Quand Nevers célébrait la venue de Napoléon III à travers sa faïence

Auteur(s) : MARIN Guy
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Jusqu’en 1861, pour rejoindre la capitale, les nivernais devaient passer par Bourges et Orléans via la gare de Saincaize ; avec la création du barreau rejoignant Moret au Bourbonnais, la liaison ferroviaire du PLM vers Paris devint directe et sans changement. C’est ainsi que Napoléon III, accompagné de son épouse Eugénie, profitant d’un déplacement en terre auvergnate (le couple rejoignait ensuite sa villégiature de Vichy), vint en train à Nevers le 7 juillet 1862 dans sa voiture décorée aux couleurs impériale pour inaugurer la salle de l’embarcadère de la gare. Le dernier séjour du neveu de Napoléon Ier datait de 1849 quand il était justement venu inaugurer le tronçon de la première ligne de chemin de fer Clermont-Ferrand – Paris passant par le flambant neuf pont du chemin de fer de Nevers. Louis-Napoléon n’était alors pas encore empereur des Français.

Le chef-lieu du département de la Nièvre en profita pour organiser une véritable célébration, typique de celles que les villes de province rendaient à l’Empereur lors de son passage sur leurs terres. Ce genre d’événement donnait également l’occasion aux cités de mettre en valeur les savoir-faire de ses habitants lors d’une exposition locale. Nevers remit ainsi au couple impérial ses fameuses nougatines, lors d’un grand diner offert par le préfet… Mais la ville lui rendit surtout hommage avec la construction d’arcs de triomphe sous lesquels de nombreux objets vantant l’industrie nivernaise étaient accrochés, dont les deux assiettes ci-dessous. Le maire, Jean Desveaux, banquier, se trouvait être par ailleurs manufacturier en faïence…

Quand Nevers célébrait la venue de Napoléon III à travers sa faïence
Assiettes en faïence de Nevers conçues pour la visite de Napoléon III dans la ville le 7 et 8 juillet 1862 © Guy Marin

Des dispositions exceptionnelles prises par le maire

Pour organiser au mieux la visite de l’Empereur, initialement prévue le 7 et 8 juin, le maire de Nevers, Jean Desveaux, avait fait prendre toutes les dispositions nécessaires (relatées par Le Journal de Cosne du 3 juillet 1862) par le Conseil municipal de sorte que l’accueil en la cité des Ducs soit à la hauteur de l’événement. L’arrêté du 28 juin 1862 prévoyait le programme suivant.

La gare allait être fermée juste après l’arrivée du train en provenance de Cosne-sur-Loire et un furtif arrêt à Fourchambault, prévu un peu avant 15 heures, et dans pratiquement toutes les rues, la circulation des voitures et animaux serait interdite à l’exception de la rue de l’Embarcadère, l’actuelle avenue de la gare devenue avenue Charles de Gaulle, qui resterait ouverte au public (mais qui ne pourrait y accéder que par les rues adjacentes). La population était invitée à illuminer et à parer les façades des habitations, et les rues et places empruntées par le cortège furent décorées par la ville de mats vénitiens, de trophées, de drapeaux, d’armoiries, de bannières et de guirlandes.

Le convoi serait formaté dans un strict ordre protocolaire. Il devait monter cette grande avenue en passant sous un Arc de triomphe érigé en début de rue et la première halte était prévue à la cathédrale, ouverte au public mais dont les entrées et sorties seraient bien définies tant pour les officiels que pour la population locale.

Après la réception par l’évêque, Monseigneur Forcade (Mgr Théodore Augustin Forcade (1816 Versailles – 1885 Aix-en-Provence)), le convoi devait rejoindre l’Hôtel de la préfecture par la rue Saint Martin et la rue du Commerce.
À l’issue du repas donné par le préfet Albin Lerat de Magnitot, le cortège devait repartir par le même itinéraire en sens inverse pour gagner le Palais ducal (ce château abritait le Palais de justice de Nevers depuis 1850 et avait été classé Monument historique dès 1840) où un bal allait être donné en l’honneur des souverains. Pour cette soirée de gala, les hommes seraient en habit noir et cravate blanche ; quant aux dames, la toilette de bal était de rigueur.
Il était prévu que l’esplanade du Château, réservée aux invités et aux voitures, serait protégée par des hommes de garde à pied et à cheval. Le maire invitait également la population à faciliter l’hébergement des visiteurs venus assister à l’événement en proposant des chambres garnies à louer.

