Antoine de Piis était un écrivain sans le sou qui parvint à s’employer dans l’administration, s’y trouva bien, et comme tant d’autres, passa sans encombre les changements de régimes. Il était possédé par le démon de l’écriture et commit des vaudevilles aussitôt oubliés, et de piteuses pièces poétiques en hommage à Leurs Majestés, royales ou impériales. Là encore comme tant d’autres. Pour le plaisir (quoique), nous donnons un bref extrait d’un poème écrit en l’honneur du mariage de Napoléon et de Marie-Louise :
Napoléon et Mars sont deux dieux ressemblans;
Mais vous qui de Minerve, en abordant la France,
Nous montrer les attraits, les vertus, les talens,
Montrez-nous aussi sa puissance…
Quand votre Époux au genre humain
Pourrait dicter des lois en maître,
Louise, votre sceptre en main,
Frappez la terre, et l’olivier va naitre.
On en conviendra, la pauvreté des vers est assez affligeante.

Le cas d’Hédé est encore plus surprenant. Il était boulanger, le meilleur de Paris. A ce titre il avait fourni la table des Tuileries, qu’elle soit décorée d’aigles ou de lys. A lire L’almanach gourmand, ses produits étaient d’excellence.
Mais que font ces artisans, chacun dans son genre, parmi l’élite politique et militaire ? Certes, Piis était un mauvais écrivain affublé d’un nom qui, prononcé à haute voix, prêtait à sourire. Certes, Hedé vendait ses pains de fantaisie plus chers que les autres boulangers, et selon les propres mots de la police : « Ce n’est pas chez lui que le peuple va s’approvisionner ». Mais en quoi les pauvres élégies du chevalier de Piis ou les petits pains au lait de Hedé furent-ils si importants dans la grande valse-hésitation de l’Histoire ? Auraient-ils été plus prompts que d’autres à sentir le vent tourner ? La seule explication qui nous semble plausible est celle d’un règlement de compte personnel entre les auteurs du Dictionnaire et ces deux « hommes-girouettes ». Ainsi parmi les contributeurs du dictionnaire, on comptait un chansonnier et poète, Pierre-Joseph Charrin, confrère de Piis. Tous deux étaient goguettiers dans la même société, Le Caveau moderne (charmante et enivrante occupation tombée en désuétude qui consistait à écrire des vers pour les chanter ou les déclamer à ses compagnons de tablée entre deux plats et deux bouteilles). La politique les opposa à la fin de l’Empire et précipita la fin du Caveau. Doit-on voir une revanche littéraire dans le score élevé de Piis ? Quant au boulanger, était-ce une basse vengeance collective pour des gourmandises jamais rassasiées ?
Chantal Prévot, mars 2019
Chantal Prévot est responsable des bibliothèques de la Fondation Napoléon.