Les années d’acquisition d’une culture scientifique 1779-1798
» Si je n’étais pas devenu général en chef… je me serais jeté dans l’étude des sciences exactes. J’aurais fait mon chemin dans la route des Galilée, des Newton. Et puisque j’ai réussi constamment dans mes grandes entreprises, eh bien, je me serais hautement distingué par des travaux scientifiques. J’aurais laissé le souvenir de belles découvertes. Aucune autre gloire n’aurait pu tenter mon ambition « .
Ces propos, rapportés par le poète Népomucène Lemercier, et cités par Arago, n’auraient certes pas été tenus par un François 1er ou un Louis XIV, pourtant deux souverains de l’Histoire de la France qui ont exercé un véritable mécénat scientifique. Mécénat d’Etat poursuivi au XVIIIe siècle et qui explique en partie la prospérité de la science française au moment où le Premier Consul s’installe au pouvoir.
En même temps, pareille affirmation pose d’emblée la question de fond que nous voulons traiter dans le présent article : celle de la compétence scientifique de son auteur. En d’autres termes, puisque Napoléon n’est pas un scientifique créateur, notre propos est d’étudier la formation et la culture scientifiques du futur Empereur et son attitude par rapport à cette culture et à la science en développement, tout au long de sa vie.
1779-1784 – Le collège de Brienne : des témoignages
Né en 1769, soit vingt ans avant la Révolution française, dans une famille qui se trouva, péniblement, des racines dans la petite noblesse italienne, Bonaparte suivit comme boursier désargenté du Roi un cursus scolaire destiné à le préparer à une des rares carrières rigoureusement organisées dans la société de la fin de l’Ancien Régime : la carrière militaire.
Dès l’âge de neuf ans, il est confié aux moines de l’Ordre des Minimes du collège de Brienne. On retiendra le nom de son premier professeur de mathématiques, le Père Patrault, lequel, selon Bonaparte, » développa son penchant pour les sciences « . Bourrienne, son condisciple à Brienne, confirme le penchant: » J’échangeais parfois avec lui la solution des problèmes que l’on nous donnait à résoudre et qu’il trouvait sur-le-champ avec une facilité qui m’étonnait toujours contre des thèmes et des versions dont il ne voulait pas entendre parler « . Quant aux capacités scientifiques des enseignants, Bourrienne est incisif : » Si les moines, bien minimes, auxquels était confiée l’éducation de la jeunesse avaient eu le tact d’apprécier son organisation, s’ils avaient eu des professeurs plus forts en mathématiques, s’ils avaient pu nous donner une impulsion plus habile pour la chimie, la physique, l’astronomie, je suis convaincu que Bonaparte aurait porté dans ces sciences toute l’investigation, tout le génie qu’on lui a connu dans une autre carrière « .
Une première appréciation des capacités intellectuelles de Bonaparte serait celle du sous-inspecteur général des Ecoles Royales militaires de France, de Keralio, lequel à la sortie de Brienne jugea Bonaparte apte à accéder à l’Ecole Militaire de Paris : » Il s’est toujours distingué par son application aux mathématiques. Il sait très passablement son histoire et sa géographie. Il est très faible dans les exercices d’agrément. Ce sera un excellent marin, digne d’entrer à l’Ecole de Paris « . On n’a pas retrouvé les notes du candidat, mais on peut penser à contrario que c’est » grâce à son application aux mathématiques » qu’il doit d’avoir poursuivi sa carrière, ses dispositions pour l’apprentissage des langues, et du français pour commencer, étant faibles.
1784-1785 – L’Ecole Militaire de Paris : quelques faits
A l’Ecole Militaire de Paris, Bonaparte a, comme à Brienne, la réputation d’être » le meilleur mathématicien de l’Ecole « , mais il est aussi » le moins bon élève d’allemand « . On connaît l’anecdote de Baur, le professeur d’allemand : Un jour que Bonaparte ne se trouvait pas à sa place en classe, Baur demanda où il était. On lui répondit qu’il subissait en ce moment son examen pour l’artillerie. » Mais, fit-il, est-ce qu’il sait quelque chose ?
— Comment, Monsieur, lui répliqua un élève, mais c’est le plus fort mathématicien de l’Ecole « .
A défaut de notes et d’appréciations précises, ici encore introuvables, un fait indubitable peut être établi à propos de l’examen de sortie de cette Ecole. Frédéric Masson écrit : » On ignore aussi devant qui il subit cet examen. On est tenter de penser que ce fut devant Laplace qui avait succédé à Bezout comme examinateur des élèves aspirants du Corps Royal « .
Or, le jour de la proclamation de l’Empire, Laplace écrira à Napoléon : » Je viens de proclamer Empereur de France le héros à qui j’eus l’avantage il y a vingt ans d’ouvrir la carrière qu’il a parcourue avec tant de gloire et de bonheur pour la France » (Archives Nationales, AF IV. 4041 ndeg. 33). Laplace écrit en 1804, l’examen se situe en 1785, le compte est donc bon. On est ainsi en droit de penser que Laplace fut favorablement impressionné par les connaissances mathématiques du futur artilleur.
Autre fait irréfutable: le rang de Bonaparte à l’examen de 1785 : » Sur 202 élèves des différentes Ecoles Militaires, autorisés à se présenter, 137 participèrent et 58 furent reçus, obtenant le grade de lieutenant en second. Parmi ceux-ci, quatre sortaient de l’Ecole de Paris. 42e, mais âgé à peine de seize ans, il était un des plus jeunes, comptant 28 mois de moins que le 41e. Il sera envoyé immédiatement au régiment de La Fère servant d’école d’application pour les officiers d’application pour les officiers d’artillerie.
1785-1793 – Vie professionnelle et curiosité scientifique
Une étape intéressante dans l’évolution de la formation scientifique de Bonaparte suit son entrée dans la carrière militaire. Ce n’est plus un secret pour l’historien que ces mêmes années correspondent à une crise d’identité intellectuelle et professionnelle (qui sort du cadre de cette étude). La demande répétée de congés auprès de ses chefs hiérarchiques, l’imprécision des motifs de ces demandes nous paraissent une preuve suffisante. Pourtant, Bonaparte avait commencé à étudier avec passion son métier d’artilleur. » Au polygone, écrit le baron Thiry il était un des auditeurs les plus attentifs et les plus zélés. Il suivait les instructions pratiques, assistait au tir en campagne, à celui des batteries de sièges. Il écoutait les capitaines de régiment faire des conférences sur la construction des tranchées et les manoeuvres de l’infanterie appuyée par l’artillerie. Il dessinait sous la direction du professeur Colombier qui lui apprenait le système de Vauban, celui de Cormontaigne. Tout ce travail était remarqué des officiers supérieurs qui le notaient comme un soldat qui arriverait sûrement à une des premières places du corps de l’artillerie… « . Ce qui n’empêche pas sa carrière militaire de piétiner. Simple lieutenant de 1785 à 1791, ce n’est qu’en janvier 1792 qu’il est nommé capitaine en second d’artillerie. Sa carrière est d’ailleurs loin de l’absorber entièrement. Un récit ultérieur, peu connu, permet d’en prendre conscience. Il s’agit d’un texte que E. Geoffroy Saint-Hilaire mit en guise d’introduction à un ouvrage de » philosophie naturelle » en 1838 et dont il publia même séparément des extraits sous une forme, voisine dans ses grands traits, encore que dans un ordre différent. La base historique est fournie par des confidences faites par Bonaparte au palais Eskebieh, dans le climat nerveux précèdant son départ du Caire et son retour en France. Le général est entouré d’officiers et de savants membres de l’expédition, les » soldats lettrés » selon l’expression de Geoffroy Saint- Hilaire, et médite.
» Je me trouve conquérant en Egypte comme l’y fut Alexandre; il eut été plus de mon goût de marcher sur les traces de Newton: cette pensée me préoccupait à l’âge de quinze ans « .
Monge réplique en citant un joli mot de Lagrange : » Nul n’atteindra à la gloire de Newton: il n’y avait qu’un monde à découvrir « . Bonaparte répond aussitôt avec vivacité si l’on en croit Geoffroy Saint-Hilaire : » Qu’ai-je là entendu ? Mais le Monde des détails ! Qui a jamais songé à cet autre ? Moi, dès l’âge de quinze ans, j’y croyais et je m’en occupai alors, et ce souvenir vit en moi comme une idée fixe et ne m’abandonnera jamais « .
Ce monde des détails (ou » monde phénoménal » selon Geoffroy Saint-Hilaire) s’opposerait au monde astronomique newtonien dans sa prise en compte des phénomènes au niveau le plus petit. Et Bonaparte de poursuivre :
» Newton se trouve avoir résolu le problème du mouvement en général par la, découverte du système planétaire : c’est magnifique pour vous autres gens d’esprit et de mathématiques. Mais que, moi, j’en fusse venu à apprendre aux hommes comment s’opère le mouvement qui se communique et se détermine par l’intervention des plus petits corps, j’aurais résolu le problème de la vie de l’univers. Et cela fait, ce que je tiens chose possible j’eusse dépassé Newton de toute la distance qu’il y a entre la matière et l’intelligence. Par conséquent, il n’y a donc rien d’exact dans votre mot de Lagrange, puisque le monde des détails reste à chercher. Voilà cet autre monde, et c’est le plus important de tous, que je m’étais flatté de découvri r; d’y penser, j’en suis aux regret s; d’y penser, j’en ai mal à l’âme « .
