Prison au donjon
Pour le régime impérial comme pour la monarchie précédente, Vincennes était une prison, les bâtiments s'y prêtant particulièrement, du point de vue de la surveillance sinon du confort, le donjon en particulier : à chaque étage, une pièce centrale, accessible aux détenus durant la journée, commandait quatre cellules aménagées dans les tourelles d'angle, et la surveillance était renforcée par l'enceinte ceinturant l'ouvrage et dont le chemin de ronde pouvait servir de promenoir aux prisonniers : c'est de là que s'était, le 31 mai 1648, évadé le duc de Beaufort.
Depuis la Révolution, le château dépendait du ministre de la Guerre, sous la direction, depuis 1801, de Harel (2), ancien jacobin rallié qui n'avait joué qu'un rôle mineur dans l'exécution du duc d'Enghien. L'édifice continuait à servir de prison, avec des captifs insignes. En 1804, le donjon reçut les condamnés de la conspiration de Cadoudal et parmi eux le marquis de Puivert, ancien officier d'état-major du prince de Condé, que nous retrouverons, et les deux frères Polignac : l'aîné, Armand, condamné à mort, avait été gracié le 8 juin pendant que son frère Auguste était frappé de deux ans de prison, à l'issue desquels il obtint de continuer à partager la captivité de son frère. En 1810, ils seront tous deux transférés dans la maison de santé du docteur Du Buisson, dont ils s'évaderont en décembre 1813. À Vincennes, aux heures de promenade, les deux frères déambulaient dans le préau des prisonniers et avaient gravé sur le sol, d'après les rayons du soleil, un signe indiquant qu'à ce point du parcours il était temps pour eux de regagner leur cellule, afin d'éviter l'injonction du gardien. À nouveau emprisonné à Vincennes vingt-six ans plus tard, Armand retrouvera cette marque.
La vocation carcérale du donjon fut développée en 1808, date où la tour du Temple, à Paris, fut désaffectée, prélude à sa démolition. À partir de cette époque furent transférés ici certains vestiges de la prison de la famille royale : deux portes de chêne à ferrures, aujourd'hui au rez-de-chaussée du donjon et un poêle de faïence que l'on voyait ces dernières années au cinquième étage.
Pour abriter ce surcroît de prisonniers, de nouveaux travaux furent entrepris. Le chemin de ronde de la « chemise » du donjon, sans doute dégradé, n'étant plus accessible aux captifs, on leur aménagea deux promenoirs, l'un au rez-de-chaussée du donjon, partagé en deux, l'autre au sommet de ce dernier, terrasse que l'on entoura en 1808 d'un garde-fou. C'est à ce moment que fut descendue la célèbre cloche de Jean Jouvente, fondue en 1369, et supprimé le campanile qui la supportait (3) . Dans la cour entourant l'ouvrage, au revers des courtines est et sud, des bâtiments construits à cet effet ou réaménagés abritèrent les services généraux de la prison, un magasin et un parloir pour les visites, séparé en deux par une grille. Les détenus étaient, comme sous l'Ancien Régime, enfermés la nuit dans les salles des tours d'angle transformées en cellules, celles de la tour nord-ouest étant privilégiées puisque disposant d'un « cabinet particulier d'aisance », logé dans l'ouvrage de flanquement de Charles V (4).
Et de nouveaux prisonniers arrivaient. Au nombre des partisans de Moreau avait été compris le général Fanneau de Lahorie, qui avait fui à l'étranger. Rentré clandestinement en France en 1808, il vécut quelques mois d'amour avec Adèle Hugo au fond du jardin des Feuillantines, puis fut arrêté en 1810 et conduit ici, d'où il partit pour La Force : c'est là que Malet viendra le délivrer pour l'aventure qui se terminera au poteau d'exécution.
On vit aussi à Vincennes le défenseur de Saragosse, José de Palafox y Melci. Fait prisonnier à la suite du second siège de la ville, il fut enfermé au donjon d'avril 1809 à décembre 1813, date du traité de Valence.
