Un exceptionnel portrait de Madame Mère par Gérard en vente chez Sotheby’s

Auteur(s) : PAVAGEAU Pascale
Partager

Un exceptionnel portrait de Madame Mère par Gérard en vente chez Sotheby’s
Madame Mère par Gérard
Huile sur toile
210 x 129 cm © Sotheby's

Madame mère

« Madame Mère avait une âme forte et trempée aux plus grands évènements »(Mémorial de Sainte Hélène).

La mère de l'Empereur Napoléon 1er, Maria-Letizia Ramolino, naquit le 24 Août 1749 ou 1750 en Corse, alors possession de l'Etat de Gênes. Issue d'une bonne famille d'origine toscane établie en Corse depuis des générations, elle était la demi-soeur du grand collectionneur de tableaux primitifs italiens, le cardinal Fesch (1763-1839) dont une partie des collections est conservée au musée Fesch d'Ajaccio. Elle épousa en 1764 un jeune Corse au physique avenant Charles-Marie Bonaparte (1746-1785) alors étudiant en droit. Le couple eut 13 enfants dont huit vécurent (cinq garçons : Joseph, Napoléon, Lucien, Louis, Jérôme, et trois filles : Elisa, Pauline et Caroline). Dans les premières années de leur mariage les évènements politiques compliquèrent la vie du jeune couple, notamment lorsque le roi de France Louis XV acheta la Corse aux Génois en 1768, quelques mois avant la naissance de Napoléon. D'autre part, de constantes difficultés financières rendirent difficile la vie de cette famille nombreuse. A la mort de son mari en 1785 Letizia dut même faire face à de gros problèmes d'argent.

Lorsque la Révolution française éclata en 1789, l'agitation politique reprit en Corse. En 1793, refusant de participer au soulèvement de la Corse contre les Français, Letizia et ses plus jeunes enfants durent fuir Ajaccio et se réfugièrent à Toulon puis à Marseille. La situation financière précaire de la famille ne commença à s'améliorer qu'avec les progrès de la carrière militaire de Napoléon : nommé Général en chef de l'armée de l'Intérieur en Octobre 1795, celui-ci put donner à sa famille l'argent dont elle avait besoin.

© Sotheby'sA partir du coup d'état du 18 Brumaire (9 novembre 1799) qui mit Napoléon à la tête du gouvernement, Letizia connut une grande aisance matérielle. Napoléon lui accorda en effet d'importantes pensions et elle put s'installer dans un superbe hôtel particulier à Paris. Néanmoins, malgré la fulgurante ascension politique de Napoléon et les privilèges dont elle bénéficia, Letizia garda toujours la tête froide et sut tenir tête à son fils quand elle était en désaccord avec lui. Ainsi, en 1804, lors du conflit entre Napoléon et son frère Lucien au sujet du mariage de ce dernier, elle soutint Lucien et n'assista pas aux cérémonies du Sacre de Napoléon et Joséphine le 2 Décembre! Il est vrai qu'elle n'appréciait pas beaucoup Joséphine et sa famille, trop influentes à son goût! Malgré son absence le jour du Sacre, Napoléon demanda au peintre Jacques-Louis David de la représenter bien en vue dans son immense tableau Le Couronnement de l'Empereur et de l'Impératrice (Paris, musée du Louvre).
 
Devenu Empereur, Napoléon donna à sa mère le titre de « Son Altesse Impériale Madame Mère de l'Empereur« , lui alloua 300 000 Francs de rente et une « maison » avec aumônier, dames d'honneur, chambellan, écuyers etc….  En Juin 1805 l'Empereur acquit pour elle le magnifique château de Pont-sur-Seine dans l'Aube, où elle fit de longs séjours. Malgré toutes ces richesses, elle ne vivait pas de façon fastueuse, recevant peu et faisant des économies, peut-être en prévision des mauvais jours ! Elle semble être restée sceptique sur la durée de l'Empire, ce qu'elle exprima par un mot devenu célèbre « Pourvu que ça dure ! ».

© Sotheby'sDurant l'Empire, Madame Mère n'hésitait pas à affronter Napoléon lorsqu'elle était en désaccord avec lui. En revanche, en 1814, l'ère des désastres arrivée, Madame Mère soutint et aida avec courage l'Empereur déchu. D'ailleurs l'Empereur lui en rendit hommage dans ses conversations avec Las Cases à Sainte-Hélène : « Cette même femme à laquelle on eût difficilement arraché un écu m'eût tout donné pour mon retour de l'île d'Elbe, et après Waterloo elle m'eût remis entre les mains tout ce qu'elle possédait… « . 
 
