Napoléon à Trianon

Auteur(s) : BENOÎT Jérémie
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Jérémie Benoît, ancien conservateur au Musée national des châteaux de Malmaison et Bois-Préau, est conservateur au Musée national du château de Versailles. Il est chargé plus particulièrement des domaines et collections de Trianon.
Napoléon à Trianon
Versailles, Le Grand Trianon © Tatiana Murzin

 » L 'Empereur aimait la campagne et l'hiver des Tuileries lui paraissait long. Dès que de ses fenêtres il apercevait les marronniers du jardin poindre les premières feuilles, il lui tardait de n'avoir plus qu'une porte de rez-de-chaussée à ouvrir pour se retrouver sur le gazon et marcher librement dans une allée verte. Son impatience était celle d'un écolier ; le mois de mars s'achevait rarement sans un voyage à la Malmaison, du moins tant que l'union avec Joséphine a duré « . Ainsi s'exprime le baron Fain dans ses Mémoires (1). Le divorce en décembre 1809 obligea en effet l'Empereur à choisir une autre demeure de campagne que Malmaison, qu'il avait laissé en pleine jouissance à l'impératrice Joséphine. Cette propriété avait en effet été achetée en avril 1799 par celle qui n'était encore que la générale Bonaparte, en l'absence de son époux qui se trouvait alors en Égypte. Celui-ci l'avait intégralement payée à son retour, car Joséphine s'était engagée sans disposer des fonds nécessaires (2), et s'il en avait beaucoup profité durant le Consulat, un peu moins durant les premières années de l'Empire, il est vrai qu'en 1810 il ne disposait plus de maison où il put quelque peu se détendre.

Trianon en 1805

Si les châteaux de Fontainebleau ou de Rambouillet pouvaient avantageusement remplacer Malmaison, ils conservaient cependant un côté officiel auquel Napoléon voulait échapper lorsque arrivait le printemps. De plus, ils étaient un peu trop éloignés de Paris. Aussi son choix d'une nouvelle résidence se porta tout naturellement sur Trianon qu'il avait précisément visité pour la première fois en mars 1805, le 13 et à nouveau le 22. Cette demeure offrait des possibilités de chasser, activité qu'il affectionnait tout particulièrement, et il vint en effet souvent courir le cerf dans les bois de Versailles (3). À cela s'ajoutait la facilité de surveiller les travaux de Versailles qu'il envisageait de remanier pour ses besoins. En effet, la création de l'Empire en mai 1804 avait eu pour conséquence de rendre à la couronne les anciens palais royaux, devenus désormais impériaux, et Versailles, comme Compiègne, Rambouillet, Fontainebleau, Laeken, était entré dans la Maison de l'Empereur.
Cependant, tant qu'il pouvait résider à Malmaison, Napoléon ne s'était pas décidé à s'installer définitivement à Trianon. Il ne fit qu'y passer en 1805, dînant le soir du 21 juillet avec sa soeur Pauline à laquelle il avait attribué le petit château de Marie-Antoinette.

Les deux palais de Trianon avaient assez gravement souffert de la Révolution, particulièrement le petit château de Marie-Antoinette. Les symboles royaux avaient été bûchés, les meubles, bronzes, miroirs, avaient été vendus, et un limonadier, Langlois, s'était installé au Petit Trianon, devenu un restaurant, tandis qu'un bal était régulièrement donné dans le Jardin français (4). Au Grand Trianon, en revanche, les boiseries avaient subsisté et le décor pictural était à peu près demeuré intact (5). À la suite de la première visite de Napoléon, Duroc, Grand maréchal du palais, écrivit au comte Fleurieu, intendant général de la Maison de l'Empereur :  » L'intention de S.M. est de faire réparer le Petit Trianon afin d'y loger S.A.I. la princesse Borghèse, et de faire réparer aussi la partie du Grand Trianon appelée aile du Dauphin qui servira de logement à S.A.I. la princesse Mère. Il faudrait que l'un et l'autre fussent en état de les recevoir au 1er prairial (21 mai). Il n'y a rien à faire au jardin du Grand Trianon. S.M. pense qu'avec 120 000 francs destinés par le budget pour Trianon et 80 000 destinés pour Versailles, en tout on doit trouver et même au-delà ce qu'il faut pour faire ce qu'Elle demande. On fera un fonds extraordinaire pour l'ameublement (…). On trouvera le moyen dans le Petit Trianon d'arranger des remises pour 6 voitures et des écuries pour 20 chevaux qui se partageront entre S.A.I. la princesse Mère et S.A.I. la princesse Borghèse. Le surplus des chevaux et des voitures pourra être placé à Versailles « .

Les travaux débuteront rapidement et dès le 13 mai, l'architecte Trepsat (6) écrivait à Lauzan, conservateur du musée spécial de l'École française (7), pour qu'il lui trouve  » les moyens de faire replacer au Grand Trianon et au Petit Trianon des tableaux qui ont été enlevés pour être en dépôt au musée de Versailles. Savoir celui de la chapelle du Petit Trianon et le surplus si cela est possible « . La peinture de Vien représentant Saint-Louis et Marguerite de Provence fut en effet replacée dans la chapelle, mais beaucoup d'autres cadres demeurèrent vides durant tout l'Empire. On y plaça soit des papiers verts, soit des papiers peints représentant des paysages. Enfin, le 21 mai 1805, Napoléon décrétait un fonds de 300 000 francs pour l'ameublement des deux palais. Vidés comme Versailles de leur mobilier, ils nécessitaient en outre quelques réparations, surtout au Petit Trianon où l'on expulsa l'aubergiste Langlois. Sous la direction de Duroc, Trepsat remit les serrures et les miroirs en place, repeignit les boiseries et fit installer par Trabuchi deux poêles en faïence. Au Grand Trianon, il fit rétablir la séparation entre le salon et la chambre, rendant ainsi son état originel à la chambre. Les livraisons de meubles commencèrent en mai 1805 et en juillet tout était près, le mobilier ayant été fourbi par Jacob-Desmalter au Grand Trianon, par Boulard au Petit Trianon. Mais si Pauline Borghèse, à qui Napoléon avait offert le petit château de Marie-Antoinette, trouva le séjour très agréable et y demeura assez longtemps (juin-juillet 1805), en revanche Madame Mère, qui se rendit sur place le 6 mai 1805, refusa d'habiter l'aile gauche du Grand Trianon qu'elle jugeait malcommode et inadaptée aux besoins modernes, ainsi que le relève Fleurieu (8) :  » Madame fut bien étonnée de trouver les travaux si peu avancés, mais ce qui a surpris bien davantage S.A.I. c'est l'insuffisance et le peu de convenance du logement préparé à son service. Sa chambre lui semble d'une incommodité notoire, il n'y a pas de cabinet de toilette contigu, l'appartement est tourné au nord, il est désagréable et malsain. Elle préfère l'autre partie et veut la disposer à son gré « . Il s'agit de l'aide droite que Napoléon voulait se réserver. Celui-ci répondit à sa mère en lui spécifiant  » qu'on n'occupe pas un palais comme une petite maison, qu'il faut le prendre tel qu'il est « , mais il admit qu'elle pouvait faire meubler l'aile des communs, construite sous Louis XV, pour y loger des personnes de sa maison. Rien ne put décider Madame Mère à s'installer à Trianon, et le 24 juin 1805, l'Empereur lui offrait le château de Pont-sur-Seine.

