Les failles d’un système de défense négligé
Porte d’entrée des bouches de l’Escaut, l’île de Walcheren voit son intérêt stratégique s’affaiblir au cours du XVIIIe siècle de par les nouveaux conflits dans lesquels sont plongées les Provinces-Unies. À partir de la conquête française, l’île se retrouve de nouveau en première ligne face à l’éventualité d’un coup de main anglais.
Une forteresse flottante en mauvais état
Située dans la province de Zélande, au sud des Pays-Bas actuels, l’île de Walcheren est désignée en mai 1809, comme le lieu de débarquement du prochain corps expéditionnaire britannique, pour servir de tête de pont à une armée devant atteindre Anvers et son arsenal maritime en un temps record. Les Anglais misent sur le faible réseau fortifié de l’île pour un investissement rapide. Walcheren est un espace qui connut maintes guerres depuis les conflits religieux du XVIe siècle du fait de sa position stratégique en avant de la mer du Nord et bordée par les deux estuaires de l’Escaut qui s’enfoncent au cœur des Pays-Bas méridionaux. C’est une île gardienne couverte de forêts, de dunes, de marécages et d’ouvrages fortifiés.
Napoléon se préoccupe de sa défense dès 1803, lorsque le conflit est rallumé avec la Grande-Bretagne, et confie au génie militaire le soin de dresser un état des lieux dans les plus brefs délais. Ce rapport, daté du 1er floréal an XI (29 avril 1803), dresse un premier bilan sur l’état des défenses de l’île. Il y fait mention de douze batteries côtières qui la ceinturent, deux autres dites « de l’intérieur » et enfin deux places fortes, Veere (au nord) et Flessingue (au sud), qui gardent respectivement l’entrée des deux estuaires de l’Escaut (occidental pour l’un, oriental pour l’autre). En tout, ce n’est pas moins de 151 pièces d’artillerie dont 127 canons, 5 obusiers et 19 mortiers de calibres très variables qui arment l’ensemble des ouvrages défensifs existant. Dans une seconde partie consacrée aux divers scénarios possibles quant à son investissement par une armée provenant de la mer, l’auteur du rapport se veut plus que sceptique. Middelbourg, le centre administratif de l’île, est munie d’une enceinte désarmée et bien trop précaire pour pouvoir figurer dans les plans de défense. Quant à Veere et Flessingue, l’état déplorable de plusieurs bastions risque de les faire s’effondrer « à la première bordée de l’ennemi », leur modernisation devient plus qu’urgente afin d’éviter la perte de l’île « en à peine une dizaine de jours ». Pourtant, de 1803 jusqu’à la veille de l’invasion, aucune mesure n’est réellement prise pour réparer et moderniser les ouvrages défaillants, tant du côté français que du côté hollandais. La sûreté de l’île ne semble alors reposer que sur les forces mobiles capables de s’y porter afin de rejeter l’ennemi à la mer.

Milices et troupes de seconde main comme seules forces disponibles
Dans ce laps de temps, les discussions autour du renforcement de la garde de l’île concernent uniquement les troupes franco-hollandaises qui y tiennent garnison. Dès le mois de juillet 1803, le Premier Consul ordonne à 3 000 Français et à 2 500 Hollandais d’occuper les deux places fortes de l’île et le camp militaire dressé à West Cappelle (sur la côte nord-ouest). Flessingue fait office de quartier-général au gouverneur de l’île, le général de brigade Louis Claude Monnet, qui occupe cette fonction depuis le 31 mars 1803. Ce dernier doit cependant se contenter de troupes médiocres ou peu motivées et ce depuis que l’Empereur ne souhaite plus envoyer ses propres troupes en Zélande, réputée pour être une région endémique où sévissent les fièvres adynamiques, ataxiques et la dysenterie putride. Il exige alors que les garnisons cantonnées dans ces espaces soient des troupes hollandaises, étrangères (prussiennes, irlandaises) ou des bataillons coloniaux, jugés capables d’endurer un tel fléau.
