L’incendie du palais d’été de Pékin en 1860, le différent franco-anglais

Auteur(s) : BEAUCOUR Fernand
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Introduction

La Chine avait dû céder l'îlot de Hong-Kong à l'Angleterre par le traité de Nankin en 1842; les autres puissances ne tardèrent pas à vouloir suivre son exemple et des traités furent signés, en particulier avec la France en 1849. Dans l'application de ces traités des malentendus survinrent et il fut décidé, par les plénipotentiaires anglais, Lord Elgin, et français, le baron Gros, d'entreprendre une expédition à l'embouchure du fleuve Peï-Ho qui était la voie de communication avec Pékin. Un nouveau traité fut alors signé le 27 juin 1858 avec les Chinois à Tien-Tsin ; il prévoyait que les ratifications se feraient plus tard à Pékin. Pour accélérer celle-ci, un an plus tard le 20 juin 1859, les ministres d'Angleterre décidèrent de venir mouiller à l'embouchure du Peï-Ho, accompagnés par une forte escadre dans le but de remonter le fleuve jusqu'à Pékin. Mais, depuis un an, les Chinois avaient créé des moyens de défense en construisant des forts et trois barrages successifs sur le fleuve. Cette tentative fut un échec qui retombait surtout sur l'Angleterre et on se retira sur Shanghaï.

La France et l’Angleterre : une nouvelle campagne

Pour affermir sa politique extérieure, Napoléon III accepta de participer à une nouvelle campagne militaire, aux côtés de l'Angleterre. Le commandement en chef des troupes françaises fut confié au général Cousin-Montauban, un ancien des guerres d'Afrique.
Les deux armées débarquèrent le 1er août 1860, contournèrent les forts qui avaient causé l'échec de 1859 et les prirent le 21 août ce qui rendit libre le cours du Peï-Ho, et le 24, les Alliés entraient dans Tien-Tsin. Tout semblait conduire à une solution pacifique mais les Chinois firent tout pour éviter la marche des Alliés et des deux plénipotentiaires vers Pékin. Le 21 septembre, au pont de Palikao, sur le canal reliant le Peï-Ho à Pékin, les Chinois furent défaits et se retirèrent alors vers le Palais d'Été de Yuen Ming Yuen, situé à une dizaine de kilomètres au nord-ouest de la ville de Pékin, pour permettre de favoriser le départ de l'empereur Hien Foung (1831-1861) et de la cour vers le nord à Jehol (Chengde).
Les troupes alliées restèrent jusqu'au 5 octobre sur les bords du Canal puis se dirigèrent vers Pékin. Le 6 octobre au soir, la brigade du général Collineau qui suivait l'armée ennemie et n'avait pas de cartes, arriva au Palais d'Été et y bivouaqua. Le 7 octobre à 8 heures du matin, le général Montauban, son état-major et les généraux anglais allèrent visiter les Palais de Yuen Ming Yuen. Trois commissaires pour chaque armée furent désignés pour les préserver et l'on procéda à un choix d'objets destinés à Napoléon III et à la reine Victoria.
Ce que l'on appelait Palais d'Été était un grand domaine planté de beaux arbres, arrosé par des cours  d'eau créant des lacs où l'on se promenait en bateau. Le premier et le plus beau des palais était celui de l'empereur ; leur ensemble prit le nom de Yuen Ming Yuen. Le 7 octobre à midi, tout était intact dans les palais, mais les troupes indigènes de l'armée anglaise réclamaient leur butin, comme à leur habitude : à la fin du jour, les coolies chinois et les Chinois des environs pénétraient dans les jardins en bandes et furent difficiles à contenir.

Le 9 octobre au matin, les Français quittèrent le Palais d'Été pour aller camper sous les murs de Pékin. Une sommation fut adressée aux autorités chinoises le 10 octobre pour qu'une des portes de Pékin soit ouverte ; la Porte An-Ying-Men le fut le 13 à midi, un bataillon français et un bataillon anglais firent alors leur entrée à Pékin.
Les pourparlers n'avançaient guère, ce qui exaspérait les Alliés qui ne pouvaient envisager de passer l'hiver dans Pékin ; ils seraient alors coupés de leurs approvisionnements par l'hiver, le gel du canal et une population innombrable, tandis que les armées chinoises réapparaîtraient renforcées.