Si la présomption de Bonaparte est manifeste, et Monge paraît bougonner, l’intérêt de l’anecdote est d’établir une fixité chez le futur Empereur, fixité que Geoffroy Saint-Hilaire souligne avec pertinence et que nous voudrions prouver ici.
» Tant de persistance dans les mêmes vues et des allures aussi précises n’attestaient point seulement chez le général de l’armée d’Orient un goût simple et passager, mais dénotaient une véritable passion pour les sciences « .
Le même Geoffroy Saint-Hilaire pousse sans aucun doute les choses beaucoup trop loin lorsqu’il veut croire en la poursuite intime par Napoléon, tout au long de sa vie, de son projet scientifique sur le monde des détails, projet que la fatigue psychologique au moment du départ d’Egypte a seule pu laisser dévoiler.
Commençons par des choses rendues vérifiables depuis la publication de manuscrits de jeunesse de Bonaparte. Ce projet, dont Bonaparte assure qu’il l’assaille depuis l’adolescence, fût-il l’occasion de lectures scientifiques particulières, lesquelles lectures précisément pourraient avoir été faites entre 1785 et 1793 ? Peut-on assurer que Bonaparte, ces années-là, se constitue une solide culture scientifique ? C’est ce qu’affirme l’historien Barral : » Parallèlement, Bonaparte se donne une formation intellectuelle vaste et qui comprenait surtout l’histoire et l’étude des connaissances positives, telles que la géologie et l’astronomie qui donnent à l’intelligence humaine le plus grand développement dont elle est susceptible « .
Si l’on regarde les manuscrits de Bonaparte pendant cette période, on est au contraire frappé par la faible place que semblent tenir dans les lectures du lieutenant — lectures qu’il avait pris l’habitude de commenter et de résumer — les oeuvres à caractère proprement scientifique. Mais il convient d’excepter évidemment de cette liste les ouvrages sur l’artillerie à proprement parler qui occupent le neuvième manuscrit (Principes d’artillerie), le onzième manuscrit (trait concernant l’histoire de l’artillerie) et le douzième manuscrit (Mémoire sur la manière de disposer les canons pour le jet des bombes). Il faut attendre en effet le vingt-sixième manuscrit pour trouver des » notes tirées des Etudes de la Nature et de l’Histoire naturelle de Buffon « , relativement sèches qui ne sont pas toutes de simple description, de détails curieux, voire un pou mystifiants comme l’histoire de cette femme accouchant de jumeaux, un enfant noir et un blanc. A la fin du manuscrit, on trouve trois tableaux chiffrés, et originaux, établis certes à partir des tables de mortalité fournies par Buffon d’après les travaux de Dupré de Saint-Maur, et fournissant entre autres les espérances de vie (statistiques) selon les âges, à la ville ou à la campagne.
Bonaparte s’intéresse aux théories de la Terre, à la formation des planètes, aux dimensions du globe terrestre, aux inégalités du fond de la mer, à la formation des vents et des ouragans, au régime des volcans. Une bonne culture de vulgarisation. Son intérêt devient encore plus manifeste quant aux différentes théories sur la génération, qu’il détaille auteur par auteur: Aristote, Hippocrate, d’Acquapendente, Harvey, Sterion, Graf, Swaderdam, Van Horm, Malpighi, Vallisnière, Leeuvenhoeck, Hartseefer… et Buffon. Le 31ème manuscrit offre un commentaire de la Géographie de Lacroix, notes courtes qui couvrent au total huit pages. Elles sont essentiellement descriptives. Les notes qui font rêver : » Sainte-Hélène, petite isle » se trouvent à la dernière ligne du onzième cahier manuscrit, mais ne terminent pas ces notes géographiques. Le texte que lit Bonaparte est une édition de la Géographie moderne publiée par 1’abbé Louis Antoine Nicelle de Lacroix. On connaît une première édition de cette Géographie en 1747, une seconde édition avec additions en 1752 à Paris (chez Hérissart), un abrégé paru en 1798 et de nombreuses éditions jusqu’en 1834.
C’est tout ce qu’il en est des notes. Sur quelques cinq cents pages de notes donc, une trentaine seulement présentent un certain caractère scientifique, en conclusion, il paraît difficile de suivre Barral lorsqu’il affirme par ailleurs que Bonaparte consacrait beaucoup de temps a l’étude des mathématiques.
Toutefois, les mathématiques ne semblent pas absentes de ses lectures. On a ainsi retrouvé un Cours de mathématiques à l’usage du Corps Royal d’Artillerie, annoté, » griffoné » serait plus exact, de la main de Bonaparte. Une date bien lisible : 25 février 1791. Napoléon aurait donc pendant son second séjour à Auxonne repris son cours de mathématiques, celui-là même qui sera adopté pour l’administration à l’Ecole Polytechnique en 1794. Les applications, par exemple le calcul de la durée des portées d’un engin balistique, requièrent des connaissances non rudimentaires en calcul différentiel et intégral, connaissances qui ne figurent pas toutes au programme actuel d’une école d’officiers comme Saint-Cyr ! Il n’y a pas de doute que la culture de Bonaparte en ces sciences exactes est nettement supérieure à celle de ses contemporains, même cultivés. Par contre, cette culture ne suit pas l’état des mathématiques et de la mécanique, même en se contentant de prendre comme date de référence les années 1736.
Pour conclure sur cette période 1785-1793, alors que le destin politique de Bonaparte n’est pas encore fixé insistons sur cette culture scientifique autodidacte acquise par choix délibéré, et notons qu’en dehors de la balistique appliquée à l’artillerie, ce sont les » sciences pures » qui tiennent la place d’honneur (mathématiques, mécanique, astronomie), en ce sens que ce sont elles qui sont les plus approfondies. Cette remarque nous paraît nettement diminuer la portée de l’assertion de Geoffroy Saint-Hilaire d’une soi-disant continuité d’un projet scientifique.
D’ailleurs, des lectures de Bonaparte en cette période, on ne peut conclure que les Sciences tiennent la première place. L’histoire semble l’emporter. Et de toute façon, il n’est pas question de création personnelle.
On suit beaucoup mieux Geoffroy Saint-Hilaire lorsqu’il parle d’un regret permanent de Napoléon de n’avoir pas suivi ses inclinations scientifiques. Ainsi cette confidence : » Le métier des armes est devenu ma profession; ce ne fut cependant point de mon choix, et je m’y trouvai engage du fait des circonstances « .
Bonaparte n’a pas suivi une carrière scientifique: l’affaire est très tôt tranchée. Mais le futur Empereur s’estimait bien capable, s’il l’avait voulu, d’avoir pu entreprendre avec succès une telle carrière. En conséquence, et jusqu’en 1793, Bonaparte conserve une curiosité très orientée vers les sciences, mais il ne peut que suivre au niveau de la vulgarisation des débats scientifiques.
Cependant, cette curiosité, ce goût des discussions générales de problèmes scientifiques en suspens, et de leurs conséquences morales ou philosophiques, ce regret enfin de n’avoir pas embrassé la carrière des sciences. Vont-ils s’émousser avec les faits d’armes, puis avec les problèmes liés à la conquête du pouvoir ou au maintien de ce pouvoir ?
Nous voudrions tenter maintenant de montrer que non.
1793-1796 – Les aléas politiques
La crise d’identité des premières Années de la carrière militaire va prendre fin en 1793 : à ce moment, la tourmente des événements oblige enfin Bonaparte à choisir entre son patriotisme corse qui le rattacherait naturellement à l’insurrection fédéraliste, et un jacobinisme centralisateur qui répond beaucoup mieux aux aspirations impérieuses de son tempérament et de son ambition.
Et puisque c’est le jacobinisme qui triomphe dans l’été 1793, Bonaparte sera montagnard. Du coup, sa carrière se précipite : à vingt-quatre ans, en décembre 1793, il sera nommé général de brigade par le gouvernement de Robespierre. Mais il ne peut éviter les contre-coups des luttes de factions, qui le réduisent de juillet 1794 à septembre 1795 à une sorte d’inactivité forcée.
Cette courte période est d’autant plus intéressante pour notre étude. Et de fait, il la met à profit pour continuer à approfondir sa formation scientifique. Pendant toute la première moitié de l’année 1795, Bonaparte séjourne à Paris. On l’imaginerait volontiers suivant en auditeur libre les cours de l’Ecole Normale de l’an III, cours dont on parle beaucoup dans la presse parisienne. Beaucoup d’auditeurs libres se pressent en effet sous la verrière du Museum d’Histoire naturelle, et les plus grands savants français y enseignent. La dominante de ces cours est la méthode scientifique, voire même l’enseignement des sciences à proprement parler. Dans une lettre à Joseph, datée du 12 juillet 1795, il laisse tomber cette phrase, très importante pour notre propos : » Les cours d’Histoire, de Chimie, de Botanique se succédaient « . S’il ne s’agit pas du cadre des cours de l’Ecole Normale (arrêtés en mai), il s’agit sans doute d’un cadre voisin, celui du Lycée des Arts ou de la Société Philomatique par exemple. Mais nous ne disposons d’aucune référence plus précise.
1796-1797 – Science et idéologie républicaine : l’amalgame italien
» Le peuple français ajoute plus de prix à l’acquisition d’un savant mathématicien qu’à celle de la ville la plus riche et la plus populeuse « . Telle est l’affirmation de Bonaparte dans une lettre au savant Oriani datée du 5 prairial an IV (24 mai 1796).
Nous citons cette lettre en entier car elle paraît inaugurer dans les faits les relations science-pouvoir pendant toute la période napoléonienne, tandis qu’elle indique un moyen politique de ralliement des élites des pays vaincus.
