Quand le Valais était français

Auteur(s) : CZOUZ-TORNARE Alain-Jacques
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C'était le temps où la France s'égarait jusqu'à Hambourg, Rome et… le sommet du col de la Furka. Pendant trois ans et demi les Valaisans sont des citoyens français. Cela se passait il y a exactement 200 ans. Comment en était-on arrivé là ?
 

Sur le chemin de l’Italie, le rêve d’un Valais français

Dès 1796, le jeune général Bonaparte lorgne sur le Valais, alliés des Suisses, dont la possession va lui permettre de réaliser pleinement son rêve italien. Le Valais est à occuper, moins d'abord dans le but d'attaquer le Piémont, qu'afin d'empêcher les forces coalisées contre la France révolutionnaire d'emprunter la vallée du Rhône pour l'attaquer. Un rapport du 18 août 1796 au gouvernement français dénonce l'« acharnement ridicule d'une peuplade impuissante contre la France », composée de « montagnards ignorants, catholiques romains jusqu'au fanatisme ». Le 7 mai 1796/18 floréal an 4, le Valaisan Guillot, capitaine à la 20e ½ brigade d'infanterie légère, propose au Directoire exécutif l'annexion du bas-Valais afin de percer ensuite une grande route à travers les Alpes pour passer de France en Italie, tout en rendant « un grand service à l'humanité en purgeant cet asile gouverné par des brigands où la plupart du temps on condamne les hommes sans les entendre ». Le 29 janvier 1798, les mandataires des communes bas-valaisannes proclament l'indépendance du pays, puis en avril son rattachement à la République helvétique occupée par les armées de la Révolution. En mai 1798, les Haut-Valaisans s'insurgent ; la répression sera terrible. Le 17 mai 1798, la ville de Sion est pillée par les Français et les Vaudois à la suite d'un violent combat de rue. Crime rédhibitoire aux yeux de nombre de Valaisans !

Bonaparte en Valais

Pour le futur empereur, le Valais pourrait se résumer en la haute vallée du Rhône et aux montagnes qui l'en séparent de l'Italie du nord. Le général Bonaparte est fort impressionné par le Valais lors du passage du Grand-Bernard. Martigny lui apparaît « au milieu du Valais, au pied des Grandes Alpes » (Lettre du 18 mai 1800). Soucieux de préserver en priorité la sécurité et la rapidité des relations entre Genève et Milan, le Premier Consul mesure la difficulté de franchir les Alpes et prend conscience de l'intérêt primordial de la route du Simplon à améliorer dans les plus brefs délais.
La République helvétique est amputée du Valais pour assurer à la France le contrôle des cols alpins et mieux surveiller la République italienne. Napoléon Bonaparte en est alors président. Raymond Verninac de Saint-Maur (1762-1822), ministre plénipotentiaire en Helvétie en 1801, est rappelé dès 1802 pour avoir contrarié le voeu du Premier Consul d'annexer purement et simplement le Valais, ce qui lui vaut en 1805 le titre de citoyen du Valais décerné par les Valaisans mais lui coûte un titre de la noblesse impériale et une mise sur la touche définitive. En désespoir de cause, les autorités helvétiques consentent finalement au détachement du Valais que finit par accepter également la Diète valaisanne. Un traité entre la France, l'Italie, l'Helvétie et le Valais représenté par le futur grand bailli Antoine Augustini, signé à Sion et à Bex, sanctionne cette indépendance aux allures de protectorat le 10 Fructidor an X ou 28 août 1802. Délicate attention, l'article 3 précise que la France se charge de défendre les passages alpins.

Paris-Milan par le Valais et la route impériale 5

Très vite Napoléon Bonaparte entreprend la construction de la route du Simplon destinée à relier directement Paris à Milan par le plus court chemin entre Lyon et la ville lombarde et qui formera l'un des quatorze routes impériales rayonnant depuis la capitale. La route est ouverte en théorie en 1806 mais les voies d'accès et les infrastructures du passage du Simplon ne sont pas encore toutes achevées. Dès 1807 pourtant, on peut se rendre de Genève à Milan sans démonter les voitures.