Un profond désaccord

Lord Elgin voulait amener les Chinois à merci en brûlant le Palais d'Été, mais le baron Gros se refusait à cette exigence anglaise comme étant sans gloire et même nuisible à la négociation. Grant, le général anglais, partageait la volonté d'Elgin et invitait le général Montauban à se joindre à lui pour incendier le Palais d'Été.

Les Archives diplomatiques françaises montrent les événements au jour le jour, entre le baron Gros, Lord Elgin, le général Montauban et le ministre des Affaires Etrangères Thouvenel. Établi à la lamaserie de Kouang Seu, à un mille des portes Nord de Pékin, Gros répondait le 16 octobre à Lord Elgin qui exigeait la destruction du Palais d'Été, que la destruction « de ce site sans défense aurait un tel caractère de vengeance inutile » que nous ne devions pas même l'envisager. Mais le 17 octobre à 6 heures du matin, Elgin lui répondait qu'il n'abandonnait pas son projet de la destruction du Palais de Yuen Ming Yuen et que, s'il ne recevait pas le 20 octobre avant midi une lettre du Prince Kong, frère de l'Empereur resté à Pékin, l'assurant d'être prêt à signer les ratifications du Traité de Tien-Tsin, il demanderait au général en chef anglais de détruire le Palais Impérial de Pékin, c'est-à-dire le Palais de la Cité Interdite.

Le même jour, 17 octobre, Gros répondait à Elgin que ces destructions n'entraient absolument pas dans ses vues. Le général Montauban, de son quartier-général devant Pékin, prévenait le baron Gros que le général anglais Grant enverrait le lendemain 18 une division au Yuen Ming Yuen et il ajoutait que nous devrions protester auprès de Lord Elgin contre ces projets. Il considérait comme suspecte sa ténacité à ne rien vouloir entendre, mais au contraire à vouloir nous entraîner avec lui.
 
Le 18 octobre, Gros répondait à Montauban : « J'ai fait auprès de Lord Elgin tout ce qui a dépendu de moi pour l'amener à renoncer à la destruction du Palais d'Été et je n'ai pu y réussir. Vous avez vu, par ma lettre à M. l'Ambassadeur d'Angleterre [Lord Elgin] que je me refusais à m'associer à un acte que je considérais comme inutile et dangereux… Votre refus d'y participer et le mien, chacun dans notre liberté respective d'action, est une protestation bien réelle… Soyez persuadé qu'aux yeux de l'Europe, comme parmi les populations de la Chine, le beau rôle sera pour nous dans cette affaire ».
 
Le 19 octobre, Gros écrivait à Montauban que Lord Elgin lui avait exprimé « en termes assez vifs », le regret qu'il lui ait fait quelques observations constituant un refus ; le même jour, dans une lettre personnelle au ministre Thouvenel, Gros racontait les jours et les heures difficiles qu'il avait vécus et « la position délicate » où il se trouvait « vis-à-vis de son collègue d'Angleterre [Elgin] qui veut aller trop loin et suivre, une torche à la main, une route dans laquelle je ne puis ni ne veux m'engager… Vous verrez, dans ma correspondance avec Lord Elgin que je n'ai pas voulu me joindre à lui dans ses idées de vengeance inutile et dangereuse ; il a voulu faire disparaître le Palais d'Été. J'ai refusé de me joindre à cet acte et le général de Montauban a agi comme moi. Ce matin, nous avons vu, d'ici, l'incendie qui dévorait le Palais et j'en ai eu le coeur serré. Lord Elgin voulait aussi détruire le Palais de Pékin avant de tâcher de renouer toute négociation… L'incendie sauvage du Palais d'Été va peut-être porter la terreur dans l'esprit du Prince Kong… Ce qui m'afflige réellement c'est le dissentiment qui s'élève entre Lord Elgin et moi et qui m'effraye… il faudrait mieux, pour nous, avoir les Anglais pour ennemis que pour alliés ! Le Général en chef en dit autant… ».

Il y avait, depuis cette opposition française à l'incendie du Palais d'Été, une tension entre les deux alliés et les Français ne la firent pas voir pour ne pas affaiblir l'action commune malgré certains échanges assez vifs et il n'y eut pas de polémique devant Pékin.