En effet Madame Mère supporta sans se plaindre les revers de fortune. En 1814 elle s'exila avec son demi-frère le cardinal Fesch à Rome, où le Pape Pie VII leur offrait l'hospitalité, puis rejoignit Napoléon à l'île d'Elbe. Après l'évasion de celui-ci et son retour à Paris, elle réussit à le suivre à Paris où elle apprit la défaite de Waterloo et la chute de l'Empire. Elle repartit alors pour Rome, et tenta en vain de se rendre à Sainte Hélène, où Napoléon était prisonnier. Lorsqu'en Juillet 1821 elle apprit la mort de Napoléon, elle demeura prostrée dans sa douleur pendant des semaines. Elle ne devait plus quitter Rome où, installée au palais Rinuccini, elle mourut le 2 février 1836, entourée de sa famille qui avait été toute sa vie. D'abord inhumée en Italie, sa dépouille fut transférée à Ajaccio en 1851 sur ordre du futur Empereur Napoléon III, son petit-fils, alors Prince Président.

Histoire du tableau

© Sotheby'sAlors qu'il était Premier Consul, Napoléon commanda à Gérard un grand portrait de sa mère, auquel travaillait l'artiste lorsque Reichardt, ancien maître de chapelle de Frédéric II, lui rendit visite dans son atelier à la fin de 1802 (voir A. Laquiante, Un hiver à Paris sous le Consulat d'après les lettres de J.F. Reichardt, Paris 1896 p.216).
 
Il existe de ce portrait trois versions différentes, dont les variantes reflètent l'évolution rapide du rôle politique de Napoléon à la tête de l'Etat Français :
Le tableau présenté ici montre la mère de Napoléon assise près d'une statue titrée FECUNDITAS représentant une femme chargée d'enfants. Ce portrait donne une bonne idée du physique de Madame Mère : un grand air de majesté et de dignité, un type antique très pur qu'elle a transmis à ses enfants et qui la font ressembler à une dame romaine. Vêtue d'une robe de satin blanc et manteau de velours violet foncé brodé d'or, Madame Mère est assise près d'un guéridon recouvert d'un tapis lilas où se trouvent un coffret, une bonbonnière et une lettre ouverte. Derrière elle une colonne retenant une lourde tenture verte frangée d'or ferme la composition. La richesse des tissus et du costume montre le rang élevé qu'occupe Madame Mère. En revanche, la composition classique, sobre et équilibrée révèle le caractère de Madame Mère, femme vertueuse et énergique qui consacra sa vie à élever ses enfants. Gérard l'a placée à droite de la composition, elle est légèrement tournée vers la gauche où se trouve, en retrait et dans l'ombre mais dominant la composition, la statue de la fécondité. Le message du tableau est clair, c'est un hommage évident à la mère de famille, à celle qui porta en son sein la glorieuse et nombreuse fratrie des Bonaparte.

© Sotheby'sQuoique J.F. Reichardt ne décrive pas le portrait qu'il a vu dans l'atelier de Gérard, il est plus que probable qu'il était en présence du portrait présenté ici, notre tableau étant logiquement le premier de la série : en effet notre tableau rend hommage à Madame Mère elle-même et à ses vertus de mère de famille, tandis que les deux autres versions, remplaçant la statue de la fécondité par un buste de Napoléon, réduisent le rôle de Madame Mère à celui de mère de Napoléon et modifient la signification du portrait qui devient une glorification du chef d'Etat à travers sa mère. D'autre part la bonne qualité picturale, la beauté et la grande finesse des tissus et du voile indiquent que le tableau est de la main de Gérard lui-même. Enfin, Gérard et son atelier n'ont pas eu le temps d'en faire une réplique identique avant qu'il ne soit décidé -certainement par Napoléon lui-même – de modifier la composition en remplaçant la statue de la fécondité par un buste de Napoléon.

En effet, dans l'autre version exécutée sous le Consulat, c'est un buste de Bonaparte Premier Consul (d'après une sculpture de Boizot) qui, placé à droite, domine la composition et attire notre regard. Gérard a en effet inversé la composition, Madame Mère est maintenant assise sur la gauche et, tournée vers la droite, semble nous présenter le buste. Derrière ce buste on aperçoit le jardin et le palais des Tuileries. La rosace d'un tapis occupe le coin inférieur gauche. Un exemplaire de cette version est le tableau de la vente san Donato, 15 Mars 1880, n° 960, provenant de la collection de Jérôme Bonaparte (peut-être celui conservé à la National Gallery of Scotland). Dans cette version la mère des Bonaparte est devenue la mère de Bonaparte.

