Parti de Paris le 20 juin 1791 comme Louis XVI, mais ayant réussi sa fuite contrairement à la famille royale, celui qui allait se considérer lui-même comme roi de France à partir de la mort de son neveu Louis-Charles au Temple, le 10 juin 1795, passera pourtant plus de vingt ans de sa vie en exil. Alors que le prétendant était ballotté de pays en pays, au gré des victoires et des alliances napoléoniennes, se trouvant dans des circonstances matérielles extrêmement difficiles, l’incapacité de Napoléon à vaincre ou à traiter avec l’Europe coalisée finit par permettre au Bourbon d’incarner en 1814 une alternative possible afin de garantir à l’Europe une France pacifique et stable.
Mais avant d’en arriver là, Louis XVIII aurait pu faire un autre choix. A Varsovie, en février 1803, soit un an avant la fondation de l’Empire, on lui proposa une pension importante, en échange d’une renonciation formelle à ses droits dynastiques. Louis XVIII choisit la difficulté et la dignité de son trône, qui était à ce moment-là parfaitement virtuelle. Sous la monarchie restaurée, le roi fera immortaliser le « refus de Varsovie » sur une médaille, avec d’autres étapes clés de son règne. C’est ce même sentiment de son étoile et de sa dignité royale inamovible qui lui permit en 1814, dans un Paris occupé par les armées européennes victorieuses, d’incarner parfaitement la royauté, comme le raconte Beugnot dans ses mémoires : « Louis XVIII gardait toute la dignité du trône parmi cette cohue de souverains qui se trouvaient alors à Paris, et tous escortés de soldats par milliers ; et quoique lui-même fût désarmé et à peu près impotent, il était si rempli de la supériorité du Roi de France sur les autres Rois, qu’il était parvenu à les en persuader eux-mêmes. » [1]
Vue du XXIe siècle, la Monarchie restaurée est à la fois très lointaine, un monde révolu avec ses codes, tellement différents des nôtres, et assez proche dans la mesure où c’est sous la Restauration et la Charte constitutionnelle de 1814, dans l’élaboration de laquelle Louis XVIII fut personnellement impliqué, qu’a lieu l’apprentissage de la vie parlementaire avec l’évolution des mécanismes tels que nous les connaissons encore aujourd’hui, comme par exemple l’initiative des lois, la responsabilité et la solidarité ministérielles etc.
Et peut-être que la figure de Louis XVIII peut également nous faire réfléchir sur les qualités qu’il possédait à un si haut degré, et qui peuvent encore être utiles dans le monde politique d’aujourd’hui, mais qui sont peut-être devenues un peu trop rares : la patience, la persévérance, et la dignité.
Bettina Frederking (septembre 2024), auteur d’articles sur la Restauration ; a codirigé La dignité de roi, Regards sur la royauté au premier XIXe siècle (PUR, 2009) ; éditrice du tome 103 des Archives Parlementaires (1ère série ; CNRS Ed., 2022) ; lauréate en 2022 d’une bourse d’études de la Fondation Napoléon pour son sujet de thèse « La France coupable ? La Restauration ou « l’impossible oubli » ».
► Exposition Louis XVIII aux archives diplomatiques de La Courneuve, à découvrir du 30 septembre au 15 novembre 2024.
Notes
[1] Mémoires du comte Beugnot, ancien ministre (1788-1815), publiés par le comte Albert Beugnot, son petit-fils. Paris, E. Dentu, 1866, t. 2, p. 136.