Et Les Trois mousquetaires, dans tout cela ? Les épaves de Dumas ne contiennent que de rares feuillets du Vicomte de Bragelonne, miraculeusement épargnés mais sans grand intérêt pour la critique car peu raturés. Pour trouver trace de d’Artagnan, Athos, Porthos et Aramis, il faut regarder du côté des trente-trois volumes d’archives d’Auguste Maquet (1813-1888), le « nègre » de l’écrivain, avec qui il fut justement en procès au sujet de la paternité des Trois mousquetaires. Il y a bien un fragment de manuscrit du chapitre XLI, seul et unique rescapé, concernant le siège de La Rochelle. Et là, reconnaissons-le, le chercheur en a pour son argent. On découvre un véritable manuscrit d’écrivain, avec ses ratures, ses passages écartés, et même quelques taches d’encre et de café.
S’il n’est pas question de refaire le procès que Dumas gagna malgré les arguments développés par Maquet selon qui son patron ne changeait pas une seule virgule à sa prose avant de l’envoyer à l’impression, le manuscrit parle de lui-même. D’une certaine façon, les deux auteurs en sortent gagnants. Le manuscrit de Maquet n’a, en effet, absolument rien à voir avec l’œuvre publiée sous le nom de Dumas : le « nègre » a donné les premiers développements sur une trame fournie par le maître, qui l’a considérablement étoffée. L’un a su développer une intrigue et structurer les chapitres ; l’autre y a ajouté un souffle, une vision puissante, une capacité d’exposition et une érudition hors-norme.
On savait Dumas grand lecteur et même grand chercheur : ses notes passionnantes sur l’éphémère république parthénopéenne de 1799, rassemblées en un volume, n’ont rien à envier à celles des meilleurs historiens de son temps. Pour les Trois mousquetaires, il a sans doute mené son enquête mais a largement fait travailler son imagination. Les trois compagnons d’armes du héros sont ainsi de pures inventions même s’il tenta de faire croire le contraire. Dumas affirme en effet dans sa préface avoir tiré de l’oubli les noms d’Athos, Porthos et Aramis en consultant à la Bibliothèque nationale (alors royale), le « manuscrit no 4772 ou 4773, nous ne nous le rappelons plus bien », mais ce document, qui n’a jamais existé, figure comme un excellent canular littéraire, procurant à son roman un parfum de vraisemblance. Tout le génie de Dumas est là, rendre crédible une pure création littéraire au point qu’aujourd’hui sa version de l’histoire surpasse, et de loin, toutes les autres.
Charles-Éloi Vial
Avril 2023
Charles-Éloi Vial est archiviste paléographe, conservateur des bibliothèques et depuis 2012 en poste au département des manuscrits de la BnF, service des manuscrits modernes et contemporains. Il a reçu le Prix Premier Empire 2017 de la Fondation Napoléon pour sa biographie de Marie-Louise (Perrin, 2017) et est l’auteur de nombreux autres ouvrages sur l’histoire du XIXe s.
► En avril-mai 2023, Le Figaro Histoire, partenaire de la Fondation Napoléon,
consacre un dossier spécial
à la France des mousquetaires, de l’âge baroque à la naissance de l’État moderne. ◄