Napoléon et les télécommunications

Auteur(s) : QUENNEVAT Jean-Claude
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La constante expansion territoriale de l'Empire français ne pouvait que rendre de plus en plus aigu pour Napoléon le problème de la transmission aussi rapide et aussi facile que possible de tout message écrit d'un bout à l'autre de l'Europe. Ici, comme dans bien d'autres domaines, nous verrons l'Empereur faire au mieux avec les moyens encore archaïques du siècle précédent, alors que les inventions toutes neuves du XIXe siècle resteront inemployées par lui, faute de temps pour les développer et en tirer les applications pratiques nécessaires.
Pour traiter de ce problème des télécommunications sous l'Empire, nous avons fait appel à la compétence particulière de la conservation du Musée Postal.
A ce titre, M. R. Rolland, nous expose, dans un premier article, le fonctionnement de la poste impériale, qu'il s'agisse de la poste aux lettres, du système des estafettes ou de la poste aux chevaux. Il nous révèle comment les impératifs de transferts de fonds à l'armée ont fait naître les premiers  » mandats « , et, en toute objectivité, évoque le  » cabinet noir  » avec la censure touchant principalement les lettres venant de l'étranger.
Ce qui, à mon avis, ne mérite pas d'être abusivement interprété comme une marque de despotisme politique étant donné que la France, sous l'Empire, se trouvait en état de guerre de façon permanente, ne serait-ce que contre l'Angleterre.
Le même spécialiste traite ensuite du télégraphe aérien des frères Chappe, invention récente à laquelle le Premier Consul, puis l'Empereur, portera une attention toute particulière et dont il encouragera vivement le développement à une échelle plus que nationale, d'Amsterdam à Venise et de Brest à Vienne. Nous retiendrons toutefois que ce télégraphe restera la propriété du gouvernement, ne pouvant jamais être utilisé pour les télécommunications privées.
A la suite des deux articles de M. R. Rolland, spécialiste de l'histoire postale, nous avons, nous-mêmes, tenté d'analyser les différents moyens de télécommunications militaires utilisés à la Grande Armée. Il en ressort l'importance primordiale des tambours et des trompettes en matière de transmission à courte distance, du canon pour les messages à longue distance, et le rôle capital et très personnel joué par les aides de camp pour le port des ordres supérieurs sur les champs de bataille.
Enfin, nous avons fait suivre l'article sur la poste d'une série d'extraits de l'almanach Impérial de 1809 de façon à livrer à la curiosité du lecteur un équivalent de notre calendrier actuel des P et T, à une époque où l'Empire français allait atteindre son apogée.

Le service des postes sous l’Empire

ROBERT ROLLAND
Lorsque, le 18 mai 1804, l'Empire est proclamé, le service des Postes est dirigé par Antoine Marie Chamant de Lavalette, directeur général des Postes. Tout dévoué à l'Empereur, Lavalette reste à ce poste jusqu'en 1814.
A la fois chef d'une administration et collaborateur de l'Empereur, Lavalette dirige son service avec toute l'autorité nécessaire pour assurer la rapidité et la permanence des communications postales. Et la poste est d'autant plus indispensable que le télégraphe, malgré les avantages certains qu'il comporte, n'est pas encore, loin s'en faut, capable de concurrencer la Poste.
 
LES TRANSFORMATIONS DE LA POSTE DEPUIS 1789
Fortement perturbée par la Révolution, la poste a été totalement transformée dans ses structures administratives et juridiques. Considérée depuis le 17e siècle comme un monopole d'Etat, la poste était mise en ferme : c'est-à-dire que l'exploitation postale était confiée à une compagnie de financiers qui versait au Trésor Royal une redevance fixée par un bail renouvelé tous les cinq ans. Les Fermiers généraux des Postes, tout autant que ceux des gabelles et autres impôts, tiraient un vaste profit de l'exploitation postale. Mais la Ferme des Postes contestée est maintenue cependant jusqu'au 25 frimaire an VIII (16 décembre 1799) : elle est alors remplacée provisoirement par une régie intéressée avant de devenir une Direction générale du ministère des Finances. La Poste est alors placée, et pour près d'un siècle, sous l'autorité du ministre des Finances (1).
 
La réglementation postale en vigueur a été publiée en 1792 sous forme d'une Instruction générale sur le service des Postes : la rédaction de ce texte important a été confiée au secrétaire général Legrand, ancien agent de la Ferme des Postes et qui reste secrétaire général jusqu'en 1816. C'est lui qui aux côtés de Lavalette dirige le service des Postes. Le monopole du transport des lettres a été défini par l'arrêté des consuls du 27 prairial an IX (16 juin 1801).
Enfin, le 14 floréal an X (4 mai 1802), un nouveau tarif pour la Poste aux lettres a été publié.
Ainsi le nouveau directeur général Lavalette est à la tête d'une administration qui repose sur des bases juridiques solides, avec un personnel compétent, utilisant des méthodes et des techniques éprouvées. Deux grands services sont soumis à l'autorité de Lavalette: la Poste aux lettres d'une part, le service des Relais d'autre part.
 
