Une chronique de Dorothée Lanno : après la politique de l’autruche, la politique de la poule ?

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Si l’expression « appliquer la politique de l’autruche » – désignant un aveuglement volontaire à l’égard d’un danger – est désormais entrée dans le langage courant, les implications politiques de la poule sont plus méconnues. Et pourtant, en octobre 1816, dans un village français, une poule ayant pondu un œuf à l’effigie de Napoléon, aurait été arrêtée et incarcérée pour cet acte de résistance dans le contexte de la Restauration.

Une chronique de Dorothée Lanno : après la politique de l’autruche, la politique de la poule ?

Dans le roman Angelo, paru en 1953, le héros de Jean Giono croise en effet au cours de ses pérégrinations provençales une paysanne montrant un œuf très particulier à une foule de curieux. La forme de la coquille suggère le profil de Napoléon d’un côté, et un aigle de l’autre. Angelo décide alors de l’acquérir, mais il attire l’attention de la police en proposant à la paysanne un prix exorbitant. Devenu suspect, il se défend en affirmant « [qu’] il ne faut, […] à aucun prix, laisser des objets subversifs entre les mains du peuple. […] Il est du devoir des amis de l’ordre de faire en sorte que les scandales soient étouffés dans l’œuf » (Angelo, Gallimard, éd. 1958, coll. folio, p. 51).

Comme le rappelle Giono dans la préface de son roman, cet épisode est en réalité inspiré d’une chronique de Stendhal, intitulée Sur la province française, rédigée en 1816, dans laquelle il relate l’aventure tragicomique de la poule ayant pondu un œuf aux traits de Napoléon :

J’arrive dans un village, tout le monde y parle d’une poule qui a pondu un œuf aplati d’un côté, et portant de ce côté la face d’un écu de 5 francs du côté de la figure, prudemment ils ne disaient pas la face de Napoléon. À l’autre pointe, une saillie représentait un aigle. La femme à qui appartenait la poule a montré cela, tout le monde allait voir, et beaucoup de gens revenaient convaincus que c’était vrai. […] Les paysans disaient : « Cette femme-là n’a aucun intérêt à ça, certainement elle est bien royaliste. […] Après cinq ou six jours, l’autorité fit arrêter par les gendarmes la femme, le mari, l’œuf et la poule. La poule est morte en prison. Les autres ont été relâchés après quinze jours. (Mélanges de littérature, t. 2, éd. Henri Martineau, Le Divan, 1933, p. 183-184)

En narrant l’histoire aussi absurde qu’hilarante de cette poule bonapartiste, Stendhal raille les excès d’une répression anti-napoléonienne qui cherche alors à abattre les symboles impériaux. Si cette anecdote cocasse est probablement née de l’imagination de Stendhal, elle trouve toutefois d’intéressants prolongements avec notre époque actuelle et démontre la vivacité de la symbolique de la poule et de l’œuf dans la politique intérieure et internationale.

En 2016, un internaute poste sur les réseaux sociaux la photographie d’un œuf surmonté d’un toupet de plumes blondes, évoquant la célèbre coiffure de l’actuel président des États-Unis. Rapidement, un photomontage est diffusé, appliquant le visage de Donald Trump sur la coquille du même œuf.

Au niveau national, en 2017, la visite au Salon de l’agriculture d’Emmanuel Macron, alors candidat à l’élection présidentielle, reste marquée par un malheureux jet d’œuf (Le Figaro, 1er mars 2017). On ignore toutefois si l’œuf lancé sur le candidat Macron portait l’effigie de François Hollande, et si la poule fut arrêtée et mise en examen. Lors de sa visite au Salon de 2018, en signe de réconciliation, le Président de la République adopte Agathe, une poule offerte par le directeur général des Fermiers de Loué. Installée au sein d’un petit enclos dans les jardins de l’Élysée, la poule ne tarde pas à pondre son premier œuf (Le Parisien, 5 mars 2018).

Si le coq est l’emblème de la France, la poule semble demeurer l’alliée la plus fidèle des chefs d’États…

Dorothée Lanno

Novembre 2019

Dorothée Lanno est docteur en Histoire de l’art et a été lauréate d’une bourse d’études de la Fondation Napoléon en 2015.

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