La troisième version, la plus connue, est chronologiquement la dernière. Exécutée au début de l'Empire, elle est très proche de la version précédente, mais le buste a changé : il s'agit maintenant d'un buste de Napoléon couronné de laurier tel un empereur romain (inspiré par la sculpture de Chaudet). Plusieurs répliques furent faites de ce tableau, afin d'être offertes aux membres de la famille impériale. L'une est conservée au musée de Versailles (celle peinte pour Louis Bonaparte roi de Hollande), une autre est au musée Fesch à Ajaccio, une troisième est au musée national du château de Fontainebleau.

Quant à l'exemplaire presque carré, en dépôt à la Malmaison, il présente des différences, non seulement de format mais aussi dans plusieurs détails, notamment la coiffure et l'expression du visage. Accroché dès juin 1805 dans le grand salon de l'Impératrice Joséphine à Saint Cloud, il fut envoyé aux Gobelins en 1808 pour servir de modèle pour une tapisserie. Cette tapisserie, donnée en 1812 à Catherine de Wurttemberg, est maintenant conservée à Prangins. La petite réplique peinte par Gérard et conservée au musée du château de Versailles est très proche de la version de Malmaison.
Contrairement à son demi-frère le cardinal Fesch qui fut un grand collectionneur, Madame Mère n'était pas amateur d'art. Néanmoins elle fit travailler plusieurs artistes qui exécutèrent des portraits d'elle, notamment Antonio Canova auquel elle commanda en 1804, alors qu'elle se trouvait à Rome, un grand portrait en marbre d'elle-même. Cette sculpture, inspirée de l'Agrippine du Capitole, la représente telle une grande dame romaine. Exposée au Salon de Paris en 1808, elle suscita l'admiration de l'architecte Percier. Madame Mère l'offrit à l'Empereur afin qu'il l'installe en bonne place aux Tuileries mais il refusa ! Elle est maintenant conservée à Chatsworth, dans les collections du duc de Devonshire. Parmi les autres artistes qui la représentèrent, citons Robert Lefèvre qui peignit en 1813 un portrait en pied de Letizia Bonaparte en costume de cour (2 versions, une à Versailles, l'autre à Rome, Museo Napoleonico), quelques miniaturistes dont François-Joseph-Juste Sieurac qui exposa au salon de 1812 une miniature la représentant, ou encore le sculpteur Charles Dupaty qui exposa un Buste de Madame Mère, également au salon de 1812. Ce marbre qui montre Madame Mère drapée à l'antique et la tête ceinte d'une épaisse couronne de lauriers, est conservé au musée national du château de Fontainebleau.

Fiche technique

François-Pascal-Simon, dit Baron Gérard (1770-1837)
PORTRAIT DE MADAME MERE, MERE DE NAPOLEON
huile sur toile
210 x 129cm

PROVENANCE
Probablement offert par le modèle à sa fille Caroline Murat, Reine de Naples;
Collection des Princes Murat;
Collection du Prince Lucien Murat en 1913.
Le tableau a été exposé en prêt pendant de nombreuses années au musée de l'Armée, Paris.
Propriété des descendants du modèle

EXPOSITION
David et ses élèves, Palais des Beaux Arts de la ville de Paris, avril-juin 1913, n°125
Napoléon, Paris, Grand Palais, juin-décembre 1969, n°478.

BIBLIOGRAPHIE
Vraisemblablement Lettres adressées au Baron Gérard par les artistes et les personnages célèbres de son temps, deuxième édition publiée par le neuveu du Baron Gérard, Paris 1886, vol. II. (un des portraits de Madame Mère apparaît dans la liste des oeuvres peintes par Gérard);
Catalogue de l'exposition Cinq années d'enrichissement du patrimoine national 1975-1980, Galeries nationales du Grand Palais, Paris, 15 novembre 1980 – 2 mars 1981, mentionné page 148 sous le n°124 ;
G. Lacourt-Gayet, Napoléon, sa vie, son temps, Paris 1921, planche p. 264 ;
Napoléon, Collection Génies et Réalités, Paris 1961, p. 140.

Ce tableau sera inclus dans le Catalogue Raisonné en préparation par Mr Alain Latreille.
 
Vente le jeudi 26 janvier 2006, Sotheby's New York
Contacts: 
New York: George Wachter – tel: +1 212 606 7230
Paris: Pascale Pavageau – tel: +33 1 53 05 53 10

Estimation : $ 700.000 – $ 1.000.000 
Vente effective : $ 975 000



Partager