LA POSTE AUX LETTRES
C'est le service de transport et de distribution des correspondances. Nous sommes loin alors du trafic que connaît aujourd'hui la Poste qui achemine chaque jour des millions de lettres. En 1789 environ 30 millions de lettres avaient circulé en France par l'intermédiaire du service postal. En 1821 le trafic s'élevait à 45 millions de lettres. Cette progression se manifeste également par le nombre des bureaux qui passe de 1284 en 1791 à 1.630 en 1815. Le personnel ne compte que quelques centaines d'agents : 3.588 en 1815.
La lettre, pour ne plus être aussi rare que jadis, n'est pas encore répandue dans les couches de la population. Seuls les gens aisés peuvent recevoir des lettres. Car le port est payé par le destinataire et non par l'expéditeur, comme cela se fait généralement aujourd'hui. Le tarif est le suivant pour la lettre simple pesant moins de 7 grammes.
Jusqu'à 100 km…………….2 décimes
100 à 200 km…………….3 décimes
200 à 300 km…………….4 décimes
400 à 500 km…………….5 décimes
500 à 600 km…………….7 décimes
600 à 800 km…………….8 décimes
800 à 1.000 km…………….9 décimes
au-dessus de 1.000 km……1 franc
Ce tarif, fixé par la loi du 27 frimaire an VIII sera modifié par la loi du 14 floréal an X ramenant à 6 grammes le poids de la lettre simple. Enfin la loi du 24 avril 1806 établit onze zones de taxation au lieu de huit précédemment.
Comment envoyer des lettres ? Soit en les déposant au bureau le plus proche, soit comme à Paris en les jetant dans les boîtes disposées dans certaines rues. Paris dispose de huit bureaux et, en 1810, 308 boîtes à lettres ont été installées dans les rues. En hiver, les boîtes sont levées 5 fois par jour et 5 distributions sont assurées. En été, du 30 mars au 1er octobre, le nombre est porté à dix. Les habitants de la banlieue parisienne sont moins privilégiés : une seule levée et une seule distribution par jour. En province certaines communes disposent d'un bureau de poste et le départ des courriers est variable, mais en général on compte un départ tous les deux jours.
Les lettres pour l'étranger doivent être affranchies au départ: l'expéditeur se rend alors au bureau de poste où l'affranchissement sera calculé en fonction du pays de destination. Les conventions postales qui régissent la taxation des lettres étrangères sont négociées entre les différents offices postaux.
La réglementation en vigueur précisait également le prix à payer pour les lettres chargées, les échantillons, les livres et aussi les articles d'argent. Pour le port des matières d'or ou d'argent, la règle en vigueur depuis 1791 était de faire payer une taxe équivalent à 5 pour cent de la valeur de l'envoi. Mais l'administration des Postes était responsable, en cas de perte, de la totalité de la somme. Les malles de courrier transportent donc souvent des sommes d'argent importantes.
Toutefois il est intéressant de noter les mesures prises en faveur des militaires. Un règlement, daté du 17 février 1808, prévoyait la suppression du transport matériel des sommes d'argent adressées aux militaires en Campagne. Le comptable devait conserver l'argent en caisse et adresser à son collègue du bureau de destination un mandat payable à vue. Seules les sommes inférieures à cent francs par envoi pouvaient être adressées selon le système qui, d'abord réservé aux soldats en Campagne, fut en 1812 étendu à tous les militaires en garnison.
Ces dispositions qui prirent fin en 1815 furent reprises en 1817 mais, cette fois, appliquées à tous les usagers et non plus seulement aux militaires : c'est pourquoi la date généralement citée de création du mandat est 1817, alors que le système créé à la poste aux armées date du Premier Empire.
 
LES ESTAFETTES
Si la création du mandat sous l'Empire n'a pas frappé les esprits, en revanche le développement du service des estafettes est beaucoup plus connu. Selon Lavalette, l'Empereur lui-même portait toute son attention au bon fonctionnement de ce service:
 » C'est à l'époque de 1805 que je fis usage en grand du système des estafettes que l'Empereur me commanda d'organiser et dont les bases lui appartenaient.
Il avait senti l'inconvénient de faire franchir à un seul homme d'énormes distances.
Il arriva plusieurs fois que des courriers excédés de fatigue ou mal servis n'arrivaient pas au gré de son impatience. Il ne lui convenait pas non plus de mettre entre les mains d'un seul homme des nouvelles dont la prompte réception pouvait avoir une influence grave et quelquefois décisive sur les événements les plus importants. J'organisai donc par son ordre le service d'estafettes qui consistait à faire passer par les postillons de chaque station les dépêches de cabinet enveloppées dans un portefeuille dont nous avions, lui et moi, chacun une clef. Chaque postillon transmettait à la station suivante un livret où le nom de chaque poste était inscrit et où l'heure de l'arrivée et du départ devait être relatée. Une amende et des peines sévères, suivant la récidive, punissaient la perte du livret et la négligence du maître de poste à inscrire l'heure de l'arrivée et du départ. J'eus beaucoup de peine à obtenir l'exécution de ces formalités.
Mais avec une surveillance active et constante j'en vins à bout et ce service s'est fait pendant onze ans avec un succès complet et des résultats prodigieux. Je pouvais me rendre compte d'un jour de retard dans l'espace de 400 lieues. L'estafette partait et arrivait tous les jours de Paris et aux points les plus éloignés, Naples, Milan, les Bouches du Cattaro, Madrid, Lisbonne et par suite Tilsitt, Vienne, Presbourg et Amsterdam. C'était d'ailleurs une économie relative, les courriers coûtaient par poste 7 f 50, l'estafette ne coûtait pas 3 francs. L'Empereur recevait le huitième jour les réponses écrites aux lettres à Milan et le quinzième à Naples. Ce service lui fut très utile. Il fut, je puis le dire sans vanité, un des éléments de ses succès « .
 
LA POSTE ET LA POLITIQUE
On le voit, le bon fonctionnement de la Poste était essentiel pour l'Empereur. Parfois la Poste devient pour lui un instrument de gouvernement.
Le Blocus continental est déclaré en novembre 1806. L'article 2 du décret suspendait toute correspondance avec les Iles Britanniques :
 » Tout commerce et toute correspondance avec les îles britanniques sont interdits. En conséquence, les lettres ou paquets adressés ou en Angleterre ou à un Anglais, ou écrits en langue anglaise, n'auront pas cours aux Postes et seront saisis (article 2) « .
La correspondance de Napoléon montre tout l'intérêt que l'Empereur attachait à l'exécution de cet article. Il écrit ainsi à Gaudin le ministre des Finances dont dépendait La Poste :
 » Faites une circulaire et prenez des mesures pour que, dans l'étendue de l'Empire, toutes lettres venant d'Angleterre ou écrites en anglais et par des Anglais soient mises au rebut. Tout cela est fort important, car il faut absolument isoler l'Angleterre « .
Napoléon
Si la surveillance des lettres pour l'Angleterre fut, à partir de 1806, officielle le contrôle de la correspondance par le Cabinet Noir l'était moins. Le Cabinet Noir, institution ancienne fonctionnait sous l'Ancien Régime et de nombreuses personnalités avaient eu à se plaindre de la violation de leurs correspondances. Aussi, le 27 juillet 1789, Stanislas de Clermont Tonnerre écrivait au nom de l'Assemblée Nationale :
 » La nation française s'élève avec indignation contre la violation du secret de la poste, l'une des plus absurdes et des plus infâmes inventions du despotisme « .
Pourtant malgré cette proclamation, le Cabinet Noir continua son oeuvre malgré de nombreuses déclarations d'intentions. Et le 27 pluviose an IV, le ministre des Finances s'adresse aux administrateurs de la Poste aux lettres :
 » De grands motifs, Citoyens Administrateurs, engagent le Directoire Exécutif à établir momentanément un bureau secret dans l'Administration des Postes pour y vérifier les Lettres allant et venant de l'étranger… « .
Sous l'Empire, les employés de bureau secret continuèrent à traiter les lettres des ministres étrangers et de nombreuses personnalités, sans oublier certains membres la famille impériale. Un rapport, appelé  » Gazettes étrangères  » parvenait quotidiennement à l'Empereur sans que celui-ci y attachât plus d'importance qu'il ne fallait car, disait-il,  » rarement les conspirations se traitent par cette voie… « . Metternich, qui lui aussi, usait de la censure postale, ne se faisait guère d'illusion sur l'usage qu'on faisait des lettres adressées par la Poste. Il écrivit au directeur des Postes pour lui communiquer une empreinte de son nouveau cachet :  » J'ai l'honneur de vous faire remarquer que mon cachet a, par malheur, reçu un coup de poinçon. Veuillez donc en faire autant au vôtre afin que je continue à ne m'apercevoir de rien « .
 
