ne seraient pas parfaitement convenables vis-à-vis du gouvernement (58) ? » Là encore, la régente combine réalisme et sens politique : « Après quelques observations présentées par divers membres de la réunion, Sa Majesté l’impératrice décide que, dans des solennités religieuses qui attirent un si grand concours de populations, il n’est pas bon que l’autorité civile soit absente et paraisse ainsi faire acte d’indifférence. En conséquence, M. le préfet devra se rendre à Paray-le-Monial ; seulement, il devra à l’avance s’entendre avec l’évêque et le maire pour se faire assurer le rang officiel auquel il a droit et pour que le toast à l’empereur soit porté en première ligne. » Enfin, le 9 juin, le directeur (59) du Théâtre-Italien, qui avait renoncé aux 100 000 francs annuels à sa nomination, voudrait les récupérer, faute de quoi il devra fermer l’an prochain. Au maréchal Vaillant (60) qui lui demande « s’il peut ou non prendre un semblable engagement » l’Impératrice répond de « rechercher s’il est possible de prélever sur les allocations actuelles la somme demandée par M. Bagier mais qu’en tout cas aucune proposition d’un crédit nouveau ne sera faite au Corps législatif ». C’est sur ce souci d’orthodoxie budgétaire que se clôt la seconde régence.
Les déboires d’Émile Ollivier
La troisième et dernière régence est déterminée par les conditions de la guerre franco-prussienne qui va se révéler fatale au régime. Dans ses lettres patentes du 23 juillet 1870, l’Empereur la justifie par les mêmes raisons avancées onze ans plus tôt, lors de la campagne d’Italie : « attendu que nous sommes dans l’intention de nous mettre à la tête de l’armée ». Le décret est daté du 26 juillet et, deux jours plus tard, lorsqu’il monte dans le train, l’Empereur s’approche d’Émile Ollivier (61) et lui confie : « Je compte sur vous ». Mais, en quelques jours, les événements se précipitent (62). Le 7 août, à Saint-Cloud, une dépêche chiffrée arrive de Forbach : « Toute l’armée est en déroute ; il faut élever notre courage à la hauteur des circonstances. […] Tout peut encore se réparer ». L’Impératrice décide de rentrer à Paris « afin que le gouvernement soit réuni en permanence ». Elle envoie à sa mère une dépêche (63) : « Louis partira dans quelques jours avec son père pour l’armée et je désire que vous lui envoyiez votre bénédiction. Ne vous tourmentez pas : je suis parfaitement calme. Il faut qu’il fasse son devoir et honneur à son nom. » Depuis Compiègne, une proclamation est adressée à la suite de la défaite de Reichshoffen. Le brouillon montre une rédaction quelque peu différente du texte définitif : « Français, le début de la guerre ne nous est pas favorable. La patrie n’est pas en danger, mais nos armes ont subi un échec. Soyez fermes dans ce revers et hâtons-nous de le réparer. Qu’il n’y ait parmi nous qu’un seul parti, celui de la France, qu’un seul drapeau, celui de l’honneur national. » Comme cela était prévisible, les mauvaises nouvelles transpirent aussitôt. Un observateur note ainsi : « La consternation dans Paris ne saurait se peindre. On vivait dehors. Dans les rues, sur les places publiques, on s’abordait sans se connaître. On se communiquait toutes les nouvelles vraies ou fausses, ces dernières surtout ; et, à tous les carrefours, des groupes se formaient pour lire en commun les journaux qui paraissaient. » L’atmosphère devient vite électrique. « Le bruit d’une défaite s’était répandu dans Paris. En apprenant que nous avions encore été battus, la consternation devint de la fureur dans la population des faubourgs, où déjà fermentaient des idées de révolte. On commençait à prononcer le mot de trahison, ce mot si funeste, dont l’amertume vint se mêler à tous nos désastres. Des bandes se portèrent vers la place Vendôme, devant le ministère de la Justice ; M. Émile Ollivier y arrivait, accompagné d’un ami. […] Il était à pied ; la foule le reconnaît, l’entoure aussitôt, le menaçant, l’injuriant, cherchant à l’atteindre pour le maltraiter. […] Quelques jeunes gens, attachés au ministère de la Justice, parvinrent jusqu’au garde des Sceaux et, à grand-peine, le couvrant de leur corps, lui firent escorte jusqu’à ce qu’il eût franchi les portes, qui se refermèrent derrière lui. À ce moment, la population, plus houleuse, plus exaspérée encore, réclamait à grands cris M. Émile Ollivier. Il parut au balcon ; il harangua les manifestants, il parvint à les apaiser et ils se dispersèrent. »
Le ministère Palikao
De son côté, Eugénie s’efforce de rassurer ses interlocuteurs et, surtout, place en premier l’intérêt de la France, comme l’expriment plusieurs de ses propos. On l’entend ainsi dire : « ne nous occupons pas de la dynastie, ne songeons qu’à la France » ou : « le sang français est trop précieux à cette heure ; il n’en coulera pas une seule goutte pour me défendre ». De même, le général de Chabaud-Latour (64), bien connu pour son attachement aux Orléans, témoignera qu’elle a déclaré : « Il ne s’agit pas de sauver l’Empire : il s’agit de sauver la France. » Le général Trochu confiera aussi : « L’impératrice a montré du calme, du caractère, du coeur, des sentiments bien plus français qu’impérialistes. Je veux lui rendre ici cette justice. » Sur le plan politique, le conseil de régence, réuni aux Tuileries, arrête des mesures pour l’armement de la capitale et convoque immédiatement le Corps législatif, qui dispose de davantage de pouvoirs depuis le sénatus-consulte du 8 septembre 1869 (65). « Respectant les lois constitutionnelles, la régente considéra comme un devoir envers le pays d’appeler ses représentants à délibérer sur une situation aussi grave ». De son côté, Émile Ollivier s’oppose à l’Impératrice car il souhaite le retour de Napoléon III à Paris, ce qu’elle craint dans les circonstances actuelles (66). Par ailleurs, il fait préparer des mandats pour arrêter les chefs de l’opposition, ce qu’elle refuse. Le 9, la Chambre se réunit. « La séance fut très agitée […] ; elle aboutit à un ordre du jour de défiance contre le ministère. Il est voté à une immense majorité. Les ministres se retirent aussitôt pour aller remettre leur démission à la régente. » Le 9 août, après un discours très mal accueilli à la Chambre (67), Ollivier est remplacé par Palikao, revenu de Lyon pour devenir ministre de la Guerre après le refus de Trochu. L’Impératrice a été poussée à se séparer de lui, mais elle a voulu que ce soit le Corps législatif qui prenne ses responsabilités (68). Après vingt-quatre heures de crise politique (69) et un dernier conseil des ministres le 10 au matin, l’après-midi voit la formation du nouveau gouvernement (70), dont on a pu dire qu’il était inspiré par Rouher. L’Intérieur est confié à Henri Chevreau, le successeur d’Haussmann à la préfecture de Paris — dont le nom est vite écarté en cette circonstance où l’on ne veut pas une personnalité trop marquée, d’autant que l’Impératrice ne l’a jamais aimé — et qui va conserver ce poste. Notons que, dès le 13, dans le cadre du premier comité secret du Corps législatif, Jules Favre promet au ministère l’« absolu concours des républicains » (71) ; lors de la même séance, Gambetta met en avant « la suspension de l’exercice du pouvoir par le chef de l’État » tout en affirmant : « je ne prononce pas le mot de déchéance » mais en réclamant « un acte anti-dynastique »… Très révélateur apparaît le fait qu’il ne soit absolument pas question de la régente, tout comme lors des deux autres séances des 25 et 26 août : les députés ne parlent guère que des questions militaires ; de même ne sont données que de rares allusions aux conseils des ministres.