Napoléon avait d'autre part, comme à son habitude, recommandé d'être très économe sur les dépenses, ainsi que le rappelle la lettre de Duroc du 13 mars. Il avait cependant souhaité qu'on plaçât un lit de parade dans l'alcôve de l'ancienne chambre du roi, mais il trouva le lit acheté à Paris qu'avait fait installer Duroc trop peu prestigieux et demanda dès ce moment qu'on reconstitue la balustrade de l'alcôve. Ainsi, déçu sans doute d'un résultat qu'il trouvait en dessous de ce qu'il souhaitait, il ne vint finalement pas s'installer au Grand Trianon. Dès 1806, une grande partie du mobilier était expédiée soit à Rambouillet, où Napoléon pouvait donner libre cours à son goût pour la chasse, soit au Garde Meuble, soit encore servit à meubler l'appartement du sous-gouverneur de Versailles. Seuls quelques meubles demeurèrent en place pour l'usage de l'impératrice Joséphine qui y venait quelquefois depuis son domaine voisin de Malmaison, mais sans jamais y résider.

Les travaux d’aménagement

Cependant Napoléon n'abandonnait pas son idée d'habiter Trianon. Depuis 1806, il faisait livrer au Garde Meuble des soieries destinées à remeubler l'ancien château des rois de France, dont une partie servira plus tard à garnir les murs et les sièges du petit appartement du Grand Trianon. Le 11 mars 1808, après avoir dicté ses ordres pour Versailles, Napoléon se décida à remanier Trianon, ainsi que nous le rapporte le Journal de Fontaine (9).  » On a ensuite examiné les plans des deux Trianons que l'Empereur veut habiter et que nous annonçons pouvoir être mis en état meublés pour environ 212 000 francs, mais je fais remarquer que pour rendre le séjour de cette habitation agréable il faudrait réunir dans le même enclos les deux maisons et mettre le canal en état de recevoir les eaux. Voici l'ordre qui a été dicté sur cela :
Faire un projet définitif pour savoir ce que coûtera la réparation totale et complète du grand et du petit Trianon de manière à pouvoir y aller passer une vingtaine de jours. Voir ce qu'il faut pour réparer les jardins. Faire un projet d'ameublement convenable pour les deux maisons, envoyer à l'architecte de Versailles le projet de M. Gondoin pour le grand canal afin qu'il le renvoie dans huit jours avec ses observations et que l'on sache bien s'il y a sûreté pour y avoir de l'eau […]. Il faut abattre la muraille qui masque les appartements de l'Empereur et détruire l'allée qui sépare les deux Trianons et les réunir. On ferait un jardin particulier à l'Empereur et si l'on ne peut pas détruire l'allée on fera des sauts de loups « . Ainsi, le mur qui entourait l'ancien Jardin du roi, véritable enclos sacré, fut rasé, de même que la décision de relier ce jardin à celui du Petit Trianon entraîna la construction d'un pont métallique enjambant un chemin creux.

Fontaine fit dès lors fréquemment le voyage de Trianon, en compagnie de Duroc ou de Desmazis, administrateur du Mobilier impérial (10), où il rencontrait son confrère Trepsat qu'il jugeait peu apte à mener les travaux prévus, parce que trop âgé et infirme. Dès la fin de mars 1808, on lui adjoignit donc l'architecte Dufour, mais cela n'alla évidemment pas sans quelques frictions, bien que Fontaine ait pris tous les égards possibles pour ménager le vieil homme, ainsi qu'il en témoigne dans son Journal. Dès lors, tout alla très vite. Le 27 mars, l'Empereur venait visiter l'état d'avancement des travaux, tout devait être achevé pour le mois d'août. Le 8 avril, Fontaine notait que ceux-ci avaient commencé, la construction du pont était en cours, le grand canal remis en eau. Puis, le 31 mai, il écrivait que par une décision du 26 mai, Napoléon avait accordé 21 000 francs pour la remise en état de Trianon. C'est avec cette manne que l'on put rapidement remeubler les deux châteaux. Le 25 mars, Duroc avait écrit à l'Intendant général Daru :  » S.M. désire aussi que l'on fasse pour les deux trianons un projet d'ameublement riche et élégant. Le Garde Meuble a de la besogne par-dessus la tête. J'ai eu l'honneur de le représenter à S.M. Ne pourrait-on pas charger de toute l'entreprise M. Boulard qui passe pour le meilleur tapissier de Paris et qui vient de faire l'ameublement de l'hôtel de la Grande Duchesse de Berg (Élysée-Murat) ? M. Fontaine peut lui indiquer à l'instant même la distribution que S.M. a arrêtée  » (11). Boulard avait été valet de chambre de la reine, et l'on s'était enquis auprès de lui pour savoir comment se trouvaient décorés les deux châteaux sous l'Ancien Régime. Mais finalement, ce furent Jacob-Desmalter et Marcion qui furent chargés de livrer les meubles, tandis que Darrac, tapissier du Garde Meuble impérial, fournissait les rideaux et garnissait les sièges. L'impératrice Joséphine, qui ne devait jamais jouir de ces deux palais rénovés, eut semble-t-il un rôle très important dans le choix de leurs meubles (12). Le Grand Trianon fut ainsi entièrement remeublé entre 1809 et 1810. Parallèlement, on faisait venir de Versailles des statues placées dans le Salon de la Guerre pour décorer la salle des Gardes du Grand Trianon (Minerve) et le Temple de l'Amour (Vénus et l'Amour de Vassé), et Lauzan était chargé de trouver des tableaux pour le Grand Trianon, Napoléon invitant Denon, directeur des musées, à collaborer avec lui pour lui permettre de faire pour le mieux. Cela entraîna une commande de peintures, mais qui n'intervint qu'en 1811, celle que Denon avait prévue en 1809 ayant été repoussée par l'Empereur (13). Quant à la galerie, Napoléon voulut qu'elle fût très richement décorée, et l'on put ainsi faire transporter, en mars 1810, des statuettes et des vases en porphyre et basalte prélevés au Musée Napoléon.