LES DÉPARTEMENTS CONQUIS
Les problèmes politiques et même diplomatiques ne manquaient donc d'influencer sur le fonctionnement de la poste. Les conquêtes territoriales obligent les administrateurs des Postes à adapter l'organisation des services postaux. Les nouveaux territoires furent partagés en départements. L'administration postale viendra donc s'insérer dans ces nouvelles structures administratives.
Les mêmes règles de fonctionnement seront en usage sur tout le territoire de l'Empire. Pour cela, la règlementation fut traduite pour pouvoir être mieux comprise des populations et du personnel chargé de l'appliquer. C'est ainsi que l'instruction générale de 1808 fut traduite en Hollandais et une édition bilingue publiée en 1810. En règle générale le personnel des Postes dans les départements conquis fut choisi parmi les gens du pays ; le plus souvent les agents restèrent à leur poste, ce qui facilita le bon fonctionnement des Postes dans les territoires annexés.
 
LA POSTE AUX CHEVAUX
Un second grand service était placé sous l'autorité du directeur général des Postes: le service des Relais, c'est-à-dire l'administration de la Poste aux chevaux.
Les relais de poste servaient d'abord aux courriers de l'administration de la Poste aux lettres: ils y trouvaient les montures fraîches que le maître de poste était tenu de leur réserver. Sous l'Ancien Régime, les ma1tres de poste jouissaient de nombreux privilèges, notamment en matière fiscale. La Révolution les supprima, ce qui entraîna une réaction des maîtres de poste qui menacèrent d'abandonner leur service pour se lancer dans les entreprises de messageries privées devenues très rémunératrices. Il fallut augmenter les gages des maîtres de poste, élever les tarifs de louage des chevaux. Mais la concurrence avec les messageries restait vive. Aussi des mesures furent-elles prises pour améliorer la situation des maîtres de poste dont le maintien était indispensable au bon fonctionnement des communications.
Les entrepreneurs de voitures publiques, même s'ils n'utilisèrent pas les chevaux des maîtres de poste furent tenus de leur payer pour chacune de leurs voitures 25 centimes par cheval et par poste (c'est-à-dire environ 4 livres).
Par ailleurs, le développement du service d'estafettes favorisa les maîtres de poste qui mettaient leurs postillons à la disposition de l'administration pour assurer la transmission des plis urgents du gouvernement.
Toute la règlementation concernant le service de la poste aux chevaux, les tarifs, la nomenclature des différents relais étaient indiqués sur les livres de poste, appelés officiellement  » Etat général des routes de poste « . Ces annuaires qui permettaient aux voyageurs en poste (2) d'établir leur itinéraire ainsi que le prix à payer pour leur voyage étaient mis à jour et édités chaque année.

Poste aux chevaux, Poste aux lettres, pendant toute la durée de l'épopée impériale, les communications postales sont maintenues grâce aux efforts des administrateurs et à l'autorité vigilante de l'Empereur.
Napoléon disait qu'il fallait juger la prospérité d'un pays aux comptes de ses diligences. De ce point de vue, les comptes de la poste sous l'Empire offrent l'exemple d'un pays heureux.

Le télégraphe aérien sous l’Empire

ROBERT ROLLAND
Le 9 novembre 1799 une dépêche télégraphique était transmise pour annoncer que le Général Bonaparte était nommé commandant de la force armée à Paris. Le lendemain, le pouvoir exécutif était confié à trois Consuls : Bonaparte, Siéyès et Roger-Ducos. Claude Chappe soumettait alors aux trois Consuls un projet de dépêche pour annoncer cette nomination, mais la communication ne put avoir lieu à cause du mauvais temps.
Entre ces deux dépêches, l'une transmise, l'autre restée à l'état de projet, il y avait toute l'ambiguité du télégraphe aérien : ce remarquable instrument de communication présentait une grande faiblesse, celle d'être tributaire des conditions atmosphériques. Napoléon soucieux d'efficacité dans sa stratégie, porta toujours un vif intérêt au développement des communications télégraphiques, sans, toutefois accorder une confiance absolue et définitive à ce système qui pouvait lui faire brusquement défaut.
 