On notera la préséance dévolue aux Sciences par rapport aux Arts, la nécessité de donner à la science une » nouvelle vie » dans le cadre du nouveau régime républicain et son corollaire : la nécessité de donner aux savants une considération et une place nouvelles dans la société.
» Les sciences, qui honorent l’esprit humain, les arts, qui embellissent la vie et transmettent les grandes actions à la postérité, doivent être spécialement honorés dans les gouvernements libres. Tous les hommes de génie, tous ceux qui ont obtenu un rang distingué dans la république des lettres, sont Français, quel que soit le pays qui les ait vus naître. Les savants dans Milan, n’y jouissaient pas de la considération qu’ils doivent avoir. Retirés dans le fond de leur laboratoire, ils s’estimaient heureux que les rois et les prêtres voulussent bien ne pas leur faire de mal. Il n’en est pas ainsi aujourd’hui ; la pensée est devenue libre dans l’Italie. Il n’y a plus ni Inquisition, ni tolérance, ni despotes. J’invite les savants à se réunir et à me proposer leurs vues sur les moyens qu’il y aurait à prendre, ou les besoins qu’ils auraient, pour donner aux sciences et aux beaux-arts une nouvelle vie et une nouvelle existence. Tous ceux qui voudront aller en France seront accueillis avec distinction par le gouvernement. Le peuple français ajoute plus de prix à l’acquisition d’un savant mathématicien, d’un peintre de réputation, d’un homme distingué, quel que soit l’état qu’il professe, qu’à celle de la ville la plus riche et la plus populeuse.
Soyez donc, Citoyen, l’organe de ces sentiments auprès des savants distingués qui se trouvent dans Milan « .
Surprenante déclaration, qu’on ne peut attribuer seulement à l’amitié qui lie le général en chef de l’armée d’Italie à l’astronome le plus en vue de Milan. Pendant tout son séjour, Bonaparte est en coquetterie réglée avec les savants italiens qu’il invite fréquemment à sa table : le naturaliste Lazzaro Spallanzani, l’anatomiste Antonio Scarpa, chirurgien renommé, le physicien Alessandro Volta dont l’oeuvre s’étend sur quatre domaines principaux: l’électrostatique, la météorologie, l’électricité animale et le galvanisme.
On imagine facilement sur quels sujets roulaient les conversations des dîners auxquels ces savants étaient conviés par Bonaparte.
C’est que Bonaparte ne cherche pas seulement en Italie une consécration militaire éclatante ou l’occasion de manifester pour la première fois ses qualités et ses ambitions de chef d’Etat.
Il cherche aussi les moyens pratiques pour entrer à part entière dans la communauté scientifique. Une seule porte possible, mais elle est étroite, celle de l’Institut. Certes, on peut trouver chez Bonaparte le désir de se faire connaître comme un savant épris de paix, alors qu’on ne parle que du général victorieux. Mais ce choix d’une consécration scientifique correspond bien à ce regret de n’avoir pas embrassé la carrière des sciences.
1797 – L’entrée à l’Institut
Il y réussit, le 25 décembre 1797, par l’intermédiaire de deux scientifiques dont il s’est assuré en Italie la compétence pratique et l’amitié : le mathématicien Gaspard Monge et le chimiste Claude Berthollet.
C’est fin octobre 1797 que Monge revient à Paris. Aussitôt rendu à l’Institut, il met ses confrères au courant des désirs de Bonaparte de se retrouver à l’Institut. Parallèlement, Bonaparte fait lire par le chimiste Fourcroy, le 1er novembre 1797, à la séance ordinaire de la classe des sciences physiques et mathématiques, la lettre qu’il envoyait au Directoire le 18 août 1797, en sus des clauses du traité de Campo Formio. Certains passages de cette lettre sont importants, qui soulignent le lien entre les Sciences et l’Etat :
» Citoyens Directeurs, le général Berthier et le citoyen Monge vous portent le traité de paix définitif qui vient d’être signé entre l’Empereur et nous…
Le général Berthier, dont les talents distingués égalent le courage et le patriotisme, est une des colonnes de la République, comme un des plus zélés défenseurs de la liberté…
Le citoyen Monge, un des membres de la commission des Sciences et des Arts, est célèbre par ses connaissances et son patriotisme. Il a fait estimer les Français par sa conduite en Italie ; il a acquis une part des sciences qui nous ont révélé tant de secrets, détruit tant de préjugés, sont appelées à nous rendre de plus grands services encore. De nouvelles vérités, de nouvelles découvertes nous révèleront des secrets plus essentiels encore au bonheur des hommes, mais il faut que nous aimions les savants et que nous protégions les sciences.
Accueillez, je vous prie, avec une égale distinction, le général distingué et le savant physicien. Tous les deux illustrent la patrie et rendent célèbre le nom français. Il m’est impossible de vous envoyer le traité de paix définitif par deux hommes plus distingués dans un genre différent « .
Bonaparte est donc élu dans la deuxième section de la première classe de l’Institut National, au siège laissé vacant par L. Carnot, exilé en Suisse.
Voici la liste par sections (10 en tout) des membres de la première classe de l’Institut National lors de l’élection de Bonaparte. Un astérisque indique les membres absents le jour du vote.
Section I, Mathématiques – Lagrange, Laplace, Borda, Bossut, Legendre, Delambre. Aucun absent pour cette classe.
Section II, Arts Mécaniques – Monge, Berthoud, Le Roy Prony, J.L. Périer.
Section III, Astronomie – Bory, Lalande*, Méchain* Le Monnier*, Jeaurat, Messier.
Section IV, Physique expérimentale – Rochon*, Charles Coulomb, Cousin, Lefèvre-Gineau, Brisson.
Section V, Chimie – Berthollet*, Bayen, Guyton de Morveau.
Section VI, Histoire naturelle et minéralogie – Darcet, Haüy, Dolomieu*, Duhamel*, Desmarets, Lelièvre.
Section VII, Botanique et physique végétale – Lamarck, Desfontaines, Adason, Ventenat, Jussieu, Lheritier.
Section VIII, Anatomie et Zoologie – Daubenton*, Tenon, Sabatier, Hallé, Pelletan, Lassus.
Section X, Economie rurale et Art vétérinaire – Gilbert, Cels, Thouin, Tessier, Huzard, Parmentier.
Le résultat du scrutin du 25 décembre 1797, auquel on a procédé durant une séance générale de l’Institut, donne :
305 votes au citoyen Bonaparte,
166 votes au citoyen Dillon,
123 votes au citoyen Montalembert.
Les candidats battus avaient pourtant des titres de candidature très sérieux : l’ingénieur en chef des Ponts-et-Chaussées Dillon était l’auteur d’importants Mémoires sur les constructions hydrauliques et avait construit le premier pont en fer construit en France (le fameux Pont des Arts) ; quant à l’auteur de l’ouvrage controversé de la Fortification perpendiculaire, Montalembert, il avait quatre-vingt-quatre ans en 1797 et méritait bien la consécration de l’Institut pour cet ouvrage imposant: onze volumes in-4deg. accompagnés de nombreuses planches, dont la publication s’était échelonnée sur vingt ans (1776-1796).
Sur le plan de la propagande, Bonaparte tire rapidement les avantages de cette élection. Le Moniteur du 19 nivôse an VI (9 janvier 1798) rend ainsi compte de la première séance publique de l’Institut après l’élection de Bonaparte.
Institut national : séance publique du 15 nivôse.
» Quoique les séances publiques de l’Institut soient ordinairement intéressantes, celle-ci a présenté au public un nouveau degré d’intérêt par la présence du général Bonaparte, qui a été admis dans cette société savante le 5 de ce mois. Cet homme extraordinaire, dont le citoyen Garat a si bien dit, dans la même séance, que a c’était un philosophe qui avait paru un moment à la tête des armées « , fit cette réponse, en Italie, à des généraux qui lui demandaient quel serait l’aliment de son âme active, lorsque la paix l’aurait rendu à ses foyers… » Je m’enfoncerai dans une retraite, et j’y travaillerai à mériter un jour l’honneur d’être de l’Institut « . Il est arrivé à la séance sans faste. y a assisté avec modestie, a reçu avec désintéressement les éloges que lui ont prodigués les lecteurs et les spectateurs, et s’est retiré incognito. Ah ! que cet homme connaît bien le coeur humain, et en particulier les gouvernements populaires. L’homme de mérite y est forcé d’acheter à force de modestie et de simplicité, une grâce que les ignorants et les hommes vulgaires lui accordent difficilement partout, mais plus rarement encore dans les républiques « .
Donnant, donnant : Bonaparte entre à l’Institut, sans grand mérite scientifique, nous allons le préciser, mais les scientifiques doivent dorénavant s’impliquer davantage dans les affaires de l’Etat. La fin du récit du Moniteur ne laisse aucun doute là-dessus:
» L’à-propos des applaudissements a fait sentir aux lecteurs combien était sage la démarche de l’Institut qui venait d’assigner des places dans ses séances publiques aux professeurs de Ecoles Centrales, des Ecoles de Santé, Polytechnique, etc… En rapprochant d’eux leurs successeurs, les membres de l’Institut se sont assurés d’un choix d’auditeurs éclairés. On a senti cette absence dans les séances précédentes, et en particulier dans celle qui a précédé immédiatement le 18 fructidor, où les applications, les vues patriotiques n’ont été accueillies que par un froid silence. Mais à la séance dont nous rendons compte, la patrie n’a pas perdu un voeu, un soupir. Tout a germé à la satisfaction des amis de la République « .