Situation grave
Pendant ce temps, la capitale prend un nouvel aspect, qui exprime l’évolution des événements : « Avec une rapidité inouïe, la vie de la cité changeant de but, Paris se transforma en un vaste camp. […] Le frère Philippe, supérieur général des frères de la Doctrine chrétienne, vint trouver l’impératrice et mit à sa disposition le travail de tous ses enfants. Une partie des sacs à terre destinés aux fortifications furent confectionnés par eux. […] Sous les mains débiles des vieillards et des enfants, sous les mains aristocratiques des femmes les plus élégantes, des monceaux de charpie s’amoncelaient […]. Le palais de l’Industrie (72) était encombré d’offrandes de toute nature, destinées à adoucir le sort de nos soldats. […] Paris ressemblait à un vaste champ de foire. D’immenses voitures de grains et de fourrages, des troupeaux de boeufs et de moutons circulaient dans les rues pour l’approvisionnement de la capitale. On parquait les bestiaux dans le bois de Boulogne, dans le bois de Vincennes. » On passe aussi à côté d’événements qui pourraient se révéler très graves. Des manifestations se produisent à Paris, à Marseille, à Lyon et au Creusot. Le 17 août, a lieu une tentative d’émeute à la Villette sous l’instigation notamment de Blanqui. Mais, malgré « le massacre des pompiers […] et des inoffensifs passants », c’est un échec. L’Impératrice déclare : « S’ils veulent venir, nous ne pouvons pas les en empêcher. Fermez les grilles, qu’ils aient au moins la peine de les ouvrir ! » La manœuvre est dénoncée par Gambetta, qui, à la Chambre, préfère y voir, comme le gouvernement, « la main de l’étranger ». Le quotidien de l’Impératrice n’a évidemment plus grand chose à voir avec les deux précédentes régences. « [Elle] vivait dans un tourbillon d’occupations qui la privait même du repos de la nuit. Il y avait jusqu’à deux et trois conseils des ministres par jour. Les communications de tous les services administratifs, de l’armée, de tous les préfets arrivaient aux Tuileries. Le cabinet de l’impératrice centralisait toutes les nouvelles, toutes les dispositions à prendre. […] La plupart du temps elle prenait ses repas seule et à la hâte dans son cabinet, tout en travaillant. » Elle perçoit également bien la gravité de la situation. Ainsi Mme Carette peut-elle raconter : « Un jour, la duchesse de Mouchy, entrant chez l’impératrice, la trouva agenouillée dans son cabinet, priant avec ferveur. — Mon Dieu, disaitelle, donnez-moi une inspiration qui me permette de sauver l’armée de Metz et je me ferai petite soeur des pauvres (73) pour vous servir et vous remercier toute ma vie. »
La dernière mission de Mérimée
Trochu est nommé gouverneur de Paris par Napoléon III, qui l’envoie en quelque sorte en éclaireur. Il prend contact avec des dirigeants de l’opposition républicaine, explique-til à l’Impératrice, « dans un but de conciliation et d’entente ». Il affirme sa totale loyauté à la souveraine : « Madame, je suis Breton, catholique et soldat et je vous servirai jusqu’à la mort ». En fait, la souveraine n’éprouve qu’une confiance limitée en lui, le considérant comme un orléaniste ; toutefois, elle s’est résolue, sur les conseils de l’amiral Edmond Jurien de la Gravière (74), à lui accorder sa confiance. À côté des louvoiements de certains, un homme s’efforce d’intervenir en faveur de l’Impératrice, son vieil ami Prosper Mérimée. Le 16 août, malgré sa fatigue due à la maladie qui va l’emporter le 23 du mois suivant, il passe un quart d’heure avec elle mais, malgré tout l’aplomb avec lequel il s’efforce de la convaincre que rien n’est perdu, il confie : « Je suis sorti navré et plus fatigué des efforts que j’avais faits pour ne pas sangloter que si je m’étais abandonné complètement ». Après lui en avoir parlé, bien qu’elle ait ultérieurement démenti avoir donné son accord, il va voir Thiers, avec lequel ses relations sont restées bonnes — c’est lui qui l’avait nommé inspecteur général des Monuments historiques le 27 mai 1834. Il le rencontre même, semble-t-il, à deux reprises, les 18 et 20 août : mais l’opposant obstiné refuse de