LA GÉNIALE INVENTION DE CLAUDE CHAPPE
La première dépêche télégraphique officielle fut transmise le 16 août 1794 pour annoncer la reprise de la ville du Quesnoy par les troupes françaises combat tant les Autrichiens. Enthousiasmés par cette invention, les Conventionnels ordonnaient à Claude Chappe la construction d'une deuxième ligne vers l'Est, la première reliant Paris à Lille. Le réseau télégraphique comprenait ainsi, à la veille de la proclamation de l'Empire trois lignes principales Paris-Lille, Paris-Strasbourg par Metz, Paris-Brest, cette dernière ligne appartenant au ministère de la Marine, tandis que les deux autres dépendaient du ministère de la Guerre.
Ce télégraphe qui s'était répandu en quelques années sur le pays avait été mis au point par Claude Chappe, jeune physicien né dans la Sarthe. Ayant d'abord pensé à utiliser l'électricité pour transmettre des communications, Claude Chappe présente un projet de télégraphe aérien à l'Assemblée Nationale qui l'autorise à tenter une première expérience de communications entre deux stations établies l'une à Ménilmontant, la seconde à Saint Martin du Tertre. Le député Lakanal assista à l'expérience et rédigea un rapport favorable : Chappe fut alors chargé, avec le titre d'  » ingénieur thélégraphe  » (sic) de construire une ligne entre Paris et Lille. En dépit de nombreux obstacles financiers ou techniques qu'ils rencontrèrent Cl. Chappe et ses collaborateurs réussirent à mener à bien leur mission et le télégraphe commençait à fonctionner au mois d'août 1794.
En quoi consistait donc ce télégraphe dont l'invention fut chaleureusement saluée par Barère devant la Convention ? Le télégraphe Chappe était un système de transmission à distance de signaux effectués par des appareils situés à des distances convenables le long d'une ligne. Chaque appareil était composé de trois bras mobiles : le régulateur et deux indicateurs disposés sur les extrémités de celui-ci. Ces bras mobiles reliés par des câbles aux manettes disposées à l'intérieur de la station pouvaient prendre 196 positions différentes. Il suffisait alors d'établir par convention une correspondance entre chacun de ses signaux et leur signification. Les premières dépêches furent transmises lettre par lettre. Mais il apparut très vite nécessaire d'établir un code dans lequel chaque signal représenterait un mot ou un groupe de mots. Le premier code, établi par Léon Delanoy se composait de 9.999 mots. Puis les frères Chappe utilisèrent trois codes : le vocabulaire des mots (8.464 mots d'usage courant), le vocabulaire des phrases (8.464 phrases ou expressions utilisées également de façon habituelle) enfin un vocabulaire géographique de 8.464 lieux géographiques.
La transmission des dépêches se faisait de la façon suivante : lorsque deux stations en relation directe étaient en état de fonctionnement la transmission commençait. Le mouvement des appareils était donné par un agent appelé stationnaire. Celui-ci se contentait de transmettre des signaux sans en connaître la signification, seuls les traducteurs en possession du code pouvaient effectuer la transcription. Les règles de transmission établies en 1795 furent utilisées jusqu'en 1830. Chaque indicateur pouvait prendre 7 positions différentes, multipliées par les 7 positions de l'autre indicateur, on obtenait 49 combinaisons lorsque le régulateur était en position verticale et 49 lorsqu'il était en position horizontale. Cela représentait au total 98 signaux dont 6 furent réservés à des indications spéciales.
Les transmissions pouvaient donc être assurées grâce à 92 signaux représentant les chiffres 1 à 92. Les dépêches télégraphiques étaient donc chiffrées : chaque chiffre correspondait à un des 92 mots disposés sur chacune des 92 pages du vocabulaire. Rappelons qu'il existait trois vocabulaires différents. Le message indiquait donc au préalable quel vocabulaire devait être utilisé pour déchiffrer la dépêche. La transmission du message commençait ensuite : chaque stationnaire prenait note des signaux et répétait ensuite la dépêche pour une autre station située un peu plus loin. De proche en proche, le message était transmis : à l'arrivée il était déchiffré par un traducteur en possession du code.
Bien qu'assez complexe, ce système permettait, lorsque les meilleures conditions étaient réunies, une très rapide transmission : c'est ainsi que sur la ligne Paris Lille il fallait 2 minutes pour transmettre une courte dépêche et 6 minutes et demi sur la ligne Paris Strasbourg.
M. Henri Gachot dont les études sur le télégraphe Chappe en Alsace sont très importantes donne l'exemple suivant :
 » Au Directeur du Télégraphe à Strasbourg: le réponds à votre dernière dépêche L'armée a battu complètement l'ennemi « .
 » Ces 18 mots, dit M Gachot, ont pu être acheminés par la voie aérienne en utilisant les trois groupes suivants 4/55 – 53/21 et 12/13, soit six signaux pour 18 mots « . (Le Télégraphe aérien en Alsace – Strasbourg 1968).
Les stationnaires finissaient par acquérir une grande dextérité dans la manipulation des appareils. Toutefois liée aux conditions atmosphériques, à la longueur des messages, à la solidité des appareils, la transmission était en général plus longue. Et surtout, elle pouvait être interrompue brusquement par un incident technique ou la montée soudaine d'une nappe de brouillard. Par ailleurs, la nuit, aucune communication ne pouvait être effectuée.
 
LE PREMIER CONSUL ET LE TÉLÉGRAPHE
Ces difficultés ne manquaient pas d'agacer Napoléon qui était désireux, avant tout, de disposer d'un système d'informations rapides et sûres. Aussi l'Empereur gardera toujours une certaine méfiance vis-à-vis du télégraphe aérien. Toutefois, dès le Consulat, Bonaparte prend des mesures pour que le télégraphe aérien soit mis à sa disposition. Le Premier Consul entend même en avoir l'exclusivité. Un décret du 4 vendémiaire an IX (26 septembre 1800) stipule que  » le Citoyen Chappe, ingénieur télégraphe, ne pourra sous quelque prétexte, même pour les détails de son service faire aucune transmission par le télégraphe d'après l'ordre signé par le Premier Consul « .
A cette époque Claude Chappe avait proposé que le télégraphe soit mis à la disposition du public. Cette mesure qui aurait sans doute provoqué un grand développement du procédé est refusée. C'est seulement en 1851 que l'administration des télégraphes sera autorisée à transmettre des dépêches privées. Toutefois, Claude Chappe, qui constate avec amertume la réduction par le Premier Consul des crédits de gestion affectés au télégraphe, fait accepter le principe de la transmission hebdomadaire des résultats de la Loterie. Le télégraphe reste donc exclusivement au service du gouvernement. C'est ainsi que le Premier Consul donna l'ordre d'installer d'urgence une ligne télégraphique entre Paris et Metz afin qu'il pût communiquer avec les plénipotentiaires réunis à Lunéville pour le Congrès diplomatique qui devait s'y tenir. Treize jours après le début des travaux, la ligne était en état de fonctionnement. Ce qui montrait bien que l'équipe animée par Claude Chappe avait acquis une grande efficacité.
 