C’est en quelque sorte le monde à l’envers : l’Institut se politise alors que le nouveau savant ne fait pas de science ! Le mérite gagné par un éventuel travail scientifique du nouvel élu est mince. Qu’on en juge plutôt. Dans son Rapport historique sur les progrès des mathématiques depuis 1789 et leur état actuel, présenté au conseil d’Etat en 1808, Delambre ne fait que deux mentions du nom du général Bonaparte :
» La géographie de l’Italie a été rectifiée en partie par les belles cartes des campagnes du général Bonaparte, d’après les reconnaissances militaires et les plans auxquels elles ont donne lieu.
» En rapportant en France le traité de Campo Formio, le général Bonaparte avait rapporté les principaux théorèmes de la géométrie du compas de Mascheroni . »
Il s’agissait d’un ouvrage publié à Pavie en 1797 : La géométrie du compas, dans lequel l’auteur, Lorenzo Mascheroni, célèbre mathématicien, avait déterminé des constructions géométriques effectuées au moyen du seul compas, alors que l’antique tradition euclidienne employait conjointement la règle et le compas.
Lors d’un dîner organisé le 11 décembre 1797, quelques jours avant le vote de l’Institut, Bonaparte eut l’occasion d’exposer cette méthode. Voici ce qu’en dit Le Moniteur :
» Laplace et Lagrange, tous deux membres de la 1re classe, faisaient partie des invités de François de Neufchâteau… Le général causa aussi avec eux, avec ces deux savants il parla mathématiques. Il leur demanda s’ils connaissaient un livre de géométrie qui avait été récemment publié en Italie; il y avait remarqué en particulier une manière nouvelle et ingénieuse de diviser le cercle « .
Ils répondirent qu’ils n’en n’avaient pas entendu parler (Bonaparte demande un crayon et un compas). Très rapidement, il leur fit la démonstration de cette nouveauté géométrique.
» Général, lui dit Laplace, nous nous attendions à tout recevoir de vous, excepté des leçons de mathématique « .
On ne connaît pas les détails de l’exposé de Bonaparte. Toutefois, une tradition voudrait que l’un au moins des problèmes consiste, un cercle étant donné, en la construction du centre de ce cercle au moyen d’un seul compas. Cette construction, quelquefois appelée Théorème de Napoléon, figure au livre X de l’ouvrage de Mascheroni (Des centres, titre ndeg. 143). Elle n’est pas difficile, mais ingénieuse, la solution étant rédigée dans le style euclidien.
Une candidature appuyée par Laplace, Lagrange et Monge, ne pouvait échouer.
Dès le lundi suivant, le 6 nivôse an YI, le nouvel élu prenait place au milieu de ses confrères et signait la feuille de présence entre le chirurgien Pelletan et l’astronome Laplace.
C’est avec une réelle assiduité que Bonaparte assiste aux séances de l’Institut National pendant toute la première moitié de l’année 1798, c’est-à-dire jusqu’à son départ pour l’Egypte (Toulon 19 mai 1798) : séances des 4, 5, 20, 24, 30 janvier, 4, 24, 29 février, 6, 11, 16, 21, 25 mars, 4, 10, 15, 25 avril. Sa culture scientifique se trouve d’autant plus actualisée qu’il doit lire et examiner certains Mémoires dont il est rapporteur conjointement avec d’autres savants. La liste de ces rapports est la suivante:
— le 6 nivôse, il est chargé avec Monge et Prony de l’examen d’un cachet typographique, inventé par un nommé Hannin ;
— le 11 nivôse suivant, il est chargé avec Borda, Coulomb et Laplace de rendre compte d’un Mémoire relatif à la tactique militaire,
— à la séance suivante, » le secrétaire lit une note remise par le citoyen Bonaparte qui la tient du citoyen Rolland, relative à une voiture mûe par la vapeur. Les citoyens Coulomb, Périer, Bonaparte et Prony sont chargés de faire un rapport sur cette machine « . Il s’agit de la machine de Cugnot, première voiture automobile à vapeur.
— le 1er germinal, an VI (21 mars 1798), Bonaparte présente une carte géographique publiée par Guillaume Hans, de Bâle.
Cette présence régulière de Bonaparte à l’Institut, en dehors d’une publicité de bon aloi déjà mentionnée lui apporte fondamentalement deux choses : une plongée dans l’actualité scientifique de la fin du Directoire, mais surtout une familiarité avec les personnages qui composent l’élite de la Science car des liens naturels se tissent, plus spécialement avec les hommes qui composent la 1ère classe de l’Institut national. Il faut bien saisir ces faits si l’on veut comprendre le contexte unique de l’expédition d’Egypte.
1798-1801 – La science associée à l’organisation de l’Etat : le laboratoire d’Egypte
» Le Directoire exécutif,
— considérant que les beys qui se sont emparés du gouvernement de l’Egypte ont formé les liaisons les plus intimes avec les Anglais et se sont mis sous leur dépendance absolue; qu’en conséquence, ils se livrent aux hostilités les plus ouvertes contre les Français ;
– considérant qu’il est de son devoir de poursuivre les ennemis de la République partout où ils se trouvent ; considérant d’ailleurs que l’Angleterre ayant rendu l’accès des Indes très difficile aux vaisseaux de la Mer Rouge; arrêté la conquête militaire de l’Egypte (12 avril 1790) « .
S’agit-il à nouveau d’une expédition militaire, de type politique et colonial ? L’apparence serait en ce cas banale. Pourtant le cas n’est pas évident dans les circonstances particulières de l’histoire révolutionnaire française, laquelle plongeait l’Europe de 1798 dans une guerre de propagande révolutionnaire aux relents de guerre sainte, de croisade pour la liberté.
C’est encore moins évident si l’on envisage de plus près les circonstances précises de la préparation de cette expédition: tout d’abord le gouvernement légal, le Directoire, ne paraît pas être à l’origine de l’expédition. De nombreux témoignages concordent sur ce point, dont nous retiendrons celui de Bourrienne qui affirme tout haut ce que d’autres ont pensé tout bas : » Le Directoire a été aussi étranger, quant à sa volonté personnelle, au départ du général Bonaparte qu’à son retour. Il n’a été que l’exécuteur passif des volontés de Bonaparte. On ne lui a pas plus ordonné la conquête de l’Egypte qu’on ne lui a tracé le plan d’exécution « .
La commission des sciences et arts
Or, que fait le général pour préparer l’expédition ? Il décide d’adjoindre au corps expéditionnaire (32 300 hommes s’embarqueront à Toulon le 19 mai), un » étonnant renfort » : celui d’une commission des Sciences et des Arts, soit cent-soixante-sept personnes, dont cent-dix émanent de la communauté scientifique et certaines sont des savants éminents reconnus.
La création de cette commission — par l’arrêté du 26 nivôse an VI — met visiblement dans l’embarras les directeurs Merlin, Lareveillère-Lepaux et Barras, lesquels finissent par donner carte blanche à Bonaparte. » Nous aurons avec nous un tiers de 1’Institut et des instruments de toute espèce « , écrit Bonaparte à Monge le 5 avril. Le chiffre ne sera pas aussi important, mais à regarder la composition de la commission, on s’aperçoit qu’il s’agit bien plus d’une commission des Sciences que d’une commission des Arts. Ecrasante majorité des scientifiques, ce qui est une nouvelle preuve de la popularité de Bonaparte dans le milieu de Monge et de Berthollet. Peut-on aller jusqu’à leur imputer l’idée même de la commission : adjoindre à l’armée conquérante une sorte de brigade scientifique qui préparerait et effectuerait ensuite la colonisation de l’Egypte, c’est-à-dire dans l’esprit de la lettre de Napoléon à Oriani ?
Après l’arrêté portant création de la commission, on assiste en effet à un extraordinaire mouvement qui se propage dans tous les milieux scientifiques parisiens. Monge et Berthollet, les animateurs scientifiques, tous doux de l’Institut, disposaient de deux mois pour persuader, convaincre et inscrire. Toutes les grandes institutions d’enseignement et de recherche furent sollicitées. L’Ecole Polytechnique offrit jusqu’à quarante-cinq de ses membres, le Museum, des professeurs aussi chevronnés que Geoffroy Saint-Hilaire, Savigny qui revenait de Chine, Nectoux qui arrivait de Saint-Domingue, Rappeneau de Lille et Redouté Jeune. L’observatoire fournit les astronomes Nouet, Quesnot et Méchain fils. C’est de l’établissement aéronautique de Meudon que partit le directeur J.N. Conté, celui qui connaît tout, sait tout faire, celui que Berthollet proclamera » La colonne de l’expédition et l’âme de la colonie » tandis que Monge affirmera » qu’il a toutes les sciences dans la tête et tous les arts dans la main « . Le général Caffarelli du Falga, le président de la commission, va dépenser 215 000 livres pour l’équiper en matériel : » des horloges et des lunettes astronomiques, des boussoles, des déclinatoires, des niveaux, des machines pneumatiques, des baromètres, des hygromètres, des instruments de chirurgie, mais surtout un observatoire, un cabinet de physique. Un laboratoire de chimie, un cabinet d’histoire naturelle, un établissement aéronautique « . Une partie du matériel emporté avait été empruntée au laboratoire de l’Ecole Polytechnique.
Monge, en voyage alors à Rome, est chargé de prendre les imprimeries pontificales grecques ou arabes, et pour faire bonne mesure, d’y joindre leurs ouvriers.
Une somme de 25 329 livres est affectée à la formation d’une bibliothèque: quelques 550 ouvrages choisis par J.B. Say sauf en ce qui concerne les ouvrages de sciences, lesquels sont choisis par Bonaparte lui-même.
