Une chronique d’Ahmed Youssef : Le général Abdallah Jacques Menou et la pierre de Rosette, une histoire d’amour entre la France et l’Égypte

Auteur(s) : YOUSSEF Ahmed
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Les Français et les Égyptiens connaissent bien le général Bonaparte, un peu moins son successeur en Égypte, Kléber, et presque pas celui qui remplaça celui-ci après son assassinat, le général Jacques Menou de Boussay. Les références françaises critiquent souvent ses capacités militaires et d’administrateur. Côté égyptien, on retient à la rigueur sa conversion à l’Islam, sous le nom de Abdallah Jacques Menou, et son mariage avec une native de Rosette dont il était le gouverneur. Je suis convaincu qu’en réalité, les livres d’histoires l’ont sous-estimé et ont injustement réduit sa stature.

Une chronique d’Ahmed Youssef : Le général Abdallah Jacques Menou et la pierre de Rosette, une histoire d’amour entre la France et l’Égypte

À l’époque de l’expédition d’Égypte, Menou avait 48 ans, contre 45 pour son grand rival, le gouverneur d’Alexandrie Kléber. Ils avaient à peu près le même âge mais leurs perceptions de l’Egypte fut différente.

Le général Menou considérait l’avenir de l’Égypte comme devant être lié à la France, d’où sa conversion à l’Islam et son mariage. Ceci explique aussi pourquoi il marqua toujours le plus grand intérêt pour la situation des Égyptiens, même lorsqu’il prit le commandement.

Kléber, quant à lui, dès les premières heures, avait compris que l’expédition en Égypte était politiquement inutile et militairement vouée à l’échec. Pour lui, il était devenu plus qu’urgent de rentrer en France. Pressé de conquérir le Caire, Bonaparte l’avait laissé, blessé, à la tête d’Alexandrie, et Menou, le rêveur, avait été nommé gouverneur de Rosette. Ni l’un ni l’autre ne pouvaient se douter que leur situation allait radicalement changer à la suite de la destruction de la flotte à Aboukir. Fort de ses convictions, Menou s’accommoda mieux que Kléber d’être prisonnier de la conquête.

À Rosette, il fut un des premiers à connaître la fabuleuse découverte de la pierre de Rosette, par le colonel Bouchard, le 19 juillet 1799. Il devina que cette pierre aux trois écritures permettrait de mieux comprendre le passé de l’Egypte. Et comme il venait de se convertir et de se marier, il y vit un signe du ciel. On a dit qu’il passa une nuit entière à observer la découverte, avant de l’envoyer à Bonaparte et aux membres de l’Institut d’Egypte, non sans avoir immédiatement fait recopier ses inscriptions, premier acte de la longue histoire devant conduire Champollion à déchiffrer les hiéroglyphes.

Une fois devenu commandant en chef, depuis Alexandrie, Menou tenta autant que possible, malgré la pression militaire extérieure et l’opposition intérieure d’autres généraux, de tenir le plus possible face à l’invasion anglaise. Il n’y parvint pas mais continua, dans son malheur, à se préoccuper de la Pierre, afin d’éviter qu’elle ne tombe entre les mains des Anglais. Au moment de la capitulation définitive, il déclara d’abord qu’il l’avait achetée sur ses propres deniers et que, par conséquent, on ne pouvait en faire une prise de guerre. Puis il voulut faire croire qu’elle était déjà partie pour la France. Il dut finalement accepter de la remettre aux Britanniques, moyennant la prise d’un moulage, en plus des copies qui, elles, avaient déjà pris le chemin de la France. Le moulage se trouve aujourd’hui au Louvre. L’original au British Museum.

Compte tenu de cet épisode, je pense que le temps est venu pour la France et l’Egypte de reconsidérer le rôle du général Menou, qui resta toujours attaché à son rêve d’un mariage harmonieux entre Orient et Occident. Toujours employé par Napoléon, le général -qui avait renoncé à sa conversion et à son épouse égyptienne- termina sa vie en 1810 comme gouverneur de la ville des rêves et de l’amour, Venise. J’y vois un dernier message du destin pour nous, Égyptiens et Français.

Ahmed Youssef est membre de l’Institut d’Égypte

Janvier 2018

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