À la fin de 1809, Napoléon pouvait sans difficulté s'installer dans son nouveau palais. Fontaine ne parle dès lors plus de Trianon dans son Journal, si ce n'est pour mentionner en février 1810 la nomination de Dufour comme architecte de Versailles, Trepsat conservant les deux petits palais rénovés. Mais il y reviendra en 1811 pour noter, le 25 juillet, que Napoléon souhaite rapprocher son appartement de celui de Marie-Louise. Trepsat sera chargé des travaux. En fait, l'Empereur se contentera de déplacer son cabinet particulier, ce qui entraînera cependant d'assez importantes transformations, mais nous laissera en revanche le seul véritable décor de style Empire de tout le Grand Trianon. La fusion du cabinet de son secrétaire et celui du garde du portefeuille permit de créer la nouvelle pièce. Le sculpteur Amable Boichard fut chargé de l'exécution de la cheminée, son fils de celle de la corniche, tandis que le centre du plafond était peint d'une série de médaillons à l'Antique et que l'on ornait les murs et les sièges d'une soierie commandée à Chuard et compagnie, originellement destinée aux appartements de Versailles. Les meubles de Jacob-Desmalter n'arrivèrent qu'en juillet 1813, après le dernier séjour de Napoléon qui ne les vit donc jamais (14).

Le premier séjour de Napoléon

Le premier séjour véritable de Napoléon à Trianon s'effectua en décembre 1809. Le ton y était déjà donné que relève Ch.-O. Zieseniss :  » Ce sont de petits voyages que ceux de Trianon et de Rambouillet, où ne vont que les personnes invitées et les fonctionnaires mandés  » (15). Le soir même de l'annonce de leur divorce à Joséphine donc, le 15 décembre 1809, Napoléon quitta les Tuileries à 16 heures et se rendit au Grand Trianon qu'il avait commencé de réaménager depuis l'automne, même s'il restait encore quelques meubles placés en 1805. Ce fut un séjour assez douloureux, auquel sa soeur Pauline tenta de remédier en s'installant au Petit Trianon pour être à ses côtés dans ce moment difficile. L'Empereur, amoureux depuis toujours de Joséphine – dès le 16, il retournait la visiter à Malmaison où elle s'était réfugiée -, tenta de se consoler de sa décision par diverses activités, dont le jeu (16). S'il reçut le roi de Westphalie, c'est-à-dire son frère Jérôme, le 18 décembre, il chercha surtout à se changer les idées en chassant dans les bois de Versailles ou à Satory, et dîna en compagnie de sa soeur et de Christine de Mathis (17). Pourtant il ne put s'empêcher d'écrire à son ancienne épouse.  » Mon amie, je t'ai trouvée aujourd'hui plus faible que tu ne devais être. Tu as montré du courage, il faut que tu en trouves pour te soutenir (…). Si tu m'es attachée, et si tu m'aimes, tu dois te comporter avec force, et te placer heureuse  » (18). Cette lettre fut suivie de plusieurs autres du même ton, il lui écrivait chaque jour :  » Savary (19) me dit que tu pleures toujours ; cela n'est pas bien (…). Je t'ai envoyé de ma chasse. Je viendrai te voir lorsque tu me diras que tu es raisonnable et que ton courage prend le dessus  » (20).  » Eugène m'a dit que tu avais été toute triste, hier ; cela n'est pas bien, mon amie ; c'est contraire à ce que tu m'avais promis  » (21). Pour finir, n'y pouvant plus tenir, il passa le soir du 24 décembre avec elle à Malmaison et le jour de Noël, il l'invita à venir à Trianon. Le prince Eugène, vice-roi d'Italie, qui assistait sa mère a relaté cet épisode dans une lettre à sa femme Auguste-Amélie de Bavière datée du 26 décembre 1809 (22) :  » Ma chère Auguste, l'Empereur est venu avant-hier voir l'Impératrice. Hier elle a été à Trianon pour le voir, et elle y a été retenue à dîner. L'Empereur a été très bon et très aimable pour elle, et elle m'a paru en être beaucoup mieux. Tout me porte à penser que l'Impératrice sera plus heureuse dans sa nouvelle position, et nous tous aussi « . De son côté, la reine Hortense rapporte dans ses Mémoires (23) que  » l'Empereur voulut la garder à dîner. Comme à l'ordinaire il se trouva placé en face d'elle. Rien ne paraissait changé. La reine de Naples (24) et moi étions seules. Les pages et le préfet du Palais y assistèrent comme toujours. Il régnait un profond silence. Ma mère ne pouvait rien prendre et je la voyais prête à s'évanouir. L'Empereur essuya deux ou trois fois ses yeux sans rien dire et nous partîmes immédiatement après le dîner « .
Effet de style ou non, il semble qu'en effet la journée se soit déroulée assez tristement (25). Joséphine fut indisposée quelques jours, mais Napoléon, rappelé à ses devoirs d'Empereur aux Tuileries, s'en inquiéta moins désormais. Il préparait déjà son nouveau mariage. Ainsi que le rappelle Méneval dans ses Mémoires,  » C'est à Trianon que commencèrent les démarches officielles que Napoléon ne pouvait faire sans avoir la certitude d'être agréé  » (26). Le mariage avec une princesse de Saxe fut récusé en raison du fait que ce royaume était allié à la France. On pensa à une princesse russe puis l'Empereur se résolut à accepter la main de l'archiduchesse d'Autriche Marie-Louise. La rencontre de Napoléon avec sa future épouse eut lieu à Compiègne, et la célébration du mariage civil, le 1er avril 1810, fut suivie du mariage religieux le lendemain. Le couple impérial ne se rendit à Trianon qu'en juin.

