« Peut-on encore parler de Napoléon ? », compte rendu d’une matinée d’études

Auteur(s) : EQUIPE DE LA FONDATION NAPOLÉON
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À l’occasion de la demi-journée d’études organisée à l’ICES avec la Fondation Napoléon le 25 novembre 2022 dans le cadre de la Chaire Napoléon, plusieurs historiens ont tenté de répondre à l’épineuse question « Peut-on encore parler de Napoléon aujourd’hui ? ». Lors du bicentenaire de la mort de Napoléon Ier en 2021, les polémiques n’ont pas manqué sur différents thèmes, d’où cette prise de parole des historiens.

« Peut-on encore parler de Napoléon ? », compte rendu d’une matinée d’études

Il n’a point été question de faire l’apologie de Napoléon mais avant tout de rétablir des faits qui ne contribuent pas tous d’ailleurs à une vision positive de la mémoire de l’empereur. Il convient toujours de rappeler le contexte historique, et, comme l’a souligné dans son introduction à la journée Thierry Lentz – directeur de la Fondation Napoléon – de porter un regard critique aussi impartial que complet. Ainsi pourra-t-on mieux combattre les idées reçues et enrichir nos connaissances. Dans notre société, Napoléon et son héritage se retrouve à peu près partout : l’organisation de l’Etat, sa laïcité, la création d’un corps constitué d’enseignants, les chambres de commerces, les prud’hommes ou encore le Code Civil pour ne citer que ces exemples. Pour ce dernier sur les 2281 articles adoptés en 1804, plus de la moitié sont encore en vigueur. Depuis plus de deux cents ans, une sorte d’ « identité de mœurs » d’inspiration napoléonienne régit ainsi notre quotidien.

S’agissant du thème du genre, sujet sensible s’il en est dans notre société, Jean-Philippe Rey s’est prononcé pour une meilleure prise en compte du rôle des femmes dans l’histoire, notamment concernant l’histoire du Premier Empire. Il s’agit moins en l’occurrence d’opposer les sexes et de faire une guerre au genre masculin mais plutôt d’avoir un prisme de lecture différent à l’aune des sujets de société qui marquent et questionnent notre époque. Il a ainsi évoqué l’ouvrage majeur signé par Georges Duby et Michelle Perrot, L’histoire des femmes en Occident, qui voit cette histoire comme une « histoire résolument relationnelle qui interroge la société toute entière et qui est, tout autant, histoire des hommes ». Peu importe en réalité le genre mais compte davantage l’histoire de toutes les relations humaines sans lesquelles l’histoire serait incomplète voire biaisée. Traiter du genre en histoire ne doit pas se faire pour déconstruire mais seulement pour apporter des réflexions complémentaires et permettre de renouveler les questionnements.

Lors d’une seconde intervention, François Houdecek a rappelé combien il était difficile de connaître exactement le nombre de morts à la guerre sous le 1er Empire. Il préfère d’ailleurs utiliser le terme de « pertes » car aux morts sur le champ de bataille, il faut ajouter aussi ceux qui périrent à cause de leurs blessures, mal soignés ou par manque d’hygiène, les déserteurs, les disparus ou les soldats n’ayant jamais pu ou voulu rentrer en France. D’après les dernières estimations, il apparaît que pour un total de 2 200 000 mobilisés, on estime le nombre de morts à 870 000. Si l’on ajoute les catégories mentionnées plus haut, le million de « pertes » est sans doute allègrement dépassé.

Cependant lorsqu’on compare le bilan des guerres napoléoniennes à celui d’autres époques, on se rend compte que la bataille d’Azincourt (lors de la guerre de Cent ans en 1415) a fait plus de morts que celle de Wagram en 1809 et que celle de Marignan (en 1515 pendant les guerres d’Italie sous François 1er) est comparable côté Français en termes de mortalité. Pendant ses cinquante-quatre ans de règne, Louis XIV a par exemple été en guerre en moyenne tous les deux ans, ce qui causa de nombreuses pertes mais c’est un sujet qu’on évoque très peu au regard d’autres le concernant : le château de Versailles, la vie et les festivités de cour, les réformes de Colbert, de son intendant des finances Fouquet, etc.

Pourquoi insiste-t-on autant sur les morts des guerres napoléoniennes alors que pour d’autres périodes de l’histoire, ce sujet est bien moins mis en avant ? Sans doute parce qu’avant d’être Empereur Napoléon a été un soldat, qu’il a eu une carrière militaire dans laquelle il s’est illustré à de nombreuses reprises avant d’avoir une carrière politique. Autre explication, la période napoléonienne n’est finalement pas très éloignée de la nôtre et des guerres « plus modernes » mais également bien plus meurtrières.