Et Napoléon n'hésita pas à faire emprisonner à Vincennes des prélats contestataires. L'Empereur ayant convoqué en 1811 un concile national, trois évêques s'y opposèrent aux atteintes portées au pouvoir du pape : Mgr Hirn, évêque de Tournai, Mgr de Broglie, évêque de Gand, qui s'était déjà signalé en 1809 en refusant la Légion d'honneur pour ne pas paraître approuver l'annexion des États pontificaux, et le plus célèbre, Mgr Étienne Alexandre Boulogne, dit de Boulogne, évêque de Troyes, sacré en 1809 dans la chapelle des Tuileries, baron d'Empire, prédicateur des grandes cérémonies impériales, où il avait qualifié Napoléon d'« autre Cyrus conduit par la main de Dieu ».
Le 10 juillet, l'Empereur prononçait la dissolution du concile et, dans la nuit du 11 au 12, les trois prélats étaient arrêtés et conduits à Vincennes, où ils retrouvèrent les cardinaux Gabrielli et di Pietro, détenus au second étage du donjon. Les évêques français occupèrent le premier, où quatre mois plus tard on leur arracha leur démission. À la suite de ces renoncements, ils furent placés en résidence surveillée en province, mais Boulogne, envoyé à Falaise et dont le pape avait refusé la démission, fur accusé par Napoléon de faire pression sur le chapitre de Troyes pour paralyser son successeur (il y avait été encouragé par Pie VII) et ramené le 28 novembre 1813 à Vincennes, où on l'installa, privé de miroir et de rasoir, au premier étage du donjon, dans la cellule qui avait été celle de Mirabeau.
C'est alors que l'évêque utilisa sa détention à décorer cette petite pièce de fresques et inscriptions pieuses dont il reste quelques vestiges. Il y resta jusqu'en février 1814, conduit à La Force avec le baron de Géramb, que nous allons rencontrer.
Sans affirmer avec Pradel de Lamaze que les ministres de Napoléon « ont expédié à Vincennes plus de malheureux que tous les ministres réunis de Louis XIV, Louis XV et Louis XVI », on relève le passage ici de nombreux détenus, le motif habituel de leur emprisonnement étant « manoeuvre contre la sûreté de l'État ». Pour certains, héritage révolutionnaire, le motif n'est même pas indiqué : ainsi l'abbé Bertoluzzi, aumônier du pape, ou Aymé, chambellan du roi de Naples.
Et certains personnages pittoresques. Le financier Ouvrard, dont les rapports avec Napoléon ont toujours été difficiles. Travaillant, plus ou moins clandestinement, pour le retour à la paix maritime, génératrice de prospérité, il élabora un traité secret de paix avec l'Angleterre, dans lequel il compromit Louis Bonaparte, roi de Hollande, et Fouché. Découvert, il fut arrêté en juin 1810 et écroué à l'Abbaye, puis à Vincennes, avant transfert en juin 1811 à Sainte-Pélagie.
En mars 1811, le pittoresque conspirateur royaliste Chodruc-Duclos (5). D'août 1812 à février 1814 un curieux intrigant, le baron de Géramb, qui finira procureur général des trappistes (6). En 1813 l'abbé Camajano, complice de Malet, qui avait échappé au conseil de guerre et fut libéré au retour des Bourbons (7).
L’arsenal de la Grande Armée
Mais, pendant ce temps, quel avait été le rôle, à Vincennes, de Napoléon lui-même ? Chose curieuse, nous ne connaissons pas les dates de ses visites (8), et le Napoléon au jour le jour de Garros et Tulard n'en mentionne aucune (9). André Hurtret, qui s'est longuement étendu sur cette période dans Les tragédies de Vincennes (10) , date la première visite de l'Empereur à Vincennes de mars 1808, date déjà donnée par Pradel de Lamaze. Napoléon avait-il jusque-là craint l'ombre du duc d'Enghien (11) ?