Trianon en 1810

Depuis l'automne 1806, Napoléon faisait entièrement remeubler les deux châteaux de Trianon. Les objets, livrés par les ébénistes Jacob-Desmalter et Marcion, le bronzier Galle ou le lustrier Ladouèpe de Fougerais, directeur de la manufacture de cristaux du Mont-Cenis, ne cessaient d'être livrés, beaucoup de tableaux étaient placés sur les murs par le conservateur Lauzan, si bien qu'au printemps 1810, les appartements présentaient un état d'achèvement quasi définitif et pouvaient être habités. Une intéressante description du domaine de Trianon en 1810 nous a été laissée par le diplomate autrichien prince Charles de Clary-et-Aldringen qui visita Versailles au moment du mariage de Napoléon avec Marie-Louise (27).  » Nous visitâmes encore, écrit-il après avoir décrit le grand château, les deux Trianons, meublés avec un luxe de conte de fées. L'Orient n'a jamais connu, je crois, rien d'aussi beau en bronzes, velours brodés, porcelaines, peintures, parquets, cheminées, et tout est du meilleur goût « . Pourtant, le prince ajoute que quelques transformations sont assez malheureuses :  » On vient de gâter, en la fermant de vitrages, une belle galerie ouverte du Grand Trianon ; on prétend, il est vrai, que cette galerie rendait le château inhabitable « . En effet, Napoléon, frileux, avait fait clore le péristyle des deux côtés, là où sous Louis XIV il n'avait existé qu'une seule série de portes-fenêtres, côté cour. Ce péristyle était chauffé par des poêles surmontés de vases qui devaient être remplacés par des sculptures, mais ne fût pas fait. Quant aux acrotères et vases qui ornaient la balustrade du toit, en mauvais état, il semble que ce fut sous Napoléon, en 1810 comme nous l'enseigne une lettre du mois de juin, qu'on commençât à les ôter.
Faisant ensuite référence à la campagne de 1805 qui vit la destruction de l'armée autrichienne à Ulm, le prince ajoute :  » Dans les appartements, j'ai remarqué quatre tableaux, malheureusement bien peints de l'avant-dernière guerre. Celui de la reddition d'Ulm est, hélas, d'un grand effet (28). On y retrouve Mack, on devine le prince Maurice (29) et d'autres. Ailleurs, il y a un vase et des tables de malachite, présents de l'empereur de Russie qui sont la plus belle chose du monde (30). Dans une galerie fort longue se trouvent une quantité de jolis tableaux de cabinet faits par des artistes vivants ; j'en ai reconnu beaucoup que je connaissais par les Annales de Londres, comme Dédale et Icare, Le Chien et l'Enfant. La nouvelle école est bien plus heureuse en petits sujets qu'en grands tableaux ; c'est le genre auquel, à mon avis, les peintres français devraient se tenir. Tout ce qui demande de la grâce, de l'esprit, de jolis détails, voilà leur fait. Laurent et surtout Richard sont des artistes délicieux sous ce rapport, mais, pour les grandes compositions historiques, ils ne me semblent pas avoir le goût assez sûr « .
Passant aux jardins, le prince écrit :  » Ce qui a surpassé notre attente, c'est le jardin anglais du Petit Trianon. On rétablit la tour (31), on va rétablir le hameau exactement comme du temps de Marie-Antoinette. Le temple rond est un chef-d'oeuvre de travail. On nous a refusé l'entrée du petit théâtre sur lequel jouait la Reine : il vient d'être restauré, l'Empereur ne l'a pas encore vu lui-même et, en attendant, on ne le montre à personne. Le pavillon d'habitation est petit mais charmant. L'appartement vient d'être meublé à neuf pour l'Impératrice ; une partie des pièces ne sont que des entresols, par exemple la chambre à coucher, garnie en mousseline blanche brodée d'or et du meilleur goût « . Et, le prince, voyant partout des souvenirs de l'ancienne souveraine, ajoute en direction de sa nièce Marie-Louise :  » Il faudra un fier estomac à Sa Majesté pour habiter le Petit Trianon. Je me flatte qu'Elle ne pensera peu ou point « .

Ayant gravement souffert de la Révolution, le Hameau de Marie-Antoinette qu'évoque le prince de Clary-et-Aldringen, fut en partie restauré par Napoléon pour Marie-Louise. Le 11 mai 1810, Daru écrivait au baron Costaz, nouvellement nommé surintendant des Bâtiments (32) :  » Les maisons du Hameau ont été réparées à l'extérieur, elles ne présentent plus cet aspect de ruine qui blessait les regards de l'Empereur « . Ces travaux faisaient suite à un rapport de Trepsat du 6 février qui tendait à conseiller la démolition du Hameau. Par bonheur, le mois suivant, on ne détruisit que la deuxième laiterie, la grange et la maison du gardien, ainsi que le salon frais du Jardin Français (33). Costaz obtint aussi qu'on ne détruisît pas les escaliers de bois comme le recommandait Trepsat, car ils feraient ôter au pittoresque de ces fabriques. Le boudoir échappa de peu à la destruction mais fut finalement conservé. La tour de Marlborough fut restituée ainsi que les habitations restantes, qui, rebaptisées (34), furent entièrement re-décorées et remeublées par Jacob-Desmalter. Dans la laiterie de propreté, le sculpteur Pierre-Claude Boichard, fils d'Amable, réalisa en 1811 des consoles et une table centrale en marbre blanc du plus bel effet. À l'extérieur, on plaça des bustes sur des gaines pour consolider les murs. Quant au petit théâtre de la reine, très abîmé, ne possédant plus de banquettes, n'ayant plus ni chauffage ni éclairage, il fut restauré sur proposition de Dufour, suite à un rapport alarmant établi le 18 novembre 1809 par Trepsat. Les travaux furent réalisés avec célérité puisque le 16 décembre on y fit les premières représentations depuis la Révolution (35). On put sauver les dorures qui ne nécessitaient qu'un dépoussiérage et quelques reprises – malheureusement non faites à la feuille -, et les deux candélabres de l'avant-scène, oeuvre de Deschamps, miraculeusement conservés car réquisitionnés pour le Muséum, furent restaurés par Valentin et Darrac. Mais aux délicates soieries de l'Ancien Régime, on substitua des papiers peints, soit vert avec des abeilles, soit bleu. Notons que le théâtre fut à nouveau remanié en 1810, car la rapide remise en état de 1809 ne convint pas à Napoléon, et l'on alla jusqu'à percer le plafond, peint par Lagrenée sous Louis XVI, afin de suspendre un lustre de cristal.

