En France à la fin du XIXe siècle, hors famille impériale, deux foyers de Bonaparte semblent présents, en Normandie et en Meurthe-et-Moselle. Les archives départementales du Calvados et de la Manche (nous remercions chaleureusement Jean-Baptiste Auzel, directeur des Archives départementales de la Manche, et ses équipes de leur aide dans cette recherche) permettent de voir qu’une famille Bonaparte est originaire de Saint-Georges-de-Bohon (Manche). Le patronyme, peu fréquent s’il en est, apparaît vraisemblablement vers 1797, quand Catherine Lenoury met au monde un fils naturel prénommé Eucher à qui est donné le patronyme « Bonaparte, dit Catherine ». En 1824, il se marie à Marie Françoise Saint. Le couple a trois fils au patronyme simplifié qui migrent du canton de Carentan vers celui d’Isigny (Calvados), vraisemblablement vers le milieu du siècle. De ce lignage, cinq hommes issus de trois fratries ont rejoint l’armée dans les années qui précèdent la Première Guerre mondiale.

Parmi eux : Napoléon Auguste Charles Bonaparte, qui est mort il y a précisément 109 ans le 15 septembre 1914 à Ville-sur-Tourbe dans la Marne. L’homme est né 33 ans plus tôt le 4 septembre 1881 à Saint-Germain-du-Pert. Son père Jean Bonaparte (né en 1834) et sa mère Louise Banse sont journaliers et résident à La Cambe comme deux de ses oncles. En plus de ce fils au nom prestigieux, deux enfants sont nés du couple.
Avant d’intégrer l’armée, Napoléon exerce la profession de maréchal-ferrant. L’homme est sanguin et a eu une jeunesse turbulente. De la classe 1901, dès avant le conseil de révision, il est condamné par deux fois par le tribunal correctionnel de Bayeux pour atteinte à la pudeur, et juste avant l’intégration, pour voie de fait. Apte au service, du fait de ses antécédents, les autorités militaires l’affectent le 15 novembre 1902 au 4e bataillon d’infanterie légère d’Afrique basé en Tunisie puis, restant sur place, il passe en 1904 au 160e d’infanterie. Le 29 septembre 1905, avec la campagne de Tunisie (1902-1904) à son actif, Napoléon est mis en disponibilité avec un certificat de bonne conduite et peut rentrer en France. L’homme installé à Caen puis Saint-Lô reste violent. Il est condamné une nouvelle fois en 1908 pour coups et blessures. Ses relations avec les autorités militaires sont compliquées, et il ne doit pas souscrire à ses obligations. En 1909, il est déclaré insoumis, et récidiviste en 1912, il est condamné à 6 mois de prison. Cette même année, il est inscrit sur le registre du 1er régiment d’infanterie coloniale où la discipline est soutenue.
Rien d’étonnant que lors la mobilisation générale du 1er août 1914, il traîne quelques jours à rejoindre son unité. Cette courte absence le fait déclarer insoumis en 1916 par les autorités militaires ! En réalité, il avait rejoint son unité dès le 7 août 1914, mais dans la confusion des premiers temps de la guerre était passé inaperçu pour l’administration militaire… Le temps pour lui de se faire tuer.
Avec le corps d’armée coloniale, les 14, 15 et 16 septembre 1914, dans l’élan de la victoire de la Marne (9 au 12 septembre), lui et ses camarades du 1er régiment d’infanterie colonial se heurtent à l’armée allemande qui a stoppé sa retraite sur les hauteurs des confins du département de la Marne. Son régiment composé de 2 314 hommes est à l’avant-garde du corps d’armée quand les ennemis se font face à Berzieux. Le 14, après une dure progression sous le feu de l’artillerie lourde allemande, une partie du régiment occupe Ville-sur-Tourbe et le bois qui borde l’est de la commune. Le lendemain, pour contourner les hauteurs de la Main de Massige (promontoire en forme de main transformé par les Allemands en forteresse), les 1er et 2e régiments d’infanterie coloniale reçoivent l’ordre de poursuivre leur progression vers Cernay-en-Dormoy. Pris sous le feu croisé des batteries, ils se heurtent à la résistance farouche des Allemands.
Au cours d’une seule journée, en plus de Napoléon Bonaparte, 1 108 hommes du 1er RIC furent fauchés par les obus et la mitraille. Le 2e RIC et les autres régiments du corps d’armée, qui combattent le même jour, connaissent des pertes similaires. À la suite de cette hécatombe, le front se stabilise, les hommes s’enterrent. Le secteur (Main de Massige – Ville-sur-Tourbe) connaît ensuite pendant toute la guerre de violents combats déclenchés par un camp ou l’autre sans qu’avant 1918 les résultats soient significatifs. De 1914 à 1918, il est estimé que ce secteur de quelques dizaines de kilomètres coûte à la France plus de 25 000 soldats et autant d’Allemands.
Accusé à tort d’insoumission, il faut attendre 1920 pour que Napoléon Bonaparte soit innocenté. Un jugement militaire lui décerne finalement en 1927 le statut de mort pour la France. En compagnie de plus de 21 000 soldats tués dans le secteur de 1914 à 1918, il repose désormais dans la nécropole nationale de Pont-du-Marson.
Son nom, aussi rare que prestigieux, omis sur la plaque commémorative installée après-guerre à l’intérieur de l’église de sa commune d’origine, est désormais le premier de la liste qui orne le monument que Saint-Germain-du-Pert a fait ériger devant son église à la mémoire de ses enfants morts pour la France.
François Houdecek (septembre 2023)
