Une chronique de Claude Collard : Le Réveil de Napoléon, témoignage de la passion de Claude Noisot et François Rude pour Napoléon

Auteur(s) : COLLARD Claude
Partager

À Fixin, un ravissant village de Bourgogne au milieu des vignobles, proche de Gevrey-Chambertin et Nuits Saint-Georges, s’élève un monument à la gloire de l’empereur, Le Réveil de Napoléon. Ce monument a une histoire singulière, il témoigne de la passion de Claude Noisot, capitaine de la Garde impériale pour Napoléon et révèle une histoire d’amitié entre Claude Noisot et le sculpteur François Rude, prix de Rome en 1812, auteur du célèbre groupe La Marseillaise de l’Arc de Triomphe de l’Étoile.

Une chronique de Claude Collard : <i>Le Réveil de Napoléon</i>, témoignage de la passion de Claude Noisot et François Rude pour Napoléon
Claude Collard, conservatrice générale honoraire des bibliothèques © DR

Tous deux ont pour point commun leur appartenance à la Bourgogne dont ils sont natifs et une ferveur  immense pour Napoléon qui les conduira à concevoir et à réaliser ce projet monumental. « Le Réveil », qui trouve sa place à Fixin dans un projet plus vaste d’évocation de l’île d’Elbe, porte la marque de la nostalgie de Claude Noisot pour l’épopée napoléonienne à laquelle il a participé. Il témoigne de l’expression dans l’œuvre de Rude d’une image de la légende napoléonienne forgée après la mort de l’Empereur en 1821, et confortée par la publication du Mémorial de Sainte-Hélène de Las Cases en 1823, le livre préféré de Rude.

Réalisé en 1846, ce monument en bronze se situe au cœur de cette  période de grande ferveur populaire pour l’Empereur, concrétisée par la production d’estampes, de gravures, objets à son effigie. Claude Noisot et François Rude s’inscrivent ainsi dans ce vaste mouvement de réparation symbolique envers l’Empereur, mouvement que les Bourbons sous la Restauration n’avaient pas encouragé alors que la Monarchie de Juillet s’est montrée bienveillante en organisant le retour des cendres de l’Empereur, le 15 décembre 1840.

Claude Noisot, né  à Auxonne en 1787, est géomètre de formation. En 1807, il est tiré au sort pour les 20-25 ans et à partir de février 1809, il est engagé dans les campagnes napoléoniennes et batailles ponctuées de blessures (campagnes d’Espagne, Russie, Allemagne et France, batailles d’Essling, Wagram, Leipzig, etc.). Le 20 avril 1814, il assiste avec la 1er garde aux Adieux dans la cour de Fontainebleau et suit l’Empereur, à Elbe, où Napoléon le fait entrer à l’état-major en janvier 1815.

Après Waterloo, licencié de l’armée, il est rendu à la vie civile comme demi-solde. À 28 ans, il se retrouve comme 20. 000 autres officiers dans une catégorie sociale de déclassés. En juillet 1830, Claude  Noisot, 43 ans,  épouse à Paris Nicole Vienot, 64 ans, veuve sans descendance. Grâce à son mariage, son accession sociale va se réaliser comme pour de nombreux demi-soldes. Dans la corbeille de mariage, Nicole Vienot apporte un domaine foncier à Fixin où le couple s’installe. Claude Noisot se révèle un excellent gestionnaire. Il fait fructifier la propriété agricole et crée un domaine viticole avec un grand cru, « le Clos Napoléon ».

En 1835, juste à côté du Clos, il achète un terrain très escarpé et sauvage de 5 hectares, qui lui évoque les paysages de l’île d’Elbe. Il murit alors un projet de créer un sanctuaire dédié à Napoléon. Les travaux commencent en 1837, il aménage le terrain avec des essences locales et des pins laricio importés de Corse, hommage aux origines de Bonaparte. Puis il reconstitue un petit morceau de l’île d’Elbe en faisant construire un fortin appelé Fort de l’Empereur, et fait dresser des ouvrages de défense et une muraille d’enceinte comme au Fort de l’Étoile. Au fond du vallon, il fait réaliser un escalier de cent marches pour commémorer les Cent-Jours. Dans ce lieu de mémoire, il a l’idée d’un monument symbolique, hommage ultime à l’Empereur.