 » Les deux Trianons sont maintenant réunis par un enclos qui les sépare du parc de Versailles, poursuit le prince de Clary-et-Aldringen ; je crois même que, dorénavant, ils doivent être inaccessibles aux vulgaires humains. Pour voir tout cela, on passe comme un ballon de mains en mains, par celles d'au moins vingt cicerone : on donne un petit écu à chacun, ce qui ne semblait rien parce que nous étions très nombreux, mais reviendrait fort cher si l'on faisait l'excursion seul « . Afin de distinguer le domaine de Trianon de celui de Versailles, outre l'enclos constitué de sauts de loup, de grilles et de palissades, Napoléon avait également fait tracer une route particulière qui aboutissait à une grille donnant sur le boulevard de la Reine, rebaptisé boulevard de l'Impératrice. Afin de parachever ce projet de clôture, l'Empereur fit installer des corps de garde à chacun des accès de ce domaine, et deux pavillons rectangulaires furent édifiés à l'entrée du Grand Trianon, l'un pour la garde, l'autre pour le portier et les pompiers « .

Aux quelques éléments que donne le prince autrichien, on pourrait en ajouter d'autres. Napoléon fit en particulier relier les jardins du Grand Trianon au Jardin Français par la construction d'un pont métallique, dit de la Réunion, enjambant un chemin creux, ainsi que nous l'avons dit. Il pouvait ainsi rejoindre facilement la jeune Impératrice installée au Petit Trianon. Derrière ce petit château, il fit également rétablir le jeu de bague de Marie-Antoinette qui avait été vendu au moment de la Révolution (1794). Dans une lettre datée du 27 janvier 1810, l'Empereur avait écrit :  » Trianon est aujourd'hui ma seule maison de printemps. Il est possible que j'y allasse. Je désirerais donc qu'on achevât le village, meubles et bâtiments. Je ne tiens pas à réparer le village, me présenter un projet définitif pour l'arrangement des deux Trianons, y mettre un jeu de bagues, me le présenter pour le 15 février « . Plus simple que celui de la reine, ce jeu fut réalisé par Boichard, qui sculpta les chars et les figures pour 2 000 francs, mais il ne fut pas doré comme il était prévu. L'impératrice Marie-Louise aimait beaucoup ce jeu qu'elle trouva en assez mauvais état en 1813. On envisagea de la protéger des intempéries, mais les travaux devaient s'effectuer sur le budget de 1814 (36). Ce jeu de bague existait encore sur les plans de 1849.

Les séjours à Trianon (1810-1813)

Le 21 juin 1810, Napoléon et sa jeune épouse visitèrent le château de Versailles et le petit palais nouvellement aménagé. Deux jours après, ils y déjeunèrent en compagnie de Caroline. Mais ce ne fut qu'au début du mois d'août qu'ils y séjournèrent quelques jours. L'Empereur laissa Marie-Louise avec sa Maison, poursuivant ses activités et ne venant lui rendre visite qu'autant qu'il le pouvait. Le Petit Trianon, attribué à l'Impératrice, commença de reprendre vie, bien que Marie-Louise ait été semble-t-il assez indifférente au souvenir de sa tante, la reine Marie-Antoinette. Dans une lettre à son père, l'empereur François Ier, elle écrit, répondant par-là en quelque sorte au prince de Clary-et-Aldringen :  » C'est un très petit château de chasse mais qui ressemble un peu au Luxembourg, et vous pouvez facilement vous imaginer, mon cher papa, que tout ce qui me le rappelle me réjouit infiniment « . Ainsi, Marie-Louise, qui aimait beaucoup le séjour du Petit Trianon, voyait en lui avant tout un souvenir de son enfance en Autriche. Le 9 août 1810, on donna une représentation des Femmes savantes de Molière sur le petit théâtre de la reine et le lendemain, une grande fête se déroula dans les jardins. Un cirque, construit spécialement pour l'occasion, accueillit un spectacle des frères Franconi qui se déroula en présence des souverains. Ces divertissements préfiguraient la grande fête qui allait être organisée l'année suivante et allait constituer une sorte d'apogée de la vie impériale à Trianon.