Quant au but de l’expédition, il est tenu aux membres de la commission, jusqu’au jour du départ, dans le plus grand secret : » J’en reviens toujours à ce voyage. Toutes les personnes qui prennent engagement pour en être ne savent où elles vont. Le citoyen Fourier en est aussi. C’est le citoyen Garnier qui le remplacera à l’Ecole. Quel que soit le but de ce voyage, il ne peut être que fort long et dangereux. Il ne transpire rien de positif. Berthollet est aussi discret qu’il faut bien l’être en pareil cas. J’ai eu beau lui faire boire du vin de Champagne, je n’ai rien obtenu « . C’est ce qu’écrit Catherine Huart à son mari Gaspard Monge le 6 avril 1798.
A la même date, Pierre Jollois est aussi vague : » Il s’agit d’un très grand voyage, scientifique, politique et militaire « .
Nous ne pouvons écarter maintenant une question très justifiée à nos yeux, celle des motivations des membres de la commission. Cette question se pose avec acuité pour Monge et Berthollet, personnalités des plus en vue, l’un comme l’autre quinquagénaires et alors au sommet de leur carrière scientifique et sociale.
Qu’ont-ils à gagner dans une expédition dont la justification idéologique est impossible à discerner ? » Aujourd’hui que la République est affermie, qu’elle a triomphé de ses ennemis extérieurs, elle a besoin de véritables amis à l’intérieur. Ce qu’on va faire, c’est pour agrandir ses ressources. Elle en a tant chez elle dont on abuse qu’en vérité je ne sais comment un homme comme toi donne là-dedans « , écrit avec sagesse la femme de Gaspard Monge le 19 avril, soit juste un mois avant le départ de l’expédition. Catherine Huart mettra finalement la décision de Monge au compte de a sa faiblesse « . Et il est certain que Monge hésite : » Tu as écrit deux fois déjà que tu n’irais pas. Mais on dit qu’une troisième lettre donne ta parole… Il faut être ferme dans ses volontés et ne pas se laisser diriger comme ça… Ne te laisse pas séduire par ce que dira Berthollet; il ne voit là que le beau tableau qu’on lui montre « .
L’amitié de Berthollet, celle de Bonaparte, ce sont probablement là les motivations profondes de Monge. Les mêmes apparemment jouent pour Berthollet :
» Quant à Berthollet, il est difficile de préciser la nature de son attachement pour Bonaparte. Une preuve de son attachement est donnée par le fait qu’il suivit Bonaparte en Egypte. Il s’agissait là en effet d’une véritable aventure et d’un départ pour l’inconnu. Il fallait une confiance presque aveugle en son organisateur pour abandonner, à l’âge de cinquante ans, une vie de famille et d’études qui s’annonçait enfin calme après les temps troubles de la tourmente révolutionnaire « .
Cette foi est résumée en une phrase par Vivant Denon : » Un mot du héros qui commandait l’expédition décida de mon départ; il me promit de me ramener avec lui et je ne doutai pas de mon retour « . D’autres en doutèrent pourtant et ne partirent point : par exemple Laplace.
En ce qui concerne les jeunes scientifiques de l’expédition, tout un faisceau de motivations peut avoir joué. Pierre Jollois, alors jeune polytechnicien et futur responsable de la publication de la monumentale Description de l’Egypte, s’en explique clairement : » Il faut maintenant que je vous dise quelles sont les raisons qui m’ont déterminé à faire pareille folie :
— » d’abord, c’est le désir de voyager ;
— ensuite, l’ardent désir d’acquérir de l’instruction, de l’expérience ;
— enfin, la conviction intime que j’ai que le voyage ne peut que m’être utile.
J’ai encore été déterminé par l’exemple de beaucoup de personnes qui abandonnent fortune, femmes, enfants et places brillantes et par le conseil de personnes qui s’intéressent réellement à moi « .
A tous les avantages d’ordre personnel s’ajoutent de substantiels avantages matériels : » Mes appointements me seront payés à l’Ecole, mes frais de voyage me le seront aussi et outre cela je recevrai un supplément d’appointements… mon grade d’ingénieur datera du moment de mon départ de l’Ecole de manière qu’au retour du voyage j’aurai droit à des places à l’intérieur de la République « .
Ce langage réaliste permet d’équilibrer l’idéalisme d’un Monge. Celui de Dolomieu nous permet de ne pas sous-estimer les motivations strictement scientifiques. Il se décida a pour vérifier si le Mémoire qu’il avait publié en 1793 sur la formation du Delta était bon « .
» Pour la première fois peut-être, l’on voyait les sciences et la guerre voyager ensemble « .
C’est pourquoi, d’emblée, la commission apparaît comme un corps étranger au sein du corps expéditionnaire et dans une situation ambiguë, malgré la volonté affichée par Bonaparte d’intégrer militaires et savants dans un même corps. Dès l’embarquement et pendant toute la traversée — du 19 mai au 1er juillet (l’arrêt à Malte ne dure que dix jours) — Bonaparte a pris l’habitude de réunir chaque soir, sur l’Orient, ce qu’il appelle » son Institut « . Ces discussions animées par Monge et Berthollet passionnent le général en chef et endorment les généraux tout court !
Dans le même temps, sur les autres vaisseaux de ligne, d’autres savants tentaient le même amalgame. Sur l’Alceste, c’est le naturaliste Geoffroy Saint-Hilaire qui officie : » Dans ces longues conversations qu’engendre le loisir du bord, il se faisait tour à tour l’élève en tactique des généraux et leur professeur de physique et d’histoire naturelle. Ce fut pour eux, autant que pour lui même, qu’il fit sur un requin pris le vingtième jour de la navigation des expériences de galvanisme qui furent pour l’équipage tout entier un sujet d’étonnement et de vif intérêt « . La situation que veut créer Bonaparte en Egypte est sans précédent: confier à des scientifiques un rôle essentiel dans une affaire qui est la chasse gardée des militaires, à savoir la colonisation d’un pays.
Idée sans précédent, mais pas originale pour autant. Leibniz déjà en avait voulu entretenir le roi Louis XIV ! Ce sont les encyclopédistes (auxquels les idéologues emboîtent le pas) qui lancent les premiers l’appel à cette nouvelle conception de la colonisation. Pour le choix de l’Egypte même, l’idée est popularisée par l’historien Volney, alors en voyage dans cette contrée, et qui met l’accent sur l’aspect unique qu’offre ce pays, en particulier pour une colonisation dans l’esprit des idéologues.
» C’est l’intérêt de ce peuple sans doute, plus que celui des monuments, qui doit dicter le souhait de voir passer en d’autres mains l’Egypte ; ne fut-ce que sous cet aspect, cette révolution serait toujours très désirable. Si l’Egypte était possédée par une nation amie des Beaux-Arts, on y trouverait pour la connaissance de l’antiquité des ressources que désormais le reste de la terre nous refuse… C’est à ce temps, moins éloigné peut-être qu’on ne pense, qu’il faut remettre nos souhaits et nos espoirs … « .
Dans le premier numéro de la Décade Egyptienne, journal de quatre feuillets paraîssant tous les dix jours dont la publication commence dès l’arrivée de l’expédition, le directeur — qui n’est autre que le conventionnel Tallien — explicite l’esprit de cette nouvelle forme de colonisation : » Cette conquête ne doit pas être utile à la France seulement sous les rapports politiques et commerciaux; il faut encore que les Sciences et les Arts en profitent. Nous ne vivons plus dans le temps où les conquérants ne savaient que détruire là où ils portaient leurs armes: la soif de l’or dirigeait toutes leurs actions; la dévastation, les persécutions, l’intolérance les accompagnaient partout. Aujourd’hui, au contraire, le Français respecte non seulement les lois, les usages, les habitudes, mais même les préjugés de ceux dont il occupe le territoire. Il laisse au temps, à la raison, à l’instruction, à opérer les changements que la philosophie, les lumières du siècle ont préparés et dont l’application devient chaque jour plus prochaine « .
Pour Tallien, la Décade Egyptienne doit refléter le but de la conquête qui est d’abord de connaître l’Egypte : » Mais aujourd’hui tout est changé, maîtres de la totalité de l’Egypte, il nous est facile de connaître de la manière la plus précise la nature du climat, la qualité des productions tinctoriales, l’état actuel de l’agriculture, les améliorations dont elle est susceptible. A ces objets d’intérêt général nous joindrons… des observations claires, méthodiques et précises sur la nature des maladies les plus courantes… auxquelles seront jointes des instructions sur les moyens de s’en garantir « .
Voici précisées dès l’arrivée en Egypte la direction et la teneur des travaux de la commission des Sciences. Travaux pour lesquels le général en chef exige des méthodes rigoureusement scientifiques: a Chacun aura la faculté de faire insérer dans ce journal tout ce qui pourra présenter quelque utilité sous le rapport des sciences » mais » aucune nouvelle, aucune discussion politique n’y trouvera place « . Est-ce dire que Science et Politique sont totalement dissociées ? Dans l’esprit de Bonaparte, certainement, et il attend de la communauté scientifique sinon un engagement à ses côtés, du moins une stricte neutralité sur ce plan, neutralité impossible dans les faits car comme l’écrit J. Myot » nos savants s’étaient changés en guerriers, ils avaient pris les armes « . Les travaux des savants vont dépendre constamment de la situation politique et militaire.
