Napoléon, la série télévisée de GMT Production sur France 2

Auteur(s) : EQUIPE DE LA FONDATION NAPOLÉON
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Napoléon, la série télévisée de GMT Production sur France 2
Le sacre. I. Rossellini / Joséphine - Christian Clavier / Napoléon © Arnaud Borrel / GMT Productions

N’en doutons pas, quel que soit le succès d’audience du Napoléon de France 2, le débat va faire rage, entre les pour et les contre.

Ayant eu la chance de visionner en avant-première l’ensemble de ce programme en quatre épisodes, l’ensemble de l’équipe de la Fondation Napoléon vous livre son sentiment sur cette série de quatre épisodes de 1h40 chacun. Des avis partagés sur des questions de détails, pour se retrouver sur un point essentiel : voici une série que l’on regarde, malgré tout, avec grand plaisir !

De la grande à la petite histoire : le savoir-faire de Didier Decoin


Première remarque, l’expérimenté Didier Decoin ne s’en sort pas si mal. On avouera avoir été fort effrayé en apprenant que le scénario de ce colossal projet (près de 40 millions d’euros de budget) était « adapté de l’oeuvre de Max Gallo » et ne jouissait de l’apport d’aucun conseiller historique. Tous les historiens de Napoléon savent en effet ce qu’il faut penser de la valeur historique de ce roman dont l’auteur a pu dire, avec une modestie de rose, et encore récemment sur France Inter, que son livre était indispensable « puisqu’il évitait de lire tous les autres ». Alors, avouons-le, Didier Decoin, le scénariste, a réussi à tirer le meilleur parti des quatre volumes du romancier-agrégé d’histoire.

On regrettera, bien sûr, un certain nombre d’erreurs historiques, des plus petites (pas si graves) aux plus énormes (très embêtantes). Voici une série grand public, romancée, une série de tableaux mettant en scène « l’homme Napoléon », cependant la mise en contexte politique est par trop simplifiée. Certes, on ne pouvait tout dire mais les raccourcis historiques et chronologiques donnent à croire que certains événements sont liés, alors qu’ils ne le sont pas. En consultant le premier manuel venu, les auteurs auraient ainsi évité de faire du coup d’Etat de Brumaire un coup d’Etat anti-royaliste (alors qu’il fut anti-jacobin, pour l’essentiel), ou d’avoir placé l’arrestation du duc d’Enghien après l’attentat de la rue Saint-Nicaise. Il est regrettable également d’avoir totalement escamoté l’oeuvre civile de Napoléon.

De l’art de la télévision et de ses moyens : un énorme budget que l’on retrouve à l’écran

Ne manquez pas les premières minutes (Napoléon à Sainte-Hélène) ! Très excitantes, avec un jeu de caméra très prometteur, un travail visuel de lignes directrices et de perspective ! Après ça se gâte un peu : l’entrée en scène d’Hudson Lowe frise le ridicule (sans parler de l’invraisemblance historique de la scène).

La difficulté de l’exercice réside dans le fait que le spectateur averti « attend » de voir comment tel fait politique, telle situation militaire ou sociale, tel aspect psychologique, vont être traités, et malheureusement, le rythme, les profils psychologiques, les dialogues, ne permettent pas toujours au spectateur de quitter cette position d’analyse.

Le découpage en petites scènes donne un rythme enlevé à l’ensemble de la série mais les batailles manquent un peu de mordant, de « gnac ». La tension dramatique n’est pas toujours bien dosée, allant d’un méli-mélo lors du coup d’Etat du 18-Brumaire à une surenchère pathétique dans la scène de l’attentat de Saint-Nicaise, alors que l’émeute royaliste à Paris réprimée depuis les marches de Saint-Roch est traitée avec conviction et sans affectation. L’évocation de l’enfance de Bonaparte est outrée (voir les scènes de Brienne) et on ne peut que regretter le ratage final de la mort de l’empereur.

De nombreux décors et lieux de tournage sont authentiques. Les plus observateurs reconnaitront au passage le Petit Hôtel de Bourrienne, les extérieurs du château de Malmaison – toujours enchanteurs -, les intérieurs de la Petite Malmaison, le palais de Compiègne, etc. Evidemment, l’on sera sans doute étonné de voir Napoléon parcourir la galerie des Glaces de Versailles… pour finir sa marche au Louvre, mais avouons que seuls les habitués seront ainsi décontenancés. Quant à l’Hôtel de Monaco (Ambassade de Pologne) transformé en palais des Tuileries, seuls quelques tatillons reprocheront aux décorateurs d’avoir plaqué un décor de style Empire sur un ensemble décoratif Second Empire !