L’île de Walcheren n’est pas la seule à accueillir des contingents, celles qui l’avoisinent en accueillent tout autant et doivent pouvoir se porter sur l’île assiégée le plus rapidement possible. Ainsi, l’île de Cadzand, du Sud et Nord-Beeveland abritent également plusieurs milliers d’hommes dont leur remplacement est un renouvellement permanent, ces régions étant tout aussi endémiques que Walcheren. L’ensemble de ces forces doit pouvoir contenir l’avancée ennemie en attendant des renforts devant provenir d’Amsterdam, d’Utrecht mais aussi de France et de Belgique. En septembre 1805, Napoléon réforme la Garde nationale en tentant de transformer l’archaïque milice révolutionnaire en une armée de réserve composée de citoyens plus âgés que les jeunes conscrits. Une division de 6 000 hommes se constitue au camp de Saint-Omer et doit intervenir à la première alerte sur n’importe quel port menacé. Seuls quelques départements furent concernés par les décrets de réorganisation de la force publique du 30 septembre 1805 et du 12 novembre 1806, en particulier ceux partageant une frontière maritime avec la Grande-Bretagne (Somme, Pas-de-Calais, Nord, Lys). La transition de la milice à l’armée fut un véritable calvaire qui dura cinq années (1805-1810) durant lesquelles le général Rampon, commandant en chef des gardes nationales du Nord, doit diriger une troupe mal armée, mal équipée, mal habillée et, surtout, démotivée par ce qui est vécu comme une conscription parallèle et abusive.
En y ajoutant les dépôts régimentaires, les compagnies de canonniers sédentaires ou les compagnies départementales, la possibilité de constituer une armée hétérogène rapidement en réaction à une invasion anglaise devient bien sérieuse. Cette éventualité n’est pas prise en compte dans les plans du cabinet ministériel de Lord Castlereagh ni dans ceux du commandant de la future expédition John Pitt, comte de Chatham. Quant à Napoléon, l’idée d’un débarquement sur l’île de Walcheren devient, selon lui, irréaliste à partir de 1807. De fait, il sous-estime grandement les effectifs que peuvent encore déployer Londres malgré les corps expéditionnaires déjà présents dans la péninsule ibérique, les colonies ou en Italie du Sud. Ces ordres sont clairs : aucun affrontement direct ne devrait être tenté hormis sous les murs d’Anvers. Si invasion il y a, seules les forces naturelles de l’île telles que les bancs de sable, l’inondation par la rupture des digues et les maladies endémiques, devraient suffire à renvoyer les troupes anglaises de l’autre côté de la Manche. Ainsi, le 25 juillet 1809, alors que les rumeurs concernant le départ imminent d’une flotte anglaise des ports d’Harwich, de Ramsgate, de Douvres et de Portsmouth se font de plus en plus inquiétantes, l’Empereur n’en démord pas, la destination ne peut être que vers le Portugal ou la Baltique. Lorsque les premières chaloupes anglaises se rapprochent de la plage du Bree Sand, au nord de l’île, le 29 juillet au matin, elles sont accueillies par une troupe malade, démoralisée et indisciplinée, totalement prise au dépourvu.
Face à l’invasion, une réactivité efficace
À peine débarquées, les troupes anglaises investissent complètement l’île en à peine deux jours et mettent le siège devant Flessingue, dernier bastion tenu par les défenseurs. La première phase de la campagne est perdue, seule reste la seconde phase : empêcher le corps expéditionnaire d’atteindre Anvers.
Walcheren perdu, Paris réagit
L’Empereur, à Erfurt pour négocier avec l’Autriche, confie à Jean-Jacques-Régis de Cambacérès, archichancelier, et Joseph Fouché, ministre de l’Intérieur, la gestion de la crise. Ils sont informés du débarquement anglais dès le 30 juillet par la ligne télégraphique Anvers-Paris.