Le déroulement de grandes festivités les 7 et 8 juillet 1862

Le 7 juillet 1862, vers 16 heures, le train impérial entra en gare de Nevers. Les autorités administratives, judiciaires et militaires étaient réunies dans la cour d’honneur de la gare, précise encore le Journal de Cosne. M. le maire présenta à l’Empereur les clefs de la ville.

Gare de Nevers vers 1850 © cparama.com
Gare de Nevers vers 1850 © cparama.com

Leurs Majestés montèrent en calèche découverte où prirent place le maréchal Baraguey d’Hilliers et M. de Béville, aide de camp de l’Empereur. La voiture était escortée par le général commandant la subdivision des Cent-Gardes et par M. de Bourgoing, écuyer de l’Empereur. Le cortège impérial se rendit à la cathédrale en étant précédé par un peloton de gendarmerie et un détachement de hussards, et suivi par les Cent-Gardes.

Sur tout le parcours, une foule immense, rapporte le Journal, accourue de tout le département, était massée et contenue par la Garde nationale de Cosne et les compagnies de pompiers. Toute la rue de l’Embarcadère était pavoisée : les mats vénitiens prévus par le Maire supportaient d’immenses banderoles, de magnifiques trophées ; sur le point culminant de la rue, la ville avait fait élever un premier arc de triomphe, construit avec des matériaux produits au sein du département : des ancres de marine, des rails, des chaines aux anneaux monstrueux formaient les colonnes ; des faïences nivernaises ornaient les socles. MM. de Passy et Moreau de Charny avaient fait les plans et dirigé ce gigantesque travail.

Après avoir traversé la place de la Halle, l’actuelle place Carnot, le cortège arriva devant la cathédrale où Mgr l’Evêque, entouré de son clergé, reçut Leurs Majestés. Après le Te Deum, le cortège rejoignit comme prévu la préfecture, toujours sous l’acclamation de la foule dans les rues tout aussi décorées.

Dessin illustrant la réception par l'évêque de Nevers de Napoléon III et de l'Impératrice le 7 juillet 1862 tirée de la une du Monde illustré n°274 du 12 juillet 1862 © DR
Dessin illustrant la réception par l’évêque de Nevers de Napoléon III et de l’Impératrice le 7 juillet 1862, tirée de la une du Monde illustré n°274 du 12 juillet 1862 © DR

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Accueillis par M. de Magnitot, préfet de la Nièvre de 1853 à 1863 (Henry Bernard Albin Le Rat de Magnitot (20 septembre 1810 à St-Gervais-19 mai 1890 à St-Gervais est surnommé « Le préfet des pompiers et du chemin de fer »)) , et sa femme, l’Empereur et l’Impératrice reçurent des fleurs remises par des jeunes filles qui entouraient M. Le Peletier d’Aunay, député de la Nièvre (Honoré Joseph Octave Le Peletier, comte d’Aunay (27 juin 1816 à Paris – 6 septembre 1899 au château de Marcilly)). Après plusieurs présentations de fonctionnaires, les autorités prirent place sur une estrade pour assister à un long défilé : députations, Garde nationale, compagnie de pompiers etc. où les cris de « Vive l’Empereur, Vive l’Impératrice, Vive le Prince impérial ! » furent de nombreuses fois répétés.

Le Palais ducal de nuit, à Nevers © Le Journal du Centre
Le Palais ducal de nuit, à Nevers © Le Journal du Centre

Un imprévu changea le programme du diner officiel : l’Impératrice, extrêmement fatiguée, ne put y assister. Toutefois, elle fit l’effort de se joindre au bal et à 22 heures, le couple fit son entrée dans les salons du Palais ducal. À 23 heures, Leurs Majestés prirent congé, après avoir exprimé leurs regrets de ne pouvoir rester plus longtemps, et témoignèrent au maire toute leur satisfaction pour la réception qui leur avait été faite. Jusqu’à une heure avancée dans la nuit, un orchestre invita à la dance les populations restées sur place. Si les dehors du château étaient déjà plaisants, nous rapporte le Journal de Clamecy du 10 juillet, l’intérieur était orné d’une grande richesse. Comme à la préfecture, tout était éclairé de nombreuses bougies, et tapissé de velours et de damas. Des feux de Bengale éclairaient les rues.