La réponse britannique

Ne tenant aucun compte de l'opinion de leurs alliés et de leur refus, les Anglais envoyèrent une de leurs divisions mettre le feu méthodiquement à toutes ces splendides demeures du Yuen Ming Yuen ; rien ne fut épargné : le Palais, les pagodes, les musées, les bibliothèques, les archives furent incendiés. Le 18 octobre à 5 heures du soir, on vit s'élever d'épais tourbillons de fumées, puis les flammes, que rabattait le vent, éclairèrent la campagne pendant toute la nuit ; l'arrogance d'Elgin triomphait.

Montauban ne cacha ni son chagrin, ni son exaspération. Ces gens-là, disait-il, sont orgueilleux comme des paons  et il considérait Grant comme un homme sans ressort et Elgin, si vaniteux, lui était devenu tout à fait antipathique. Le baron Gros soupçonnait Elgin de vouloir pousser le Prince Kong à s'échapper de Pékin pour favoriser un changement de dynastie au profit de celle installée à Nankin et disposer ainsi d'un pouvoir impérial nouveau qui serait l'obligé des Anglais. Dans ces circonstances, le baron Gros avait demandé, en grand secret, au général Ignatieff, l'ambassadeur russe à Pékin de « bien faire comprendre au Prince Kong que le sort de la dynastie était entre ses mains et que s'il cédait le 20 octobre avant 10 heures à ses demandes, sans condition, la paix serait faite et Pékin épargné ».

Cette solution fut «  obtenue en dehors de l'influence anglaise, de concert avec le général Ignatieff, qui s'est conduit, dans cette affaire avec un tact que je ne saurais trop louer » écrira Gros.

Ce fut le 20 octobre, à 2 heures du matin que Gros reçut par une lettre d'Ignatieff la réponse de Kong et par un PS daté du 20 octobre à 6 heures du matin, il put annoncer à Thouvenel le résultat obtenu. Le baron Gros était soulagé, car depuis quinze jours, on ne pouvait prévoir l'évolution de la situation, à l'entrée de l'hiver qui bloquera d'ailleurs, un peu plus tard, la navigation sur le canal.

Les troupes alliées entrèrent dans Pékin le 22 octobre 1860 et les ratifications furent échangées les 24 et 25 octobre. Notre ambassadeur offrit au Prince Kong des photos de Napoléon III, de l'Impératrice Eugénie et du Prince Impérial. Une clause particulière assurait le paisible exercice de la religion chrétienne sous la protection française. On savait à Pékin que les Français avaient refusé de s'associer à la destruction du Palais d'Été. Les troupes françaises quittèrent Pékin le 1er novembre 1860 pour Tien-Tsin.

En 1879, la Maison Impériale voulut restaurer le Yuen Ming Yuen mais ne put le faire, faute de moyens. Par la suite, les marbres, les briques et les tuiles furent emportés et servirent dans des constructions chinoises ou aux paysans pour bâtir leurs maisons. Le nouveau Palais d'Été, que les touristes visitent actuellement, existait déjà en 1860 mais n'était qu'un jardin modeste ; vers 1888 il sera considérablement agrandi par l'Impératrice Tseu-hi.
La France s'opposa entièrement à l'incendie du Palais d'Été, mais ne put empêcher Lord Elgin d'en donner l'ordre aux troupes anglaises. Il n'y eut pas d'action commune et l'on ne peut, comme le répètent certaines agences de voyage, même françaises, laisser dire que le Palais d'Été fut incendié par l'expédition franco-anglaise. Un historien comme René Grousset, en 1942, saura faire la différence, il écrira simplement : « Lord Elgin fit, le 18 octobre, incendier le Palais d'Été » alors que J. Chesneau et M. Bastid se limitent à écrire en 1969 : « La capitale fut prise et pillée, y compris le célèbre Palais d'Été ». Mme Samoyault-Verlet constate, en 1994, que tous les témoignages s'accordent bien : l'armée anglaise «porte seule la responsabilité de l'incendie du Palais (d'Été) le 18 octobre ».

Le même jour, le baron Gros, de la lamaserie de Kouang San, écrivait au général Montauban que leur refus commun de s'associer à cet acte et d'en laisser l'entière responsabilité à Lord Elgin, leur permettait d'avoir le droit que l'attitude de la France, dans cette affaire, soit entièrement lavée de cet outrage à la Chine et à sa culture.

À consulter > notre dossier thématique consacré à l’expédition de Chine de 1860

Titre de revue :
Revue du Souvenir Napoléonien
Numéro de la revue :
439
Numéro de page :
54-57
Mois de publication :
Février-mars
Année de publication :
2002
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