Dans un troisième temps, Thierry Lentz a évoqué le sujet de Napoléon et l’esclavage. Le 20 mai 1802, si Napoléon a effectivement rétabli l’esclavage dans les colonies, on ne peut résumer son action comme cette histoire à cette décision regrettable. Elle est intervenue dans un certain contexte et faisait suite à une série d’évènements qui l’explique – sans l’excuser – pour partie. L’origine du maintien dans certaines colonies puis du rétablissement dans d’autres tient au fait économique qui avait dès l’origine causé l’apparition du commerce d’esclaves dès le règne de Louis XIII. Dans les Caraïbes, à Saint-Domingue en particulier, l’exploitation du sucre basé sur l’esclavage fit la fortune du commerce français avant que la Révolution ne vienne tout bouleverser.

Plus encore que les bons sentiments, la guerre contre les Anglais et les révoltes d’esclaves ayant conduit à leur première émancipation ont motivé la première abolition en 1794 soit tout de même cinq ans après la déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Parvenu au pouvoir, après avoir hésité, Bonaparte voulut à la fois rétablir l’ordre dans des colonies marqués par les insurrections et la guerre comme ranimer un système économique devenu moribond, confronté à la pression des colons. Napoléon n’a jamais eu de velléités génocidaires comme on l’entend dire parfois. Les esclaves représentant la base d’une manne économique, il n’aurait jamais eu l’idée de la mettre en péril. Il reste toutefois de nombreuses zones d’ombre à étudier sur cette période dans les anciennes colonies et Thierry Lentz a insisté sur le fait qu’il fallait étudier, de concert avec les historiens d’Outre-Mer, l’histoire et la remise en perspective de la politique napoléonienne sans mélanger les genres même si les faits avérés sont graves.

La dernière intervention, conduite par Arthur Chevallier, jeune historien, a traité du rapport de Napoléon à l’enfance ; aussi bien la nôtre puisqu’avec son bicorne emblématique Napoléon frappe les imaginaires très tôt ; qu’à l’enfance même de Napoléon, ce grand homme qui serait resté quelque part un grand enfant toute au long de son existence. Comme le souligne Arthur Chevallier, cette tendance ne se retrouve point chez d’autres chefs d’Etats tels que Charlemagne, Charles Quint, Henri IV, Louis XIV ou encore Louis XVIII qui furent d’emblée des rois « adultes », préférant renoncer à leurs passions intimes pour ne se consacrer qu’à leur charge. Comme François 1er, Napoléon n’a en revanche renoncé à rien et n’a fait aucune concession de personnalité ou d’habitude de vie. On peut dès lors s’interroger : pourquoi cet homme de liberté a fini, comme un jeune enfant gâté, par obtenir tout ce qu’il a voulu ?

Il faut remonter à l’enfance de Napoléon et à son éducation pour trouver une explication. Dans toutes les périodes de l’histoire, le fonctionnement de la famille reflète les changements de la société. Lors de la naissance de Napoléon, on assiste à une véritable rupture civilisationnelle et à un changement profond des mentalités. En effet le père, chef de famille tout puissant n’élève plus ses enfants pour en faire des héritiers (de son nom, de sa fortune…) mais pour en faire un homme libre. On passe ainsi du patriarcat au sens strict du terme et d’un « père autoritaire » à un « père citoyen » qui élève sa progéniture pour qu’elle devienne des êtres de liberté et de bonheur. Charles Bonaparte ne se projetait pas à travers ses enfants mais il avait une vision d’épanouissement personnel pour eux. Pétri de ces idées qui l’ont construit, fera donc toujours ce qui lui plaira. Parmi les personnages historiques préféré des français, Napoléon figure en bonne place car il a, à plus d’un titre, marqué la société. Sa vie s’apparente à une aventure fascinante. Personnage impliqué il a réussi à s’accomplir et c’est bien ce que chacun de nous cherche à faire : réussir à se réaliser.

Après ces prises de parole, il est évident que l’on peut toujours parler de Napoléon de nos jours mais bien avec un point de vue critique, de l’Histoire par l’historien et non pas par des commentateurs qui, pour faire entendre leur voix opèrent de nombreux raccourcis. Il est même d’ailleurs nécessaire de parler de Napoléon comme de tous les personnages historiques afin de continuer à faire de la recherche, comprendre mieux le monde d’aujourd’hui car c’est par l’Histoire que nous apprenons et que nous nous construisons en tant qu’individu mais aussi en tant que peuple.

Emmanuelle Duprez, Gwenaëlle Houée et Alexandra Mongin
Janvier 2023

Emmanuelle Duprez, Gwenaëlle Houée et Alexandra Mongin sont toutes trois collaboratrices de la Fondation Napoléon et ont contribué à la tenue de cette demi-journée d’études sur le thème « Peut-on encore parler de Napoléon ? », co-organisée par l’ICES et la Fondation Napoléon, dans le cadre de la Chaire Napoléon. Elles y ont assisté le 25 novembre 2022. Ce colloque est entièrement et gratuitement en ligne sur Napoleonica® la chaîne de la Fondation Napoléon, sur YouTube.
À la Fondation Napoléon, Alexandra Mongin est Cheffe de service Administration générale et finances ; Gwenaëlle Houée, assistante de direction ; Emmanuelle Duprez est hôtesse d’accueil.

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