faire quoi que ce soit avant une abdication. D’où ce commentaire d’Eugénie, qui n’oublie sans doute pas que Napoléon III a refusé l’aide de Thiers en juillet : « Il attend la République ; alors, il ne refusera pas le pouvoir ». L’épilogue se produit le 4 septembre, au lendemain du jour où on apprend la défaite de Sedan de manière plus ou moins sûre. En voici une relation d’époque (75) : « Messe à huit heures et demie dans l’oratoire. « Visite accoutumée du préfet de police. M. de Lesseps (76) et les députés de la maison viennent conseiller à l’Impératrice de se dessaisir du pouvoir au profit de la Chambre, de façon à éviter la déchéance de droit par une abdication de fait. « C’est à ce moment que l’Impératrice reçoit le général Trochu. D’après son attitude et son langage, elle juge qu’il ne défendra pas la Chambre contre les envahisseurs. Il s’engage à protéger la personne de l’Impératrice (pour laquelle il a toujours feint une profonde admiration et une vive sollicitude) : “Avant d’arriver à V. M., dit le général, il faudra qu’on passe sur mon corps !” Cependant, quand l’Impératrice le fit chercher à 2 h ½, il fut introuvable. Plus tard, il a prétendu que l’accès des Tuileries lui avait été impossible. Or, à cette même heure, des voitures entraient et sortaient librement par le guichet de la rue de Rivoli. Quelle apparence qu’un général en uniforme, accompagné de cinquante personnes à cheval, n’ait pas fendu la foule pendant trente pas ? D’ailleurs, il pouvait se rendre du Louvre aux Tuileries par le bâtiment. Plusieurs voies étaient ouvertes. « Conseil à neuf heures ½. Duvernois (77) seul opine pour la résistance. Le conseil se décide à proposer la formation d’un conseil de régence investi d’une autorité suprême, sous la présidence de l’impératrice. « Séance du Corps législatif. 1o Palikao produit la proposition du conseil. 2o Proposition Jules Favre toute révolutionnaire, constatant explicitement la déchéance et nommant un gouvernement provisoire “vu la vacance du trône”. 3o Proposition Thiers, toute parlementaire, transportant les pouvoirs à la Chambre “vu les circonstances“ sans prononcer le nom de l’empereur ni de la régente. La Chambre vote l’urgence sur les trois propositions, par la trahison du président Schneider qui les met toutes trois aux voix simultanément. « Avant la séance, l’impératrice avait reçu MM. Buffet, Charlemagne, Dupuy de Lôme, Daru, d’Ayguesvives qui viennent lui demander son abdication. Refus de l’impératrice. « La Chambre envahie à deux heures ½. « Présents à trois heures aux Tuileries : les [illisible], Chevreau, Jérôme David et Busson-Billault ; Metternich et Nigra. Départ de l’impératrice. « Les Tuileries envahies à 3 heures et demie. » Ce jour de la proclamation de la République, le 4 septembre, Mérimée essaie de gagner les Tuileries, mais le palais est déjà envahi et l’Impératrice est partie. Il ne lui restera plus qu’à confier, quatre jours plus tard, à la mère de l’exilée, sa vieille amie Manuela : « J’aurais voulu lui dire de songer beaucoup à la postérité, d’autant plus qu’elle me semble ne rien regretter du présent. Que je voudrais encore passer quelques heures auprès d’elle et lui persuader d’écrire trois cents pages qui paraîtront quand il plaira à Dieu et qui feront que les gens qui ne sont pas encore nés deviendront amoureux d’elle. »
Sources et bibliographie
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Éric Anceau, Napoléon III, Paris, Tallandier, 2008, 752 p.
Archives parlementaires de 1787 à 1860. Recueil complet des débats législatifs & politiques des chambres françaises imprimé par ordre du Corps législatif sous la direction de MM. J. Mavidal et E. Laurent, sousbibliothécaires au Corps législatif, 2e série (1800 à 1860), t. XI (du 10 août 1810 au 30 décembre 1813), Paris, Librairie administrative de Paul Dupont, 1867, 698 p.
Octave Aubry, L’impératrice Eugénie, Paris, Fayard, 1931, 452 p.
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Souvenirs de la princesse Pauline de Metternich (1859-1871), préface et notes de Marcel Dunan, Paris, Plon, [1922], 4 + XXVIII + 252 p.