L'EXTENSION DU RÉSEAU TÉLÉGRAPHIQUE SOUS L'EMPIRE
Malgré les preuves souvent fournies de son efficacité et de son utilité, le télégraphe n'eut pas, sous l'Empire, un développement aussi grand qu'on pourrait le supposer. D'une part, Claude Chappe, son inventeur, disparut.
En dépit du succès que son invention avait obtenue, Claude Chappe souffrait beaucoup de ne pouvoir donner à son oeuvre une extension plus grande. Il avait eu notamment le projet de réaliser un réseau européen de communications télégraphiques mettant en relations les grands ports : Cadix, Amsterdam, Londres, Calais, etc. Il aurait voulu également créer un bulletin télégraphique quotidien donnant chaque jour dans les grandes villes de l'Empire les principales nouvelles. Il avait également poursuivi ses recherches pour améliorer les communications télégraphiques. Napoléon avait d'autre part chargé Abraham Chappe de rechercher le moyen d'établir une communication télégraphique de jour et de nuit entre les côtes de France et celles d'Angleterre. Napoléon pensait, à cette époque, procéder à un débarquement de ses armées en Angleterre. On peut penser que si c'est Abraham qui fut chargé de cette tâche, celui-ci ne manqua pas de demander à son frère Claude de participer aux travaux de recherche qui ne furent pas poursuivis en raison de l'abandon du projet de débarquement. Claude Chappe était atteint alors de cette maladie nerveuse qui devait le conduire au suicide.
Après la mort de Claude Chappe, ses frères qui depuis le début, lui avaient été associés, poursuivirent son oeuvre. Ignace et Pierre Chappe furent nommés administrateurs, tandis qu'Abraham était, sur sa requête, attaché à l'état-major général de la Grande Armée. Abraham s'était présenté lui-même pour assurer ces fonctions auprès de l'Empereur.
Le Directeur du Télégraphe à Boulogne à sa Majesté l'Empereur et Roi,
Sire,
J'ai l'honneur de demander à Votre Majesté de créer une place de Directeur du Télégraphe, attaché à votre Etat-Major, à l'effet de vous suivre partout où DOUS l'ordonneriez et de traduire les dépêches télégraphiques que vous voudriez transmettre ou qui vous seraient adressées.
Outre l'avantage, pour Votre Majesté, de pouvoir communiquer de tous les endroits où il y a des télégraphes, il résultera celui de ne point être obligé de confier à un Directeur inconnu de Votre Majesté, des dépêches qui peuvent exiger une grande confiance en celui qui est chargé de les traduire.
Si ce projet méritait l'approbation de Votre Majesté, j'oserai réclamer de votre bonté l'occasion de vous convaincre de mon zèle et de mon entier dévouement.
J'ai l'honneur d'être avec le plus profond respect, Sire, de Votre Majesté le très humble, très obéissant et très soumis sujet.
A. Chappe
Sa demande ayant été agréée, Abraham Chappe fut nommé, le 30 août 1805,  » directeur des télégraphes  » auprès de la Grande Armée. A ce titre, il était chargé de  » traduire les dépêches télégraphiques que l'Empereur, son lieutenant et son Major Général voudront transmettre ou qui lui seront adressées « . Abraham occupera ces fonctions jusqu'en 1814. Il fut, par ailleurs, chargé de visiter les installations de la ligne Paris-Strasbourg pour voir si elles étaient en état.
Le télégraphe prenait de plus en plus d'importance et Napoléon portait une attention toute particulière à son développement. C'est ainsi que, averti sans doute des créations effectuées dans des pays voisins comme l'Angleterre où un système télégraphique aérien avait été mis en place, l'Empereur demande au ministre de la Marine, l'amiral Decrès des précisions sur les nouveaux systèmes utilisés en France.
 » Faites-moi un mémoire court et bien clair, qui me fasse connaître quels sont les nouveaux télégraphes que vous venez d'établir. Sont-ce des combinaisons de lettres de l'alphabet, comme le télégraphe de terre ou des signaux ? Peut-on envoyer par ces télégraphes l'ordre à l'escadre de Cadix de faire un mouvemen, ou la prévenir de la sortie d'une escadre de Toulon ou de Brest ? « 
On le voit, Napoléon aurait bien voulu disposer d'un réseau qui lui permît de diriger depuis Paris des opérations stratégiques, mettant en mouvement ses armées ou ses escadres du Nord au Sud de l'Europe.
Différentes mesures sont prises dans ce sens: la ligne du Nord est prolongée en 1808 jusqu'à Anvers et à l'entrée des bouches de l'Escaut jusqu'au port de Flessingue. Cette ligne atteindra Amsterdam en 1810.
Vers l'Italie, la ligne Paris-Lyon est prolongée jusqu'à Turin en 1805, jusqu'à Milan en 1809 et enfin Venise en 1810. Napoléon a veillé personnellement au développement du réseau comme en témoigne sa correspondance. Le 16 mars 1809, il écrit au ministre de l'Intérieur :  » Je désire que vous fassiez achever sans délai la ligne télégraphique d'ici à Milan et que dans quinze jours, on puisse communiquer avec cette capitale « .
Le 10 avril de la même année, il écrit au Prince Eugène, vice-roi d'Italie, pour lui préciser que  » le 15, le télégraphe doit communiquer avec Milan, il me tarde bien de savoir que cette communication est ouverte « .
En 1810, le réseau télégraphique atteint son plus grand développement : d'Amsterdam à Venise, de Brest à Vienne, les stations télégraphiques se multiplient et assurent les communications rapides de plus en plus nécessaires à mesure que l'Empire s'agrandit. En fait, le réseau télégraphique est utilisé d'une façon complémentaire aux autres moyens d'information: les courriers à cheval, les estafettes qu'affectionnait l'Empereur continuaient à transporter les messages urgents, parfois même sur des portions de lignes télégraphiques provisoirement interrompues. Sur la ligne Vienne-Strasbourg le télégraphe système Chappe n'ayant pu être installé, il fallut se contenter de transmettre des signaux composés avec des fanions de différentes couleurs.
Au retour de la Campagne de Russie, l'Empereur ordonna la prolongation de la ligne Paris-Strasbourg jusqu'à Mayence. Les travaux furent effectués en deux mois et le 29 mai 1813 les premières dépêches étaient transmises.
 
LE TÉLÉGRAPHE PENDANT LES CENT JOURS
Le retour de l'Empereur et son débarquement au Golfe Juan furent annoncés au gouvernement par une dépêche télégraphique en provenance de Lyon. La progression de l'Empereur fut suivie, heure par heure, grâce aux dépêches qui se succédèrent.
Le baron de Vitrolles faisait télégraphier à Monsieur, frère du roi, une dépêche qui montre bien l'anxiété du roi devant la marche foudroyante de l'Empereur.
 » Sa Majesté ordonne qu'il parte tous les jours deux estafettes pour Paris avec tous les détails qu'on aura pu réunir et que les dépêches télégraphiques se succèdent sans cesse les unes aux autres « .
Le 21 mars, le duc de Bassano expédiait aux préfets la circulaire télégraphique suivante qui fut transmise sur toutes les lignes.
 » S.M. l'Empereur est entré à Paris hier, à huit heures du soir, à la tête des troupes qui, le matin, avaient été envoyées contre elle, et aux acclamations d'un peuple immense « .

Un demi-siècle plus tard, le télégraphe électrique connaissait, sous le règne de Napoléon III, un développement spectaculaire. Le télégraphe Chappe, comme les diligences, disparaissait et le poète Gustave Nadaud regardait avec nostalgie s'arrêter les étranges machines.
Puisque le destin nous rassemble
Puisque chaque mode a son tour
Achevons de mourir ensemble
Au sommet de ta vieille tour
Là comme deux vieux astronomes
Nous regarderons fièrement
Passer les choses et les hommes
Du haut de notre monument.
(Le vieux télégraphe)

Les transmissions dans la Grande Armée

JEAN-CLAUDE QUENNEVAT
Napoléon fut certainement l'un des plus grands novateurs de la guerre de mouvement. Les Campagnes et les manoeuvres  » éclairs  » ne manquent certes pas tout au long de l'Epopée. Malgré l'absence de moyens de transports motorisés, les bataillons de l'armée impériale s'insinuaient sur les arrières de l'adversaire avec une célérité comparable à celle des  » Panzers  » de la dernière guerre mondiale.
Manoeuvre d'Ulm : pour chaque corps d'armée une moyenne de 350 km parcourus en 20 jours, au contact de l'ennemi !
La brigade Lassalle sème la panique à travers la Prusse de 1806 en jalonnant 1.160 km en 25 jours (soit 46 km de moyenne par jour).
Alors on se demande comment un chef comme Napoléon pouvait-il, avec la sécurité nécessaire, déplacer aussi rapidement ses pions sur l'échiquier stratégique, alors qu'il ne disposait ni de l'exploration aérienne, ni du téléphone, du télégraphe ou de la radio ?
A première réflexion, les seuls moyens de transmissions de la Grande Armée s'avéraient la voie humaine et le port d'une dépêche par un cavalier. Nous verrons qu'en fait d'autres moyens étaient utilisés. Néanmoins ces deux premiers appartenaient à la pratique quotidienne et ce sont eux que nous analyserons d'abord.
 
