Une énigme policière, autour d’une énigme historique : la dernière bataille de Napoléon
1815. Après la période des Cent-Jours qui vit son retour au pouvoir, Napoléon, fait prisonnier par le gouvernement anglais auquel il demandait asile, est envoyé à Sainte-Hélène, accompagné de proches, fidèles ou intéressés. Comment Napoléon, l'homme de toutes les batailles, le génial stratège politique et militaire, peut-il accepter de se soumettre à cet emprisonnement en pleine mer ? Quel système de défense – donc d'attaque – imagine-t-il mettre en oeuvre pour desserrer l'emprise de ses geôliers ?
C'est à Sainte-Hélène, cette île hors d'atteinte choisie par ses ennemis, qu'il va livrer une mystérieuse bataille, la dernière mais la plus importante, celle que l'Histoire n'a encore jamais révélée…
Entre ombres et lumières, un travail d’orfèvre au service d’une intrigue habilement menée
Sous une forte averse, quelques visage éclairés par des torches, témoins de l'exhumation du cercueil de Napoléon. Gros plans sur les visages, émus, puis la caméra prend de la distance et s'élève pour offrir une vue plongeante sur le cercueil de Napoléon alors que l'on fait glisser le linceul afin de découvrir le corps.
Le film est à l'image de cette première scène, fort, empli de sensibilité et de délicatesse, esthétiques et humaines.
Le jeu de caméra est assez classique (seule concession au style « historique », auquel la fantaisie ne sied que rarement ?), le rythme du film est donné par une série de flash-back. Ce ressort classique du suspense permet ici de distiller aussi des détails sur la complexité psychologique des personnages, qui ne sont jamais présentés de manière caricaturale.
La première partie du film dresse le tableau du drame, présente les personnages et les relations complexes qui les lient. Une attention particulière a été accordée aux détails des costumes (mouvance des corps) et aux dialogues (fluidité des échanges verbaux). Si l'oppression et l'ennui inhérents à la vie des exilés sur cette île du bout du monde sont véritablement palpables, cette lourdeur est d'ordre psychologique, jamais liée au sujet historique. Les scènes de dîner sont révélatrices d'une étiquette mise à mal par des susceptibilités exacerbées par le confinement, tandis que les soirées de lecture et de jeu sont le temps de petites phrases, des sentiments que l'on ne peut cacher : « Partir, partir, vous n'avez que ce mot-là à la bouche ! L'île d'Elbe n'a pas su me retenir, Sainte-Hélène ne me retiendra pas non plus. Il faut savoir attendre. » (Napoléon)
Puis les choses s'accélèrent, Hudson Lowe entre en scène, l'étau se resserre autour de Napoléon. L'histoire nous est contée par le côté « ennemi », le jeune ordonnance Basil Heathcote, chargé de s'assurer de la présence du « général Bonaparte », c'est-à-dire, dans son admiration respectueuse, de l'homme qui a dominé l'Europe et fait vaciller l'Angleterre. Face à face entre le geôlier et son prisonnier, tentative d'évasion avortée, aménagements moraux de toutes sortes dans la vie quotidienne des exilés français, départs, décès, les différents éléments du mystère, se mettent en place.
Lors du retour des cendres de l'Empereur à Paris, les rumeurs s'affolent, Heathcote, devenu officier, mène l'enquête, tente de démêler le vrai du faux, le plausible du farfelu, sur fonds de passions et de fantasmes collectifs.
Enfin, la musique de Stephan Eicher est un hommage constant à chacune des images, à chacune des scènes, qu'il sait envelopper avec émotion, force et romantisme.
Un film policier, respectueux de l’Histoire
Cette énigme policière s'est montée autour d'un événement historique précis, autour de questions suscitées par les divergences de témoignages. Ceci dit, les auteurs ont évité le piège de » la recherche de la vérité historique », sur un sujet sensible pour certains « napoléoniens ».