Sénatus-consulte du 17 juillet 1856 sur la régence de l’Empire
Titre premier De la régence
Article premier. L’empereur est mineur jusqu’à l’âge de dix-huit ans accomplis.
Article 2. Si l’empereur monte sur le trône sans que l’empereur son père ait disposé, par acte rendu public avant son décès, de la régence de l’Empire, l’impératrice mère est régente et a la garde de son fils mineur.
Article 3. L’impératrice-régente qui convole à de secondes noces perd de plein droit la régence et la garde de son fils mineur.
Article 4. A défaut de l’impératrice, qu’elle ait ou non exercé la régence, et si l’empereur n’en a autrement disposé par acte rendu public ou secret, la régence appartient au premier prince français, et, à son défaut, à l’un des autres princes français dans l’ordre de l’hérédité de la couronne. L’empereur peut, par acte public ou secret, pourvoir aux vacances qui pourraient se produire dans l’exercice de la régence pendant la minorité.
Article 5. S’il n’existe aucun prince français habile à exercer la régence, les ministres en fonctions se forment en conseil et gouvernent les affaires de l’État jusqu’au moment où le régent est nommé. Ils délibèrent à la majorité des voix. Immédiatement après la mort de l’empereur, le Sénat est convoqué par le conseil de régence. Sur la proposition du conseil de régence, le Sénat élit le régent parmi les candidats qui lui sont présentés. Dans le cas où le conseil de régence n’aurait pas été nommé par l’empereur, la convocation et la proposition sont faites par les ministres formés en conseil, avec l’adjonction des présidents en exercice du Sénat, du Corps législatif et du Conseil d’État.
Article 6. Le régent et les membres du conseil de régence doivent être français et âgés de vingt et un ans accomplis.
Article 7. Les actes par lesquels l’empereur dispose de la régence ou nomme les membres du conseil de régence sont adressés au Sénat et déposés dans ses archives. Si l’empereur a disposé de la régence ou nommé les membres du conseil de régence par un acte secret, l’ouverture de cet acte est faite immédiatement après la mort de l’empereur, au Sénat, par le président du Sénat, en présence des sénateurs qui auront pu répondre à la convocation, et en présence des ministres et des présidents du Corps législatif et du Conseil d’État dûment appelés.
Article 8. Tous les actes de la régence sont au nom de l’empereur mineur.
Article 9. Jusqu’à la majorité de l’empereur, l’impératrice-régente ou le régent exerce pour l’empereur mineur l’autorité impériale dans toute sa plénitude, sauf les droits attribués au conseil de régence. Toutes dispositions législatives qui protègent la personne de l’empereur sont applicables à l’impératrice-régente et au régent.
Article 10. Les fonctions de l’impératrice-régente ou du régent commencent au moment du décès de l’empereur. Mais si un acte secret concernant la régence a été adressé au Sénat et déposé dans ses archives, les fonctions du régent ne commencent qu’après l’ouverture de cet acte. Jusqu’à ce qu’il y ait été procédé, le gouvernement des affaires de l’État reste entre les mains des ministres en fonctions, conformément à l’article 5.
Article 11. Si l’empereur mineur décède, laissant un frère héritier du trône, la régence de l’impératrice ou celle du régent continue sans aucune formalité nouvelle.
Article 12. La régence de l’impératrice cesse si l’ordre d’hérédité appelle au trône un prince mineur qui ne soit pas son fils. Il est pourvu, dans ce cas, à la régence conformément à l’article 4 ou à l’article 5 du présent sénatus-consulte.
Article 13. Si l’empereur mineur décède, laissant la couronne à un empereur mineur d’une autre branche, le régent reste en fonctions jusqu’à la majorité du nouvel empereur.
Article 14. Lorsque le prince français désigné par le présent sénatus-consulte s’est trouvé empêché, par défaut d’âge ou par toute autre cause légale, d’exercer la régence au moment du décès de l’empereur, le régent en exercice conservera la régence jusqu’à la majorité de l’empereur.
