Napoléon vu par Balzac : un mythe édifié par un futur empereur des lettres

Auteur(s) : CROSNIER Étienne
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« Napoléon, sous la plume de Balzac, est l’un des exemples de tout ce que la littérature a transformé en mythes. » Pierre Brunel, Dictionnaire des mythes littéraires – 1988

Des premiers romans (1829) à Une ténébreuse affaire (1841), en passant par Le Colonel Chabert (1832-1844) et Le Médecin de campagne (1833), l’œuvre monumentale d’Honoré de Balzac nous initie à la fabrication d’un mythe en littérature, celui de Napoléon Ier. Ce mythe relève à la fois de la légende du chef, implacable et altier, cinglant à l’égard de ses subordonnés, mais aussi – et surtout – des qualités méconnues de l’homme, proche de ses soldats et de son peuple, pour lequel il codifie les règles du « vivre ensemble ». Alors, quel aspect du personnage La Comédie humaine a-t-elle voulu nous léguer ?

Napoléon vu par Balzac : un mythe édifié par un futur empereur des lettres
Honoré de Balzac, par Louis-Auguste Bisson (1842) © Paris Musées

 

1. Biographie à succès et invasion d’objets

 Le mythe de l’Empereur ne trouve pas sa source chez Balzac. En 1827 paraît en effet une Histoire de Napoléon de Jacques Marquet de Montbreton, baron de Norvins (17691854), qui rencontre aussitôt un immense succès : vingt-deux éditions, jusqu’à la dernière parue en 1839. Constamment réédité depuis, l’ouvrage inaugure une série de publications qui vont nourrir la légende napoléonienne en dépassant largement le cercle des initiés.

Pour ce fervent admirateur de Napoléon et biographe de ses contemporains, il s’agit avant tout de présenter au public les caractéristiques d’un « être à part », dans son habileté comme dans ses excès, sous les traits du héros révolutionnaire inaugurant une nouvelle ère :

« Napoléon a été l’étude de ma vie depuis le 18 Brumaire. Dès cette époque, j’avais conçu le dessein de représenter dans un tableau fidèle cet homme imprévu et neuf dans l’Histoire. Sous le Consulat et l’Empire, je m’attachai à recueillir et à mettre en ordre de nombreux matériaux… mais par degrés, l’étendue et les difficultés de l’entreprise, comparée avec mes forces, m’inspiraient du découragement. L’examen de la vie de Napoléon, me disais-je, laisse dominer trois grands caractères : l’excès du génie, l’excès de la fortune et l’excès du malheur. » […] « Voilà comment Napoléon explique Napoléon ; je me suis étendu particulièrement sur son caractère, parce que j’ai cru ce préliminaire indispensable pour préparer le lecteur à l’histoire d’un homme dont la vie nous présente un être à part, sans aucun terme de comparaison avec les fastes du monde. Quant à moi, je déclare que je n’aurais pas entrepris d’écrire cette grande histoire si je ne m’étais senti également possédé du besoin de rendre hommage à la vérité et du désir d’honorer la France. »

Une « grande histoire » qui ne laisse personne indifférent à l’aube des années 1830, à commencer par le jeune Balzac. Ce dernier n’est pas encore l’auteur fécond de La Comédie humaine. Ses œuvres de jeunesse, qu’il reniera, n’ont guère rencontré leur public. À l’époque, il se débat avec la gestion d’une fonderie typographique et se retrouve bientôt couvert de dettes. Pour rembourser ses créanciers (dont le premier d’entre eux est sa mère), il décide de gagner sa vie avec ce qu’il sait faire encore de mieux : la littérature.

Nul doute que le jeune Honoré, rompu au monde de l’édition depuis ses premiers mélodrames, vaudevilles et autres romans de 1822, n’ait été informé très tôt de l’existence de cette biographie de Norvins, dont le sujet le fascine. À ce titre, il recueille depuis plusieurs années des détails personnels sur la vie publique et privée de Napoléon, grâce à trois sources précieuses – trois femmes : la duchesse d’Abrantès (1784-1838), veuve Junot, maîtresse puis amie intime de l’écrivain qui l’aidera à rédiger ses Mémoires ; Laure de Berny (1777-1836), très proche d’André Campi, secrétaire de Lucien Bonaparte au ministère de l’Intérieur ; et Lætitia Bonaparte (1804-1871), avec qui il entretient une relation épistolaire de longue durée.