VOIX, TROMPETTE ET TAMBOUR
En dehors de la bataille, il suffisait d'une voix bien assurée pour transmettre aisément les ordres du capitaine à tous les échelons de sa compagnie, car la distance d'un officier au plus proche de ses sous-ordres n'excédait jamais dix mètres, quelle que soit la formation adoptée.
Il en allait tout autrement au combat, en raison de l'ambiance considérablement bruyante dans laquelle les soldats se trouvaient plongés. Les déflagrations de la poudre noire, tant des fusils que des canons entretenaient un vacarme épouvantable que nous avons du mal à imaginer.
 » Je sentais en permanence la terre trembler sous moi « , écrit un soldat blessé sur le champ de bataille de la Moskowa.
A Boulogne, en 1804, il suffit de quelques canons tirant à blanc en accompagnement d'un  » Te Deum  » chanté à l'église Saint Nicolas, pour faire voler en éclat toutes les vitres du quartier.
J'ai moi-même pu comparer en 1969, lors du tournage du film télévisé  » La Grande Armée « , le tir en salve des  » Arquebusiers de France  » armés de fusils modèle 1777 avec le tir à volonté d'une compagnie d'infanterie du contingent, et j'ai constaté combien les armes automatiques modernes s'avéraient moins assourdissantes que leurs aînées.
Dans ces conditions, on comprend combien la transmission verbale des ordres, au combat, se trouvait compromise. Il eût fallu utiliser, comme dans la marine, des porte-voix. Mais nous ne connaissons aucun exemple d'une telle utilisation dans les armées de terre ; l'instrument eût été trop encombrant et surtout moins efficace que ses suppléants, à savoir la trompette et le tambour.
En effet, c'est par l'intermédiaire de ces deux instruments de musique qu'au plein feu de l'action les officiers avaient les meilleures chances de passer un ordre et de le voir immédiatement exécuter.
La trompette était le porte-voix de la cavalerie. Dans l'ordre de bataille, le colonel avait toujours à son côté un brigadier-trompette prêt à traduire son commandement par une phrase sonore bien connue de tous. Celle-ci était reprise par huit trompettes groupés, placés sous le commandement d'un adjudant, ensemble suffisamment puissant pour que tout le régiment puisse percevoir la sonnerie. De cette façon, le colonel pouvait commander  » la charge, la retraite, le ralliement, aux champs, à cheval, en marche « … Plus exactement, les trompettes ne se substituaient pas à l'ordre verbal, mais le précédaient ou le suivaient immédiatement, la phase sonore amplifiant en langage musical ce qui était énoncé en langage verbal.
Dans les troupes à pied, le même rôle échouait aux tambours. Comme les trompettes, ces derniers présidaient aux fonctions journalières de la vie militaire :  » le réveil, la diane, les rigodons du matin, pour les drapeaux, les honneurs à l'Empereur, l'extinction des feux « … Au combat ils évoluaient groupés sur deux rangs, à quinze pas en arrière du premier bataillon de chaque régiment. Ce qui ne les empêchait pas d'être parfois fauchés par la mitraille, avec tout ce que cela pouvait avoir comme répercussion dans la transmission des ordres. Ainsi, lorsqu'à la bataille de Dresde les tambours du 3ème tirailleurs de la Jeune-Garde sont frappés par une volée de biscaïens, on voit les hommes suspendre un moment leur attaque, chacun se demandant :  » Qui vient donc de commander : halte ? « 
A propos des tambours, rappelons que cet instrument était parfois utilisé comme récepteur accoustique : la caisse était posée à terre, la membrane supérieure amplifiait un bruit lointain de mousqueterie ou de déplacement de cavalerie transmis par le sol d'une façon imperceptible ; il suffisait donc d'y coller son oreille pour déceler la proximité ou les mouvements de l'ennemi.
Il ressort de ce que nous venons de dire que non seulement chaque régiment d'infanterie ou de cavalerie possédait, outre sa fanfare, ses tambours ou ses trompettes, mais qu'il en était de même pour toutes les compagnies des autres armes, que ce soit artillerie, génie etc…, ce qui prouve bien qu'à ces musiciens était dévolu un tout autre rôle que de battre ou de sonner la charge. Selon le même principe, tout état-major d'un officier-général comprenait, en plus des aides de camp, la présence permanente d'un trompette : le téléphone du général !
Ainsi donc, tambours et trompettes constituaient-ils, au sein de chaque unité combattante, une arme à part : ils étaient  » les soldats des transmissions  » avant la lettre.
Leur rôle au combat demandait beaucoup de sang froid, car les tambours, uniquement armés d'un sabre-briquet, ne pouvaient guère qu'encaisser les coups sans pouvoir les rendre ; quant aux trompettes, lorsqu'ils se trouvaient confrontés avec l'ennemi, ils agissaient de la sorte: ils rassemblaient prestement trompette et rênes dans la main gauche pour libérer la main droite et tirer le sabre; en cas de surprise ils assommaient l'adversaire en frappant à la tête avec l'instrument brandi de la main droite.
Ces  » hommes des transmissions  » jouissaient donc à juste titre d'une considération au moins égale à celle des autres soldats ; beaucoup bénéficiaient d'une nourriture et d'un logement de sous-officier et touchaient une solde double de celle d'un simple cavalier ou fantassin. Avant l'institution de  » la croix « , ils avaient eu droit aux honneurs particuliers des trompettes ou baguettes d'honneur décernées par le Premier Consul. Aussi serait ce autant une erreur qu'un affront de les confondre avec la fanfare du régiment, composée soit de musiciens gagistes ayant contacté un engagement militaire, soit de civils sans solde entièrement à la charge des officiers, donc soldats d'occasion, tels ceux de l'infanterie a Essling, s'enfuyant aux premiers coups de canon pour aller se réfugier dans l'île de Lobau !
 