Toujours est-il que c'est l'Empereur qui, confirmant la décision du Directoire, de 1796, installant à Vincennes l'arsenal de Paris, affirma que le château était rendu, après trois siècles, à son rôle militaire, en dehors du donjon maintenu comme prison d'État. Mais aménagement réalisé au prix de dépenses très limitées. Devant les devis, l'Empereur s'écria : « Le Génie me soumet toujours des dépenses exagérées : cela vient de ce qu'il veut démolir pour rebâtir… On peut satisfaire à ces dépenses et autres détails de réparation avec 150 000 francs. Je n'alloue pas davantage ! »
Les transformations envisagées ne furent donc que projetées ou partiellement entreprises. Un des premiers travaux réalisés fut, semble-t-il, la destruction des vestiges du manoir de Saint-Louis (12). Et l'on dressa la liste des autres travaux à opérer : transformation de la Sainte-Chapelle en salle d'armes pour dix mille fusils, sur deux niveaux, ce qui entraînera la destruction de la flèche, des stalles Renaissance et de tout l'ameublement religieux ; installation d'une caserne pour mille hommes au pavillon du Roi, déjà dans un état déplorable ; obturation des grandes arcades de Le Vau ; achèvement de la suppression des créneaux des remparts, auxquels seraient substituée une banquette de tir. Et l'on projetait d'installer un peu partout dans le château, en particulier dans les parties basses des tours d'enceinte, cent mille livres de poudre. C'est ici que se rassemblerait le matériel à envoyer aux armées : Vincennes devenait le premier arsenal de l'Empire.
Autre transformation envisagée, semble-t-il sur les instructions formelles de l'Empereur : deux des neuf tours de l'enceinte, dominant de vingt-sept mètres la courtine, étaient en mauvais état, et les restaurer aurait coûté trop cher ; il fut décidé de les araser au niveau du rempart et de les transformer en plateformes d'artillerie. Les tours à subir ce sort furent celle de Calvin ou tour du Diable, à l'est, et celle de Paris (angle nord-ouest), qu'un dessin d'artillerie, avec trois canons pointés dans des directions différentes. Quant à la tour du Gouverneur, au milieu du front est, elle fut aménagée pour recevoir des canons pris à Marengo et reçut le nom de tourdes Salves.
Conséquence de la modicité des crédits et peut-être de l'incapacité d'Harel, les travaux n'avancèrent que lentement. Un « plan général de la place de Vincennes » de 1810 (musée de l'Île-de-France) montre que l'aspect général du château n'avait que peu changé depuis l'Ancien Régime : on a construit en divers endroits de l'espace des écuries et des «cabanes» pour les hommes, mais la Sainte-Chapelle est toujours qualifiée «église» et les communs de Le Vau sont toujours là, pavillons carrés coiffés à quatre pentes, suivis chacun d'une longue aile de bâtiments s'étendant du sud au nord (13).
C'est en 1812 que les idées de l'Empereur se précisèrent : il voulait que la cité militaire, au rythme des transformations, soit « de forme symétrique » et envisagea pour cela à nouveau la transformation de la Sainte-Chapelle : « Monument d'un assez beau gothique […]. Son mérite n'est pas de nature à motiver sa conservation » (Archives du Génie, 1812).
Cette fois, Napoléon affecta au château des crédits conséquents. À la veille de son départ pour la Russie, il avait besoin de nouveaux et considérables moyens logistiques et entendait que l'arsenal de Vincennes les lui fournît. Il fallait donc amplifier le programme précédent, y ajoutant des hangars pour quelques milliers de voitures, des forges, des ateliers pour ouvriers en bois et même rechercher un emplacement pour le Muséum d'Artillerie. Mais il y fallait un chef, Harel ayant fourni la preuve de son incapacité. C'est alors qu'entra en scène Daumesnil.
Daumesnil au travail
Rude homme et beau militaire que ce Périgourdin (14). Soldat à dix-sept ans, général à trente-cinq, il avait, à Arcole, couvert Bonaparte de son corps et à Aboukir s'était emparé d'une des queues du capitan-pacha. À l'époque, il alignait vingt-deux campagnes, vingt-trois blessures, huit drapeaux pris à l'ennemi, quatre généraux adverses faits prisonniers, mais c'était la fin de son épopée. À Wagram, alors qu'il chargeait en tête du régiment de la Garde qu'il commandait, un boulet avait emporté sa jambe gauche et il avait dû, traînant son pilon, renoncer au service actif.