François-René de Chateaubriand – l'auteur du Génie du Christianisme – alors secrétaire d'ambassade à Rome, est nommé fin novembre 1803 ministre de France auprès de la « minuscule » république soeur du Valais où prétend le Dictionnaire du Consulat et de l'Empire (p. 619), « s'ennuyant fermement dans cet endroit perdu, il profite de l'exécution du duc d'Enghien pour présenter sa démission » Joseph Eschassériaux (1753-1823) est chargé d'affaires auprès de la république du Valais du 30 juillet 1804 à octobre 1806, année où il publie à Paris une « Lettre sur le Valais et sur les moeurs de ses habitants ».

Composée de douze dizains, le Valais retrouve peu à peu son ancienne organisation politique. Les Français ne peuvent guère faire confiance aux catholiques valaisans fidèles au pape. De Kaspar-Eugen Stockalper (1750-1826), grand bailli du Valais depuis le 1er juin 1810, le chargé d'affaires français parle d'un « vieillard hospitalier » qui « tient par ses préjugés un parti contraire à la France ».
 
Bien que déjà contrôlé étroitement, le Valais est réuni par un décret du 12 novembre 1810 :
 
« Napoléon, Empereur des Français, Roi d'Italie,
Considérant que la route du Simplon, qui réunit l'Empire à notre royaume d'Italie est utile à plus de soixante millions d'hommes ; qu'elle a coûté à nos trésors plus de dix-huit millions, dépense qui deviendrait inutile si le commerce n'y trouvait commodité et parfaite sûreté ;
Que le Valais n'a tenu aucun des engagements qu'il avait contracté lorsque nous avons fait commencer les travaux pour ouvrir cette grande communication ;
Voulant d'ailleurs mettre un terme à l'anarchie qui afflige ce pays, et couper court aux prétentions abusives de souveraineté d'une partie de la population sur l'autre,
Nous avons décrété et décrétons ce qui suit :
Article 1er : Le Valais est réuni à l'Empire.
Article 2 : Ce territoire formera u département sous le nom de département du Simplon.
Article 3 : Ce département fera partie de la 7e division militaire.
Article 4 : Il en sera pris possession sans délai, en notre nom, et un commissaire général sera chargé de l'administrer pendant tout le reste de la présente année.
Article 5 : Tous nos ministres sont chargés de l'exécution du présent décret »
 

Le département du Simplon : une création à courte vue

Le prétexte était tout trouvé : le Valais n'avait pas tenu son engagement d'entretenir à ses frais la route du Simplon dans la zone la plus basse de la vallée entre Brigue et Saint-Gingolph, mais surtout il fallait faire cesser les troubles provoqués par quelques prêtres taxés de « fanatiques » et mieux assurer la police de cette route, devenue très importante du fait des nouveaux flux commerciaux générés par le blocus continental. Napoléon décrété l'annexion, afin de contrôler définitivement la route alpine, au moment même où le fameux col peut vraiment servir. Le Sénatus-consulte du 13 décembre 1810 confirme cette mesure en portant officiellement l'Empire français à centre trente départements par intégration de la Hollande, du Hanovre, des régions côtières allemandes de la mer du Nord, les villes de la Hanse jusqu'à Lubeck, afin d'enrayer la contrebande de marchandises anglaises. Comme on le voit le Valais se retrouve en bonne compagnie. Pas moins de 16 départements sont créés en 1810, dont celui du Tibre (Rome). C'est le Grand Empire ! La veille, 12 décembre, le bataillon valaisan levé en 1806 prête, à La Junquera en Catalogne, serment de fidélité à « Sa Majesté l'Empereur des Français et Médiateur de la Confédération suisse ». Devenu une unité de l'armée française comme les autres, elle participera en mars 1811 à la formation du 11e régiment d'infanterie légère avec des Corses, des Italiens et des légionnaires du Midi et se transformera le 16 septembre 1811 en 3e bataillon du 11e léger. Il participera à ce titre à la campagne de Russie et défendra l'Empire agonisant jusque sous les murs de Paris le 30 mars 1814.

