Quelques questions à… David Chanteranne, auteur d’une étude sur "Le Sacre de Napoléon"

Auteur(s) : DELAGE Irène
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Quelques questions à… David Chanteranne, auteur d’une étude sur  "Le Sacre de Napoléon"
© Emmanuel Vallée

A l’occasion de la sortie de son dernier ouvrage sur le sacre de Napoléon (son élaboration, son déroulement et ses conséquences, aux Editions Tallandier), David Chanteranne, historien, secrétaire de rédaction de Napoléon Ier, le magazine du Consulat et de l’Empire, a accepté de répondre à quelques questions.
(Propos recueillis par I. Delage, 7 septembre 2004)

I. Delage : Le sacre de Napoléon est l’un des événements les plus importants de l’histoire de France et de l’Europe. Pouvez-vous revenir sur les motifs de Napoléon de se faire sacrer « Empereur des Français » ?
D. Chanteranne : Dans son désir de concilier les deux ennemis nés de la Révolution – les jacobins et les monarchistes –, Napoléon sait qu’il lui faut frapper l’imagination au moyen d’une cérémonie inaugurale du régime. Assurer à la Quatrième Dynastie une légitimité politique doublée d’une puissance symbolique n’est pas éloignée de sa volonté d’affirmer sa suprématie temporelle. D’autres motifs apparaissent également à travers la correspondance et les ouvrages de circonstance publiés autour du 11 frimaire an XIII (2 décembre 1804) : traiter d’égal à égal avec les empires européens (russe, autrichien), rallier les catholiques et le clergé – cette « armée spirituelle » trop longtemps restée fidèle, à ses yeux, au comte de Lille et aux Bourbons – et, enfin, faire admettre les principes républicains à travers une mise en scène particulièrement flamboyante.

I. Delage : Un des éléments essentiels de la cérémonie concerne la venue du Pape à Paris. A-t-il été si difficile à convaincre ?
D. Chanteranne : Personnellement, Pie VII savait ce qu’il devait à la République française et à l’ancien général devenu Premier Consul puis Empereur. Sa propre élection tout d’abord en 1800 n’avait été rendue possible que par la présence des armées révolutionnaires en Italie, face à une Autriche intimidante et omniprésente sur la quasi totalité du territoire transalpin. Mais le retour de la religion en France avec le Concordat et surtout la double possibilité pour le pape de faire retirer les Articles organiques mais aussi de récupérer ses États (les Légations de Ferrare, Bologne, Rimini, le Comtat Venaissin et Avignon) entrent évidemment en ligne de compte. On le sait, ni l’une ni l’autre de ses demandes ne recevront un avis favorable de l’administration impériale. Du moins, le sentiment religieux et le respect de la personne pontificale (à quelques nuances près, notamment dans les faubourgs) seront soulignés par les témoins présents à Paris à cette époque.

I. Delage : Quels étaient les sentiments de l’opinion publique, ou plutôt des opinions publiques ?
D. Chanteranne : Il convient, effectivement, de différencier les différents courants présents en décembre 1804. Qu’il s’agisse des membres de la cour et des proches du couple impérial, ils sont évidemment acquis à la cause. Avec malgré tout une certaine désinvolture concernant le message transmis par Napoléon et son grand-maître des cérémonies Ségur au cours de la cérémonie, comme le prouve la lecture des souvenirs et mémoires : ils admettent le caractère grandiloquent mais ne saisissent pas l’importance symbolique. Les sympathisants républicains (des militaires mais aussi d’anciens révolutionnaires) ou les fidèles de la cause royaliste, quoique n’ayant pas la même interprétation de cette journée, adoptent finalement une posture identique, faite de répulsion et d’agacement face à ce qu’ils considèrent comme une imposture ou une usurpation. En réalité, les meilleurs interprètes du sacre et du couronnement demeurent, et de loin, les nombreux étrangers assistant aux défilés ou à la cérémonie. Ambassadeurs et voyageurs, pour la majorité habitués à ce type d’événements dans leurs pays respectifs, saisissent les paramètres proposés à leur jugement : nouvelle dynastie, respect formel des traditions, adaptation et renouvellement des structures… Ce qui explique d’autant plus la condamnation anglaise ou le silence éloquent des aristocraties autrichiennes et russes, inquiètes de cette « Révolution couronnée » qui annonce la fin de leurs prérogatives et de leurs privilèges pluriséculaires.

I. Delage : En conclusion, quels sont les avantages, ou désavantages, apportés par le sacre ?
D. Chanteranne : Sur le court terme, l’Empereur ne parvient pas à faire « accepter » le programme politique affiché à Notre-Dame. Il a dû admettre, comme il le prévoyait quelques mois plus tôt, que « du sublime au ridicule il n’y a qu’un pas » : mule du pape devenue la risée du public, chansons populaires irrespectueuses, froideur ou enthousiasme convenu d’une grande partie des assistants. Mais à plus ou moins long terme, la triple cérémonie du sacre (onction des mains du pape), de l’auto-couronnement et de l’intronisation (avec la prestation du serment constitutionnel) auront permis de fusionner trois traditions historiques : l’esprit carolingien, la légitimité des rois de France et la modernité issue de la Révolution française. En cela, Napoléon est parvenu à concilier l’inconciliable, afin que la cohésion nationale ne soit jamais remise en cause. Avant même 1914, toutes les composantes de la France sont réunies pendant la cérémonie du sacre et du couronnement. C’est là un apport majeur de l’œuvre napoléonienne.

Titre de revue :
inédit
Mois de publication :
sept.
Année de publication :
2004
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