L’Institut d’Egypte sous les décombres

Auteur(s) : OTTAVI Laurent
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L'incendie de l'Institut d'Egypte survenu le 17 décembre 2011 en marge d'affrontements entre manifestants et forces de l'ordre demeure inexpliqué. Il est encore impossible d'évaluer précisément l'ampleur des pertes.

Le 17 décembre dernier, l'Institut d'Egypte, situé à 250 mètres de la place Tahrir, au Caire, a pris feu lors d'affrontements entre manifestants, opposés au Conseil suprême des forces armées qui dirige le pays, et forces de l'ordre. L'Institut a brûlé pendant cinq jours.
D'après Robyn Paine, correspondant au  Caire pour le site américain anewscafe.com, les forces de l'ordre ont utilisé les canons à eau contre des manifestants plutôt que pour éteindre l'incendie. L'armée renvoie l'accusation en affirmant que c'est un cocktail Molotov des manifestants qui est à l'origine du sinistre. La France, pour sa part, a demandé une « enquête exhaustive et transparente » afin de faire la lumière sur cette affaire.

L'Institut, fondé par Bonaparte en 1798 lors de la campagne d'Egypte, comptait 200 000 livres et revues parmi lesquels des ouvrages très rares. Il comptait également une collection de cartes datant du début du XIXe siècle. La majorité de ces documents n'était pas numérisée.

« Une catastrophe pour la science »

De nombreux livres auraient disparu dans les flammes. Huit volumes, sur un total de vingt, de la première édition de Description de l'Egypte auraient ainsi été réduits en cendres selon le Figaro.

La Bibliothèque d'Alexandrie, la Bibliothèque nationale de France et l'Assemblée nationale conservent un exemplaire de cet ouvrage monumental, commandé par Bonaparte en février 1802. Divisée en trois parties (Antiquité, Histoire naturelle, Etat moderne), la Description de l'Egypte est l'oeuvre des scientifiques qui ont accompagné Bonaparte en Egypte dans sa campagne militaire (1798-1801).

Des milliers de livres ont toutefois été sauvés par des manifestants, pendant que les combats se poursuivaient avec les forces de l'ordre, et ont été transférés aux Archives nationales d'Egypte. L'ambassadrice américaine en Egypte, Anne Patterson, a pu observer leur restauration. Elle a également visité le centre de numérisation.

Le ministre égyptien de la Culture, Chaker Abdel Hamid, a évoqué « la formation d'un comité de spécialistes de la restauration des livres et des manuscrits quand les conditions de sécurité le permettront », regrettant une « catastrophe pour la science ». Son homologue français Frédéric Mitterrand est prêt à « mobiliser le savoir-faire de la Bibliothèque nationale de France » pour aider l'Egypte dans le processus de restauration.

L’Institut, haut lieu de la campagne d’Egypte

L'Institut d'Egypte fût créé le 22 août 1798. Ses trente-six membres provenaient de la « Commission des Sciences et des Arts » qui accompagnait Bonaparte en Egypte dans le cadre d'une expédition à la fois militaire et culturelle. Jamais autant de savants et d'artistes n'avaient suivi une armée partie à la conquête d'un pays.

L'Institut s'établit dans le palais de Kacim Bey, abandonné suite à la victoire française des Pyramides, et qui disparût au XIXe siècle. La bibliothèque demeura ; son bâtiment actuel, qui a brûlé le 17 décembre 2011, fût construit au début du XXe siècle. Elle était structurée autour de quatre grands domaines, les mathématiques, la physique, l'économie politique, les arts et la littérature.

Le mathématicien Gaspard Monge fût élu président de l'Institut et Bonaparte fût choisi comme vice-président. Les chercheurs de l'Institut d'Egypte se mirent rapidement au travail et coopérèrent avec les autres membres de la Commission des Arts et des Sciences. Deux séances se tenaient par décade : le primidi et le sextidi.

Les membres de l'Institut d'Egypte, parmi lesquels Gaspard Monge, Joseph Fourier, Claude Louis Berthollet ou encore Vivant Denon, firent publier le résultat de leurs recherches. Ainsi, Monge donna une explication au phénomène des mirages et Louis Costaz à celui du déplacement des montagnes de sable.

Bonaparte quitta l'Egypte dans le plus grand secret en août 1799, en direction de la France. Monge et Berthollet l'accompagnèrent. Le général Jean-Baptiste Kléber prit les rênes de l'armée française léguées par Bonaparte et fît avancer les recherches sur l'Egypte. Kléber fût remplacé, après son assassinat en 1800, par le général Jacques-François de Menou, qui apporta lui aussi son appui aux scientifiques.

Après la capitulation française face aux Anglais, les membres de l'Institut rentrèrent en France en Septembre 1801 avec leurs richesses culturelles égyptiennes, qui permirent l'écriture de Description de l'Egypte. En revanche, la pierre de Rosette fût confisquée par les Anglais et demeura au British Museum de Londres. Jean-François Champollion en déchiffra les hiéroglyphes en 1822 à partir d'une reproduction des caractères inscrits sur la pierre, réalisée par les scientifiques français lors de l'expédition d'Egypte. Champollion donna ainsi naissance à l'Egyptologie.

Titre de revue :
Inédit
Mois de publication :
Janvier
Année de publication :
2012
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