Par ailleurs, depuis la mort de Napoléon à Sainte-Hélène, les conversations vont bon train et d’innombrables objets de collection, disséminés par les soldats démobilisés de la Grande Armée, circulent de main en main. Balzac, en quête de renommée, découvre dans la figure de l’Empereur un modèle hors normes, qui n’a pas d’équivalent dans la littérature française du XIXe siècle. Puisque Norvins a créé la légende napoléonienne dans la catégorie « biographie », l’écrivain fera de même dans sa catégorie de prédilection, les « nouvelles et romans ». Sur une vingtaine d’ouvrages prévus dans les « Scènes de la vie militaire », l’écrivain n’en terminera que deux, mais qui vont compter pour la construction du mythe : Les Chouans (1829) et, à un degré moindre, Une passion dans le désert (1830).

L’intrigue des Chouans, son deuxième succès d’estime après La Physiologie du mariage, se déroule en 1799. Entre royalistes bretons et révolutionnaires, l’écrivain montre que la seule voie possible est celle d’un nouveau régime, en l’occurrence le Consulat de Bonaparte, même s’il se garde bien de le mentionner explicitement. Mais son coup de génie consiste à installer la personnalité diffuse du général au milieu du vide créé par les deux factions rivales, puis à conforter celle-ci dans les œuvres suivantes, en particulier Le Médecin de campagne, comme le symbole récurrent d’un peuple entièrement acquis à sa cause.

2. Un mythe littéraire fort comme un monument

 Simultanément, l’arrivée de Louis-Philippe au pouvoir comme lieutenant-général du royaume réveille la flamme napoléonienne dans la société française, saturée de quinze années de Restauration. Le Roi des Français, soucieux de préserver un « juste milieu » politique, n’a cependant pas l’étoffe d’un héros. Il s’efforce de garantir à son électorat – la bourgeoisie des villes, les nostalgiques de l’Empire et les notables de l’Ancien Régime – la paix intérieure et extérieure du royaume en consacrant l’Histoire, afin de canaliser les énergies vers le développement économique du pays. Il lui faut alors quelques symboles forts et visibles : ce seront l’Arc de triomphe et l’obélisque de la place de la Concorde, inaugurés en 1836, avant la cérémonie aux Invalides quatre ans plus tard. Pour Louis-Philippe, l’étalage impressionnant des victoires de la Grande Armée, mais aussi l’accès à un lieu de recueillement hautement solennel, ne peuvent que renforcer durablement les sentiments du peuple autour d’une seule et même figure héroïque – et donc freiner les appétits individuels, tout en stabilisant son régime.

Balzac, lui, s’intéresse justement à ces destins hors normes, transcendés ou écrasés par les caprices du système ou la marche de l’Histoire. Il choisit comme toile de fond les périodes du Consulat, du Premier Empire ou de la Restauration, pour y transposer ses intrigues et éviter une cascade de procès en diffamation avec ses contemporains, qui pourraient se reconnaître dans la description de ses personnages. De 1829 à 1832, il publie trois nouvelles dont les protagonistes sont des victimes collatérales du Consulat et du Premier Empire : un soldat égaré lors de la campagne d’Égypte (Une passion dans le désert), une femme devenue amnésique pendant la retraite de Russie (Adieu) et une jeune Corse éperdument amoureuse d’un officier de la Garde impériale, blessé à Waterloo et recherché par la police (La Vendetta, qui inaugurera les « Scènes de la vie privée » de La Comédie humaine).

L’écrivain comprend tout de suite que la vie, la mort et le culte de Napoléon, fondations de son œuvre littéraire, donnent naissance à un mythe qui dépasse de très loin le cadre militaire : Adieu sera ainsi inclus dans les « Études philosophiques », Le Médecin de campagne (1833), Le Colonel Chabert (1832-1844) et Une ténébreuse affaire dans les « Études de mœurs », ce dernier bloc étant subdivisé en « Scènes de la vie privée », « Scènes de la vie de campagne » et « Scènes de la vie politique ». En s’inspirant de l’activité boulimique de son modèle, le projet de Balzac se déploie à partir des nombreux récits qui gravitent autour de l’Empereur et dont les valeurs – épique, morale, politique, humaine – en garantissent le succès auprès de tous les publics. Ce projet sera plus tard inclus dans une architecture présentée en 1841, vrai plan de bataille que nous connaissons bien aujourd’hui[1].