Si, durant le séjour de juillet 1811, l'Empereur poursuivit avant tout ses activités politiques malgré une chaleur étouffante qui obligea à annuler le spectacle du 14 juillet, il prit cependant assez de temps pour naviguer le 16 avec son épouse sur le Grand Canal dans une gondole nommé Marie-Louise, tandis que l'on faisait jaillir les grandes eaux. Et ce fut le lendemain la promenade dans le parc de Versailles avec le petit Roi de Rome assis dans une calèche tirée par des chèvres.
En août 1811 se déroula la plus grande fête qui fût donnée à Trianon sous l'Empire. Plusieurs contemporains, dont l'architecte Fontaine qui l'organisa, l'ont rapportée, mais laissons plutôt parler Méneval (37) :  » Le 25 août arrive la fête de l'Impératrice : ce fut à Trianon qu'on la célébra. Le temps était devenu magnifique et les délicieux jardins du Petit Trianon, les fabriques, les lacs, les îles de ce séjour enchanté se prêtaient à des scènes et à des combinaisons dont les organisateurs de la fête surent tirer un merveilleux parti. On représenta, sur le théâtre de Trianon, le Jardinier de Schoenbrunn, pièce composée par M. Alissan de Chazet ; cette représentation fut accompagnée d'un ballet, exécuté par les principaux sujets de l'Opéra (38). L'Empereur donnant le bras à l'Impératrice, et suivi de presque toute la cour, se promena pendant quelque temps dans le petit parc ; des cantates dont la musique avait été composée par Paër furent chantées en leur honneur et la fête se termina par un splendide souper.
Cette fête, la plus agréable entre toutes, termina la série des réjouissances données pour célébrer le mariage de l'Empereur et la naissance du roi de Rome. La grâce et la dignité déployées par Marie-Louise y furent généralement remarquées. Napoléon paraissait heureux, il était affable dans son intérieur et affectueux avec l'Impératrice. Quand il la trouvait sérieuse, il l'amusait par des propos enjoués ou déconcertait sa réserve par de bonnes et franches embrassades. En public il la traitait avec de grands égards et avec une dignité qui n'excluait pas une sorte de familiarité noble « .
Constant apporte des détails supplémentaires à ce récit (39).  » Dès le matin, la route de Paris à Trianon était couverte d'un nombre immense de voitures et de gens à pied […]. Tout Paris semblait être dans Versailles […]. Dans ces immenses allées on se marchait sur les pieds, on manquait d'air sur ce vaste plateau si aéré […]. À trois heures, une pluie abondante fit craindre un moment que la soirée ne finît mal […]. Toutes les lignes d'architecture du Grand Trianon était ornées de lampions de différentes couleurs ; dans la galerie, on apercevait six cents femmes brillantes de jeunesse et de parure. L'Impératrice adressa de gracieuses paroles à plusieurs d'entre elles, et on fut généralement ravi de l'affabilité et des manières aimables d'une jeune princesse qui n'habitait la France que depuis quinze mois […]. Le spectacle terminé, Leurs Majestés commencèrent leur promenade dans le parc du Petit Trianon. L'Empereur, le chapeau à la main, donnait le bras à l'Impératrice, et était suivi de toute la cour. On se rendit d'abord à l'Ile-d'Amour. Tous les enchantements de la féerie, tous ses prestiges s'y trouvaient réunis. Le temple, situé au milieu du lac, était magnifiquement illuminé, et les eaux réfléchissaient les colonnes de feu. Une multitude de barques élégantes sillonnaient en tous sens ce lac, qui semblait enflammé, et étaient montées par un essaim d'amours qui paraissaient se jouer dans les cordages. Des musiciens cachés à bord exécutaient des airs mélodieux ; et cette harmonie, à la fois douce et mystérieuse, qui semblait sortir du sein des ondes, ajoutait encore à la magie du tableau et au charme de l'illusion. À ce spectacle succédèrent des scènes d'un autre genre ; des scènes champêtres ; un tableau flamand en action, avec ses bonnes figures réjouies et sa rustique aisance : des groupes d'habitants de chacune des provinces de France, qui faisaient croire que toutes les parties de l'Empire avaient été conviées à cette fête. Enfin, les spectacles les plus divers attirèrent tour à tour les regards de Leurs Majestés. Arrivées au salon de Polymnie, elles furent accueillies par un choeur charmant, dont la musique était, si je m'en souviens, de M. Paër, et les paroles du même M. Alisan de Chazet. Enfin, après un souper magnifique qui fut servi dans la grande galerie, Leurs Majestés se retirèrent. Il était une heure du matin « .

Ainsi s'achevèrent les fêtes de Trianon sous l'Empire. Les travaux dans le palais se poursuivirent cependant durant toute l'année 1812 selon les ordres donnés par l'Empereur, en particulier dans ses petits appartements, où il avait décidé de créer un nouveau cabinet particulier, ainsi que sur le plan des peintures, Vivant Denon, directeur du Musée Napoléon, ayant obtenu en 1811 de commander à de jeunes artistes une série de peintures qui arrivèrent au palais au début de 1813. Mais la désastreuse campagne de Russie vint arrêter net les quelques agréables séjours à Trianon durant lesquels Napoléon travaillait avec ses architectes au grand projet de rénovation de Versailles. La dernière fois que l'Empereur se rendit à Trianon, ce fut en mars 1813. Il était encore sous le coup de la terrible déroute de son armée, son trône vacillait, il le sentait, mais en homme qui ne cède jamais, il préparait déjà les plans de sa future campagne d'Allemagne. Son humeur était morose, et Lauzan, le conservateur de Versailles, en fit les frais, ses accrochages de peintures dans le palais étant remis en cause (40). Il arriva le soir du 7 mars et n'en repartit que le 23. Il multiplia les lettres à ses généraux, poussant à la réorganisation de la Grande Armée, concevant un plan d'attaque générale qui passant par Dresde lui aurait permis de rejoindre Dantzig et de rejeter l'ennemi au-delà de la Vistule (41). C'est à ce plan d'enveloppement qu'il se tint en mai 1813, mais sa réalisation fut plus difficile qu'il ne l'avait prévue, et malgré les victoires de Lützen le 2 mai et de Bautzen les 20-21 mai, il ne parvint pas à remonter vers le nord. À l'automne, ce fut Leipzig (16-18 octobre). Napoléon ne devait jamais plus revenir à Trianon.

Le travail avec les architectes

Trianon était non seulement le lieu de villégiature où Napoléon pouvait goûter son nouveau bonheur d'avoir un héritier, il demeurait avec acharnement aux affaires de l'Empire. L'armée, objet de toutes ses sollicitudes, vit partir plusieurs lettres depuis Trianon. Mais ce fut avant tout le grand projet de restauration du palais de Versailles qui retint son attention. Installé dans le petit palais rénové, il pouvait en effet facilement s'imprégner de son esprit. Depuis son cabinet du Conseil ou depuis la galerie, entouré de ses architectes et conseillers autour de sa table de travail, il donnait des ordres que l'architecte Fontaine était chargé de coordonner. Celui-ci nous a laissé dans son Journal de nombreux témoignages sur ces réflexions concernant Versailles. Le 12 juillet 1811, l'architecte écrit :  » Je me suis rendu avec Dufour et l'intendant des Bâtiments (Costaz) à Trianon, dans la galerie où l'Empereur après son déjeuner s'est fait présenter nos projets pour le rétablissement de Versailles  » (42). Puis le 21 juillet :  » L'espérance de faire prendre une décision sur Versailles m'oblige à m'y rendre chaque jour. Je suis de nouveau appelé à Trianon « . Depuis la nouvelle résidence, après de longues discussions et tractations, Napoléon, suivi de Fontaine et de Dufour, se rendait souvent au château pour se rendre compte des propositions de ses architectes. Rien n'avançait pourtant, et Fontaine devait batailler pour faire valoir son point de vue. On passait alors à d'autres sujets comme par exemple l'implantation d'un nouvel hôtel des postes (43), ou les aménagements prévus dans le palais de Monte Cavallo (Quirinal) à Rome. À cet effet, le 11 juillet 1811, l'Empereur reçut son architecte romain Daniele Stern pour régler certaines questions, mais sans résultat (44).