Lorsque le 3 juillet 1798 les membres de la commission transportés sur la frégate Montemotte commencent à débarquer, la tâche qui les attend apparaît lourde ; il ne s’agit selon Bourrienne, rien moins que de » porter dans ce pays que le temps a replongé dans l’ignorance et la barbarie, les trésors de la civilisation et de l’industrie qui seuls peuvent adoucir ici-bas la triste destinée de l’homme « . Pour l’heure, leurs préoccupations sont tout autres et la difficulté des conditions dans lesquelles cette tâche va s’accomplir se précise tout de suite. Débarqués le 4 juillet sur la rive en dehors de la ville, ils traversent à pied, chargés de leurs bagages, les champs des tombeaux et des ruines de l’enceinte des Arabes, franchissent des sables arides et arrivent enfin à la maison de leur chef, Caffarelli du Falga. Rien n’a été préparé pour les recevoir; ils cherchent avidement des citernes pour apaiser leur soif. Ils ont beaucoup de mal à trouver des chambres dans les maisons des Européens, où ils sont obligés de coucher à dix ou douze par chambre, dévorés par les moustiques ! Dolomieu commence par transmettre aux autorités militaires les doléances de ses confrères. Mais ce n’est là qu’un début: du 7 au 27 juillet, c’est l’épuisante marche d’Alexandrie au Caire qu’une partie de l’expédition fait en bateau en remontant le Nil. Piètre avantage : le 13 juillet, la flotille où se trouvent Monge et Berthollet est arrêtée, bloquée par une flotille arabe. En faisant le coup de feu, les deux illustres savants aident à la dégager. Courage qui n’impressionne guère les soldats exaspérés par les difficultés de la marche dans le désert et dont la colère se tourne rapidement contre les membres de la commission; ceux-ci, en pleine situation critique, osent manifester de l’intérêt pour le pays et même, observe Myot, ils » s’arrêtent devant les traces d’Antiquité. Ils (les soldats) s’étaient persuadés que Bonaparte avait été trompé par eux, qu’enfin c’était à eux (les savants) qu’on devait l’expédition d’Egypte et par conséquent les maux qui nous accablaient. L’attente des richesses, les images riantes qu’on s’était formé disparaîssaient à l’aspect des privations et l’espoir de raconter un jour ses malheurs soutenait à peine le courage. C’étaient donc les savants qui avaient préparé, causé le voyage en Egypte… « .
Après l’arrivée au Caire, la situation de la commission se stabilise; néanmoins, elle devra travailler dans une insécurité permanente. On trouve à l’envi dans les Mémoires des membres de la commission les récits qui soulignent les dangers encourus pendant les excursions et les voyages où se faisait le travail sur le terrain : » Les environs de Cheykh Abadeh sont infestés de Bédouins. Plusieurs de nos savants eurent à se défendre de leurs attaques imprévues. M. Couraboeuf examinant l’enceinte extérieure de la ville fut averti par les hennissements du cheval du voisinage des Bédouins. Heureusement son domestique avait un tromblon : le savant s’en saisit et, couchant en joue les Arabes, il leur cria que, s’ils étaient amis, ils pouvaient passer sans rien craindre… « . Et Myot ajoute : » Dans les commencements, les communications étaient difficiles et dangereuses à cause de la ville. C’est ainsi que la moindre course qui n’avait pour but qu’une recherche scientifique avait toujours l’appareil de la guerre « .
Le cadre institutionnel : l’Institut d’Egypte
» Peu de plans ont été plus largement tracés que celui de l’édifice grandiose dont l’Institut d’Egypte fut la clef de voûte « .
» Aux citoyens Berthollet, Monge et Caffarelli. Quartier-général, au Caire, 15 thermidor an VI (2 août 1798).
Bonaparte, général en chef, ordonne :
Article ler.– Les citoyens Berthollet, Monge et le général du génie se concerteront pour choisir une maison dans laquelle on puisse établir une imprimerie française et arabe, un laboratoire de chimie, un cabinet de physique, une bibliothèque, et, s’il est possible, un observatoire. Il y aura une salle pour l’Institut.
Article 2.– Ils me présenteront un projet pour ll’organisation de la dite maison, avec un état de dépenses.
Article 3.– Je désirerais que cette maison fût située surla place Ezbekyeh, ou sur le plus près possible.
Bonaparte »
Dix- huit jours plus tard, c’est chose faite, et Bonaparte peut écrire :
» Les citoyens Monge, Berthollet, Caffarelli, Geoffroy Saint-Hilaire, Costaz, membres de l’Institut National les citoyens Desgenettes et Andréossi se réuniront demain matin à la salle de 1’Institut à sept heures du matin pour arrêter un règlement pour l’organisation de l’lnstitut du Caire et pour désigner les personnes qui doivent le composer « .
Principe de cooptation donc pour le recrutement. Quant à l’organisation générale, elle est calquée sur celle de l’Institut National.
Un modèle réduit de l’Institut National. » L’Institut d’Egypte s’est assemblé pour la première fois le 6 fructidor; il continuera de s’assembler le primidi et le sextidi de chaque décade. Dans la première séance, il a nommé le citoyen Monge président et le citoyen Bonaparte vice-président. Le citoyen Fourier a été nommé secrétaire perpétuel « .
» Peu de plans, écrit F.L. Roux, ont été plus largement tracés que celui de l’édifice grandiose dont l’institut d’Egypte allait être la clef de voûte. C’est pour pouvoir ajouter au laboratoire de chimie, au cabinet de physique et à l’observatoire, seuls prévus initialement, une bibliothèque, un jardin botanique, une ménagerie, des ateliers mécaniques, des collections archéologiques que la décision fut prise d’installer l’Institut grandement dans plusieurs maisons attenant à la campagne, le palais de Quassim Bey ne suffisant pas « .
Le même jour est connue la liste des trente-six membres qui le composent. On note la prépondérance des scientifiques qui composent la classe de mathématiques et celle de physique :
LISTE DES MEMBRES DE L’INSTITUT
MATHÉMATIQUES
Andreossi Leroi
Bonaparte Malus
Costaz Monge
Fourier Nouet
Girard Quesnot
Le Père Say (Remplacé par le citoyen Lancret)
PHYSIQUE
Berthollet Desgenettes
Champy Dolomieu
Conté Dubois (Retiré ; a été remplacé par le citoyen Larrey)
Delille Geoffroy
Descostils Savigny
ÉCONOMIE POLITIQUE
Caffarelli (Remplacé par le citoyen Corancez), Shulkowski
Glotier Sucy (Retiré ; a été remplacé par le citoyen Fauvelet Bourrienne)
Poussielgue Tallien
LITTÉRATURE ET ARTS
Denon D. Raphaël
Dutertre Redouté
Norry Rigel
Parseval Venture (Remplacé par le citoyen Ripault)
Ce même jour sont exposés les buts de l’Institution. Cet établissement doit principalement s’occuper :
1) du progrès et de la propagation des lumières en Egypte ;
2) de la recherche, de l’étude et de la publication des faits naturels, industriels et historiques de 1’Egypte.
» Entrant dans la pensée du général en chef, le président prit la parole pour tracer à ses collègues le but de l’institution et les recherches spéciales qui devaient l’occuper… Arrivant à l’état moderne de l’Egypte, il recommanda la confection d’une carte de son territoire, les observations utiles à l’astronomie et aux sciences naturelles ; insista davantage encore sur les améliorations possibles dans le sort des habitants, dans la culture des terres et la répartition des eaux « .
Mais d’abord un instrument utile. Les nouveaux membres de la commission des Sciences et des Arts nommés à l’institut sont aussitôt invités à passer de la parole aux actes, et des sphères hautement spéculatives aux réalisations pratiques. L’initiative en revient bien sûr à Bonaparte qui leur demande aussitôt de trouver les moyens :
— d’améliorer les fours employés pour la cuisson du pain de l’armée,
— de remplacer le houblon dans la fabrication de la bière, de clarifier et de rafraîchir l’eau du Nil,
— de choisir entre la construction de moulins à eau ou de moulins à vent celle qui est la mieux adaptée à la situation présente,
— de trouver des ressources locales pour la fabrication de la poudre.
Pour chaque question à étudier, une commission sera nommée, composée de plusieurs membres qui appartiennent à des sections différentes.
Par exemple, la première commission, formée pour étudier l’amélioration des fours, est composée de deux membres de la section de mathématiques, Monge et Say. d’un membre de la section de physique, Berthollet, d’un membre de la section d’économie politique, Caffarelli. Cette commission a pour travail de déposer un rapport et ceci dans les délais les plus brefs. Le rapport sur la fabrication de la poudre en Egypte est lu à la séance du 11 fructidor, soit cinq jours après la nomination de la commission sur cette question !
A propos de la culture des terres, on peut lire au n° 104 du Courrier de l’Egypte du 6 ventôse, an IX : » Agriculture. La commission d’agriculture a fait une première récolte de pommes de terre au jardin national du Kaire. Ces pommes de terre ont été plantées au commencement de vendémiaire dernier et ont produit dix jours pendant cette saison. Parmi les pommes de terre qui ont été présentées à l’Institut dans sa séance du 16 pluviôse par le citoyen Delille, les plus grosses étaient du poids de 7 onces et paraîssaient de très bonne qualité. La commission d’agriculture attend une récolte plus abondante « .