3. Premier chef d’État moderne, ou monstre d’orgueil

La lecture du mythe balzacien se situe au moins à deux niveaux : celui du guide, et celui de l’homme.

D’abord, dans les Mémoires de deux jeunes mariées (1832-1841), l’une des correspondantes écrit :

« En coupant la tête à Louis XVI, la Révolution a coupé la tête à tous les pères de famille […] En voulant devenir une nation, les Français ont renoncé à être un empire. »

Le Médecin de campagne (1833) tente de réparer cette erreur tragique de l’Histoire en présentant Napoléon comme le Père providentiel, se substituant aux martyrs de la Révolution et aux soldats tombés au champ d’honneur, réconciliant nation et empire, famille et État :

« On dit aussi qu’il pleurait la nuit sur sa pauvre famille de soldats. »

Dans cette œuvre, l’Empereur n’est plus le centre d’une galaxie de brebis égarées, comme dans ses premières nouvelles, mais un guide et un bienfaiteur aimé, un « bon homme », « un homme d’esprit », certes plus aimable mort que vivant, mais dont l’âme vient sauver les consciences du joug qui les asservit :

« Vous êtes un brave homme, mais Napoléon aussi était un bon homme ; sans l’Angleterre, vous vous seriez entendus tous deux, et il ne serait pas tombé, notre empereur ; je peux bien avouer que je l’aime maintenant, il est mort ! » (chapitre II, « Le Napoléon du peuple »)

« Le génie des Colbert, des Sully n’est rien s’il ne s’appuie sur la volonté qui fait les Napoléon et les Cromwell. […] parce que, voyez-vous, l’empereur, qu’était aussi un homme d’esprit, se fait bien venir de l’habitant, auquel il dit qu’il est arrivé pour le délivrer. » (chapitre III)

Il est ce parangon de vertus infaillibles, exposé au feu sur le champ de bataille et aux coups bas dans la vie civile. Le Colonel Chabert, vieux soldat rescapé de la bataille d’Eylau, refuse ainsi toute transaction déshonorante avec sa femme, remariée à son insu. Il préfère mourir dignement et anonymement dans un hospice.

Pourtant, un exemple ne suffit pas à faire un mythe. Si le « Napoléon des lettres »[2] met en scène, en l’espace de vingt ans, une armée de plus de deux mille personnages, il ne fait pas de l’Empereur un modèle de sainteté. Son point de vue sur l’homme se veut ainsi beaucoup moins élogieux après 1840. Sous sa plume, ce dernier n’est plus seulement ce « prodigieux phénomène de volonté »[3], héros admirable dans la victoire comme dans la défaite, ou père consolant des familles en deuil, il est aussi cet homme orgueilleux, à l’origine de sa propre chute et de celle de son empire, parce qu’il voulait trop ressembler aux dieux – et c’est d’ailleurs ici que Balzac trouve (involontairement ?) le sens et la réalité du mythe littéraire qu’il veut parachever dans son œuvre :