LES AIDES DE CAMP
La transmission d'un ordre ou d'un avis particulier ne pouvait évidemment se faire que par estafette, c'est-à-dire par un cavalier léger dûment informé de l'identité du destinataire.
Dans la majorité des cas, la dépêche était écrite à la plume, parfois au crayon, donc pas toujours parfaitement lisible et bien interprétable pour le destinataire ; toutefois les omissions de ponctuation y constituaient la source des erreurs les plus graves.
Théoriquement la sabretache (portée par tous les cavaliers légers au début de l'Empire) était la sacoche plate destinée au transport de la dépêche. En fait, adoptée par les hussards du Roi au milieu du 18e siècle, elle pouvait aisément jouer ce rôle lorsque primitivement elle était suspendue sous la ceinture au contact de la cuisse gauche; mais la mode l'ayant fait descendre à hauteur du mollet, sa destination de boîte aux lettres devint très mal commode. On peut en conclure que sous l'Empire les estafettes ne l'utilisaient guère et plaçaient de préférence le pli à porter dans leur ceinture ou caché sous leur chemise. Cette hypothèse semble bien confirmée par le fait que l'uniforme réglementaire des aides de camp des officiers-généraux, conçu en 1803, ne comportait pas de sabretache.
La fonction principale des aides de camp était en effet de porter les dépêches, tant sur le champ de bataille, où il fallait braver les pires dangers en se faufilant entre les feux de bataillon et en se glissant entre deux charges de cavalerie, que lors de missions à longue distance à travers un territoire ennemi. Ces aides de camp, étant tous des soldats éprouvés avec au moins le grade de lieutenant, Napoléon les préférait aux courriers professionnels qu'il jugeait  » incapables  » parce qu'ils ne donnaient aucune explication sur ce qu'ils avaient vu. La confiance de l'Empereur ne risquait d'ailleurs pas d'être déçue, car ces jeunes gens à la fois généreux et ambitieux, pour la plupart fils de famille de l'ancienne noblesse ralliée à la gloire, s'efforçaient d'accomplir leur mission jusqu'à la limite de leurs forces: Marbot relie Paris à Strasbourg en quarante huit heures, et ne met que trois jours pour parcourir les cinq-cent-vingt kilomètres qui séparent Madrid de Bayonne; sans changer de cheval, un officier de Davout couvre cent-soixante-dix kilomètres en dix-neuf heures en pays ennemi. A travers l'Espagne, menacés sans cesse par les guerilleros, ces courriers isolés risquaient beaucoup, et Marbot écrira à ce sujet  » Je ne crois pas exagérer en portant à plus de deux cents le nombre des officiers d'état-major qui furent pris ou tués pendant la guerre de la Péninsule « .
Chaque maréchal avait à son service au moins une demi-douzaine d'aides de camp (en 1809, par exemple, Lannes en possédait huit et Masséna seize). Mais il n'était pas rare qu'au soir d'une grande bataille la moitié de ces courageux porteurs d'ordre aient été mis hors de combat. Une transmission de bonne qualité se payait donc fort cher à l'époque.
Quant à l'Empereur, il ne se limitait pas à envoyer en mission ses propres aides de camp. Il avait mis sur pied, principalement pour les dépêches de son cabinet, un service d'estafettes spécialisées pourvues d'une grande sacoche de cuir portant sur une large plaque de cuivre la mention  » Dépêches de S.M. l'Empereur et Roi « . Ces courriers dont les plus célèbres furent Moustache, Clérice et Vidal, parcouraient les grandes routes impériales jalonnées de relais tous les huit kilomètres.
 
LA POSTE AUX ARMÉES
Quant à la façon dont les militaires pouvaient communiquer par lettre avec leur famille, le  » règlement sur le service des Postes Militaires  » nous précise qu'à partir de septembre 1809 il existait pour eux :
— à l'intérieur de l'Empire, une correspondance par l'intermédiaire des bureaux des villes de garnison ;
— et en Campagne un service de transmission et de remise assuré par des courriers et des postillons aidés d'employés, sous la surveillance des commissaires de guerre.
La franchise est acquise pour le courrier des militaires aux armées durant les Campagnes uniquement.
Chaque arme a son papier à Iettre illustré d'une vignette coloriée, de facture naïve, représentant un soldat dans l'uniforme correspondant. Ce sont les lettres dites  » de cantinières « , car généralement fournies et vendues par ces dernières; celles destinées à la Garde Impériale ajoutent de chaque côté de l'effigie du combattant celles de l'Empereur et de l'impératrice en médaillons.
Ordres verbaux, roulements de tambours, sonneries de trompettes, envois d'estafettes, telles étaient donc les grands moyens de télécommunications de la Grande Armée.
Toutefois il existait des compléments qu'on ne peut ne peut passer sous silence.
 
LE CANON
D'abord le canon. Tirant  » à blanc « , il pouvait doubler l'effet du tambour; c'était le cas dans les camps comme celui de Boulogne, lorsque par exemple il ponctuait chaque jour le réveil et l'extinction des feux. En Campagne, il annonçait le début d'une grande bataille : trois coups caractéristiques tirés à intervalles égaux par une compagnie de la Garde.
Autre type de liaison acoustique par l'intermédiaire du canon, cet ordre de Soult quelques jours avant Austerlitz :  » En cas où l'adversaire ferait des mouvements aux avant-postes il sera tiré quatre coups de canon d'alarme par une batterie établie sur la hauteur de la Chapelle… et à ce signal la Division Vandamne rejoindra aussitôt celle de Legrand pour se mettre en bataille sur la hauteur située à… « .
Et à grande distance, soit 35 kilomètres à vol d'oiseaux dans le cas présent, la liaison prévue entre l'Empereur et Davout le 22 avril 1809 :  » Si vous êtes prêt à attaquer, écrit Napoléon, tirez à midi une salve de douze coups à la fois, une pareille à 1 heure, une autre à 2 heures « .Dans ces conditions le gros de l'armée accourant de Landshut pourra surprendre l'adversaire à Eckmuhl, au moment précis où il sera fortement engagé contre Davout, donc compromis dans sa liberté de manoeuvre.
L'utilisation visuelle de fusées d'artifices semble n'avoir existé sous l'Empire que dans la guerre de siège. Elle eût été pourtant réalisable sans appareillage particulier et sans utiliser d'artificiers spécialisés, puisque nous savons que n'importe quel fantassin pouvait, sans aucune modification de son fusil, envoyer à plusieurs centaines de mètres dans le ciel des étoiles lumineuses. L'exemple nous en est donné par la soirée du 16 août 1804 à Boulogne, au cours de laquelle furent tirées, à la nuit tombante, 45.000 cartouches à étoiles, éclairant pendant quelques secondes la ville et la rade d'une lumière si intense que ce jeu lumineux fut aperçu de la côte anglaise.
Pour clore cette étude des moyens de télécommunications de la Grande Armée, nous citerons évidemment le télégraphe Chappe, qui par son originalité et sa nouveauté nous a paru mériter un article à part dans ce numéro de notre Revue. Précisons néanmoins que son rôle militaire supposait bien souvent l'utilisation complémentaire d'estafettes : ce fut le cas le 10 avril 1809 lorsque, des Tuileries, Napoléon voulant communiquer d'urgence avec Berthier qui se trouvait à Donauwerth, envoya un message télégraphique de Paris à Strasbourg (perturbé dans sa transmission par le brouillard) et que ce dernier fut repris par un cavalier de Strasbourg à Donauwertll. Bilan : cette missive d'importance avait mis cinq jours pleins pour franchir 700 kilomètres à vol d'oiseau.
 
