Une chronique de Charles-Éloi Vial – Les archives de Prosper de Barante : un exceptionnel puzzle patrimonial

Auteur(s) : VIAL Charles-Éloi
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L’année 2021 s’achève, pour les historiens de l’Empire, sur une nouvelle douce-amère, celle de la dispersion de la bibliothèque et des archives de l’historien, diplomate et préfet de l’Empire Prosper de Barante (1782-1866), au cours d’une vente organisée à Clermont-Ferrand. Un tel événement est toujours triste, mais celui-ci a été suivi d’une série d’achats par différentes institutions patrimoniales, qui ont été capables de se coordonner afin de « sauver » – c’est à dire de mettre à la disposition de la communauté scientifique et du grand public – une part importante des manuscrits autrefois conservés au château de Barante, agissant chacune selon leurs moyens et leur politique d’enrichissement.

Une chronique de Charles-Éloi Vial – Les archives de Prosper de Barante : un exceptionnel puzzle patrimonial
Charles-Éloi Vial © D. R.

Les Archives nationales ont ainsi fait l’acquisition de la correspondance familiale et amicale de Prosper de Barante, soit plus de 4 700 lettres formant un témoignage en grande partie inédit. La Bibliothèque de l’Institut a fait l’acquisition des lettres du chancelier Pasquier à Prosper de Barante échangées entre 1820 et 1862, où les deux hommes évoquent souvent l’Empire ; et les Archives départementales de Vendée des lettres de Boissy d’Anglas à Barante, concernant les troubles en Vendée à la fin de l’Empire, à l’époque où ce dernier était préfet de Loire inférieure. La Bibliothèque de l’Assemblée nationale a pour sa part acheté une partie des notes de travail relatives à ses Études historiques et biographiques et son Histoire du Directoire. La Bibliothèque interuniversitaire de la Sorbonne a acquis le manuscrit du « mémoire remis aux puissances alliées sur les institutions politiques et constitutionnelles de la France, telles que le roi se propose de les rétablir », daté de juillet 1815 et représentatif des idées du groupe des « constitutionnels » regroupé après les Cent-Jours autour de Pasquier. Les archives diplomatiques de La Courneuve ont récupéré des documents relatifs aux ambassades de Prosper de Barante à Turin et Saint-Pétersbourg sous Louis-Philippe, et la bibliothèque de Clermont-Ferrand plusieurs volumes annotés par Claude-Ignace de Barante (1745-1814), premier préfet de l’Aude sous le Consulat.

La Bibliothèque nationale de France a enfin acquis un bel ensemble, avec quatre carnets de notes tenus entre 1806 et 1866, contenant des notes de lectures et souvenirs personnels, où il évoque notamment une audience à Saint-Cloud sous l’Empire et la campagne de 1806, ainsi que le manuscrit d’un roman de jeunesse évoquant les pérégrinations d’un émigré français en Allemagne. Surtout, la BnF a récupéré les 10 volumes annotés par Barante de l’Histoire de la Restauration de l’historien Capefigue, paru de 1831 à 1833, ainsi que les 10 volumes annotés également de L’Europe pendant le Consulat et l’Empire, publié par le même Capefigue en 1840, ses notes formant une autobiographie d’un genre particulier. Sur les 640 pages manuscrites laissées par Barante, on retrouve entre autres ses souvenirs sur Mme de Staël, le maréchal Augereau, Talleyrand, Mounier ou Sieyès, ou une description du conseil d’État au début de l’Empire. Barante se souvient d’avoir vu Napoléon dicter à Maret des Bulletins de la Grande armée et relate sur 96 pages d’affilée ses souvenirs de la campagne de Prusse, avant d’évoquer une rencontre avec Napoléon aux Tuileries en janvier 1813.

On se souvient de la remarque d’Anatole France (1844-1924), qui avait croisé Prosper de Barante dans les années 1860 : « Personne ne lit plus aujourd’hui ces pages des Ducs de Bourgogne, pourtant si faciles à lire et calquées sur les chroniques avec une grâce un peu molle. On n’a jamais beaucoup feuilleté ses histoires de la Convention et du Directoire ». Avec cette série de manuscrits, désormais conservés dans des institutions publiques et librement consultables, les chercheurs pourront redécouvrir les travaux d’un des principaux historiens du XIXe siècle, mais aussi les souvenirs d’un grand témoin un peu oublié de l’Empire.

Charles-Éloi Vial

Janvier 2022

Charles-Éloi Vial est archiviste paléographe, conservateur des bibliothèques et depuis 2012 en poste au département des manuscrits de la BnF, service des manuscrits modernes et contemporains. Il a reçu le Prix Premier Empire 2017 de la Fondation Napoléon pour sa biographie de Marie-Louise (Perrin, 2017).

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