C'est alors qu'en 1811 il rencontra Léonie Garat, fille du directeur de la Banque de France, dix-sept ans, jolie, courageuse, et en tomba amoureux. Mais il n'osait se déclarer, honteux de son infirmité. Napoléon, éternel marieur, l'apprit, se chargea de la déclaration, et en guise de cadeau de noces, par décret rendu aux Tuileries le 2 février 1812, qui ne laissait à Harel que le donjon, nomma Daumesnil général de brigade et commandant de Vincennes, avec 25 000 francs de traitement et 22 000 francs de rentes diverses. Le 18 mars 1812, le couple arrivait au château et s'installait au pavillon de la Reine.
« Vincennes, écrit Léonie dans des Mémoires, n'était point un lieu de plaisir, il s'en fallait de beaucoup, l'aspect seul en était horriblement triste. À cette époque, le donjon renfermait plusieurs prisonniers d'État, ce qui rendait la surveillance de la place d'autant plus difficile et la responsabilité plus grande. Mais mon mari n'avait rien à voir ni à démêler avec les prisonniers. Il y avait un commandant du donjon qui avait seul des rapports avec eux […]. Pour moi, je voulus toujours ignorer jusqu'au nom de ces malheureuses victimes de la politique de l'Empereur. Le commandant que nous trouvâmes en arrivant était le nommé Harel […]. Je l'avais en horreur. »
Daumesnil se mit immédiatement au travail, utilisant tous locaux disponibles pour y entreposer armes et munitions. Il aurait voulu en même temps, pour jeter un voile sur ce drame, exhumer les restes du duc d'Enghien et leur donner une sépulture plus décente, mais Harel refusait de lui indiquer l'emplacement de l'inhumation: sans doute ne se souciait-il pas de révéler que le corps du fusillé avait été enfoui dans le trou à ordures, qui avait continué par la suite à servir au même usage.
« L'Empereur, écrit Léonie, qui devinait ou apprenait tout, sentit qu'il fallait ménager à Daumesnil d'autres points de contact et purger du moins Vincennes de ce vivant souvenir. Harel fut donc remplacé par le capitaine Lelarge […]. Sa femme était jeune […]. Je la voyais rarement, je m'étonnais qu'elle pût se plaire dans un tel lieu, chanter et rire dans une telle atmosphère. […] »
Et les restes du duc d'Enghien demeurèrent à l'emplacement aujourd'hui marqué d'une colonne.
Daumesnil était devenu un véritable directeur d'arsenal, employant son dynamisme à développer la production d'armement, qui atteignait maintenant mensuellement cinq cents pièces attelées et plus de dix millions de cartouches. Cent cinquante voitures amenaient chaque jour la poudre exigée par les besoins de la cartoucherie. Cette poudre était principalement entreposée dans les salles basses des tours de l'enceinte : c'est l'explosion d'un de ces magasins à poudre (15) en 1819 qui sera lieutenant Alfred de Vigny, présent, dans Servitude et grandeur militaires.
En 1813, Napoléon revint inspecter, et embrassa l'enfant né du mariage :
« – Et que peut-on désirer pour ce futur soldat ?
– Rien de plus, Sire. »
En revanche, l'Empereur, semble-t-il, bloqua l'argent des autres tours, jugé trop dispendieuses (16).
Mais la fin approchait. C'est de Vincennes que fut expédiée la plus grande partie du matériel destiné aux armées pendant les campagnes de Russie, d'Allemagne et de France. Quand, en 1814, l'Empire tomba, le château renfermait encore une prodigieuse quantité de fusils, de canons, d'obus et de poudre. Sur les cosaques apparaissant du côté de Fontenay, Daumesnil fit tirer les canons de la forteresse.
