Une chronique de Christina Egli : le tombeau de Napoléon … à Arenenberg, dans le canton suisse de Thurgovie

Auteur(s) : EGLI Christina
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D’Arenenberg, le 18 juin 1821 Hortense de Beauharnais voulut envoyer une lettre à Napoléon :

Sire,
Enfin, après bien des années j’ai trouvé une occasion qui me fait espérer que ma lettre arrivera à Votre Majesté et lui portera l’expression de mes sentiments. Mr de Planat lui dira combien j’ai besoin de me rappeler à son souvenir et combien il nous est pénible de ne jamais recevoir de ses nouvelles car vous êtes toujours, Sire, la constante occupation de ceux qui vous ont voué un tendre dévouement excepté que le malheur est venu répandre sur tout ce qui tient à vous une impression plus religieuse et plus sacrée.
J’espère que V. M. a reçu une boite avec le portrait de ma mère que je lui ai envoyé il y a deux ans. La vue d’une amie si tendre et si dévouée lui aura fait plaisir, j’espère. Si elle existait encore, son seul regret serait de n’avoir partagé que le bonheur de V.M. ; tout ce qui tient à elle éprouve ces mêmes sentiments et espère que vous n’en douterez jamais. [… ]
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Une chronique de Christina Egli : le tombeau de Napoléon … à Arenenberg, dans le canton suisse de Thurgovie
Christina Egli

Il ne la lira jamais. Le 14 juillet, Hortense est en cure à Bade dans le canton d’Argovie pour soigner une fièvre nerveuse rhumatismale. Son ancienne éducatrice Madame Campan et l’abbé Bertrand l’y ont rejointe. C’est là qu’elle reçoit la douloureuse nouvelle du décès de Napoléon sur l’île lointaine de Sainte-Hélène. Hortense part alors pour l’abbaye de Einsiedeln dans le canton de Schwyz, là où elle se rend toujours quand elle a besoin de calme. Madame Campan et l’abbé poursuivent directement leur voyage vers le lac de Constance. Peu après Hortense reçoit de son amie la duchesse de Raguse, un bracelet avec une pierre centrale en forme de cercueil portant la mention « Mon fils – tête de l’Armée – France! » qui auraient été les derniers mots prononcés par l’Empereur au moment de rendre son dernier souffle.

Peu de temps après l’annonce de la nouvelle du décès, Hortense reçoit une longue lettre du général Bertrand, puis la visite du général Gourgaud. Est-ce lors de ce séjour qu’il offre à Hortense une bouture d’un des saules de l’île de Sainte-Hélène ? Comme le montre la photographie en noir et blanc des photographes Ferrier et Soulier datant de la fin du 19e siècle, on savait encore à cette époque que Gourgaud avait apporté ce saule de Sainte-Hélène pour être planté à Arenenberg.

4654-Le Saule de Sainte Hélène planté par le général Gourgaud à Arenenberg © Musée Napoléon de Thurgovie
4654-Le Saule de Sainte Hélène planté par le général Gourgaud à Arenenberg, Thurgovie, Suisse, par Ferrier et Soulier © Musée Napoléon de Thurgovie

Au pied de cet arbre Hortense a placé une pierre rectangulaire, une pierre tombale. Y avait-il une inscription ? À proximité une source coulait vers le lac de Constance. Tout rappelle la vallée des géraniums à Sainte Hélène. Hortense a toujours cultivé le culte, la légende autour de Napoléon. Elle a aimé montrer ses souvenirs à ses invités – Alexandre Dumas et Chateaubriand en parlent dans leurs mémoires – : le fameux chapeau, les lettres à sa mère l’impératrice Joséphine qu’elle conserve dans un portefeuille marqué d’un J et d’un N et qu’elle publiera en 1833, la ceinture portée en Égypte, l’anneau du mariage, et le talisman de Charlemagne. Et le tableau qui a tant impressionné Alexandre Dumas, le tableau de Gros, Le général Bonaparte au pont d’Arcole. Elle le fait pour elle, pour les partisans de l’Empereur, mais surtout pour son fils, pour Louis Napoléon, qu’elle espère un jour voir monter sur le trône de France, pour celui dont Napoléon avait dit peu de temps avant son départ pour Waterloo: Il aura un bon cœur et une belle âme … c’est peut-être l’espoir de ma race (Stéfane-Pol, La jeunesse de Napoléon III. Paris, 1902, p. 8). En 1834 le peintre Félix Cottrau fait le portrait d’Hortense assise à son piano droit dans la chapelle avec vue sur le lac inférieur. Il a représenté le talisman de Charlemagne comme fermoir du manteau, bien placé, bien éclairé, montrant ainsi Hortense comme la mère de la prochaine génération sur le trône. Elle ne vivra pas assez longtemps pour voir Louis Napoléon devenir Napoléon III.

Depuis le début du XXe siècle, tout a disparu. Le chapeau, le talisman (il est aujourd’hui exposé au palais du Tau à Reims, donné par l’impératrice Eugénie en 1919), les lettres (elles sont aux Archives nationales), seul le tableau de Gros est resté accroché dans le salon en forme de tente, celui qui rappelle la salle du conseil au château de Malmaison. Mais aussi dans le parc car en 1906, avec la donation au canton de Thurgovie faite par Eugénie, cette partie du parc où se trouvait la tombe de Napoléon a été remplacée par des vignobles. Il n’en reste que des images.

Dans le cadre des commémorations autour du bicentenaire de la mort de Napoléon Ier, le musée Napoléon a décidé de faire revivre ce lieu : un saule a été planté et une plaque avec le N de Napoléon Ier placée non loin de l’arbre.

Une plaque avec le N de Napoléon Ier placée non loin de l'arbre de Sainte-Hélène, à Arenenberg © Musée Napoléon de Thurgovie
Une plaque avec le N de Napoléon Ier placée non loin de l’arbre de Sainte-Hélène, à Arenenberg © Musée Napoléon de Thurgovie

Pour marquer le bicentenaire et la reconstitution de ce lieu du souvenir, le viticulteur Peter Mössner prépare une cuvée spéciale (Pinot Noir, Régent, Maréchal Foch et Léon Millot). Son nom ? Le Tombeau de Napoléon.
Le tout accompagne l’exposition temporaire La fin de Napoléon. Sainte-Hélène, Arenenberg et la naissance d’une légende qui se tiendra du 10 mai au 24 octobre au musée Napoléon de Thurgovie, partenaire du label « 2021 Année Napoléon ».

 

Christina Egli
Avril 2021

Christina Egli est conservatrice en chef du Musée Napoléon au château d’Arenenberg dans le canton suisse de Thurgovie.

Titre de revue :
inédit
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