La première décision consiste à ordonner au général Rampon d’installer son quartier-général à Bruges et de prendre le commandement provisoire de l’ensemble des unités alliées disséminées dans la région pour les regrouper et leur donner une cohérence, le temps de choisir un commandant plus gradé. Ordre est aussi donné aux 6 000 gardes nationaux sous son commandement de se masser le long des rives de l’Escaut occidental sur l’île de Cadzand pour prévenir d’un second débarquement britannique. Du côté de Flessingue, le général Monnet ne peut compter que sur 4 000 hommes, réfugiés dans la forteresse après avoir tenté une timide résistance dans les dunes du Bree Sand. Il refuse de couper les digues pour inonder la campagne et compliquer l’installation des batteries d’artillerie adverses et ne semble réaliser la gravité de la situation qu’au 4 août, alors que plus de 10 000 soldats britanniques sont déjà aux portes de la ville. Il dresse un portrait peu encourageant sur l’état des défenses à son homologue de Bruges. Le général Rousseau qui commande sur l’île de Cadzand parvient cependant à faire acheminer plus de 2 500 hommes, essentiellement des fantassins du 25e de ligne, à travers l’Escaut pour être débarqués dans le port de la cité assiégée jusqu’au 6 août. Napoléon, dans une lettre du 6 août, donne alors ses premières directives : il informe l’archichancelier que le roi Louis de Hollande ne doit en aucun cas se préoccuper des opérations militaires et doit suivre les directives du général Rampon et de celui qui doit lui succéder. Il exprime une certaine confiance quant à l’échec de l’expédition et ordonne la constitution à la hâte d’une armée de l’Escaut qui doit puiser dans le vivier d’hommes de la Garde nationale et de plusieurs demi-brigades restées en garnison dans le pays. Il croit aux qualités du général Monnet, pourtant décrié par son propre frère Louis depuis 1807 pour des soupçons de corruption, et pense que Flessingue est capable de tenir un siège de plusieurs mois. Pourtant, malgré une vaine tentative de sortie le 7 août, la garnison assiégée ne semble pas en mesure de tenir des remparts déjà bien abîmés par le temps. Le coup de grâce survient le 11 août, lorsque l’investissement de la place s’effectue côté mer par la Royal Navy : la ville et le port sont alors à la merci d’un feu croisé. Après plusieurs appels à la reddition, Flessingue est bombardée du 12 au 14 août sans que les défenseurs puissent opposer un feu de contre-batterie efficace. Dans la nuit du 14 au 15, tandis que le général Monnet assure au maire de Flessingue qu’un cessez-le-feu est imminent, les bombes incendiaires embrasent la ville livrée aux flammes. Le lendemain, la capitulation est signée et l’ensemble de la garnison est faite prisonnière, soit 6 773 hommes, dont seuls 3 773 étaient encore en état de se battre. Pourtant, à peine Flessingue tombée, l’état-major du comte Chatham comprend déjà qu’il ne peut plus compter sur l’effet de surprise pour progresser rapidement vers Anvers. Paris sut prendre des mesures drastiques afin d’opposer une force au moins équivalente à celle qui a débarqué depuis le 29 juillet.

Une campagne qui s’éternise
En effet, dès le 6 août, le général Rampon peut déjà constituer une force armée de 20 000 hommes, renforcée par les 4 500 hommes de la garde personnelle du Roi Louis. Il avait pu également compter sur une levée de 6 000 gardes nationaux supplémentaires en provenance majoritairement du département du Nord (91 %) pour former une seconde division sous son commandement direct. Plusieurs témoins, comme Élie Brun-Lavainne, jeune musicien de la compagnie de musique de la Garde nationale du Nord, décrivent l’ennui qui règne dans les rangs des gardes nationaux, impuissants face à la destruction de Flessingue. La nuit, de grands feux de joie sont organisés entre les différentes unités venues de Lille, Douai, Cambrai ou Saint-Pol, pour tromper une attente insoutenable, aggravée par le climat « malsain » de la région. Ceux qui ne supportent plus cette situation décident tout bonnement de déserter. Dans une lettre du 15 août adressée au chef de légion de Saint-Pol, un capitaine de grenadiers affirme que la moitié de ses hommes ont disparu depuis le début de la campagne et que l’autre moitié est devenue complètement incommandable. Les désertions vont bon train, d’autant que ceux qui parviennent à rentrer au pays propagent des rumeurs de massacres de gardes nationaux utilisés comme chair à canon contre les troupes anglaises, compliquant la discipline des nouveaux contingents constitués.
Le général Rampon, conscient qu’une telle levée s’avère très impopulaire, inspecte régulièrement les côtes de Cadzand pour rendre visite à ses hommes. Il pratique, depuis 1805, une politique « paternaliste » envers des citoyens difficiles à discipliner. Il s’investit grandement pour le paiement régulier de la solde, l’approvisionnement en vivres et en fourrages. Le 9 août, il transfère le commandement général au Roi Louis afin de pouvoir se consacrer pleinement à ses deux divisions, ce à quoi Napoléon s’oppose farouchement. Il dépêche le maréchal Bernadotte, pourtant en quasi-disgrâce depuis Wagram, pour prendre le commandement général. Ce dernier arrive à Anvers le 15 août. Son premier ordre, à l’annonce de la chute de Flessingue, est d’évacuer l’île de Cadzand et le sud de Beveland pour concentrer l’ensemble des forces qu’il peut opposer à l’ennemi à Anvers même ; la route est libre pour les Britanniques. La progression des envahisseurs s’effectue dès le 17 août par voie terrestre depuis le Sud-Beeveland et par voie fluviale avec la flotte de l’amiral Strachan qui remonte les deux estuaires de l’Escaut. Du côté franco-hollandais, le repli se fait dans un désordre complet par le manque de discipline qui règne et la trop grande diversité des unités engagées. Bernadotte a plus de 27 549 hommes sous ses ordres dont seulement 14 838 sont des troupes de ligne. Quant à ses canons, il informe l’Empereur que le nombre d’artilleurs compétents s’avère dérisoire et que le manque de chevaux impacte gravement la mobilité de ses pièces, surtout en cas d’assaut britannique. Les épidémies de fièvre s’ajoutent aux désordres. La bourse d’Anvers est réaménagée à la hâte en hôpital de campagne où sont tassés les malades dont beaucoup proviennent des levées ordonnées par le général Rampon quelques jours plus tôt. Plusieurs officiers, dont le propre parrain d’Elie Brun-Lavainne, y meurent après une lente agonie.