« – Oh ! n’en voulez pas à Napoléon, dit Daniel d’Arthez en laissant échapper un geste naïf, ce fut une de ses petitesses d’être jaloux du génie littéraire, car il a eu des petitesses. Qui pourra jamais expliquer, peindre ou comprendre Napoléon ? Un homme qu’on représente les bras croisés, et qui a tout fait ! qui a été le plus beau pouvoir connu, le pouvoir le plus concentré, le plus mordant, le plus acide de tous les pouvoirs ; singulier génie qui a promené partout la civilisation armée sans la fixer nulle part ; un homme qui pouvait tout faire parce qu’il voulait tout ; prodigieux phénomène de volonté, domptant une maladie par une bataille, et qui cependant devait mourir de maladie dans son lit après avoir vécu au milieu des balles et des boulets ; un homme qui avait dans la tête un code et une épée, la parole et l’action ; esprit perspicace qui a tout deviné, excepté sa chute ; politique bizarre qui jouait les hommes à poignées par économie, et qui respecta trois têtes, celles de Talleyrand, de Pozzo di Borgo et de Metternich, diplomates dont la mort eût sauvé l’Empire français, et qui lui paraissaient peser plus que des milliers de soldats ; homme auquel, par un rare privilège, la nature avait laissé un cœur dans son corps de bronze ; homme rieur et bon à minuit entre des femmes, et, le matin, maniant l’Europe comme une jeune fille qui s’amuserait à fouetter l’eau de son bain ! Hypocrite et généreux, aimant le clinquant et simple, sans goût et protégeant les arts ; malgré ces antithèses, grand en tout par instinct ou par organisation ; César à vingt-cinq ans, Cromwell à trente ; puis, comme un épicier du Père La Chaise, bon père et bon époux. Enfin, il a improvisé des monuments, des empires, des rois, des codes, des vers, un roman, et le tout avec plus de portée que de justesse. N’a-t-il pas voulu faire de l’Europe la France ? Et, après nous avoir fait peser sur la terre de manière à changer les lois de la gravitation, il nous a laissés plus pauvres que le jour où il avait mis la main sur nous. Et lui, qui avait pris un empire avec son nom, perdit son nom au bord de son empire, dans une mer de sang et de soldats. »[4]

Sisyphe édifiant un palais démesuré, Prométhée dérobant le feu sacré, Tantale subtilisant le nectar et l’ambroisie, mais aussi Hercule tuant des membres de sa famille dans un accès de démence, le mythe balzacien, bâti sur des paradoxes intenables pour le commun des mortels, est pourtant fait de cette étoffe supérieure qui nourrit les rêves et entretient la nostalgie : son Napoléon ne subit ainsi aucun châtiment éternel et est moralement réhabilité post-mortem. Après l’aventurier de Norvins, héritier de César et d’Alexandre le Grand, qui voulait faire de l’Europe la France, Balzac a certes esquissé les contours d’un dangereux mégalomane, mais il nous lègue surtout une figure dotée d’un sens aigu de l’Histoire, seul homme d’État depuis Louis XIV : « Tout arbitraire et tout justice à propos, le vrai roi ! »[5] s’écrie le comte Henri de Marsais. Plus qu’un demi-dieu, un grand homme reçu avec faste par tout un peuple qui lui pardonne bien volontiers ses contradictions et sa démesure. Après Autre étude de femme (1842), Napoléon n’apparaît plus dans le cycle de La Comédie humaine : grâce à Balzac, il a trouvé sa vraie place, la première dans notre mythologie moderne postrévolutionnaire, celle où l’habit de nos rêves apparaît décidément trop grand pour nous.

4. Une ténébreuse affaire, ou la face obscure d’une justice immanente ?

Avant d’abandonner Napoléon à l’imaginaire collectif, Balzac décrit dans Une ténébreuse affaire (1841), qui coïncide avec le baptême public de La Comédie humaine, l’un des curieux symptômes de sa personnalité, qui brouille quelque peu la perception du mythe : le pouvoir par la crainte, entretenu par le jeu des apparences.

L’action se situe en province, entre 1803 et 1806. Le général et la Grande Armée sont sur le champ de bataille d’Iéna. Autour de lui, son administration s’agite. Fouché, ministre de la police, et Corentin, son « âme damnée », traquent des comploteurs royalistes. Ils font même enlever un sénateur pour incriminer quatre jeunes aristocrates et un paysan, provoquer une affaire d’État et frapper l’opinion par la violence de la répression.

