Une chronique de Camille Crunchant : « Plombières-les-Bains : quand Napoléon III faisait bouillonner l’Histoire »

Auteur(s) : CRUNCHANT Camille
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Blottie dans un repli des Vosges méridionales, à quelques encablures de la Haute-Saône, Plombières-les-Bains est une ville d’eaux qui a traversé les siècles, se forgeant au fil du temps l’image d’une station thermale réputée. Si ses sources sont connues depuis l’Antiquité -des thermes romains ont été construits pour tenir lieu d’hôpital aux légions romaines basées le long du Rhin- c’est au XIXe siècle, sous le Second Empire, qu’elle connaît l’un des moments les plus marquants de son histoire, grâce à Napoléon III.

Une chronique de Camille Crunchant : « Plombières-les-Bains : quand Napoléon III faisait bouillonner l’Histoire »
Thermes Napoléon de Plombières-les-Bains © Musée du Patrimoine

Dès avant Napoléon III, la famille impériale avait déjà établi un lien particulier avec Plombières. Joséphine de Beauharnais, épouse de Napoléon Ier et grand-mère de Louis-Napoléon Bonaparte, y effectuait régulièrement des séjours thérapeutiques. Au milieu du XIXe siècle, cette tradition se poursuit, mais prend une tout autre ampleur. Souffrant de douleurs chroniques, notamment de rhumatismes, le neveu de Napoléon Ier découvre Plombières en 1856. Il y revient ensuite régulièrement jusqu’en 1868, alternant cures, aménagements urbains, mais également rencontres politiques. Ces séjours ne relèvent donc pas de l’anecdote impériale et marquent la transformation d’une petite ville thermale en un lieu où se joue, à plusieurs reprises, l’Histoire avec un grand H.

Car l’Empereur n’est pas un curiste comme les autres. Il loge d’abord au Bain Stanislas, puis au Pavillon des Princes et, plus tard, au Grand Hôtel. Il vient certes pour soulager ses douleurs, mais aussi pour gouverner. À Plombières, l’Empereur ne se repose pas : il pense, il signe, il décide. Le 21 juillet 1857, c’est à Plombières que Napoléon III signe le décret instituant le corps des tirailleurs sénégalais, premier corps de troupes indigènes à intégrer l’armée française, un acte fondateur pour l’implication des territoires coloniaux dans la défense de la Nation. L’année suivante, en 1858, que la petite ville vosgienne entre pleinement dans l’histoire européenne, lorsque, le 21 juillet, l’Empereur reçoit en secret Camillo Cavour, homme d’État piémontais. Ensemble, les deux hommes scellent un accord stratégique : la France s’engage militairement aux côtés du royaume de Piémont-Sardaigne contre l’Autriche, en échange de la Savoie et du comté de Nice. L’Entrevue de Plombières devient le point de départ d’une série d’événements qui mèneront, quelques années plus tard, à l’unification de l’Italie. Pour les Italiens, cette entrevue est encore considérée aujourd’hui comme un moment fondateur de leur histoire nationale.

Mais l’influence de Napoléon III à Plombières ne se cantonne pas à la diplomatie. Elle se lit aussi dans la pierre. À chacune de ses visites -en 1856, 1857, 1858, 1859, 1861, 1865 et 1868- l’Empereur suit de près l’évolution des chantiers qu’il a impulsés. Les Thermes Napoléon, l’église Saint-Amé dont la reconstruction débute à son initiative, le Grand Hôtel, le parc impérial et même la gare communale — mise en service après l’Empire, en 1878, mais initiée dès 1868 — témoignent de cette volonté d’aménager une ville à la hauteur de son rang. Cette politique d’embellissement n’est pas sans rappeler, toutes proportions gardées, celle menée à Paris avec Haussmann. D’ailleurs, l’ancien président de la Cour des comptes Philippe Séguin ne s’y était pas trompé lorsqu’il affirmait : « Napoléon III a reconstruit deux villes : Paris et Plombières. »

Aujourd’hui encore, la ville vosgienne arbore les traces tangibles de ce passé impérial. Sur la flèche de l’église, une couronne impériale dorée trône en hommage à la générosité de Napoléon III. Les Thermes Napoléon, toujours en activité, conservent leur nom et leur majestueuse façade. Le Grand Hôtel, même s’il a changé d’usage, reste un témoin fidèle de cette époque florissante. Quant à l’ancienne gare, elle a été transformée en casino, où un ancien wagon abrite un restaurant insolite, vestige ferroviaire d’un passé glorieux.
Plombières-les-Bains n’est donc pas qu’une station thermale. C’est aussi un lieu de mémoire impériale, un territoire où se sont joués des choix politiques, militaires, diplomatiques et urbanistiques majeurs. Dans ses ruelles étroites, ses bâtiments Second Empire et ses établissements thermaux se mêlent le souvenir de l’homme et du souverain. Napoléon III, s’il venait à Plombières pour se soigner, n’y était pas en villégiature. Il y gouvernait. Il y pensait l’Europe. Il y bâtissait l’avenir. Et plus d’un siècle et demi plus tard, son empreinte y demeure, toujours visible, toujours palpable. Comme une vapeur d’histoire suspendue entre les murs d’une ville qui n’a rien oublié.

Camille Crunchant, docteure en histoire et responsable d’édition scientifique à la Fondation Napoléon (avril 2025)

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