Coupons court aux mystères mal ou faussement entretenus : à l’état actuel des connaissances, l’exemplaire le plus proche de la première empreinte est le masque Antommarchi-Azémar, conservé au musée du château de Malmaison.

Il ne s’agit pas de l’original (le mythique original !) parce que les morceaux qui le constituaient, en plâtre granuleux tout juste sorti d’un four à chaux saint-hélènien, furent brisés. La partie centrale, subtilisée par Antommarchi ou Mme Bertrand, dut être cassée pour démouler un masque complet digne de l’Empereur ; les parties périphériques, reprises par Burton, sans qui nulle empreinte n’existerait, finirent fracassées par ce dernier, dépité de s’être laissé berné par le clan français.
Seuls donc les yeux, le nez et la bouche reflètent la vérité du visage mais nous offrent tout de même à voir les traits les plus caractéristiques de l’Empereur défunt. Les pourtours résultent d’une reconstitution tenant sans doute plus de l’œuvre artistique que de la véracité, ce qui était courant alors dans l’élaboration des masques mortuaires. Cet objet funéraire avait en effet pour vocation première de servir de base à un buste commémoratif, mais le sculpteur Canova pressenti pour l’exécution, trop malade, n’eut pas le temps de la réaliser.
Il reste donc cette relique (un terme à entendre presque au sens religieux), qui a été reproduite tant de fois, devenue un motif de décoration de salons et de bibelots au XIXe siècle, en plâtre, en bronze, en marbre, grandeur nature, en réduction. Mais la fascination ne s’arrête pas là. Depuis deux siècles, elle est si forte que le recensement des exemplaires présentés comme étant le seul et le vrai original s’étend d’un énième surmoulage en plâtre de l’archétype Antommarchi à une figure plus empâtée et tourmentée, et ose même le papier mâché ou encore la cire. L’attrait pécuniaire y joue aussi un rôle non négligeable, car les enchères peuvent s’envoler. Et au-delà de ces visages, où avouons-le, on peine parfois à reconnaître le portrait de Napoléon tel qu’il fut fixé par les peintres, se nichent des récits explicatifs rocambolesques et souvent abracadabrantesques. Les lacunes dans la narration au sujet de la recherche du matériau sur l’île, de l’exécution de l’empreinte à Longwood, du départ pour l’Europe, du façonnage des premiers exemplaires à Londres, laissent place à toutes les interprétations, à toutes les imaginations. De plus, les mensonges ou tout du moins les arrangements avec la réalité de la part d’Antommarchi et le peu de curiosité manifesté par les témoins de l’exil pour le devenir de l’objet n’aident pas à une compréhension sereine et entière.
Sans nul doute, le magnétisme de ce masque va continuer longtemps à aimanter intérêts et partis pris. Parce qu’il concentre tout à la fois la séduction de ce que serait le visage réel de Napoléon en l’absence de photographie, des sentiments d’attrait ou de répulsion, un soupçon de mystère et le parfum délétère de la mort.
Chantal Prévot, responsable des bibliothèques de la Fondation Napoléon (mars 2025)