La ville se prépare à un siège, tandis que la flotte française, cible principale des Britanniques, mouille dans le port d’Anvers. Elle se met en ordre de bataille pour défendre l’arsenal maritime et fournir un feu nourri aux navires ennemis qui stationnent depuis fin août dans la baie de Saeftinghe. Néanmoins, l’assaut britannique n’a pas lieu et, après dix jours d’attente, le comte Chatham ordonne le repli. La maladie avait fini par ébranler le moral et l’organisation générale du corps expéditionnaire à une vitesse déconcertante. Au 28 août, 4 000 nouveaux malades viennent s’ajouter aux 10 000 déjà recensés depuis le début de l’expédition, 1/3 des hommes engagés ne sont tout bonnement plus capables de combattre. Les mauvaises conditions de vie des soldats anglais, obligés de vivre sur le pays ou dans la ville de Flessingue en ruines, avaient favorisé la propagation rapide de la fièvre. Il était devenu évident que la prise d’Anvers et la destruction de sa flotte n’étaient plus qu’un mirage. Début septembre, l’ensemble de l’armée anglaise s’enferme dans l’île dont elle était devenue maître quelques jours auparavant. Une guerre de position et d’attente se profile alors. Napoléon, informé constamment de ce qui se passe à l’ouest, réitère son ordre à Bernadotte et au roi Louis de ne tenter aucune confrontation à grande échelle, l’hypothèse d’une reprise de l’île par les armes est à écarter.
En septembre 1809, l’armée de l’Escaut compte 3 corps d’armées et est renforcée par de nouvelles unités semaine après semaine. Elle est renommée « Armée du Nord » et se divise en deux sous-armées : l’armée d’Anvers et l’armée de la Tête-de-Flandre commandée par le maréchal Moncey. Le 11 septembre, Napoléon révoque Bernadotte et le remplace par Bessières. Ce dernier fait office de commandant en chef jusqu’au rembarquement britannique qui s’effectue lentement au cours des trois derniers mois de l’année. Le 22 novembre, plus de 60 % du corps expéditionnaire a été rembarqué outre-Manche. Lord Chatham ordonne à ce que Flessingue ne soit rendu qu’après le tout dernier homme évacué. Le 26 décembre au soir, plus aucun anglais ne se trouve dans la ville, reprise par les troupes du général Gilly dès le lendemain. L’heure est à la démobilisation progressive, cette dernière s’opère très lentement, notamment pour les gardes nationaux qui estiment devoir rentrer chez eux le plus vite possible. Les derniers éléments des deux divisions du général Rampon, provenant en majorité du Nord, sont démobilisés par décret impérial du 22 janvier 1810, le camp de Saint-Omer, quant à lui, est définitivement dissous le 17 février. L’heure est alors au bilan… et à la colère.
Un bilan mitigé
Victoire militaire franco-hollandaise incontestable, la campagne de Walcheren sape la réputation du régime dans les départements du Nord de la France et des territoires annexés. Elle entraîne aussi la dislocation du royaume fantoche des Pays-Bas et son rattachement à l’Empire.
Une campagne aux multiples conséquences
Napoléon n’a pas directement dirigé cette campagne, « l’affaire de Walcheren » en était une à gérer parmi tant d’autres. Les négociations de paix avec Vienne, la guerre en Espagne ou encore la rébellion dans le Tyrol le préoccupaient bien plus. La perte de l’île l’irrite pourtant : il cherche un bouc émissaire et le trouve en la personne du général Monnet. Prisonnier des Anglais depuis le 15 août, Monnet et son homologue hollandais Osten sont tenus pour responsables de la stratégie défensive jugée mauvaise. Une commission d’enquête est chargée de faire la lumière sur l’échec et d’étudier la possible traduction des deux commandants devant un conseil de guerre. Des témoins sont interrogés, comme Adrien François Lammens, maire de Flessingue, qui dans un rapport d’octobre dénonce l’ambiguïté de Monnet (refus de briser les digues le 2 août, fausse assurance que le bombardement cesserait le 14, provoquant de nombreux morts). Osten fuit l’Angleterre ; il accable à son tour Monnet. Un conseil de guerre condamne alors ce dernier à la dégradation et à mort, ses biens sont saisis par décret du 27 octobre.
