Une chronique de Charles-Éloi Vial : « Napoléon, juge de Marie-Antoinette »

Auteur(s) : VIAL Charles-Éloi
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Les témoignages sur ce que Napoléon pensait de la dernière reine de France ne sont pas nombreux, mais ils ne manquent pas d’intérêt, pour peu que l’on puisse les remettre dans leur contexte. Le jeune Bonaparte l’a sans doute aperçue, en visitant comme des milliers de sujets la cour de Versailles durant son séjour à Paris à l’automne 1787, ou encore en assistant aux journées révolutionnaires du 20 juin et du 10 août 1792.

Curieusement, il n’en a presque jamais parlé, que ce soit parce que la contemplation de la souveraine, de son époux ou des autres membres de la famille royale, Provence ou Artois, le laissa indifférent, ou plus probablement parce que le vainqueur d’Austerlitz ne souhaitait pas écorner sa légende en rappelant à ses proches qu’il avait été un jour un simple sujet et, pire encore, un vulgaire solliciteur courant les antichambres de Versailles.

Une chronique de Charles-Éloi Vial : « Napoléon, juge de Marie-Antoinette »
Charles-Éloi Vial © D. R.

Plus tard, Napoléon a en revanche parlé de Marie-Antoinette avec de nombreux personnages qui avaient fréquenté la cour, notamment Mme Campan, l’ancienne première femme de chambre de la reine, mais aussi Roederer, un des acteurs de la journée du 10 août 1792, et enfin le chambellan Thiard de Bissy, qui tenta en 1805 de lui présenter « l’Autrichienne » sous un jour favorable : « Cette princesse a toujours été mal appréciée. Tout ce qui a été rapporté sur son compte est calomnie pure. Enfant quand elle quitta Vienne, arrivée en France sous le règne de Mme du Barry, elle n’y a trouvé ni direction ni appui […]. Humiliée par l’indifférence, par une espèce de dédain que ses charmes rendaient plus inexplicables et qui se prolongèrent longtemps, il est naturel qu’elle ait cherché dans les dissipations un dédommagement. » Devant sa réaction dubitative, Thiard comprit que Napoléon n’aimait pas Marie-Antoinette mais qu’il était curieux d’en savoir plus.

C’est sans doute à Sainte-Hélène qu’il évoqua le plus de la reine. Dans les Cahiers du général Bertrand, il déclare ainsi, sans prendre de pincettes : « Marie-Antoinette malheureusement était une putain. Elle a eu d’abord Fersen, le comte d’Artois. Mme Campan a dit à l’empereur que, dans la nuit du 4 octobre, elle ôta dans la chambre de la reine, sur un coup d’œil de la princesse, la culotte de Fersen où était sa montre à répétition. Elle a cruellement expié ses fautes. Louis XVI était au reste un homme fort dégoûtant, vomissant souvent, rotant fréquemment, ayant toujours l’air ivre ». Le témoignage de Gourgaud s’avère plus complet et légèrement plus positif : « Roederer m’a dit que tout ce qu’on avait dit de la fermeté de la reine au 10 août était faux. Elle était comme toutes les femmes ; dans le cabinet du roi elle pleurait à chaudes larmes, paraissait craintive et demandait à Roederer que faire ; elle pressait pour aller à l’Assemblée. Quand elle sortait du cabinet, ses larmes se séchaient à l’instant et tous ceux qui la voyaient la trouvaient fière et courageuse. »

Début 1817, on retrouve une autre citation au sujet de la célèbre affaire du Collier, écho de ses entretiens avec Mme Campan : « C’est comme pour l’aventure du Collier, la reine était innocente et, pour donner une plus grande publicité à son innocence, elle voulut que le Parlement jugeât. Le résultat fut que l’on crut que la reine était coupable. Cela causa du scandale et jeta du discrédit sur la cour. Peut-être la mort de la reine date-t-elle de là ? » Napoléon va jusqu’à déclarer que Marie-Antoinette était devenue « la maîtresse du roi », affirmant que les Bourbons ne pouvaient se passer d’une favorite puissante ou d’un premier ministre, c’est-à-dire d’une femme ou d’un homme de paille sur qui l’opinion se focalise en permettant de préserver le prestige du souverain, ce qui est extraordinairement bien vu.

L’Empereur, qui avait visiblement beaucoup médité sur les causes profondes de la chute de la monarchie, envisageait apparemment la Révolution, mais aussi le procès du roi et de la reine, comme les conséquences de l’essor de l’opinion publique et d’une accumulation de rancœurs et de rumeurs courant sur plusieurs décennies. Il a fallu attendre presque deux siècles pour que les historiens actuels en viennent à leur tour à envisager le rôle des favorites comme boucs émissaires de l’impopularité royale et la dégradation du prestige de la figure du roi comme un processus de long terme, reprenant sans le savoir la grille d’analyse esquissée par l’exilé de Longwood.

On le comprend, Napoléon s’était forgé très tôt une opinion bien arrêtée sur l’incapacité des dirigeants et l’immoralité des grands personnages de la cour de Versailles. Il avait définitivement pris parti contre l’Autrichienne, qu’il considérait comme une débauchée et une conspiratrice, et rien ne put jamais le faire changer d’avis. Dans ses confidences sur la reine comme dans d’autres conversations, le général jacobin perce sous l’empereur, mais presque toujours, ses propos de corps de garde cachent des réflexions étonnamment profondes.

Charles-Éloi Vial (18 janvier 2024)

Charles-Éloi Vial est archiviste paléographe, conservateur des bibliothèques et depuis 2012 en poste au département des manuscrits de la BnF, service des manuscrits modernes et contemporains. Il a reçu le Prix Premier Empire 2017 de la Fondation Napoléon pour sa biographie de Marie-Louise (Perrin, 2017). Il a publié en janvier 2024 une biographie de Marie-Antoinette, chez Perrin.

► La Fondation Napoléon accueillera mardi 6 février 2024, à 18 heures, une conférence de Charles-Éloi Vial : « Napoléon et Marie-Antoinette : histoire(s) d’un rendez-vous manqué ».

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