Une chronique d’Artem Ushakov : « Au 180e anniversaire du décès de Godefroy Cavaignac (1800-1845) »

Auteur(s) : USHAKOV Artem
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Le matin du 5 mai 1845, alors que les cloches de Paris sonnent pour appeler aux messes commémoratives de Napoléon, le parti républicain vient de perdre l’un de ses chefs les plus honorables – Godefroy Cavaignac, surnommé plus tard le « Napoléon des émeutes » par Edmond Biry.

Une chronique d’Artem Ushakov : « Au 180e anniversaire du décès de Godefroy Cavaignac (1800-1845) »
Artem Ushakov © D. R

Fils du conventionnel-« régicide » et de la fille de l’ami de Rousseau, Godefroy Cavaignac semble destiné au militantisme républicain dès sa naissance. Révolté par le retour des Bourbons « ramenés dans les fourgons de l’étranger », et par l’exil forcé de son père, le jeune homme rejoint des sociétés secrètes à la fin des années 1810. Débutant en 1820 une carrière de journaliste comme sténographe des débats à la Chambre, il collabore successivement avec Le Censeur, Le Constitutionnel et Le Courrier français.

La Révolution de Juillet le fait entrer en politique. Il est ainsi l’un des héros de la prise des Tuileries, le 31 juillet 1830, et est invité avec ses camarades par Thiers au célèbre entretien avec Louis-Philippe, alors duc d’Orléans et lieutenant général du Royaume. Cet échange, immortalisé dans l’Histoire de dix ans de Louis Blanc, marque le début des divergences entre la jeunesse républicaine et la monarchie de Juillet.

Figure importante de L’Aide-toi, le ciel t’aidera avant 1830, Godefroy Cavaignac appartient aux équipes dirigeantes des premières associations ouvertement républicaine : d’abord la Société des Amis du Peuple (1830-1832), puis la Société des Droits de l’Homme (1832-1834) où il est élu président du Comité central en automne 1833 pour ses succès dans la construction des réseaux régionaux. Dans le même temps, il contribue aussi à La Tribune des départements. Souvent mis en cause devant les tribunaux, il se distingue lors des procès par ses discours brillants en défendant le droit d’association et la liberté de la presse.

Son idéal, c’est une République néojacobine : démocratique, sociale et centralisée, à la tête de la fédération européenne des nations libres. Contrairement à la réputation du chef des complots, Godefroy Cavaignac joue plutôt un rôle conciliateur entre les ailes républicaines, privilégiant l’action légale – propagande et structuration associative – sans exclure une réponse révolutionnaire en cas de répression illégale. « Nous ne conspirons pas, nous nous tenons prêts », déclare-t-il dans sa profession de foi en avril 1831.

En avril 1834, la monarchie libérale, alarmée par l’essor du mouvement républicain et l’insurrection des canuts lyonnais, restreint le droit d’association et écrase la Société des Droits de l’Homme par la force militaire (massacre de la rue Transnonain). Cavaignac, d’abord caché par des amis, se livre volontairement en février 1835 pour participer avec ses camarades au procès-monstre de 164 prévenus. Privé de parole par les juges, le 12 juillet 1835, il s’évade de la prison Sainte-Pélagie avec 26 camarades grâce à l’aide d’Armand Barbès. Entre janvier 1836 et mai 1840, il est contraint de vivre en exil à Londres jusqu’à l’amnistie à l’occasion du mariage du duc de Nemours.

Au cours des cinq dernières années de sa vie, Godefroy Cavaignac tente de ressusciter le camp démocratique. Il refuse de collaborer avec Le National, jugé trop bourgeois, et s’approche de Louis Blanc. Le républicain n’arrive pas à garder Le Journal du Peuple, fermé en 1842, mais réussit à relancer La Réforme en 1844.

Épuisé par sa vie agitée, Godefroy Cavaignac meurt des maladies de poitrine, trois ans avant la proclamation de la Deuxième République – que ses proches, non sans tendresse, aiment à croire qu’il aurait su préserver. Sa disparition précoce, conjuguée à ses vertus républicaines, nourrit un véritable culte de la mémoire qui perdure jusqu’au XXe siècle. François Rude réalise son monument funéraire au cimetière Montmartre, qui est le premier gisant républicain du XIXe siècle, précurseur de ceux d’Alphonse Baudin, Pierre Noire et Auguste Blanqui. Depuis 1882, sa statue orne la façade Rivoli de l’Hôtel-de-Ville à Paris. Son aura a aussi servi la carrière politique de son frère, général Eugène Cavaignac (1802-1857), chef provisoire de l’exécutif en 1848, et de son neveu homonyme, Godefroy Cavaignac (1853-1905), ministre de la Troisième République. Emblématique de la génération romantique – lui qui comptait parmi ses amis Honoré de Balzac, Alexandre Dumas, George Sand, David d’Angers, Jeanron, Thomas Carlyle ou encore John Stuart Mill – Godefroy Cavaignac n’en demeure pas moins largement tombé dans l’oubli aujourd’hui.

Godefroy Cavaignac, portrait en buste, par Auguste Toussaint Lecler, circa 1833. Dessin, pierre noir, sanguine, papier. H. : 18,5 cm ; L. : 18,3 cm. Musée Carnavalet, D.1743 (faussement identifié comme Eugène Cavaignac)
Godefroy Cavaignac, portrait en buste, par Auguste Toussaint Lecler, circa 1833. Dessin, pierre noir, sanguine, papier. H. : 18,5 cm ; L. : 18,3 cm. Musée Carnavalet, D.1743 (faussement identifié comme Eugène Cavaignac)

Artem Ushakov, lauréat des bourses de la Fondation Napoléon en 2023 pour son sujet de thèse : « Godefroy Cavaignac : biographie d’une légende républicaine oubliée », dirigée par les professeurs Jacques-Olivier Boudon et Éric Anceau (Sorbonne Université). Il prépare une biographie de Cavaignac, financée par la Fondation de Napoléon.

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