La défense valeureuse…
Le 23 mars 1814, Marmont et Mortier étaient battus à Fère- Champenoise. Le 30, le premier capitulait à Belleville. Alors, durant toute la nuit suivante, Daumesnil, monté sur un cheval de brasseur, suivi de ses deux cent cinquante invalides conduisant des attelages hétéroclites, parcourut les hauteurs de la banlieue nord-est jusqu'à Montmartre, réussissant en plusieurs va-et-vient, sans tirer un coup de fusil, « tant est lourd le sommeil au bivouac des vainqueurs » (G. Lenôtre) à ramener entre les murailles de Vincennes une énorme quantité du matériel abandonné. Quand, le matin venu, les alliés s'aperçurent de ce fait inouï, le général russe Barclay de Tolly envoya un officier sommer Daumesnil de rendre la place. Le général le reçut sur le pontlevis et refusa de livrer quoi que ce soit.
« Les Autrichiens m'ont enlevé une jambe, déclara-t-il. Qu'ils me la rapportent où qu'ils viennent me prendre l'autre! » Et comme le Russe menaçait de bombarder le château :
« Je ferai tout sauter avec vous. Et si je vous rencontre en l'air, je ne réponds point de ne pas vous égratigner. » Le plénipotentiaire dut se retirer.
Talleyrand, président du gouvernement provisoire, se trouvait en présence d'un général qui ne reconnaissait pas l'armistice et continuait à faire tonner ses canons. Aux parlementaires russes ou prussiens se présentant à Vincennes, Daumesnil répondait : « Dites à votre chef que je me fous de lui. »
Seule, l'abdication de Napoléon, le 13 avril, fit s'incliner l'héroïque mutilé. Après cent vingt jours de siège, Daumesnil accepta de hisser le drapeau blanc : la France garderait l'arsenal et le territoire de Vincennes serait neutralisé.
D'abord, le couple reçut visites et congratulations, mais les petites humiliations suivirent. La roue tourna : racontée par le Louis XVIII déplaça Daumesnil, qu'il envoya à Condé-sur-Escaut. Le héros accepta ce poste à la frontière, mais refusa la croix de Saint-Louis. On lui donna comme successeur le marquis de Puivert, naguère prisonnier du donjon. D'un physique peu imposant (1,55 m, embonpoint, dos arrondi, nez rouge, dit son signalement conservé aux Archives nationales), il manifesta aux Daumesnil un complet manque d'élégance.
… et la révolte
Mais, dès le 30 mars 1815, il devait faire face à une révolte : toute la garnison du château était passée à l'Empereur. Sans résistance, il remit les clés au général Merlin, Daumesnil reprit son poste et se réinstalla avec Léonie au pavillon de la Reine le 8 avril, essayant de vaincre le désordre et l'anarchie qui s'étaient installés dans le château.
Et le donjon, qui avait été en partie vidé de ses détenus, en reçut un nouveau, le baron de Vitrolles. Au retour de Napoléon, il avait essayé de soulever le Midi et avait été pris à Toulouse les armes à la main. Fouché l'avait sauvé du peloton.
Napoléon reparut à Vincennes le 25 mars, demanda tous efforts pour accroître l'armement des nouveaux régiments. La tour du village perdit son grand toit du temps de Louis XI, remplacé par une plate-forme à canons. On poursuivit la démolition des tours d'enceinte.
Daumesnil s'approvisionna pour tenir trois mois de siège, avec mille hommes et soixante-dix-sept officiers. Il fit abattre le bois au sud et à l'est du château pour permettre les tirs, et au sommet du donjon fit placer une invention de l'Anglais William Congreve, chevalet lançant des fusées explosives à quatre kilomètres.
« Léonie, écrit André Hurtret, qui cette fois est restée avec son enfant à l'intérieur des remparts, voit son mari saisi par une frénésie de résistance et de sacrifice total. Sous les vestiges des plafonds de Michel Dorigny, dans les anciens appartements du pavillon du Roi, le général installa des canons qui sortent par l'embrasure des fenêtres. Il en fait placer d'autres au rez-de-chaussée. Des obus chargés sont amenés près des fossés du donjon, dans lesquels ils seront jetés en cours d'attaque. Des dépôts de lances sont disséminés, qui serviront à l'instant du corps à corps final […] ».
