Une chronique de Blandine Casanova : l’intemporel virus français, le spleen

Auteur(s) : CASANOVA Blandine
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Le 18 juin 1815, le glas sonne lourdement en Europe. L’Aigle tombe, l’Empire s’effondre, le peuple français, déjà fatigué, se meurt. Plus de flamme, plus de folles exaltations, plus de fougue militaire, plus rien n’anime la jeunesse élevée sous l’Empire. La Restauration se met en place contrastant avec l’Empire par la paix qu’elle installe. Mais rapidement, la jeunesse s’ennuie car rien de brillant ne luit.

Une chronique de Blandine Casanova : l’intemporel virus français, le spleen
Blandine Casanova © Blandine Casanova

D’abord royaliste, la jeunesse construit la Restauration. C’est elle qui, en mars 1815, refuse de servir Napoléon et qui suit le roi Louis XVIII. Lamartine parle d’elle comme d’une « jeune France » partie à la conquête d’un avenir rêvé « de réconciliation et de liberté ». Si elle ne s’en rend pas compte immédiatement, quelque chose la rassemble, quelque chose lui ressemble dans l’ombre portée de la Révolution. Les deux jeunesses, celle de 1789 et celle de 1815, sont à la jonction de deux époques qui s’entrechoquent et s’opposent. Au calme de la monarchie s’oppose le tumulte révolutionnaire de 1789, la jeunesse doit composer avec cette réalité. Comment réformer sans tout renier et que renier ? Aux guerres incessantes de l’Empire se dresse le calme exacerbé de la Restauration. C’est dans cette dernière transition qu’une nouvelle génération doit s’affirmer et grandir. Si elle est satisfaite de cet héritage composite – des avancées de la Révolution, des réformes de l’Empire –, elle apprécie aussi la paix inconnue qui couvre la France dès 1815. Un temps seulement. La restauration de la monarchie fait bientôt rejaillir les interrogations et les atermoiements de 1789.

Peu à peu, le virus se propage.

La paix devient en effet une stabilité morose enfonçant la jeunesse dans un monde privé d’ambition. Génération après génération, et dès 1815, la jeunesse se confronte brutalement à l’ennui après le tumulte des insurrections et de la guerre… Bercée d’exploits nationaux, elle ne grandit plus que dans l’attente et le désespoir de voir se lever une nouvelle figure exaltante qui redorerait le blason de la France. Cette figure est appelée tout au long du XIXe, de Hugo avec son Hernani à Baudelaire dans le Spleen de Paris. C’est trop long, trop lent : l’esprit de la jeunesse se meurt et s’éteint. Comme Musset le décrit dans sa Confession d’un enfant du siècle, le « mal » désigne parfaitement ce mouvement dépressif de l’âme. On ne veut plus, on ne croit plus.

Deux siècles plus tard, le constat semble le même.

Crise sanitaire, crise politique et institutionnelle, crise identitaire, le monde du deuxième millénaire semble soûl, fou. La jeunesse se dit perdue, abandonnée, déprimée, sacrifiée. Elle voit son pays se déchirer entre vaccinés et non-vaccinés, elle le sent se fractionner par la perte de l’identité nationale. Elle s’endort face aux problèmes habituels qui la construisent et l’entretiennent dans une passivité maladive et paradoxalement confortable. Elle attend, léthargique, cette figure salvatrice qui saura lui redonner espoir, et lui montrer la beauté et la fougue de ce pays qui lui semble éteint et qui offrit pourtant les Lumières au monde.

La jeunesse se choisit régulièrement pour rédempteurs des figures fortes et exemplaires. Elle attend l’enthousiasme réformateur porté en 1848 et concrétisé par l’élection Louis-Napoléon Bonaparte, elle espère connaître la fougue chantée en 1903 dans le Discours à la Jeunesse de Jaurès, elle s’exalte devant le courage incarné par de Gaulle et les Résistants mais refuse pourtant de s’impliquer dans l’histoire de France et d’incarner le rôle qu’elle doit pourtant et fatalement jouer. Elle se plaint mais se détourne des scrutins, elle pleure mais refuse toute consolation par manque de motivation. En définitive et contrairement à la jeunesse du spleen baudelairien, notre jeunesse se leurre mais ne fait ni ne demande rien. Depuis 1958, la jeunesse s’ancre dans une attente longue et interminable se cachant aujourd’hui derrière les écrans, les technologies et les réseaux qui l’inhibent. Elle sombre dans un coma profond oubliant sa conscience politique et sociale. Elle regarde sans voir, écoute sans entendre et discourt sans raisonner. Elle se désintéresse de la politique car elle n’y voit plus d’espoir oubliant que, quoiqu’il arrive, « ubi bene, ubi patria ».

Le virus est installé et règne en maître dans son empire déprimant, désespérant, lassant.

Alors, il est temps de trouver un vaccin qui mettrait fin à la propagation de ce poison. Ce vaccin est dans la citoyenneté même. C’est la fougue, l’enthousiasme et la flamme de l’amour de la France qui habitaient nos pères, grands-pères et aïeux. Car oui, finalement, en 1848, en 1903, en 1958, ce n’est que l’amour de la France et l’amour pour la France qui étaient réanimées par nos figures historiques. Ces illustres guides n’ont fait que rappeler et expliquer sa grandeur intemporelle et éternelle. Ils ne font que rappeler que « La France est un éblouissement pour le monde » (Gambetta).

Blandine Casanova, juillet 2021

Blandine Casanova est étudiante en L3 de double-licence Droit-Histoire à l’Institut catholique de Vendée/ICES. Elle est stagiaire assistante (durant l’été 2021) de François Houdecek, Service Documentation et Communication numérique de la Fondation  Napoléon.

Titre de revue :
inédit
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