La première feuille à rebaptiser l’empereur est le Journal des Débats du 8 avril 1814, affirmant, parmi d’autres accusations :
« Il est bon de faire connaître au public que Buonaparte ne s’appelle point Napoléon, mais Nicolas, cet homme voulait paraître extraordinaire en tout, et jusque dans son nom de baptême ».
En effet, ce changement d’état-civil annule l’efficacité d’un prénom peu porté qui, dans l’opinion publique ne s’applique qu’à un seul homme, et dans le langage familier, un Nicolas est un paysan mal-dégrossi, ce qui ne peut que divertir les royalistes qui aiment à persifler sur les origines modestes du petit Corse. De plus, Nicolas est un des surnoms que l’on donne au Diable dans les provinces méridionales si farouchement monarchistes, et dans de nombreux pays d’Europe, Old-Nick en Angleterre, Neck en Allemagne.
La substitution de prénom marque les esprits, car elle exprime parfaitement la hargne et l’hostilité ressenties par une grande partie de la population. Ainsi, La constitution de Nicolas, nom d’un diable en vingt-deux articles se rit amèrement de la conscription mangeuse d’hommes, de la censure de la presse, de la toute-puissance d’un seul chef et de cette « paix que l’on veut glorieuse » après que le pays ait été saigné à blanc. Dans la même veine, les lecteurs s’amusent ou s’indignent devant le Dialogue entre le diable et Nicolas, ou La vérité sur l’arrivée de Nicolas à l’île d’Elbe, ou encore La vie de Nicolas, grand pot-pourri un recueil de chansons à fredonner sur des airs connus :
« La mère Lajoie, à vingt ans / Avait un mari, dix amants / Elle accoucha de Nicolas : / Qui fut son père ? / C’est un mystère / Qu’on ne dit pas ».
Aux auditeurs de comprendre sans difficultés les lourdes allusions : la mère Lajoie est Madame Mère raillée en femme lubrique, et Nicolas, un bâtard, est Napoléon. La vogue est lancée. S’en suit d’autres libelles : Trois épîtres sur Nicolas Buonaparte ; Histoire véritable et lamentable de Nicolas Buonaparte, Corse de naissance, dit Napoléon-le-Grand ; Grande complainte sur le triste sort de Nicolas, dit Napoléon, jadis empereur de hasard.
Il n’est jusqu’aux gravures qui ne s’emparent du surnom pour mieux le brocarder. En août 1815, une eau-forte reprend le thème de Satan revêtu des habits impériaux. En titrant L’arrivée de Nicolas Buonaparte aux Tuileries le 20 mars 1815, le marchand d’estampes Gauthier affiche dans sa boutique rue du Marché-Neuf le rejet de la guerre. « Nicolas » est accompagné de la Mort, squelette armé de la faux et de la Misère, femme décharnée se rongeant ses propres os, qui déclarent « nous suivrons toujours notre Empereur ». Ses admirateurs ont beau déclarer « Ah quel grand homme », ils ne peuvent convaincre les hommes et femmes du peuple, plus que sceptiques devant la proclamation d’une trêve de 20 ans avec les Puissances. La caisse de récompenses militaires ouverte sur des béquilles et des pilons de bois suffit pour comprendre le refus de croire en ces paroles de paix.

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« Nicolas » le terrible revient encore dans d’autres gravures qui vouent le chef des armées aux enfers pour trop de sang versé. L’argument des crimes de masse qui doivent être expiés est repris. Nicolas-Napoléon tente de résister à Satan qui le tire vers la fournaise du royaume des damnés, et soupire : « Que de peine de quitter la vie quand on voit encore tant d’humains ». Mais la Mort qui l’enlace ne lui laisse pas le choix : « Ah descends là-bas Nicolas, Que le diable t’emporte ».

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La popularité des Nicolas-Napoléon ne semble pas dépasser les premières années de la chute de l’Empire. Peu à peu, les squelettes et le Malin seront repoussés des premiers plans pour laisser place à la légende dorée, le bûcher de l’Enfer prenant ainsi la forme des oriflammes de la gloire.
Chantal Prévot, responsable des bibliothèques de la Fondation Napoléon (décembre 2024)
À lire en ligne
La constitution de Nicolas, nom d’un diable (don 2024 à la Fondation Napoléon, fonds Hartvig)
La vie de Nicolas, grand pot-pourri
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