Le travail de Fontaine sur Versailles ne s'arrêta pas avec la chute de l'Empire. En 1814, au retour des Bourbons, il se rendit encore sur place à l'invitation du comte de Blacas, ministre de la Maison du Roi. Le 15 juin, il le guidait dans le palais et dans les deux châteaux de Trianon. De nouveaux projets furent établis à Versailles pour loger la famille de Louis XVIII. Des travaux commencèrent. Puis le roi lui-même vint visiter le château, le 10 août, jour anniversaire de la chute de l'ancien Régime, puis le 12 octobre.  » Elle (Sa Majesté) est allée ensuite à Trianon, relève Fontaine, dont le magnifique ameublement lui a paru inconvenant  » (45) (46). Pourtant, tout demeura en place durant la Restauration, à des rares exceptions. Il faudra attendre le règne de Louis-Philippe pour qu'enfin Versailles, renouant avec le projet révolutionnaire, soit transformé en musée de l'Histoire de France et que le roi et sa famille reprennent possession des Trianons.

Notes

(1) Baron Fain, Mémoires, Paris, Arléa, 2001, p. 159.
(2) Voir catalogue exposition, " Il y a deux cents ans, Joséphine achetait Malmaison ", musée de Malmaison, 1999.
(3) Voir J. Tulard et L. Garros, Napoléon au jour le jour, Paris, Tallandier, 1992. À titre d'exemple, nous citerons la journée du 20 mars 1806, celles des 11 mars et 22 mars 1808 ainsi que celle du 1er septembre 1808, dans les bois de Bailli.
(4) De bonnes relations de l'état des Trianons et du Hameau au sortir de la Révolution nous ont été laissés par deux voyageurs anglais : H.R. Yorke, Paris et la France sous le Consulat, Paris, Perrin, 1921, et Sir J. Dean Paul, Journal d'un voyage à Paris au mois d'août 1802, Paris, Alphonse Picard, 1913.
(5) D. Ledoux-Lebard, " Le palais du Grand Trianon sous l'Empire ", Revue de l'Institut Napoléon, avril 1967, n° 103, pp. 49-56.
(6) Guillaume Trepsat, élève de Blondel, avait été blessé lors de l'attentat dit de la " machine infernale ", le 25 décembre 1800. Bonaparte, à qui il fut présenté par Fontaine, le nomma aussitôt inspecteur des Invalides. Bien que déjà âgé, il fut chargé en 1804 des travaux de Trianon, puis des premiers projets d'aménagement de Versailles, et travailla également à Rambouillet. Il mourut en 1813.
(7) Le musée spécial de l'École française fut créé en 1797. Installé dans les grands appartements du château, il rassemblait les chefs-d'oeuvre de l'art français ainsi que des productions contemporaines. Très peu fréquenté en raison de son peu d'heures d'ouverture, il disparut lentement sous l'Empire.
(8) Voir D. Ledoux-Lebard, Le Grand Trianon. Meubles et objets d'art, Paris, F. de Nobele, Éd. des Musées nationaux, 1975, p. 11.
(9) P.L.F. Fontaine, Journal. 1799-1853, Paris, 1987, t. I, pp. 205-207.
(10) Alexandre Desmazis (1768-1833), ancien condisciple de Bonaparte à l'École militaire, remplaça Calmelet comme administrateur du Mobilier impérial.
(11) D. Ledoux-Lebard, Versailles. Le Petit Trianon. Le mobilier des inventaires de 1807, 1810 et 1839, Paris, Les éditions de l'Amateur, 1989, p. 20.
(12) Dans la chambre de l'Impératrice, le marchand Baudouin livra, en 1810, une table de toilette en bois clair, nouveauté à l'époque, qui fut sans doute choisie par Joséphine, toujours soucieuse de donner le ton de la mode. L'utilisation du bois clair, indigène, dans le mobilier était une mesure d'accompagnement voulue par Napoléon au moment du blocus continental établi contre l'Angleterre qui empêchait la livraison de l'acajou. Cette table est conservée à son emplacement d'origine (inv. T 47c). Ce fut sans doute aussi Joséphine qui fit transporter dans la chambre le bureau en arc de triomphe commandé en 1796 à Jacob Frères pour la maison de la rue Chantereine (inv. T 395c) et les deux meubles exceptionnels de Mansion actuellement conservés au musée de Malmaison.
(13) Devant la difficulté de trouver des tableaux correspondant aux dimensions des boiseries, dès 1809, Vivant Denon avait établi une liste de sujets qui pourraient être peints pour le Grand Trianon. Napoléon, économe, la repoussa, et ce ne fut qu'en 1811 qu'elle put être réalisée, sur une échelle moindre. Exposés au Salon de 1812, les tableaux arrivèrent à Trianon en mars 1813, pour le dernier séjour de l'Empereur, mais on ignore s'ils furent accrochés. Outre ces tableaux, on avait fait venir des peintures achetés aux Salons précédents, comme le Bivouac de Wagram  de Roehn, Napoléon au tombeau de Frédéric II de Ponce-Camus, et nombre de tableaux conservés au Louvre, par Mignard ou Poussin entre autres. Voir Ch.-O. Zieseniss, " Napoléon et les tableaux du Grand Trianon ", Bulletin de la Société de l'Histoire de l'Art Français, 1967, pp. 253-308.
(14) D. Ledoux-Lebard, Le Grand Trianon, op. cit., p. 145.
(15) Ch.-O. Zieseniss, Napoléon et la Cour impériale, Paris, Tallandier, 1980, p. 335.
(16) Cf. F. Masson, Joséphine répudiée (1809-1814), Paris, Albin Michel, s.d., p. 120. Malheureusement l'auteur ne cite pas ses sources, ajoutant seulement que Napoléon ne jouait jamais.
