Napoléon III et la reine Victoria, une visite à l’exposition universelle de 1855

Auteur(s) : LERNER Elodie
Partager

Élodie Lerner, docteur en histoire de l’art et boursière de la Fondation Napoléon en 2001 pour sa thèse sur le thème « Gérard, peintre d’histoire », revient sur la visite diplomatique de la reine Victoria du Royaume-Uni à l’Exposition universelle de 1855, temps fort des relations franco-britanniques du règne de Napoléon III.

Napoléon III et la reine Victoria, une visite à l’exposition universelle de 1855
Edward Matthew Ward, La Reine Victoria et Napoléon III devant le tombeau de Napoléon 1er
Photo © RMN-Grand Palais (domaine de Compiègne) - Stéphane Maréchalle.jpg

Un contexte politique favorable

Y ayant séjourné durant sa jeunesse, Napoléon III connaissait déjà bien l’Angleterre ; l’année 1855 va constituer un moment clef favorable au rapprochement des deux puissances. Leur engagement commun dans la guerre de Crimée en 1854-1856, pour soutenir les Turcs face à la puissance russe, y contribue fortement. Cette alliance politique se traduit par des visites de part et d’autre de la Manche : Napoléon III se rend à Windsor en avril 1855 et Victoria accompagnée du prince Albert et de leurs enfants à Paris du 18 au 27 août.

La famille royale anglaise est installée au palais de Saint-Cloud, réaménagé spécialement pour l’occasion (Le château a entièrement disparu, mais les dix aquarelles des grandes cérémonies envoyées par Napoléon III à Victoria pour noël et les 16 autres commandées par cette dernière permettent d’en garder le souvenir.). Dans son essai, l’historienne de l’art Florence Austin Montenay démontre qu’en attribuant à Victoria la suite moderne et féminine de l’impératrice française Eugénie, Napoléon III traite la reine avant tout comme une femme. Cette entreprise de séduction va contribuer à faire évoluer la relation entre les souverains du domaine protocolaire au terrain amical.

Temps fort de ce voyage, la reine se rend au tombeau de Napoléon Ier aux Invalides : elle se rappelle être restée à la lumière des torches et au son du God save the Queen, « at the arm of Napoléon III his nephew, before the coffin of our bitterest foe » (Traduction : « au bras de Napoléon III, son neveu, devant le cercueil de notre ennemi le plus endurci ».). Dans le catalogue, le lien est fait entre ce contexte diplomatique et l’événement artistique : Emmanuel Starcky (L’exposition a également été conçue par Laure Chabanne, Conservateur au Musée national du château de Compiègne.), Directeur des musées nationaux et du domaine des châteaux de Compiègne et Blérancourt souligne combien l’exposition universelle de 1855 fut un événement désiré par l’Empereur, dans « une démarche tout à fait remarquable ».

Le contexte artistique de l’exposition universelle de 1855

Concept inventé par les Français et les Anglais, mais développé d’abord par ces derniers en 1851 au Crystal Palace de Londres, les expositions universelles ont déjà fait l’objet d’une présentation dans les mairies d’arrondissements parisiens entre octobre 2005 et janvier 2006 et au Musée d’Orsay en 2007 (Les expositions universelles à Paris, de 1855 à 1937, sous la direction de Myriam Bacha, Paris, Action artistique de la Ville de Paris, 2005 ; Les expositions universelles à Paris : architectures réelles ou utopiques, Paris, Musée d’Orsay, 19 juin-16 septembre 2007, Paris-Milan, musée d’Orsay-Cinq Continents, 2007.). Leur traitement sous l’angle des relations franco-anglaises n’avait cependant jamais encore été abordé (En 1935 était paru un ouvrage plus général sur les Voyages et visites de souverains britanniques en France aux XIXe et XXe siècles (Paris, Château de Bagatelle, 1935).). L’enjeu de cet événement est en effet important pour les deux pays, puisque la France jouit d’une supériorité généralement reconnue dans le domaine esthétique, mais souhaite encourager le libre échange et que l’Angleterre bénéficie d’un développement industriel et technique avancé, mais désire favoriser la qualité esthétique de sa production. Dans cette ambiance propice à l’émulation, les deux nations se trouvent souvent confrontées, éclipsant les autres participants dans la plupart des domaines de production, nombreux et variés.

Landseer, Bélier à l'attache, Victoria and Albert Museum. © Victoria and Albert Museum.Le premier et peut-être le plus grand mérite de ce catalogue est sans doute sa volonté d’universalité car à l’image de l’exposition de 1855, les études abordent toutes les formes artistiques. Le catalogue raisonné reprend d’ailleurs la présentation de l’époque par divisions (« produits de l’industrie » au Palais de l’industrie et « oeuvres d’art » au Palais des Beaux-arts) et par classes (par exemple, « sculpture, gravure et pierres fines »). Ce découpage avait été rendu nécessaire par la richesse pléthorique des objets, avec près de 25 000 exposants, regroupés par pays. Réalisée par l’atelier de Ricou, la scénographie de l’exposition essaie aussi de prendre en compte cette dimension universelle, permettant au promeneur d’aujourd’hui d’avoir un aperçu du goût pour l’éclectisme des cinq millions de visiteurs d’antan.