Politiquement, l’affaire de Walcheren convainc Napoléon de l’incapacité de Louis à assurer la sécurité des ports. Une région si stratégique doit rester sous contrôle impérial. Le rattachement direct des huit départements de l’ancien royaume fantoche entre en vigueur le 13 juillet 1810. Les défenses de l’île sont renforcées : nouveaux canons de 24 livres, parc d’artillerie porté à 200 bouches, fort de Rammekens agrandi. Les travaux de modernisation des infrastructures finissent entre 1810 et 1813. En avril, Napoléon nomme le général Belfort gouverneur lors de sa visite officielle et inspecte tous les ouvrages avant de partir pour Amsterdam.

Un bilan humain lourd mais flou
Les pertes franco-hollandaises restent mal connues, les chiffres exacts se trouvant encore dans les fonds d’archives. On peut toutefois imaginer l’ampleur du drame sanitaire qu’est la concentration prolongée d’hommes dans ces régions endémiques. Sur 123 canonniers lillois, 60 (près de 50 %) sont dans un état critique, 15 meurent dans les mois qui suivent.
À partir du mois de septembre 1809, les hôpitaux de Lille sont rapidement débordés par l’arrivée en masse de nouveaux malades. Une quantité importante de genièvre est acheminée dans les différents centres de soin pour être administré aux malades, sans avoir de réels effets sur l’endiguement de l’épidémie. Deux mois après la campagne, de nombreux malades de Walcheren occupent encore les lits d’hôpitaux. Elie Brun-Lavainne décrit la situation sanitaire dans laquelle se trouve l’armée du Nord après deux mois de campagne avec beaucoup de précision, annonçant des pertes dans les régiments équivalant à celles des batailles rangées. Cette vague affirmation reflète cependant un traumatisme et un souvenir poignant pour le jeune musicien de 18 ans. De fait, plusieurs compagnies enregistrent des pertes terrifiantes pouvant être comparées à ce précieux témoignage. La 8e compagnie de chasseurs de la Garde nationale du 1er bataillon de l’armée d’Anvers ne possède plus, au mois de novembre 1809, que 50 % de ses effectifs en état de se battre. L’autre moitié fut perdue par les hospitalisations (16 %), les réformes (18 %) et les désertions (18 %). Plusieurs régiments d’infanterie britannique, comme le 25th Regiment of Foot, subissent un taux de pertes équivalent. L’estimation générale des pertes est cependant difficile à établir, d’autant que les fièvres adynamiques et la dysenterie mènent souvent à une lente agonie qui finit par avoir raison du malade au bout de plusieurs mois voire d’années. Elles peuvent donc se compter par centaines voire par milliers. Naturellement, le régime impérial eut l’intelligence de dissimuler son ampleur, d’autant que celles de Wagram (34 000 hommes) avaient déjà pu refroidir ceux qui en avaient eu connaissance.
Les combattants de Zélande n’obtiennent pas les mêmes éloges que ceux de la Grande Armée. Napoléon démobilise rapidement pour pour rétablir l’ordre. Les bourgeois des grandes villes et propriétaires ruraux, anciens soutiens du régime, se retournent contre l’Empereur, dont l’ambition ne correspond plus à leurs intérêts. L’image impériale s’assombrit au fil des années, partout en France. Dès 1813, Napoléon tente de réarmer la bourgeoisie locale, avec peu de succès. Les élites du Nord et du Pas-de-Calais s’y refusent explicitement. Lorsque la France est envahie en 1814, les citoyens armés ne veulent plus se sacrifier pour leur souverain. La chute de Napoléon est vécue comme un soulagement : le drapeau des Bourbons flotte sur les beffrois, symbole d’une élite pacifiste et du début de la défiance bourgeoise envers l’Empereur.
Charles Revercez (juillet 2025), historien diplômé d’un master d’Histoire des relations internationales, des guerres et des conflits à l’Université de Lille. Spécialiste de la Garde nationale sous le Consulat et l’Empire et sur l’histoire militaire dans le Nord de la France.
Bibliographie
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