Pour chaque séance, un scénario précis. Dès la seconde séance, 11 fructidor, le scénario des séances ultérieures est fixé. Nous la prenons en exemple :
— » lecture d’un ou plusieurs rapports ayant fait l’objet d’un travail en commission ; ici, rapport sur la fabrication de la poudre, lu par Andréossi ;
— présentation d’un ou plusieurs Mémoires, fruit de la recherche personnelle d’un des membres et dont l’intérêt spécifiquement scientifique apparaît évident ; ici, la lecture par le citoyen Monge d’un Mémoire sur un phénomène d’optique appelé mirage par les marins ; ces Mémoires peuvent être présentés par des membres de la commission qui ne font pas partie de l’Institut ; un rapport sur le Mémoire est alors demandé à un ou plusieurs membres de l’Institut ;
– – nomination d’autres commissions :
– ce jour-là, une » pour dresser des tables de comparaison des poids et mesures de l’Egypte et de ceux de la France « , composée des citoyens Costaz, Geoffroy et Malus ;
– une autre pour » faciliter la composition d’un vocabulaire arabe pour mettre les Français en état d’établir avec les habitants de l’Egypte les communications qu’exigent les besoins communs de la vie ; elle est composée des citoyens Desgenettes, Shulkowski et Tallien « .
Un rythme de travail irrégulier dû aux aléas de la conquête militaire
Ainsi, quarante-sept séances s’échelonneront du 6 fructidor an VI (24 août 1798) au 1er germinal an IX (21 mars 1801), selon un rythme irrégulier qui suit les aléas de la conquête militaire mais n’empêche pas un travail intensif. Pendant la période où Bonaparte est présent en Egypte (il quitte Le Caire le 18 août 1799), les séances sont suspendues :
— une première fois les 6, 11 et 16 nivôse an VII (car Bonaparte, Monge et Berthollet ont quitté Le Caire pour une reconnaissance des anciennes traces du canal de Suez) ;
— une seconde fois les 1er, 6 et 11 pluviôse an VII, sans explication officielle. Mais on sait que le 22 pluviôse (10 février 1799) débute la Campagne de Syrie qu’accompagne une partie de la commission des Sciences et des Arts. Une autre partie part de son côté explorer la Haute-Egypte sous la direction de l’ingénieur Girard.
Il n’y aura donc pas de séances à l’Institut pendant le printemps de l’année 1799 où la communauté scientifique est par ailleurs durement éprouvée : Malus contracte la peste, Monge est très gravement malade, la dysenterie emporte Venture du Paradis, le grand orientaliste de l’expédition et sans doute l’un de ses inspirateurs.
Ce n’est que le 11 messidor an VII (29 juin 1799) que le travail de l’Institut reprend son cours régulier et ceci jusqu’au 1er thermidor (19 juillet). Cette nouvelle interruption s’explique encore par des raisons militaires, Bonaparte étant entièrement absorbé par la préparation de la destruction de l’armée ottomane (Aboukir 25-26 juillet). Il ne reviendra au Caire que le 11 août.
Dès le 14 août (27 thermidor), une séance solennelle et publique réunit tous les membres de l’Institut. Ce sera la dernière à laquelle assistera Bonaparte qui quitte Le Caire avec seulement quelques membres de la commission (Monge et Berthollet notamment) pour préparer l’embarquement et le retour vers la France.
Ils appellent notre institut, la maîtresse favorite du général
Ne laissons pas Bonaparte se réembarquer avant de préciser le rôle tenu par le général dans le fonctionnement de cette institution. C’est, on va le voir, d’un premier rôle qu’il s’agit, sûrement pas d’un rôle de figuration.
D’abord, il a voulu pour l’Institut un cadre superbe, extraordinaire et il l’a créé. Pour Geoffroy Saint-Hilaire, il n’y a que le lyrisme qui convienne à son expression littéraire : » logements magnifiques, jardins immenses et merveilleusement dessinés, eaux abondantes et coulant de tous côtés avec un doux murmure…, une multitude d’arbres d’espèces différentes… Notre volière est déjà prête: bientôt nous serons sous ce rapport mieux établis que dans le Jardin des Plantes (sic) « .
Témoin de l’activité de Bonaparte à l’Institut, Geoffroy Saint-Hilaire est tout aussi impressionné : » Notre Institut, aux séances duquel le général en chef ne manque jamais d’assister, en est protégé au point d’exciter la jalousie des militaires. Ils l’appellent la maîtresse favorite du général « . Plus loin, il dit que Bonaparte prodigue à l’Institut tous ses trésors et toute son affection. A quoi répond en écho la phrase de Bonaparte maintes fois citée : » Le temps que j’ai passé en Egypte a été le plus beau de ma vie car il en a été le plus idéal « .
Qu’en est-il pratiquement ?
La participation de Bonaparte aux travaux de l’Institut se traduit d’abord par la proposition de rédiger des rapports sur diverses question, rapports dont il a l’initiative :
– nous avons énuméré ceux de la séance du 6 fructidor :
» Dans la séance du 11 vendémiaire, le président a offert, de la part du général de brigade Béliard, cinquante momies d’oiseaux conservés dans des pots de grès scellés ; l’examen en est renvoyé à une commission composée des citoyens Bonaparte, Desgenettes, Dolomieu, Dutertre, Geoffroy et Sucy « .
— Le 21 vendémiaire an VII (4 octobre 1798), des commissions sont nommées pour l’étude des questions suivantes :
– sur les moyens de cultiver la vigne dans cette contrée ;
– sur les moyens d’utiliser les décombres de l’enceinte du Caire ;
– sur les moyens d’utiliser les eaux du Nil jusqu’à la citadelle ;
– sur les moyens d’accélérer l’établissement d’un observatoire ;
– sur la description exacte du nilomètre sous le double rapport de la géographie ancienne et de l’usage public ;
– sur une suite d’observations thermométriques… ;
– deux commissions sont chargées de faire creuser des puits dans divers endroits du désert voisin pour examiner la nature des eaux ;
— le 12 Brumaire an VII (3 novembre 1798), » le citoyen Bonaparte propose de créer une commission pour examiner les procédés que suivent les habitants du pays dans la culture du blé et les comparer avec ceux en usage en Europe « .
On voit ce que le terme » utilité des sciences » et » science utile » recouvre ici de précision.
La participation de Bonaparte aux travaux de l’Institut se traduit aussi par la création de prix. Dès le décret portant création de l’Institut, des articles prévoient l’attribution annuelle de deux prix à des travaux faits sur deux sujets mis au concours : » L’un pour une question relative aux progrès de la civilisation en Egypte, l’autre pour une question relative à l’avènement de l’industrie. Ainsi, le 21 vendémiaire, un prix est institué » pour celui qui présenterait le meilleur projet et le plus économique pour l’approvisionnement en eau de la citadelle « . Mais on ne trouve ni dans les Mémoires de l’Institut, ni dans la Décade Egyptienne, ni dans le Courrier de l’Egypte, la trace de leur attribution.
La participation de Bonaparte est active quand vient en séance la discussion de ces rapports rédigés, rappelons-le, dans les délais les plus brefs. Il s’agit de discussions plus ou moins détaillées suivies de la proposition d’un projet concret de réalisation. Le projet de programme est rédigé lui aussi par des membres de l’Institut, mais après discussion des détails avec Bonaparte. Certains rapports sont faits par l’Institut mais directement au général en chef. Exemples : Rapport fait au général Bonaparte sur un plan d’orgarnisation d’un hospice civil au Caire, 25 frimaire an VII. Tous les projets ne connaîtront pas le stade de la réalisation. Pour des raisons politiques évidentes Bonaparte ne reste qu’un an en Egypte. Mais un fait demeure : c’est un véritable brain-trust que le général fait fonctionner auprès de lui, dans le triple but de promouvoir la communauté scientifique, de l’attacher au service de l’Etat et de privilégier l’aspect » utile » de la science aux dépens des autres.
Un membre à part entière sans prérogative spéciale
C’est la place que souhaitait tenir le général en chef au sein de ses collègues.
Un épisode vient a contrario prendre une valeur symbolique et nous éviter de formuler une affirmation hâtive concernant ce point. Nous sommes à la séance de l’Institut du 29 juin 1799, dont les travaux ont repris après le retour de l’expédition de Syrie.
Pendant l’expédition, Bonaparte s’est vu contraint de prendre des mesures draconiennes (et peu conformes à la déontologie médicale) à l’égard des pestiférés de Jaffa. Il propose de nommer une commission qui se chargerait d’une grande étude sur la peste. En fait, dans l’esprit de Bonaparte, le rapport devait présenter cette affreuse maladie comme la seule cause des échecs de l’expédition militaire sous Saint-Jean d’Acre. Monge, qui est chargé de composer la commission, y comprend naturellement le médecin en chef de l’armée, Desgenettes.
» Mais celui-ci, soupçonnant un piège et craignant peut-être qu’on se servît de lui pour signer un récit apocryphe, refuse et motiva son refus « . Alors une discussion s’ouvrit entre Bonaparte et Desgenettes ; le premier eut recours, à défaut de raisons, à des sarcasmes contre la médecine et les médecins.
— » La chimie est la cuisine de la médecine et celle-ci la science des assassins, dit Bonaparte « .
Desgenettes ne se déconcerta pas.
— » Et comment alors, répliqua-t-il, définissez-vous la science des conquérants » ?
Bonaparte essaya vainement d’imposer silence à l’orateur. L’assemblée était émue, saisie, inquiète…
Desgenettes prit un ton plus grave et plus solennel.
» Je sais, citoyen, je sais, général, puisque vous voulez être autre chose ici que membre de l’Institut, je sais que j’ai été entraîné à dire avec chaleur des choses qui retentiront loin d’ici; mais je ne rétracte pas un seul mot « .
