Dès avant sa naissance en 1817, Léonel de Moustier était destiné à la diplomatie. Ses deux grands-pères étant diplomates tout comme son père, il grandit entouré d’histoires glanées aux quatre coins de l’Europe. Issu d’une famille franc-comtoise de la noblesse d’épée, Léonel de Moustier vécut dès sa jeunesse comme un grand seigneur. Marié en 1846 à une riche héritière belge de la maison de Mérode, il se fit construire un imposant château sur ses terres du Doubs. Élu député de la Seconde République au sein de la liste catholique de Montalembert, il siégea dans les rangs du parti de l’Ordre avant de se rallier au coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte.
En 1853, le ministre Drouyn de Lhuys le nommait ministre plénipotentiaire à Berlin, au tout début de la guerre de Crimée. Il avait 36 ans seulement et se trouva immédiatement mêlé à l’affrontement très rude des différentes factions qui se trouvaient à couteaux tirés au sein de la capitale prussienne. Les libéraux soutenaient une intervention de la Prusse au côté des alliés – surtout de l’Angleterre dont ils étaient très admiratifs – tandis que le parti aristocratique, au sein duquel figurait Bismarck, prônait un rééquilibrage en faveur de la Russie, en vertu de la solidarité des intérêts conservateurs. Face à ces positions très tranchées, Moustier jugea que la neutralité de la Prusse était plus prudente et surtout plus réaliste, ce qui l’incita à appuyer le chef du gouvernement, Manteuffel. Ce dernier, partisan de la neutralité, l’emporta finalement dans la lutte d’influence auprès du roi Frédéric-Guillaume IV, et Moustier récolta à la victoire les dividendes de son positionnement.
En 1859, il était envoyé à Vienne où, durant une brève ambassade d’un an et demi, il eut pour mission de reconstruire les liens entre l’Autriche et la France mis à mal par la guerre d’Italie. Mais c’est à Constantinople qu’il rencontra son ambassade de prédilection. Il passa cinq ans sur les rives du Bosphore où il se passionna tout autant pour les complexes affaires diplomatiques (intervention française au Liban, canal de Suez, révoltes des Serbes, des Monténégrins et des Crétois) et durant lesquels il montra tout son talent d’influenceur des princes, que pour l’archéologie et la numismatique qui étaient là-bas à l’honneur. Aussi ce fut sans réel enthousiasme qu’il accueillit l’annonce de sa nomination, en septembre 1866, comme ministre des Affaires étrangères.
La date de 1866 était significative et bel et bien funeste pour la France qui se trouvait désormais placée d’un mauvais pied face à une Prusse agressive et bien près d’unifier l’Allemagne autour d’elle. La France se retrouvait presque isolée, l’Autriche avait été vaincue à Sadowa, la Russie attendait l’occasion de défaire les clauses du congrès de Paris, et l’Angleterre regardant ailleurs. Lorsqu’il prit possession du ministère, Moutier avait à résoudre trois affaires considérables engagées avant lui. Durant l’année 1867, il conclut avec succès chacune d’elles. Il fallut d’abord ramener les troupes encore engagées au Mexique où elles étaient en proie à une terrible guérilla. Ce fut chose faite peu après l’exécution de Maximilien par les républicains de Juarez, épisode qui contribua davantage encore à ternir l’image de l’expédition. Dans le même temps, un corps expéditionnaire français était également en poste à Rome, pour protéger le Pape des menées des patriotes italiens. Pour éteindre la querelle avec le gouvernement italien, Moustier rappela le corps expéditionnaire avec l’assurance que les États pontificaux seraient protégés par l’armée italienne. Promesse non tenue puisqu’au printemps 1867, les chemises rouges envahirent le territoire pontifical. Une nouvelle expédition partit donc de Toulon et défit les garibaldiens à Mentana, pour se réinstaller à Rome.
Mais l’affaire la plus problématique fut celle du Luxembourg, dernier épisode de la « politique des pourboires ». Cette fois la Prusse était l’interlocuteur, et Bismarck joua un tour machiavélique à la France. Il s’était, en 1866, assuré la neutralité de la France dans sa guerre contre l’Autriche par des promesses de cessions territoriales sur le Rhin. Mais une fois la paix signée, non seulement il ne tint pas son engagement, mais il en divulgua à l’Allemagne les prétentions françaises en Rhénanie. C’est donc dans un contexte de nationalisme germanique exacerbé que Moustier reprit l’affaire en main. Renonçant à un quelconque territoire germanique, le gouvernement français, à qui il fallait une compensation au moins honorifique pour regagner l’honneur bafoué, négocia secrètement l’achat du Luxembourg. Mais l’affaire fut ébruitée, le gouvernement prussien proclama aussitôt que le Luxembourg était également terre allemande, et la guerre ne fut conjurée que par l’intervention des puissances et la signature en mai 1867 d’un traité à Londres.
Malade et épuisé par le rythme des affaires, Moustier démissionna du Quai d’Orsay à la fin de l’année 1868 et mourut à peine deux mois plus tard, à l’âge de 51 ans.
Xavier Lacroix
Février 2019
Xavier Lacroix est étudiant en master 2 d’Histoire contemporaine à la Sorbonne sous la direction d’Éric Anceau. Son sujet est la biographie de Léonel de Moustier, ambassadeur à Berlin, Vienne et Constantinople et ministre des Affaires étrangères sous le Second Empire.