© Arnaud Borrel / GMT Productions
© Arnaud Borrel / GMT Productions

Les costumes font un peu neuf, mais ils sont superbes. Par contre, les plans ne sont pas toujours bien ficelés : le « cadrage » d’Austerlitz après la bataille, est tel que l’on y voit nettement la limite des morts. Les gros plans au « grand angle » arrondissent un peu trop les visages et laissent voir les défauts de maquillage et de peau des comédiens (mais il est vrai que nous avons vu le film en avant-première sur un écran de cinéma). De même, il ne nous a pas semblé habile de montrer longuement le même plan des batailles car les effectifs étant multipliés en image de synthèse, on a le temps de s’apercevoir de la multiplication. Les scènes de bataille, exercice cinématographique par essence (plan large, grand angle), restent difficiles à faire passer sur le petit écran.

A noter tout de même quelques moments magnifiquement réalisés : la première scène de Sainte-Hélène (avant l’arrivée de Lowe) ou, autre exemple, l’exécution du duc d’Enghien.

Ces films ont coûté cher… et cela se voit sur l’écran. Le mérite en revient à Jean-Pierre Guérin, le producteur. Les éloges mérités dont la presse couvre ce super-pro (super-héros ?) depuis quelques semaines… nous dispensent d’en rajouter.

Profils psychologiques : de la déception Talleyrand à l’enchantement Joséphine

Attentat de la rue Saint-Nicaise. G. Depardieu / Fouché © Arnaud Borrel / GMT Productions
Attentat de la rue Saint-Nicaise. G. Depardieu / Fouché © Arnaud Borrel / GMT Productions

La psychologie de l’époque est assez malmenée. Les dialogues sont « adaptés » à l’extrême, tant ils sont truffés d’expressions contemporaines et de tournures « populaires » qui faussent les relations entre Napoléon et son entourage. On s’étonne alors de ce Napoléon qui ne travaille jamais, est toujours seul, très accessible : on s’attend à tout moment à voir son valet de chambre ou son mamelouk lui taper sur l’épaule.

Dans l’entrevue Bonaparte/Fouché, Fouché, le « mitrailleur de Lyon » semble trembler devant le Premier consul. Il ne ressemble guère au Fouché de Madelin « complice de Brumaire… avant, pendant et après. Avant tout il en élabora le programme, en chercha le principal acteur, qui se serait nommé Joubert ou Moreau, s’il ne se fût appelé Bonaparte… Laissant sans dénonciation et sans répression les menées des « conspirateurs », il avait été pour les uns un commode et indulgent surveillant, pour d’autres plus encore, un conseiller et un tentateur ». Il n’était pas nécessaire de menacer Fouché pour qu’il fasse partie du nouveau régime… il y était déjà.

Les rôles de Talleyrand, Murat, Fouché ou Hortense de Beauharnais, campés par des comédiens qui n’ont, semble-t-il, ni reçu ni pris d’informations sur leurs personnages. On fait jouer à John Malkovitch, un Talleyrand sale et mal attifé, toisant ironiquement Napoléon et lui parlant comme à un inférieur, tournant sa canne dans sa main comme une majorette. Le rôle de Caulaincourt est sur-dimensionné, mais il est vrai qu’à l’origine, il était pour Gérard Depardieu.
L’enchantement vient d’Isabella Rossellini, interprétant avec délicatesse une Joséphine peu à peu rongée par les conséquences, politiques, de son âge.

Christian Clavier joue Bonaparte et Napoléon, et gagne dans l’ensemble son pari

Christian Clavier / Napoléon © Arnaud Borrel / GMT Productions
Christian Clavier / Napoléon © Arnaud Borrel / GMT Productions

Le pari était difficile car Christian Clavier est à ce jour le seul acteur à avoir joué le rôle de Bonaparte et de Napoléon dans une même série. Mais le parti pris des auteurs de montrer  » l’homme Napoléon » supprime tout le charisme, toute la majesté auxquels on s’attend pour un tel personnage : Clavier se doit de jouer alors un Napoléon, disons-le, presque « popote », les nombreuses scènes de Napoléon évoluant dans un cercle intime brouillent l’image d’un Empereur conquérant puis maître d’une partie de l’Europe, car les scènes politiques demeurent faibles. On comprend la difficulté de Clavier, malgré tout son talent et son métier, à étoffer un personnage que l’on a rogné pour lui. Il n’en réalise pas moins une fort belle performance et n’a pas à rougir de son Napoléon, loin s’en faut.

Malgré ses défauts, une série à ne pas manquer !

Le plus étonnant, c’est qu’après six heures de projection, on n’arrive pas à ne pas aimer ces téléfilms. Toutes les petites choses un peu ratées ne font pas que l’ensemble l’est. Après tout, le Napoléon d’Abel Gance est truffé de raccourcis et d’erreurs historiques, celui de Guitry est drôle tant il est naïf. Celui de France 2 prendra donc sa place dans cette cohorte de tentatives de montrer Napoléon. Tentative toujours audacieuse, tant il est vrai que le personnage revêt autant de profils et d’images qu’il a d’admirateurs et de détracteurs ! Celui-ci apprendra sans doute bien des choses à ceux qui découvriront l’histoire napoléonienne à travers lui. Et le tout sans ennui, en se distrayant.

On lui souhaite donc un bon succès d’audience.

Titre de revue :
inédit
Mois de publication :
octobre
Année de publication :
2002
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