Une chronique de Chantal Prévot : fantômes et hallucinations, quand la peur investit la littérature du XIXe siècle

Auteur(s) : PRÉVOT Chantal
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Une chronique de Chantal Prévot : fantômes et hallucinations, quand la peur investit la littérature du XIXe siècle
Chantal Prévot © Fondation Napoléon / Rebecca Young

Vendredi 13 … janvier 2023.

Profitons de cette date pour revenir sur la peur, thème choisi cette année pour la 7ème édition des Nuit de la Lecture (19-22 janvier), et son histoire.

Venus des contes de l’enfance, l’épouvante, de concert avec l’irréel firent une entrée fracassante au XIXe siècle dans la littérature (la grande, celle qui est anoblie par les pages des beaux livres). Les revenants qui n’apparaissaient jusqu’alors que dans les « histoires de bonne femme » ou les loups-garous qui n’effrayaient que les « incrédules des hameaux » devinrent alors des archétypes, que les plus grands écrivains n’hésitèrent plus à convier dans leurs œuvres.

Le mouvement romantique s’empara de ce nouveau genre, mettant ainsi à la mode le mot « fantastique ». Désormais, l’imagination et la peur se conjuguèrent, servies par les belles plumes du siècle. On se mit à frissonner, chose nouvelle, dans les plus beaux salons parisiens à la lecture de textes jugés effroyables, exactement comme on le faisait depuis des siècles dans les veillées paysannes à l’écoute d’un habile conteur.

Le fantastique fit resurgir des personnages présents depuis longtemps dans les légendes, comme les spectres, les vampires. Mais il innova aussi en racontant le surnaturel, au point de ne plus savoir si les récits sont le fruit d’hallucinations nées dans des cerveaux fragiles, ou si, au contraire, ils révèlent un autre monde, ouvert à ceux qui savent voir et ressentir.

Le merveilleux et la fantaisie des siècles précédents firent cependant place à des sentiments plus noirs, plus lourds, plus mélancoliques. À la lecture des nouvelles fantastiques (ce sont essentiellement sous cette forme brève que le genre s’écrit) de ce temps, on est frappé par l’omniprésence des thèmes de la folie, de l’illusion, du dédoublement, de la solitude. L’inquiétante étrangeté traversa tout le siècle, des contes assez méconnus de Charles Nodier (Infernaliana –quel titre prometteur ! – 1822), aux nouvelles de Théophile Gautier (La cafetière, 1831 ; Le pied de la momie, 1840), jusqu’aux chefs d’œuvre de Guy de Maupassant (notamment La nuit, 1887).

À la suite de l’Allemand Hoffmann, grand initiateur du genre fantastique pour toute l’Europe, il est peu d’écrivains qui ne s’y soient pas essayés : Balzac, Sand, Nerval, pour ne citer que des noms français, sans oublier le musicien Offenbach qui, en 1851, transforma en « opéra fantastique » Les contes d’Hoffmann, un de ses plus grands succès. C’est en effet à Ernst Théodor Amadeus Hoffmann (1776-1822) (Les Élixirs du diable, 1816 ; L’homme au sable, 1816 ; Le chat Murr, 1819-1821) que revient le mérite d’avoir le premier renouvelé un genre plutôt engoncé dans des fééries figées.

Les journaux des années 1830 tentèrent alors d’expliquer à leurs lecteurs ce nouveau sens du merveilleux :

Le merveilleux, pour Hoffmann, n’est ni un jeu d’esprit, ni un jeu de théâtre, mais quelque chose de réel qui a sa racine dans l’esprit humain. Ce n’est donc point à des traditions usées qu’il le demande […], il le demande à l’imagination, qui, livrée à elle-même, en se fait faute d’en créer.

Et d’illustrer le propos par cette mise en condition :

Qui de nous, dans une sombre nuit d’hiver, assis auprès d’un large foyer, quand le vent souffle et que le lambris craque, n’a entendu des bruits extraordinaires, des voix surnaturelles ? Qui dans un demi-sommeil n’a vu flotter devant ses yeux des formes bizarres, des figures étranges ? (Le Globe, 26 décembre 1829).

Il est étonnant de constater à quel point ce siècle que l’on dit, peut-être trop vite, scientifique et rationnel, s’est complu dans le surnaturel. Était-ce une échappatoire à un monde que l’on jugeait trop cruel ? Certainement. Le vague à l’âme, le spleen, dans lesquels se drapaient les plus grands artistes, firent des ravages dans les générations grandies à l’ombre de la Révolution et de l’Empire. Mais cette quête du frisson n’était pas que morbide ou teintée de déprime, elle était aussi divertissante.

On oublie peut-être un peu trop vite que lire n’était pas forcément un pensum, surtout lors de longues soirées sans écrans omniprésents. Le fantastique venait combler deux attentes : le désir d’évasion dans des univers étranges, et, le besoin de faire entrer, dans un quotidien morne, l’anormalité et les frissons, que l’on savait pouvoir chasser en refermant le livre.

C’est là tout l’envoûtement de la lecture.

Chantal Prévot, responsable des bibliothèques de la Fondation Napoléon

mise en ligne 13 janvier 2023

► Dans le cadre de la Nuit de la lecture 2023, soirée Frissons ! le mercredi 25 janvier 2023, à la Fondation Napoléon, salle Gourgaud, avec une lecture de récits fantastiques du XIXe s., lus par le comédien Stéphane Bierry. (sur inscription)

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