Un demi-siècle de peinture internationale

Au milieu de cette diversité, la rétrospective d’art contemporain marque les esprits : pour la première fois dans l’histoire, 50 ans de peinture internationale s’offrent aux yeux du public. Du côté Anglais, la réputation des aquarellistes de cette période explique leur grand succès en 1855. Aujourd’hui sans doute moins connues, les peintures présentées forment l’une des révélations de l’exposition. L’anglophilie du public français, souvent connaisseur de Byron ou de Walter Scott, explique ce triomphe même si les nouveautés apportées par les préraphaélites (Les préraphaélites cherchent à retrouver la pureté des oeuvres des primitifs italiens, prédécesseurs de Raphaël.) restent encore assez mal comprises.

Mulready, Le choix de la robe de noces, Victoria and Albert Museum. © Victoria and Albert Museum.Du côté français, Ingres, Horace Vernet, Delacroix, tous trois présentés à Victoria, ou encore Decamps tiennent le haut de l’affiche. En dépit de la présence de ces grands noms, les commentateurs sont déçus car la grande peinture d’histoire semble affaiblie et le combat entre classicisme et romantisme épuisé. Face à cette phase qui apparaît comme descendante pour la peinture française, les oeuvres anglaises semblent fortes et en quelque sorte exotiques aux visiteurs.  Blessés dans leur orgueil national par cet intérêt du public pour une production étrangère, les critiques d’art français ont tendance à essayer de rabaisser la qualité de l’école anglaise, lui reprochant de rester dans un style trop narratif, de ne pas assez viser au sublime.  Ce plaidoyer pour le beau idéal est conditionné par les débats contemporains autour du réalisme de Courbet. Au final, le peintre Landseer est le seul Anglais à obtenir une médaille d’honneur. Napoléon III tient cependant à décorer Mulready de la Légion d’honneur.

L’éclectisme d’un rassemblement pléthorique, de la photographie à l’architecture.

Eventail donné par Napoléon III à Victoria, Windsor Castle. © Windsor Castle.A côté de la peinture, d’autres arts et techniques sont à l’honneur en 1855. L’exposition universelle va aussi permettre le plus grand rassemblement d’oeuvres photographiques depuis la divulgation des premiers clichés de Daguerre en 1839. Les instances officielles cantonnent ces oeuvres dans le Palais de l’industrie plutôt que dans celui des Beaux-Arts, quand, en revanche, le public associe l’Angleterre et la France dans un même mouvement de reconnaissance des photographes comme de vrais artistes. Leur maîtrise technique et leur professionnalisation apparaissent dans les images de la  guerre de Crimée, tous premiers tirages commandés par Napoléon III et Victoria.

La réception de la sculpture et des arts décoratifs anglais est plus mitigée. Dans le secteur du mobilier français, les créations dénotent un goût pour les objets du XVIIIe siècle et pour la variété des essences de bois (dont le thuya d’Algérie). Les maisons Fourdinois et Barbedienne remportent deux grandes médailles d’honneur.  L’année 1855 n’est pas un cru exceptionnel pour la céramique et se caractérise par la rivalité entre les manufactures française de Sèvres et anglaise de Minton, sous-tendue  d’enjeux économiques considérables. Si les soieries lyonnaises présentent une qualité supérieure à celle des productions anglaises, celles-ci bénéficient de la puissance de l’outil industriel et de l’importation de tissus des pays constituant l’empire britannique.

Les architectes français se passionnent pour l’antiquité et le moyen-âge quand leurs confrères anglais appréciés dans l’Hexagone font une plus large place à la modernité. Ces derniers se montrent d’ailleurs déçus de ne pas voir à l’exposition universelle de témoignages des innovations récentes du baron Haussmann dans le domaine de l’urbanisme à Paris. Maître-assistant à l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Paris-Malaquais, Philippe Gresset revient sur la part de l’influence anglaise dans les grands travaux d’aménagement exécutés en France.

Influence, échanges et amitié franco-anglais

Meissonier, La rixe, Londres, Royal collection. © Royal collection.L’exposition universelle est aussi l’occasion d’un échange de cadeaux entre souverains.  Une belle vitrine présente un éventail offert par Napoléon III à Victoria. La « Rixe » de Meissonier est achetée au prix fort par l’Empereur qui le donne au prince Albert.
Prenant place dans le cadre de la saison culturelle européenne (1er juillet-31 décembre 2008), cette publication est en quelque sorte une façon de prolonger ces échanges. En piochant dans la bibliographie, étoffée et raisonnée ou dans l’index très pratique pour chercher facilement des renseignements sur une personne, un lieu ou un thème, le lecteur pourra faire encore durer le plaisir.

Pour aller plus loin

Si lors de la visite de l’exposition Napoléon III et la reine Victoria, une visite à l’exposition universelle de 1855, au Château de Compiègne, du 4 octobre 2008 au 19 janvier 2009, vous aviez vu au milieu des 280 oeuvres présentées tel vase d’une forme parfaite, tel tableau aux chatoyantes couleurs et que vous vous plongiez dans la lecture du catalogue espérant en savoir plus sur ces pièces, vous auriez pu être déçu. Les oeuvres exposées ne bénéficient pas de notices développées dans la partie catalogue proprement dite, assez retreinte puisqu’elle n’occupe que 35 pages sur 270.
Ce catalogue offre en revanche une belle somme de connaissances sur le dialogue culturel franco-anglais, à une période où le contexte politique s’y montre favorable.
Lieu et année de parution :
Napoléon III et la reine Victoria, une visite à l’exposition universelle de 1855, catalogue de l’exposition du Château de Compiègne, 4 octobre 2008-19 janvier 2009, Paris, 2008.
Maison d’édition :
Réunion des Musées Nationaux.
Nombre de pages :
271 pages.

Titre de revue :
inédit
Numéro de la revue :
2008
Partager