Le 18 juin, c'était Waterloo. Comme l'année précédente, les troupes alliées se présentèrent à la porte de la citadelle et rencontrèrent la même résistance. Au général prussien Muffling, Daumesnil ne répondit qu'en menaçant de tout faire sauter. Quelques jours plus tard, dit la tradition, Blücher vint lui-même voir le général et lui proposa un million.
« Mon refus servira de dot à mes enfants », répondit Daumesnil, qui y gagna cette épitaphe : « Il n'a voulu ni se rendre, ni se vendre. »
En réalité, il ressort du récit du siège écrit par l'adjudant du Génie Bénard (publié en 1881) que les Alliés, instruits par l'expérience de l'année précédente, ne songèrent jamais, devant cette résistance, à pousser les choses à fond, et laissèrent faire le temps. Et, le 13 juillet, Daumesnil recevait une lettre du ministre de la Guerre : « Général, vous ne devez pas ignorer que S.M. Louis XVIII est rentrée le 10 juillet dans sa capitale, aux acclamations de tout le peuple, et qu'elle a repris les rênes du gouvernement. Vous vous rendriez coupable au dernier degré si vous faisiez plus longue résistance. / Gouvion Saint-Cyr. »
À la fin du mois, les commissaires alliés se présentèrent pour prendre livraison du matériel. Daumesnil parvint à en sauver les neuf dixièmes, cachés dans les souterrains du château.
Louis XVIII tenta un geste de conciliation, envoyant ses deux neveux à Vincennes chercher Daumesnil pour audience à la Cour. Le général fit enfermer les princes dans le donjon et ordonna de les fusiller s'il ne revenait pas à temps.
Le roi ne le lui pardonna pas. « Cette fois, écrit Léonie (17), nous avions tout perdu… Il ne s'agissait plus désormais d'encombrer notre existence des débris de notre grandeur défunte… Pour mieux trancher dans le vif et surtout pour abréger cette dernière agonie, j'ouvris les portes de chez moi aux marchands et acheteurs de toutes espèces, je fis une vente à la criée ! Le soir du cinquième jour, tout était vendu. »
Après quatre mois, le blocus de Vincennes par les Alliés fut levé le 14 novembre 1815. Pour la seconde fois, Daumesnil remit Vincennes au marquis de Puivert (18).
Encadré : Quelques précisions
La place de Vincennes sous l'Empire avait plusieurs affectations : quartier de l'artillerie de la Garde, garnison d'étape pour les troupes en mouvement, arsenal à partir du projet de 1812. Le donjon fut décrété en mars 1808 prison d'État sous la responsabilité du ministère de la Police. Les canonniers de la Garde possédaient leur propre caserne à l'intérieur du château. Ce quartier était formé par trois bâtiments situés face à l'enceinte est, avec laquelle ils formaient une cour carrée, dont l'actuel pavillon des armes représente le centre. Les écuries se situaient le long de l'allée centrale dans le quart nord-ouest du château, ainsi que le long de l'enceinte située dans la même portion (19). Contrairement à la légende, seulement deux des neufs tours furent arasées sous l'Empire. Les autres le furent sous la Restauration. Après la mise en place des batteries des tours nord-ouest et sud-est, la mise en défense de la place fut complétée en 1815 par la réalisation d'embrasures à la base des enceintes et armées de pièces d'artillerie. L'article 15 du décret impérial du 16 mars 1808 confirmait l'appartenance de Vincennes à la Garde impériale : « La place de Vincennes appartenant à la Garde impériale, un des colonels de la Garde en sera le gouverneur. Il aura sous lui un commandant d'armes, chef de bataillon. » En janvier 1812, Daumesnil, colonel de la Garde, fut nommé (20).
Michel Roucaud (SHD)