La cérémonie du Retour des Cendres, le 15 décembre 1840, va être le déclencheur du projet et aboutir à la conception et à la réalisation du « Réveil ». Durant cette célébration fastueuse, les vétérans de la vieille garde, et Noisot avec eux, se sentent relégués par les autorités dans l’impressionnant cortège. Noisot et Rude se rencontrent à cette occasion et dans la communion de leur admiration pour Napoléon, ils conviennent de consacrer à l’Empereur le monument que la France ne lui a pas dédié depuis sa mort (1821).

François Rude choisit le thème du culte napoléonien en mettant en scène l’Empereur abandonné de tous à l’autre bout du monde, et en mettant l’accent sur sa gloire et son immortalité. Sainte-Hélène est représentée comme un piédestal, masse imposante couronnée de la statue de l’Empereur glorifié. Napoléon est étendu sur le roc abrupt hérissé de pointes aiguës de l’île désolée de Sainte-Hélène battue de toute part par les flots de l’Océan, il est dans une grande solitude.

« L’Angleterre l’avait enchaîné là, cloué vivant comme dans une tombe et c’est de là qu’il va s’élancer libre. Il est mort et son immortalité commence. D’ignobles chaînes le retenaient, son âme les brise, son aigle ne s’envolera plus, et lui prend son essor ».

« Il est encore à moitié couché vêtu de son uniforme dans les plis funèbres remarquablement disposés à l’antique de son manteau de Marengo…, placé sur le côté gauche, appuyé sur le bras droit, l’Empereur soulève en auréole de sa main, au-dessus de sa tête …il semble se réveiller, sortir de son linceul, pour entrer dans la gloire immortelle.
L’aigle git à ses pieds, la serre crispée, bec entrouvert et l’aile brisée pendante dans les flots, rappelle qu’il succomba à une immense bataille et figure l’extinction de la splendeur matérielle de l’Empire, alors que son maître à ses côtés, est en pleine résurrection.

L’épée tant redoutée est liée par les chaînes de L’Europe et les carcans de la Sainte-Alliance, mais délivrée par la mort, elles pendent brisées aux flancs du roc expiatoire. L’épée, étreinte par ces entraves de fer, nous parle du passé, mais l’esprit de Napoléon ne saurait être enchaîné et nous transporte dans l’avenir. » (Notice descriptive sur le monument de Fixin.).

Rude plaça d’autres détails en forme de  clin d’œil : dans l’ombre du manteau, le petit chapeau de Napoléon et dans la couronne, on lit sur chaque feuille de chêne le nom des étapes de l’armée d’Italie : Rivoli, Lodi, Campo-Formio, Arcole.

Ainsi, Rude créait une œuvre monumentale mettant en scène le héros calme et pensif en uniforme tout en évoquant l’Empereur avec la couronne. Il idéalisait le grand homme dans sa dignité et sa majesté, les chaînes brisées le libérant à jamais de son statut de prisonnier. Claude Noisot fut très satisfait, il estimait que Rude avait conçu un monument spectaculaire bien différent de la statuaire classique des représentations de Napoléon et qu’il portait un message d’espoir.

Présentée dans l’atelier de Rude pour le salon de 1846, l’œuvre reçut des critiques élogieuses. L’inauguration officielle eut lieu le 19 septembre 1847 à Fixin devant plusieurs milliers de personnes. Le monument connut un réel succès, des visites et des pèlerinages furent organisés et beaucoup vinrent s’incliner devant le « Réveil » comme devant un tombeau : en cela, Noisot et Rude avaient réussi la mission qui leur tenait tant à cœur.

À la mort de François Rude, le 3 novembre 1855, Noisot fit ériger un monument avec son buste sculpté par Paul Cabet qu’il plaça juste à côté du « Réveil ». Le 14 avril 1861, Claude Noisot décéda à son tour. Il légua à la mairie de Fixin, le « Réveil » et le parc, et demanda à être enterré debout sabre au point face à la statue de son Empereur avec la seule inscription « un soldat de Napoléon Ier ». La roche étant trop dure, on y renonça, mais un monument, avec l’épitaphe et son effigie sculptée par Paul Cabet, fut installé tout près du Réveil.

Claude Noisot attribua une rente de 200 francs pour l’entretien à la condition que le monument et la propriété soient publics et respectent la mémoire de l’Empereur en ne devenant pas un lieu touristique. En installant le buste de François Rude et sa tombe aux côtés du « Réveil » dans son parc, Claude Noisot liait à jamais leurs destins à leur passion partagée pour Napoléon et à l’immortalité qu’ils avaient imaginée ensemble pour l’Empereur.

Claude Collard
Novembre 2021

Claude Collard est conservatrice générale honoraire des bibliothèques.

 

Partager