Cela prêtait à sourire jusqu’au printemps 1984 où il réapparut, en chair et en écailles, sous le Pont-Neuf, à la grande frayeur des égoutiers. La légende rejoignait la réalité. Les pompiers eurent bien du mal à l’attraper, munis il est vrai, si l’on en croit les quotidiens de l’époque, d’outils rudimentaires, à savoir une pelle et un balai. C’était un beau crocodilus niloticus d’un mètre de long, sans doute abandonné par des propriétaires inconscients et débordés par un bébé devenu bien encombrant. L’aquarium de Vannes accepta d’accueillir l’ermite du cloaque qui se révéla être une femelle et reçut le doux nom d’Éléonore. On lui ménagea un enclos avec un décor d’égout, plaque de rue parisienne, casque et lampe de cureur. À la suite d’une pétition contre ses conditions de vie jugées dégradantes, elle a été transportée en 2020 dans « une ferme » de crocodile. La période de reproduction lui a été fatale. Harcelée, agressée, oppressée, elle a succombé d’épuisement. Croyant la sauver, on l’a précipitée vers sa fin.

Ainsi se clôt tristement un épisode d’un mythe universel, celui d’une bête immonde vivant dans les sombres entrailles de la ville et faisant pitance d’êtres humains. La branche parisienne a ceci de particulier qu’elle y associe un nom célèbre, Napoléon Bonaparte, sans que ce dernier y soit pour quoi que ce soit ! En effet, la légende prit corps dans les années 1840 dans une revue de littérature populaire en fusionnant une vieille histoire moyenâgeuse de dragon sous le palais de la l’île de la Cité et les échos de la campagne de 1798, encore bien présents dans les esprits.
Mais le récit n’est pas mort. Les réseaux sociaux bruissent de photomontages, de on-dit sur des nouveaux prédateurs aux dents acérées se tenant à l’affût dans les boyaux tentaculaires qui serpentent sous nos pieds.
Chantal Prévot
Février 2022
Chantal Prévot est responsable des bibbliothèques de la Fondation Napoléon.