Article 15. La régence, autre que celle de l’impératrice, ne confère aucun droit sur la personne de l’empereur mineur. La garde de l’empereur mineur, la surintendance de sa maison, la surveillance de son éducation sont confiées à sa mère. À défaut de la mère ou d’une personne désignée par l’empereur, la garde de l’empereur mineur est confiée à la personne nommée par le conseil de régence. Ne peuvent être nommés ou désignés ni le régent, ni ses descendants.
Article 16. Si l’impératrice-régente ou le régent n’ont pas prêté serment du vivant de l’empereur pour l’exercice de la régence, ils le prêtent, sur l’Évangile, à l’empereur mineur assis sur le trône, assisté des princes français, des membres du conseil de régence, des ministres, des grands officiers de la Couronne et des grands-croix de la Légion d’honneur, en présence du Sénat, du Corps législatif et du Conseil d’État. Le serment peut aussi être prêté à l’empereur mineur en présence des membres du conseil de régence, des ministres et des présidents du Sénat, du Corps législatif et du Conseil d’État. Dans ce cas, la prestation de serment est rendue publique par une proclamation de l’impératrice-régente ou du régent.
Article 17. Le serment prêté par l’impératrice-régente ou le régent est conçu en ces termes : « Je jure fidélité à l’empereur ; je jure de gouverner conformément à la Constitution, aux sénatus-consultes et aux lois de l’Empire ; de maintenir dans leur intégrité les droits de la nation et ceux de la dignité impériale ; de ne consulter, dans l’emploi de mon autorité, que mon dévouement pour l’empereur et pour la France ; et de remettre fidèlement à l’empereur, au moment de sa majorité, le pouvoir dont l’exercice m’est confié. » Procès-verbal de cette prestation de serment est dressé par le ministre d’État. Ce procès-verbal est adressé au Sénat et déposé dans ses archives. L’acte est signé par l’impératrice-régente ou le régent, par les princes de la famille impériale, par les membres du conseil de régence, par les ministres et par les présidents du Sénat, du Corps législatif et du Conseil d’État.
Titre II Du conseil de régence
Article 18. Un conseil de régence est constitué pour toute la durée de la minorité de l’empereur. Il se compose : 1° des princes français désignés par l’empereur ; à défaut de désignation par l’empereur, des deux princes français les plus proches dans l’ordre d’hérédité ; 2° des personnes que l’empereur a désignées par acte public ou secret. Si l’empereur n’a fait aucune désignation, le Sénat nomme cinq personnes pour faire partie du conseil de régence. En cas de mort ou de démission d’un ou plusieurs membres du conseil de régence autres que les princes français, le Sénat pourvoit à leur remplacement.
Article 19. Aucun membre du conseil de régence ne peut être éloigné de ses fonctions par l’impératrice-régente ou le régent.
Article 20. Le conseil de régence est convoqué et présidé par l’impératrice-régente ou le régent. L’impératrice-régente ou le régent peuvent déléguer, pour présider à leur place, l’un des princes français faisant partie du conseil de régence ou l’un des autres membres de ce conseil.
Article 21. Le conseil de régence délibère nécessairement, et à la majorité absolue des voix : 1° sur le mariage de l’empereur ; 2° sur les déclarations de guerre, la signature des traités de paix, d’alliance ou de commerce ; 3° sur les projets de sénatus-consultes organiques. En cas de partage, la voix de l’impératrice-régente ou du régent est prépondérante. Si la présidence est exercée par délégation, l’impératrice-régente ou le régent décident.
Article 22. Le conseil de régence a seulement voix consultative sur toutes les autres questions qui lui sont soumises par l’impératrice-régente ou le régent.
Titre III Dispositions diverses
Article 23. Durant la régence, l’administration de la dotation de la Couronne continue selon les règles établies. L’emploi des revenus est déterminé dans les formes accoutumées, sous l’autorité de l’impératrice-régente ou du régent.
Article 24. Les dépenses personnelles de l’impératrice-régente ou du régent et l’entretien de leur maison font partie du budget de la couronne. La quotité en est fixée par le conseil de régence.
Article 25. En cas d’absence du régent au commencement d’une minorité, sans qu’il y ait été pourvu par l’empereur avant son décès, les affaires de l’État sont gouvernées, jusqu’à l’arrivée du régent, conformément aux dispositions de l’article 5 du présent sénatus-consulte.