(17) Christine Ghilini (morte en 1841), épouse de François-Hilaire-Scipion Mathis, comte de Cacciona, baron d'Empire, membre du collège électoral de la Stura, était dame du palais de Pauline Borghèse. Napoléon n'était pas indifférent à son charme italien.
(18) Correspondance de Napoléon à Joséphine, Paris, p. 192, n° CCXV.
(19) Jean-Marie René Savary, duc de Rovigo (1774-1833).
(20) Correspondance, op. cit., p. 193, n° CCXVII.
(21) Correspondance, op. cit., p. 194, n° CCXX.
(22) Mémoires et correspondances politique et militaire du prince Eugène, Paris, Michel Lévy, 1860, p. 312.
(23) Mémoires de la reine Hortense, Paris, Plon, 1927, p. 56.
(24) Caroline Murat, soeur de l'Empereur.
(25) Ce n'est pas ce que rapporte Mlle Avrillion, première femme de chambre de Joséphine, dans ses Mémoires, Paris, Mercure de France, 19, p. 226. Joséphine aurait été très heureuse de cette invitation, ayant " un air de bonheur et d'aisance qui aurait pu faire croire que Leurs Majestés ne s'étaient jamais quittées ".
(26) Baron de Méneval, Mémoires pour servir à l'histoire de Napoléon depuis 1802 jusqu'à 1815, Paris, Dentu, 1894, pp. 294-295.
(27) Trois mois à Paris lors du mariage de l'Empereur Napoléon et de l'archiduchesse Marie-Louise, Paris, Plon-Nourrit, 1914, pp. 177-179.
(28) Ce tableau, oeuvre de René Berthon (1776-1859), est conservé à Versailles (MV 1707). Craignant de blesser la nouvelle impératrice en lui rappelant la déroute des armées autrichiennes, Napoléon fera enlever ce tableau.
(29) Le prince Maurice de Liechtenstein, général major autrichien, négocia la capitulation d'Ulm sur l'ordre du général Mack von Leiberich.
(30) Les malachites de Sibérie avaient été offertes par le tsar Alexandre Ier à Napoléon en 1808 suite au traité de Tilsit. Transformées en meubles par Jacob-Desmalter d'après des dessins de l'architecte Percier, elles étaient destinées au Grand Cabinet de l'Empereur aux Tuileries, mais, trop petites pour l'espace, elles furent transférées au Grand Trianon en 1811. Sur ces oeuvres, voir R., G. et C. Ledoux-Lebard, " Les malachites montées par Jacob pour le grand cabinet de l'Empereur aux Tuileries ", Travaux et Documents de l'Institut Napoléon, 1944, pp. 1-5 ; R., G. et C. Ledoux-Lebard, " La décoration et l'ameublement du grand cabinet de Napoléon Ier aux Tuileries ", Bulletin de la Société de l'Art Français, 1941-1944, p. 185 ; D. Ledoux-Lebard, Le Grand Trianon, op. cit., 106-109.
(31) Il s'agit du phare du Hameau, dit Tour de Marlborough en raison de la chanson que chantait au Dauphin sa nourrice Mme Poitrine.
(32) Louis Costaz (1767-1842), géomètre et conseiller d'État. Ce fut lui qui accompagna l'impératrice Marie-Louise à Blois en 1814.
(33) Cette petite construction, oeuvre de Gabriel, fut rétablie en 1983. Notons que ce fut sous l'Empire que fut poursuivie l'édification du mur bordant les communs du Petit Trianon.
(34) La maison de la Reine devint la Maison du Seigneur, le Billard devint la Maison du Bailli, le Réchauffoir devint le Café, et le Colombier fut rebaptisé Maison Curiale.
(35) On y représenta Le Barbier de Séville, une pièce que la reine avait interprétée autrefois sur ce théâtre, et Les Femmes savantes.
(36) Ledoux-Lebard, Le Petit Trianon, op. cit., p. 27 et A. Heitzmann, " Un jeu de bague sous l'Empire à Trianon ", La Gazette des Beaux-Arts, mars 1988, pp. 203-212.
(37) Méneval, op. cit., pp. 458-459.
(38) Ces divertissements furent les Projets de mariage et un à-propos d'Alissan de Chazet, La grande famille, oeuvre jugée assez niaise.
(39) Mémoires intimes de Napoléon par Constant, son valet de chambre, Paris, Mercure de France, 1967, pp. 436-437.
(40) Le tableau de Roehn intitulé la Remise des drapeaux à Millesimo provoqua la fureur de l'Empereur, ainsi que le relate Lauzan dans une lettre à Lavallée, secrétaire du Musée Napoléon. " Quel est le cochon qui m'a peint ainsi ? ", se serait écrié Napoléon en voyant son portrait dans la peinture exposée dans le Grand Cabinet. Réveillé en urgence, Lauzan dut faire enlever l'oeuvre en toute hâte, et ce furent Duroc et le général Klein, gouverneur de Versailles, qui parvinrent à calmer l'Empereur. Ce tableau est conservé à Versailles (MV 1475).
(41) Correspondance de Napoléon, n° 19 697.
(42) Mémoires de la reine Hortense, op. cit., p. 160.
(43) Mémoires de la reine Hortense, op. cit., pp. 191-192.
(44) Ce fut sans doute lors d'une de ces réunions que Fontaine lui soumit un ensemble d'aquarelles évoquant les salles du château telles qu'elles pourraient être une fois remaniées (collection particulière). Quant aux plans de réaménagement, par Fontaine et Dufour, ils sont conservés à l'agence d'architecture du château de Versailles.
(45) Fontaine, op. cit., p. 299.
(46) Fontaine, op. cit., pp. 297-298, et P. Arizzoli-Clémentel et Ch. Gastinel-Coural, " Il progetto del Quirinale nell'età napoleonica ", Bolletino d'Arte, suppl. au n° 70, 1995, p. 12.
Titre de revue :
Revue du Souvenir Napoléonien
Numéro de la revue :
448
Numéro de page :
13-24
Mois de publication :
aout-sept.-oct.
Année de publication :
2003
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