LE SERVICE POSTAL A PARIS SOUS L' EMPIRE (I)
(1) Extraits de l'Almanach Impérial de 1809 – chapitre des Postes.
JEAN-CLAUDE QUENNEVAT
Ce service représente la  » distribution dans Paris des lettres des départements, de celles venant de l'étranger et des lettres de Paris pour Paris…, la distribution des journaux et des ouvrages périodiques ; l'affranchissement des lettres pour Paris, les départements et l'étranger ; la levée des boîtes dans Paris et l'abonnement au bulletin des lois (notre actuel Journal Officiel) dans toute la France « .
 » Ce service se divise à Paris, entre dix bureaux dont les fonctions et l'emplacement seront indiqués ci après… « .
 » Le bureau central de l'hôtel de la Poste est ouvert tous les jours depuis 8 h du matin jusqu'à 7 h le soir.
On y distribue les lettres adressées  » poste restante  » ; celles chargées des départements pour Paris et celles de Paris pour Paris.
On y trouve pendant trois mois, à compter du jour de l'arrivée à Paris, les lettres sous adresse venues des départements.
A ce bureau, on peut affranchir les lettres, les journaux et les ouvrages périodiques pour Paris « .
Des bureaux de distributions (qui  » partagent la lettres en instance de la Division de Paris, Hôtel des commune de Paris en portions à peu près égales « ) partent les facteurs pour la distribution des lettres.
 » Les lettres mises en rebut restent en dépôt pendant trois mois à compter du jour de l'arrivée à Paris…, et c'est, après ce terme seulement, qu'elles sont envoyées au bureau du chef de la Division de Paris, Hôtel des Postes, où elles sont classées par ordre alphabétique, et où le public peut les réclamer pendant trois mois, et, passé lequel terme, au bureau général des rebuts « .
 » Les lettres inconnues à la destination qu'elles portent  » sont journellement envoyées au bureau des lettres en instance de la Division de Paris, Hôtel des Postes, où elles sont classées nominativement par ordre alphabétique et où le public peut les réclamer. »
Suit la liste de huit bureaux des différents quartiers de Paris, avec pour chaque bureau 1'adresse des boîtes aux lettres (une trentaine par bureau), chaque boîte étant numérotée et ce numéro correspondant au numéro du timbre de la poste.
Un tableau est affiché sur la porte de tous les bureaux de distribution ainsi que sur les 200 boîtes de Paris. Il précise :
— l'heure des levées : du 1er octobre au 30 mars : 5 levées pour Paris, la première de 6 h 3/4 à 7 h 3/4, la dernière de 7 h à 9 h du soir, mais un seul départ pour les départements (vers midi).
du 1er avril au 30 septembre : 6 levées pour Paris, la première de 6 h à 6 h l/2, la dernière de 7 h à 8 h du soir, et toujours un seul départ pour les départements (autour de midi).
— l'heure des distributions : du 1er octobre au 30 mars : 5 distributions pour Paris, la première de 8 h à 9 l1 1/2, la dernière de 7 h à 9 h du soir. du 1er avril au 30 septembre : 6 distributions pour Paris, la première de 7 h à 9 h, la dernière de 7 h à 8 h 1/2.
En petite banlieue, quatre levées et distributions par jour quelque soit la saison.
En grande banlieue, une seule levée et distribution par jour ( » les facteurs partent régulièrement chaque jour des bureaux de distribution à 1 h « ).
Pour la province, en général une levée et une distribution chaque jour de la semaine, ou seulement trois jours par semaine selon l'importance de la localité ( » le public est prévenu qu'il est très essentiel de mettre sur l'adresse le nom du département dans lequel se trouve la commune où l'on écrit « ).
Pour les pays étrangers les lettres seront affranchies non plus par le destinataire mais par l'expéditeur  » sous peine de rester au rebut « .
L'affranchissement sera total jusqu'à destination pour le royaume d'Italie, la principauté de Piombino, Rome, et de nombreuses cités allemandes appartenant à la Confédération du Rhin et tout le Hanovre.
Il sera partiel pour les colonies, jusqu'au port de mer; l'Angleterre, jusqu'à Douvres ; les possessions de la Maison d'Autriche, jusqu'à Strasbourg; l'Istrie et l'Illyrie, jusqu'à Vérone ; les isles d'Italie, jusqu'à Vérone ; le bassin méditerranéen, jusqu'à Marseille ; la Suisse, jusqu'à Huningue ou Pontarlier…
On ne peut affranchir pour les royaumes d'Espagne et de Portugal, pour le royaume de Hollande.
L'affranchissement est facultatif pour la Prusse, tout en demeurant partiel jusqu'à Clèves, Erfurt' Hambourg.
Quelques exemples de durée des parcours par relais de poste en 1809 :
Paris-Anvers………………..3 jours 1/2
Paris-Bruxelles…………….3 jours
Paris-Lille……………………3 jours
Paris-Lyon……………………4 jours
Paris-Mayence……………..5 jours
Paris-Genève………………..6 jours
Paris-Nantes…………………4 jours
Paris-Strasbourg…………..5 jours
Paris-Toulouse……………..8 jours
Paris-Rouen…………………13 heures
Paris-Caen…………………..1 jours1/2
Paris-Bordeaux…………….5 jours

N.D.L R. — Ces renseignements, tirés de l'almanach Impérial de 1809, laissent rêveur l'usager de 1975. En effet, d'une part les cinq ou six distributions quotidiennes à Paris sont depuis longtemps réduites à deux. D'autre part, depuis la mémorable grève d'octobre-novembre 1974, la durée d'acheminement des lettres de Paris à la province est devenue strictement comparable quand elle n'est pas allongée. On n'arrête pas le progrès.

Notes

(1) Le ministère des Postes et Télégraphes sera crée en 1879.
(2) Voyager en poste, courir la Poste, signifiait utiliser les services de la Poste pour voyager. On pouvait bénéficier ainsi de nombreux avantages : priorité sur les routes, réservation de chevaux dans les relais, certitude d'accomplir le voyage dans un délai fixé à l'avance, possibilité de circuler la nuit, les maîtres de poste devant assurer une permanence.
Titre de revue :
Revue du Souvenir Napoléonien
Numéro de la revue :
280
Numéro de page :
2-18
Mois de publication :
mars
Année de publication :
1975
Année début :
1799
Année fin :
1815
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