Le lendemain, après avoir couché à la préfecture, et pendant que l’Impératrice visitait l’asile de Nevers, l’Empereur alla, sans escorte, visiter l’usine de la Pique, devenue la Manutentionde nos jours fermée. Il y découvrit les canons de fonte pour la marine produits par cette fonderie et procéda à la remise de nombreuses décorations. À nouveau sur le parcours, une foule immense s’était massée, en particulier place Chaméane où un deuxième arc de triomphe avait été élevé.

Après avoir versé au préfet une somme conséquente à répartir entre diverses institutions de charité, et remis d’autres décorations et récompenses, Napoléon III et son épouse s’apprêtèrent à quitter Nevers. À 11 heures, et toujours devant la foule du pays nivernais, Leurs Majestés se rendirent à la gare où le maréchal Baraguey et le préfet les saluèrent une dernière fois ; un quart d’heure plus tard, le train partait pour Clermont-Ferrand.

Deux assiettes quasi commémoratives

Depuis la fin du XVIe s., la faïence de Nevers est une spécialité de la ville reconnue bien hors des frontières du Nivernais. Sous le Second Empire, sa production est néanmoins concurrencée par d’autres faïenceries, y compris étrangères, et surtout par le goût qui s’est développé au fur et à mesure des décennies pour la porcelaine. Elle reste d’un grand et délicat savoir-faire dont se targue la ville à raison. ► En savoir + sur le musée de la Faïence et des Beaux-Arts de Nevers

Dos d'une assiette commémorative en faïence de Nevers célébrant la venue de Napoléon le 7 juillet 1862 dans la ville © Guy Marin
Dos d’une assiette commémorative en faïence de Nevers célébrant la venue de Napoléon le 7 juillet 1862 dans la ville © Guy Marin

Témoins du voyage impérial du 7 juillet 1862, les deux faïences (diamètre : 233 mm) qui illustrent cet article, outre qu’elles rappellent cet événement en soi, nous apprennent, sur leur dos, que leur dessin est dû à M. Moreau de Charny (Napoléon François Moreau de Charny est né le 19 mars 1809 à Clamecy de  François (principal au collège local) et d‘Anne Catherine Tayon ; il a épousé en 1833 à Ourouër (Nièvre) Jeanne-Adèle Rossin ; il est décédé à Nevers en 1887.). Celui-ci fut professeur de dessin au lycée et à l’école des arts de Nevers jusqu’en 1884 où il côtoya Gustave Möhler, peintre, céramiste et sculpteur ayant acquis une réputation nationale, notamment dans l’art animalier.
Les faïences nous révèlent également que ce remarquable décor a été peint par un certain S. Changeux qui a précisé être « le tout dévoué serviteur » de l’Empereur. Même le four qui a cuit ces assiettes est indiqué : il s’agit de celui de la fabrique de Gustave Lyons (marque habituelle en creux : G. LYONS NEVERS). Gustave Jacques Marie Lyons (1815-1880), banquier, a succédé à son père Auguste à la fabrique de faïence dite « Bethléem » (en haut de la rue de la Tartre) et a exercé entre 1838 et 1872.

Détails - Dos d'une assiette commémorative en faïence de Nevers célébrant la venue de Napoléon le 7 juillet 1862 dans la ville © Guy Marin
Détails – Dos d’une assiette commémorative en faïence de Nevers célébrant la venue de Napoléon le 7 juillet 1862 dans la ville © Guy Marin

Autant de précisions qui nous instruisent sur la volonté de ces trois habitants de Nevers – artisan, artiste et industriel – de bien faire apposer leur marque sur ce qui était à leur yeux un grand événement historique : la venue de Napoléon III à Nevers…

Guy Marin
Juillet 2023

Guy Marin est spécialiste de l’histoire de la faïence, en particulier de celle de Nevers. Il est président de l’ARCOFAN, association pour la recherche et la connaissance des faïences nivernaises.

Sources

Archives départementales de la Nièvre, Archives et fiches documentaires ARCOFAN
Collections de particuliers et de l’auteur
Dictionnaire biographique des céramistes nivernais (Guy Marin, 2009)
Dictionnaire des peintres, sculpteurs et graveurs nivernais (Maurice Bardin, 2002)
La curieuse histoire de Nevers T 2 (Raoul Toscan 1976)
Le Journal de Clamecy
Le Journal de Cosne-sur-Loire

Titre de revue :
inédit
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