Le contexte et les faits historiques sont là ; certes, Ali ne s'habillait guère en mamelouk, Las Cases est absent, mais l'essentiel est ailleurs. Les auteurs mais également la costumière, le dialoguiste, les interprètes aussi, ont su saisir ce qui est l'essence de cette époque, restituer une couleur, une musique justes, et faire vivre sous nos yeux des personnages « historiques » mais pas moins hommes et femmes. C'est cet équilibre qui donne cette tonalité moderne au film, sans jamais être choquante. On est loin des banalisations du vocabulaire, ou des relations entre Napoléon et son entourage, que d'autres ont essayé dans un souci d'adaptation au public du XXIe siècle. Ca n'a pas toujours été une réussite…
Napoléon, face à Monsieur N.
Napoléon. Rôle écrasant s'il en est, tant il est porteur de mythe. Chacun de nous a « son » image de Napoléon.
Grâce à sa merveilleuse expérience de théâtre, Torreton a su s'affranchir de tous les tics que l'on est tenté d'utiliser pour jouer (et donc surjouer) un tel personnage. D'ailleurs, pas une seule fois Napoléon ne met la main dans son gilet… Torreton nous offre un Napoléon, stratège, brutal tant il est lucide sur les gens qui l'entourent. Napoléon confronté à un nouvel espace, non plus physique (les lois insulaires sont redoutables…) mais intérieur, Napoléon, face à Monsieur N…
L'Empereur déchu s'accroche à sa dernière bataille (la plus importante ?) : maîtriser son destin jusqu'au bout, résister alors qu'il se sent vaciller face au charme spontané et à la fidélité de sentiments de Betsy Balcombe (troublante Siobhán Hewlett). « L'empereur ne vous aime pas, lui. Vous contrariez ses plans. Ce n'est pas cette-passion-là qu'il entend jouer pour son dernier acte. » (Napoléon)
Face à Napoléon, deux clans. Sa cour, mélange de fidélité et de duplicité, et le clan « ennemi », anglais, maintenant une surveillance de tous les instants, comme un filet qui se resserre un peu plus chaque jour.
Elsa Zylberstein offre en quelques scènes une Albine de Montholon complexe, frivole et avertie, émouvante dans son attachement à Napoléon, un attachement compliqué par son sens des affaires, Stéphane Freiss campe son époux, tout aussi affairiste mais plus faible de caractère, Frédéric Pierrot joue un Gourgaud, mauvais garnement, fanfaronnant jusqu'au dernier jour. Quant à la garde rapprochée de l'empereur, Roschdy Zem interprète un Grand Maréchal Bertrand sobre et sûr, tandis que Bruno Putzulu joue un Cipriani, direct et protecteur, tout à son attachement pour celui qui fut son ami d'enfance, « Cesse donc de me rêver tel que je ne suis pas, Cipriani. »
Quant aux deux personnages « anglais » principaux, ils réalisent une belle performance. Richard E. Grant est superbe de raideur et d'obsessionnalité, drapé dans sa mission comme dans une armure, mission vécue comme l'ultime heure de gloire face à la réalité de l'échec de sa carrière militaire ?
Jason Road joue un jeune officier dotée d'une personnalité attachante, qui doit suivre pas à pas Napoléon, légende vivante pour sa jeune génération. Son caractère entier et honnête le pousse à vouloir comprendre les dessous d'un événement historique (la mort de Napoléon Ier à Sainte-Hélène) : comprendre et non chercher à tout prix à étayer une version plutôt qu'une autre.
Fiche technique
Monsieur N
2003, 2h, coul., français
Réalisation artistique et technique
Réalisation : Antoine de Caunes
Scénario et dialogues : René Manzor
Musique : Stephan Eicher
Image : Pierre Aïm
Cadre : Berto
Montage : Joëlle van Effenterre
Son : Dominique Levert
Mixage : Didier Lozahic
Décors : Patrick Durand
Costume : Carine Sarfati
Production : M.-C. Mention-Schaar, P. Kubel
Interprètes
Napoléon : Philippe Torreton
Hudson Lowe : Richard E. Grant
Basil Heathcote : Jay Rodan
Albine de Montholon : Elsa Zilberstein
Maréchal Bertrand : Roschdy Zem
Cipriani : Bruno Putzulu
Général Montholon : Stéphane Freiss
Général Gourgaud : Frédéric Pierrot
Betsy Balcombe : Siobhán Hewlett
Thomas Reade : Peter Sullivan
Dr O'Meara : Stanley Townsend
Ali : Igor Skreblin
Fanny Bertrand : Blanche de Saint-Phalle