Bonaparte réagit alors comme un membre de l’Institut à part entière : il oublia l’incident ou se souvint peut-être qu’il avait exigé de la communauté scientifique une stricte neutralité sur le plan politique, et rien de plus. » Il ne faut pas croire toutefois que Bonaparte garda rancune au médecin en chef à propos de sa vive et brusque sortie… car plus tard le Premier Consul ne parut pas s’en souvenir et de grands témoignages de confiance prouvèrent depuis que l’Empereur l’avait oublié « .
» Aujourd’hui, il ne nous reste plus qu’à nous envelopper dans nos manteaux et c’est pourtant maintenant que nous avons le plus de droits à l’estime de nos concitoyens « , écrit Geoffroy Saint-Hilaire.
Maintenant, c’est-à-dire après le départ d’Egypte de Bonaparte et au moment où les relations de la commission des Sciences avec le corps expéditionnaire se tendent à nouveau. De façon paradoxale commence alors la phase la plus intensive, la plus fructueuse de l’activité des scientifiques en Egypte, qui déborde largement le cadre de l’Institut. C’est la phase de rationalisation et de systématisation du travail de la commission des Sciences et des Arts.
Systématisation qui se traduit par une exploration fouillée de l’ensemble du pays : le 2 septembre 1799, se mettent en route les deux commissions chargées d’explorer pendant trois mois la Haute-Egypte, dont l’une sera commandée par Fourier, l’autre par Costaz.
Rationalisation : dès le retour des deux commissions le 24 novembre 1799, le bureau de l’Institut les assemble pour délibérer sur la réunion de toutes les observations en un seul corps d’ouvrage et désigner le secrétaire chargé de diriger l’ensemble du travail (ce sera Fourier).
Kléber, alors général en chef, reprenant les prérogatives de Bonaparte membre de l’Institut, arrête la création d’une commission de renseignements sur l’état moderne de l’Egypte (sous les rapports du gouvernement, des lois, des usages civils, religieux et domestiques, de l’enseignement public et du commerce). Arrêté qui signe l’acte de naissance de l’ouvrage monumental et grandiose dont la publication, décidée par le pouvoir napoléonien en 1809, ne sera pas encore achevée à la fin de l’Empire. Avant d’être publiée, cette Description de l’Egypte ou Recueil des observations et des recherches qui ont été faites en Egypte pendant l’expédition de l’armée française sera l’objet d’un magnifique travail communautaire où membres de l’Institut et membres de la commission des Sciences et des Arts rivaliseront de rigueur et d’assiduité.
Non sans qu’on leur ait préalablement bien fait comprendre, du côté du pouvoir politique, que science et pouvoir ne pouvaient être dissociés et que la science, dans ce cas, servait à la glorification de l’état napoléonien. L’arrêté de Kléber du 28 brumaire (20 novembre 1799) stipulait déjà que : » Le bureau s’assemblera dans le lieu ordinaire des séances du Divan. Les dépenses et frais de bureau seront successivement réglés par les ordres du général en chef « . Le 28 brumaire an VIII, Kléber assumait pour la commission de Renseignements la responsabilité et le financement de l’Etat, ce qu’assumera Napoléon en 1809 pour la publication de la Description. C’est Joseph Fourier, secrétaire perpétuel de l’Institut d’Egypte, qui préfacera cet ouvrage.
MAI 1801 – 27 JUIN 1801 : Les dernières négociations, au nom de la neutralité des sciences
Bien convaincus que les vaisseaux anglais reconnaîtraient cette noble neutralité et ne leur fermeraient pas la route des mers, les membres de la commission quittent Le Caire pour se rendre au quartier-général d’Alexandrie.
Là, de difficiles négociations – – entamées par Joseph Fourier avec le général en chef Menou — révèlent à nouveau la complexité des relations science-pouvoir, et l’habileté diplomatique du savant qui exerça d’importantes fonctions administratives : commissaire français auprès du Divan du Caire, gouverneur de la Haute Egypte pendant l’expédition de Syrie, commissaire auprès du Divan suprême de l’Egypte, chef de l’administration générale de la Justice, négociateur et rédacteur de la Minute du traité entre le général Kléber et le chef des Mameluks Mourad-bey (mars 1800), représentant de l’autorité civile française après la mort de Kléber (juin 1800-mai 1801).
Dans une première lettre datée du 19 mai 1801, les conditions offertes par Menou sont les suivantes :
— les autorités militaires accordent un bâtiment à la commission des Sciences et des Arts ;
— le préfet maritime le désignera mais
– on ne peut emporter aucune collection scientifique car elles appartiennent toutes à la République,
– les notes et renseignements sur le pays seront déposés au quartier-général afin qu’ils ne tombent pas au pouvoir des Anglais,
– les ingénieurs des Ponts-et-Chaussées et les ingénieurs géographes appartiennent à des corps dépendant du gouvernement; leur titre de membres de l’Institut ou de la commission des Arts n’est qu’accidentel. Ils ne peuvent s’en prévaloir pour quitter l’armée, sans un ordre particulier du général en chef.
Fourier, au nom de la communauté scientifique tout entière refuse les trois derniers points et met toute ]a vigueur de son indignation au service de la science pour convaincre Menou.
Dans la lettre suivante citée par Champollion-Figeac et datée du 15 juin, le général en chef capitule déjà et annonce que tous les passeports seront prêts :
» Je me borne donc à demander à chacun des membres de l’Institut et de la commission des Arts leur parole d’honneur par écrit qu’ils n’emportent rien qui, tombé entre les mains des ennemis, puisse leur donner des notions utiles sur le pays, politiquement, militairement et financièrement « , mais prévient Fourier :
— » Vous savez, Citoyen, que… les Anglais regarderont tout cela comme droit de conquête. Il ne s’agit pas d’un voyage qui, séparé de toute expédition militaire, n’a pour objet que l’avancement des sciences. Dans les circonstances actuelles, ils vous regarderont comme une portion de l’armée d’Orient ; et si vous tombez entre les mains ou des Turcs ou des Barbaresques, c’est à vous d’en tirer les conséquences « .
Le 10 juin 1801, la commission peut enfin partir. Mais, à sa sortie d’Alexandrie, I’Oiseau est arrêté par l’escadre anglaise, malgré ou plutôt à cause de la nature inaccoutumée de sa cargaison. » Un fait inouï dans les annales des Sciences, dans celles de la guerre qui n’avaient jamais jusque- là capturé une cargaison de savants « . Coïncidence, le commodore anglais, Sir Sydney Smith, est aussi mathématicien. Il se décide donc, sur les plaidoyers de Fourier, d’abord à ne pas faire de prisonniers de guerre, ensuite à relâcher le bâtiment et toute sa cargaison à la condition rigoureuse qu’il rentrerait immédiatement dans le port d’Alexandrie. Fourier, quant à lui, serait retenu à bord comme otage de l’exécution des volontés britanniques.
Sir Sydney garda Fourier à bord plusieurs jours » à cause du charme de sa conversation « . En réalité, il garda surtout les papiers de Fourier, » fruit précieux de ses méditations mathématiques « . Or, depuis 1787, Fourier ne s’était jamais séparé de ses manuscrits sur la résolution des équations algébriques !
Le 27 juin 1801, l’aventure égyptienne se termine. Ce qu’il reste de la commission est rapatrié en France, la conquête de l’Egypte a échoué.
De la tâche accomplie par la communauté scientifique, E. Geoffroy dira en 1803 :
» Il arrivera que l’ouvrage de la commission des Arts excusera aux yeux de la postérité la légèreté avec laquelle notre nation s’est pour ainsi dire jetée en Orient « , et en 1836 : » La campagne scientifique eut l’inappréciable avantage de mettre en relief une foule de noms, les uns déjà célèbres, les autres illustrés depuis, nomenclature riche et brillante, pépinière académique, implantée dans les diverses classes de l’Institut, où elle règne encore en partie, et par l’âge et par le talent : Monge, Fourier, Berthollet, Denon, Savigny, Geoffroy Saint-Hilaire, Girard, Dubois, Dolomieu, Jomard, Amédée Jaubert, J.J. Marcel, Say, Delille, Costaz, Nouet, Conté, Protain, Lepère, Redouté, Dutertre, Jollois, Devilliers, Jacotin, Testevuide, Dubois-Aymé, Lancret, Rozières, Saint-Denis, Chabrol, Coraboeuf, Casteix, Parseval, Caristie, Cécile, etc… ; hommes distingués dans leurs spécialités diverses, grandis à la science sur le sol égyptien, s’y dévouant à des conquêtes pénibles sur un théâtre périlleux; puis revenus, avec l’auréole au front, sur notre terre française, pour recueillir et classer leur glorieux butin.
… Nos savants réalisèrent du moins des recherches pratiques ; ils fouillèrent l’Egypte dans tous les sens, rebâtirent ses édifices, les fûts, les chapiteaux, les frises, les entablements; firent revivre cette sculpture étrange et large, les sphinx, les obélisques, statues colossales, monolithes en grès brèche ou en granit rose ; interrogèrent les nécropoles et les hypogées, les hautes pyramides et les puits souterrains où gisent les momies ; explorèrent cette vallée dans tous les sens, de Damiette à Eléphantine, de Suez au lac de Moeris ; n’omirent rien dans cet itinéraire ni temple antique, ni monument moderne, ni site essentiel, ni localité historique, ni crypte, ni obélisque, ni pyramide « .
— Il faudra huit années aux membres de la commission des Sciences et des Arts pour composer cet ouvrage que consacrera la postérité.
Il s’agit de la Description de l’Egypte, magnifiquement préfacée par Joseph Fourier en 1809, préface rédigée quelque part dans la campagne grenobloise, par celui qui, dès son retour en France, était devenu préfet de l’Isère, poste qu’il devait conserver pendant tout l’Empire.