Fouché, qui cherche aussi à destituer Napoléon, incarne l’échec du parvenu opportuniste et sans idéal. À l’opposé, la comtesse Laurence de Cinq-Cygne, qui souhaite la mort de l’Empereur, reste fidèle à ses convictions. Lorsqu’elle se rend au front pour solliciter la grâce de son garde-chasse, elle se trouve face au chef suprême, qu’elle n’identifie pas tout d’abord et qui lui énonce une de ses vérités dont il a le secret :

« Voici, dit-il avec son éloquence à lui qui changeait les lâches en braves, voici trois cent mille hommes, ils sont innocents, eux aussi : Eh bien, demain, trente mille hommes seront morts, morts pour leur pays. »

Entre Fouché et la comtesse de Cinq-Cygne, Napoléon choisit le fonctionnaire de police, sans relief et manipulable à merci, pour des raisons évidentes de maîtrise du pouvoir. Loin du héros militaire ou du sauveur providentiel des œuvres antérieures, Balzac brosse alors le portrait d’un Empereur dominateur et sans état d’âme, juge immanent réglant les destins de personnes comme il déplacerait un bataillon d’un claquement de doigt, figure apocalyptique – « sur un cheval blanc richement caparaçonné » -, trop intimidante pour le commun des mortels – « Il avait ôté sa fameuse redingote, et alors son célèbre uniforme vert, traversé par son grand cordon rouge, rehaussé par le dessous blanc de sa culotte de casimir et de son gilet, faisait admirablement bien valoir sa pâle et terrible figure césarienne. » – qui rend la dernière partie de l’ouvrage, « Un procès politique sous l’Empire », longue et inutile. Une apparence de tyran qui ne résiste cependant pas à l’analyse : « […] il est clair que Bonaparte fut joué comme un enfant par M. de Talleyrand et Fouché, qui voulurent le brouiller irrévocablement avec la maison de Bourbon […] »

Car ce que veut surtout montrer l’écrivain, c’est la nature inépuisable de cet homme complexe, enfant insatiable, qui finit par emporter son adhésion et la nôtre. Pour Balzac, le mythe de Napoléon, au-delà des turpitudes et des ruses de la vie politique incarnées par un Talleyrand ou un Fouché, s’est construit sur la volonté et l’audace d’un seul individu, désireux de transformer son propre destin en gloire nationale, symbolisée par des monuments historiques et un monument littéraire – le sien. La Comédie humaine offre ainsi à la légende le cadre de la fiction littéraire, où la tradition orale relate avec une énergie toute militaire l’épopée napoléonienne, avant que l’analyse balzacienne ne s’empare de Napoléon lui-même :

« – Monsieur, avec des récits pareils, la France aura toujours dans le ventre les quatorze armées de la République, et pourra parfaitement soutenir la conversation à coups de canon avec l’Europe. Voilà mon avis » (Le Médecin de campagne)

Conclusion

Si aucun ouvrage n’est exclusivement consacré à Napoléon dans La Comédie humaine, Balzac tisse, en une poignée d’ouvrages, une double représentation du personnage : un César moderne, qui n’oublie pas de légiférer pour son peuple, et le père/enfant de sa propre légende, bouleversant dans son incapacité à descendre parmi ses semblables.

Pour l’écrivain, disciple de grands naturalistes comme Cuvier ou Geoffroy de Saint-Hilaire, la position dominante de l’Empereur ne peut se comprendre que dans la multitude d’acteurs, partisans dévoués ou farouches ennemis, qui ont jalonné et prolongé son parcours. Une fois ses cendres déposées aux Invalides, Napoléon a définitivement épousé la France, avec la bénédiction de l’Histoire, mais aussi grâce à la contribution visionnaire de Balzac, qui a su donner corps au mythe bien avant l’hommage national devant sa dépouille. Du « Napoléon du peuple » (Le Médecin de campagne) au chef militaire, expert en aphorismes[6] lors de l’entrevue avec Laurence de Saint-Cygne (Une ténébreuse affaire), le mythe, relevant à la fois du fidèle grognard, de l’homme de fer et du précurseur du droit moderne, est rehaussé, dans l’œuvre de l’écrivain, par un attachement indéfectible à l’unité populaire et à la grandeur de la France, sur lesquelles les Républiques tableront ensuite pour affermir leur équilibre.

Étienne Crosnier, décembre 2020

[1] http://hbalzac.free.fr/plan.php

[2] Paul Bourget, L’Art du roman chez Balzac – 1926

[3] Honoré de Balzac, Autre étude de femme – 1842

[4] Honoré de Balzac, ibid.

[5] Honoré de Balzac, ibid.

[6] « Sachez, mademoiselle, qu’on doit mourir pour les lois de son pays, comme on meurt ici pour sa gloire… » Une ténébreuse affaire

Titre de revue :
inédit
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