Un bien curieux département français

Le 26 novembre 1810 eut lieu la prestation solennelle du serment des principaux magistrats du pays et des grands dignitaires du clergé en présence du général César Berthier. Rassuré sur les dispositions paisibles des nouveaux sujets de l'empereur, il s'empressa dans les derniers jours du même mois de renvoyer la majeure partie de ses troupes, en sorte qu'au début de décembre il ne restait plus que mille soldats français en Valais. Acquisition somme toute modeste que ces 5226 km2 portant sur des terrains peu fertiles 126 000 habitants. La préfecture qui dépend directement du ministère de l'intérieur est établie à Sion ce qui permet d'ancrer définitivement la ville des évêques germanophiles dans la francophonie. Les deux autres arrondissements ont pour chefs-lieux Brigue pour le haut avec Léopold de Sépibus (1759-1832) comme sous-préfet et Saint-Maurice pour le bas avec à sa tête Michel Dufour (1767/8-1843), de Monthey, lequel champion de l'émancipation politique du Bas-Valais s'opposera avec vigueur à la volonté hégémoniste du Haut-Valais. Tout est à alors refaire en Valais qui a sombré dans l'anarchie. l'Etat de droit est au plus bas même dans le haut ! Deux préfets se succèdent à Sion. Chargé d'affaires de 1806 à 1810, Claude-Joseph-Parfait Derville-Maléchard (1774-1842) prépare au rattachement à la France. Une fois devenue préfet, le 10 janvier 1811, il s'efforce d'y introduire rapidement la législation et l'administration française. Il administre le département avec l'assistance du conseil général et du conseil de préfecture. Il y a à la fois séparation des pouvoirs et omniprésence de l'exécutif. Pour les Valaisans c'est un super bailli qui applique, ordonne, surveille l'exécution des lois, redresse les éléments déviants. Toutefois, il doit prendre soin de ne pas se déconsidérer aux yeux de l'opinion locale. Il participe donc activement à la vie officielle, animant les réceptions officielles, assistant aux remises des prix dans les collèges, sans oublier les Te Deum. Le premier préfet est remplacé en avril 1813 par le comte Claude-Philibert Barthelot de Rambuteau (1781-1869). Pour l'anecdote, c'est lui qui en qualité de préfet de la Seine de 1833 à 1848, mettra en place les premiers éléments de la transformation de Paris qu'allait achever le préfet Haussmann sous le Second Empire. En attendant de pouvoir installer les vespasiennes et l'éclairage des rues au gaz pour la ville lumière, c'est par le col de la Forclaz que le dernier préfet français du Valais s'échappe du Valais en pleine nuit le 26 décembre 1813. Le 28 décembre suivant, les Autrichiens pénètrent en Valais, atteignent Sion le lendemain et occupent le Valais jusqu'en mai 1814, au moment où le Traité de Paris sépare définitivement le Valais de la France. En 1815, la division autrichienne Frimont emprunte le col du Simplon et retourne contre son créateur la route Napoléon qui va ainsi contribuer à sa propre chute. Le 12 mai 1815 enfin, la Diète accepte la nouvelle Constitution qui fait du Valais un canton suisse.

Que reste-t-il de la départementalisation du Valais ?

Qu'a laissé Napoléon en Valais outre une ardoise restée célèbre à Bourg St Pierre enfin réglée à sa manière par François Mitterrand ? Une magnifique route qui participa grandement au désenclavement du Valais ne serait-ce que par les travaux considérables entrepris pour établir la route en corniche à Meillerie sur la côte chablaisienne du Léman, au prix de la destruction de la célèbre falaise où Jean-Jacques Rousseau place son héros de la Nouvelle Héloïse en train de s'extasier devant la splendeur du lac. Grâce à la route, un service de diligence est mis en place dès 1809, lequel assure le trajet Lausanne-Milan pour les voyageurs. On lui doit aussi l'égalité des citoyens dans la gestion des affaires publiques et surtout l'affirmation de la dimension romande du futur canton par l'abaissement des dizains supérieurs et la représentation proportionnelle à la Diète. Le Haut Valais alémanique mettra pourtant du temps à admettre l'abandon de sa domination ancestrale sur ses anciens sujets francophones du Bas-Valais. L'égalité entre tous les Valaisans, le plurilinguisme, l'émancipation définitive à l'égard de la tutelle bernoise, l'ébauche d'une vraie administration, valaient bien, à défaut d'une messe, trois bonnes années d'annexion, prélude à une entrée solennelle dans la Confédération suisse en 1815.

Titre de revue :
Le Nouvelliste
Numéro de la revue :
234
Mois de publication :
vendredi 8 octobre
Année de publication :
2010
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