Une chronique de Cyril de Pins : « Lycée : La seule réforme urgente »

Auteur(s) : DE PINS Cyril
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Un proverbe allemand dit : « Qui réforme souvent déforme. » Le lycée connaît ces temps-ci une nouvelle réforme dont le peu que nous savons déjà est qu’elle se propose de supprimer les séries (littéraire (L), économique (ES) et scientifique (S) pour la voie générale, et toutes les nombreuses séries technologiques), c’est-à-dire l’une des rares choses que comprennent à peu près les familles et les élèves. Les disciplines, leur volume horaire et leurs intitulés, semblent également amenées à changer en profondeur, avec la création de disciplines transversales nouvelles, telles que ces « Humanités » dont le contenu n’est pas encore connu, non plus que le profil de ceux qui devront l’enseigner.

Le lycée moderne, créé sur l’initiative du Premier Consul, par la loi du 11 floréal de l’an X (1er mai 1802), devait à l’origine former l’élite de la nation. Il connut un certain nombre de réformes au cours du XIXème siècle qui conduisirent à sa généralisation progressive à toute la jeunesse. Dès lors, il ne s’agissait plus de former l’élite de la nation, mais d’instruire tout le monde. Au cours des deux dernières décennies du XXème siècle, on décida que tout le monde devait accéder au lycée : d’une démocratisation on passa donc à une massification.

Une chronique de Cyril de Pins : « Lycée : La seule réforme urgente »
Cyril de Pins © DR

Deux voies s’offraient alors aux réformateurs : élever le niveau général ou abaisser massivement les exigences des examens. On opta pour la voie la plus paresseuse et la moins coûteuse à court terme. C’était aussi le temps où les réformateurs fous arrivèrent dans les organes de formation des professeurs. La fondation des IUFM (Instituts Universitaires de Formation des Maîtres) qui changèrent de noms pour devenir les ESPE (Ecoles Supérieures du Professorat et de l’Education) par Lionel Jospin acheva de creuser la tombe du lycée impérial. On mit « l’élève au centre du système » et non plus la transmission du savoir. L’école devint un lieu de vie, et non plus un lieu d’apprentissage. L’école s’ouvrit sur la société et toutes les violences de la société y pénétrèrent.

Le niveau moyen du baccalauréat s’est effondré. Dans les milieux réformistes (les fameux pédagogues), on nia longtemps l’évidence ou on expliqua qu’il y avait toujours un tel discours nostalgique. C’est vrai, mais ce discours déplorait une distance vis-à-vis d’exigences toujours plus basses. Dire aujourd’hui que le niveau baisse, c’est soutenir que nos élèves démontrent d’étonnantes aptitudes à la spéléologie, car c’est la maîtrise des savoirs fondamentaux, des bases, qui n’est plus assurée. On donne des diplômes qui ne garantissent l’acquis d’aucune compétence à leurs lauréats et à ceux qui voudraient les recruter pour des études ou un emploi.

L’élève au centre du système finit par prendre le contrôle du système avec la complicité tacite de l’institution. « Surtout pas de vague », dit en permanence notre hiérarchie. Telle menace n’était pas vraiment une menace. Telle violence doit se comprendre. Que faire de tel élève qui refuse d’être un élève et se comporte comme un touriste exigeant et capricieux ? On lui cède et on laisse le professeur seul face au désordre et à la violence.

Il faut sans doute remettre un peu de cohérence dans les programmes, mais il n’est point besoin de bouleverser l’organisation générale du lycée et de l’enseignement secondaire. Il faut seulement rétablir un cadre dont l’administration, depuis les chefs d’établissement jusqu’au ministre, soient garants et comptables devant les professeurs, les élèves et leurs parents.

Le problème n’est pas nouveau. En 1909, Alain écrivait : « Si j’étais directeur de l’enseignement secondaire, je m’occuperais de pacifier les lycées. J’y arriverais, parce que je rendrais les chefs responsables de tous les désordres. Et nous n’aurions pas trois cents élèves à renvoyer dans toute la France pour rétablir l’ordre partout, le silence et le respect. Telle est la réforme qu’il faut faire. » C’est même la seule vraiment urgente – depuis plus d’un siècle. Il rappelait aussi et surtout cette évidence : « Le rôle d’un jeune savant est d’instruire, et non pas de faire le garde-chiourme. Aux surveillants, aux censeurs, aux proviseurs il appartient de faire régner l’ordre. Et, dès qu’ils voudront bien agir énergiquement, le professeur fera sa classe en paix. »

Plutôt que de nous faire le lycée de l’avenir, faites-nous un lycée où l’enseignement soit possible et où l’administration tout entière soit au service de cet enseignement. Alors, le lycée pourra redevenir ce lieu pacifique où l’excellence est une exigence offerte à tous.

Cyril de Pins

Cyril de Pins est professeur agrégé de philosophie au lycée.

Janvier 2019

 

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